Tu l'as noté dans ton agenda, et des notes volantes virevoltent en cercle dans ton bureau, les coucou des horloges piaillant en rythme : Rendez-vous avec Canopus Black ! Rendez-vous avec Canopus Black ! Tu agites ta baguette d'un râle agacé, l'esprit encore embrumé de la veille que tu as besoin de digérer. Tu les fais taire d'un geste de la main. Inspires profondément et réajustes ta cravate, ravalant ta salive pour ne pas déglutir devant lui, visiblement nerveux à l'idée de négocier.

Canopus Black toque et rentre. Tu ne laisses rien paraitre, si ce n'est que tu te lèves subitement pour l'accueillir. Tu lui tends la main lorsqu'il est à ta hauteur mais ce n'est pas sa poigne que tu reçois mais un cadeau. Tu hausses un sourcil mais feins un léger sourire gêné.

— « Je vous remercie pour cette attention. Il ne fallait pas. »

Tu sais que tu parles dans le vent avec ce genre d'individu. Les présents sont des poisons et tu ne te risqueras pas à boire celui-là. Tu l'invites à t'assoir en face de toi, et te réinstalle dans ton siège, posant la bouteille sur le côté.
Canopus Black n'a pas le temps pour les courtoisies, et si c'est quelque chose que tu apprécies, tu ne peux t'empêcher de trouver son empressement suspect.
Et son sourire détestable. Tu sais maintenant d'où viens l'attitude désobligeante de Darya à ton égard quand vous étiez plus jeunes. De toute façon, son père, tu ne l'avais jamais senti.

— « En effet. J'ai beaucoup appris de mon propre père. »

Tu souris à ton tour, mais il ne peut pas saisir l'ironie de la situation (et c'est bien dommage).

— « Il n'était pas très fin lui non plus. »

Tu es tout de suite plus détendu, Clovis. Casser du bon vieux conservateur te met de bonne humeur. Cependant, tu t'assures de rester subtile et un peu taquin, t'enfonces dans ton siège pour croiser les bras sur ton torse. Tu encaisses, comprends que tu n'as pas fabulé ce marché, c'était donc bien de ça qu'il voulait parler.

— « Je... »

Toi aussi tu sais faire semblant.

— « Je n'y avais pas encore réfléchi. Tout est si nouveau pour moi. »

Ça te serre le coeur, putain si tu te voyais tu serais à gerber.

— « Pourquoi ? Auriez-vous une proposition à me soumettre ? »

Tu grinces des dents mais te forces à sourire face aux condoléances. S'il savait que ton père n'était pas vraiment mort... et soudain dans le feu de la conversation tu te mets à douter. Serait-ce possible qu'il soit au courant, lui ? Détiendrait-il des informations que toi même tu ignores ? La parano te gagne et tu tentes de garder la face, fronces les sourcils en tentant d'analyser les expressions de son visage. Tu as toujours su que Canopus Black était un serpent vil et cruel, et son niveau d'hypocrisie dépasse celui de tous les autres. Tu dois rester calme, Clovis. Tu n'obtiendras rien de lui en le confrontant.

— « Je vois. Je comprends où vous voulez en venir. »

Machinalement tu feins d'être intéressé par ce qu'il a à te dire. Tu hoches la tête à ses paroles, sous pression de tout ce qu'il garde pour lui. Tu rêverais d'être legilimens Clovis, juste pour avoir l'honneur de venir chercher les informations qui te manquent dans la tête de salopards comme Canopus.

Mais tu dois malheureusement mettre ta quête de vérité de côté, et tristement épouser Darya Black devient une idée encore plus raisonnable. Canopus Black deviendrait ton beau père et tu affirmerais une belle alliance avec la maison Black. L'avantage c'est que tu n'aurais pas à vendre une de tes soeurs à Riguel ou Izar.

Mais patience.

— « Je ne suis pas fermé à l'idée. »

Trop tard, tu as déjà abandonné.

— « Darya est un très bon parti, je n'en ai jamais douté une seule seconde. »

Tu tournes la tête pour fixer une note collée au mur, l'air pensif et mélancolique.

