Avachi sur le sol quand Iphigénie passe la porte. Tu ne lèves pas les yeux vers elle, tu ne fais aucun effort pour la retenir. Ton empathie morte et saccagée. Trop épuisé. Sans doute, reprendras-tu le cours de ta culpabilité demain matin, mais tu n'en es pas certain. Tu vas crever, avait-dit Vanitas. Pour elle, pour lui, pour tout ça, cet empire, ce manoir, cet héritage, tu avais repoussé l'idée. Ce soir, plus rien ne t'importe, la mort pourrait venir te cueillir que tu n'en aurais rien à foutre, pas même une pensée émue pour aucun d'entre eux. Et il reste planté là, Clovis, attend que la porte se referme derrière lui. Morne, tu lèves la main, Adara comprend et cours te chercher la bouteille qu'elle te fourre dans la main. Le regard inquiet de Grenat, mais elle ne dit rien, ne peut rien dire, tes ordres sont absolus y compris ceux destinés à te tuer à petit feu.

— Laissez-nous.

Nouvel ordre, déraisonnable, pourtant, ils obéissent, ta petite armée. Quitte la pièce sans un mot de plus referme une dernière fois la porte. Elle lance un regard suppliant à Clovis, Grenat. Elle s'inquiète, comme toujours, peut-être la seule qui ne t'a jamais déçu ou meurtrit. Sans un regard pour lui, tu bois au goulot de ta bouteille, laisses un alcool que tu n'as pas la délicatesse d'identifier envahir ta bouche, descendre dans ton gosier, brûler ton corps. On ne te voit jamais faire montre d'aussi peu d'éducation. Tu t'essuies tes lèvres du revers de la main, viens te prostrer un peu plus quand il s'approche de toi.

— Lâche-moi.

Avertissement s'il lui vient à l'idée d'essayer de te relever. Tu relèves des yeux mauvais et blessés vers lui. Tu pensais chacun de tes mots. Tu le puni encore, ultime provocation quand, ton regard dans le sien, tu bois de nouveau.

Ignore que c'est à cause de toi que je bois, Putain !

N'ignore plus et contemple ton œuvre, Clovis.

C'est presque doux de le voir aussi affecté. C'est puéril, mais tu as besoin de le faire payer. Être raisonnable n'a jamais payé, être conciliant non plus. Ce que tu vois devant toi, c'est un gosse pourrit gâté qui apprend enfin la signification du mot conséquence. Et tu savoures, Jasper, putain tu savoures. Parce que si t'es trop lasse pour crier, ta colère, elle, reste intacte.

Il te demande d'arrêter, tu réponds en buvant. Ses mots sont de moindres importances et il le comprend. Il se saisit de ta bouteille, tire, tu tires davantage, viens céder que parce qu'il prend ton menton en otage. Un rire baigné de cynisme, Je te laisserai pas te bousiller qu'il dit.

— Whoa, trop aimable. Tu t'inquiètes donc pour moi ?

Le seul sourire que tu lui adresses est cruel. Tu lui en veux. Tu es furieux. Ça transpire par tous tes pores, ça se hurle en silence. Tu ne le quittes pas du regard un seul instant. Paye. Paye encore. Sa