— « Elle aurait été parfaite pour mon frère. »

Putain tu pensais pas que ça te tordrait les tripes à ce point là de parler de ton frère, de repenser à la vie qu'il aurait pu avoir. Il aurait été un putain de patriarche de merde. C'était vraiment un merdeux et pourtant... et pourtant c'était ton frère, il aurait pu (du) être heureux. L'un n'empêchait pas l'autre et il aimait sincèrement Darya, vu comment il en parlait - malgré le sexisme et les traditions misogynes qu'il se trainait.... Ils avaient l'air de bien s'entendre. Tu repenses au Gala, au fait qu'elle s'était mise la pression pour satisfaire les attentes de son père.

— « A vous écoutez, elle n'est pas capable de se trouver un mari toute seule. »

Tu sais pas pourquoi tu parles. La place de chef de famille ça te monte à la tête Clovis, et peut-être que porter cet horcruxe depuis sept heures ce matin (depuis trois ans) commence légèrement à te faire vriller. Elle t'a touché dimanche soir, Darya, et ça te casse les couilles la manière dont il parle d'elle.

— « Une femme simple... Un caractère facile. Votre fille est avant tout une personne, avec des sentiments et des ambitions personnelles. »

Tu te laisses pousser des ailes, jubiles de manière malsaine à l'idée qu'il puisse se sentir piqué qu'un gosse de moins de trente ans lui fasse la morale.

— « Je ne fais pas mes courses. Je ne sais pas ce que je veux comme femme, si même j'en veux une. »

Tu t'étais levé pour aller machinalement ranger un papier dans une commode à droite de ton bureau. Tu aurais pu utiliser ta baguette mais tu avais besoin de te dégourdir les jambes. Tu fronces les sourcils et tournes la tête vers lui, avant de lentement regagner ta chaise.

— « Je ne veux pas une marionnette, ça j'en suis certain. »

Soupires, quand tu épouses le dossier de ton fauteuil. Tu dois faire redescendre la pression. Tu n'as aucune raison de te battre avec lui. Le plan c'était de te l'avoir dans la poche, merde.
Tant pis, tu vas ravaler ton ego.

— « Je suis désolé, si je vous ai offensé. »

Tu te racles la gorge.

— « Ecoutez, je n'ai pas besoin que vous me vantiez les mérites de Darya. Je la porte déjà dans mon estime et mon affection et c'est pour ça que... disons que je suis monté sur mes grands chevaux. Pardonnez-moi si je vous ai manqué de respect. »

C'est dur de s'aplatir face à un marchand de tapis. T'es agacé de comment fonctionne cette putain de société.

— « Je serais ravi et bien... de peut-être envisager quelque chose avec Darya. »

Il s'excuse et tu sais qu'il n'en pense pas moins. Tu le perçois aux crispations légères de son visage : son sourire n'est pas sincère. Et pourtant tu décides de faire semblant d'y croire, lui rendant ses politesses. Il accepte tes excuses à ton tour, mettant ton impétuosité sur la fougue de la jeunesse. Tu te retiens d'être cinglant, et de lui rappeler que le minimum de décence et de considération n'est pas réservé au moins de trente ans. Tu plisses les yeux un instant avant de reprendre le contrôle.

— « C'est oublié. Tachons d'être plus clair dans nos échanges la prochaine fois. Comme ça, il n'y aura aucun malentendu. »

Chevaleresque avant d'être raisonnable, il te vient en tête une nouvelle obsession. Plus vite tu proposeras à Darya de t'épouser et plus vite elle atteindra cette porte de sortie dont elle te parlait au Gala. Une porte qui l'emmènerait loin de cette vie régie par son père et par la famille Black.

— « Très bien. »

Tu poses tes mains sur la table, comme pour appuyer tes propos.

— « Je vais prendre un peu de temps pour y réfléchir et je reviendrai vers vous - du moins je reviendrai vers elle pour faire ma proposition. »

Tu veux gagner un peu de temps.
Tu te doutes que Darya n'est pas du genre à se jeter dans les bras du premier venu, alors que cela s'acte dans deux jours ou deux mois, tu ne penses pas rencontrer de soucis.
Cependant, mieux valait être prudent.

— « Ah et ... Canopus ? Je vous prierai de ne pas lui en parler avant que je me sois décidé. Je ne voudrais pas que cela devienne bizarre entre nous en attendant. Je veux faire les choses bien. »

A défaut de ne pas pouvoir ne rien faire du tout.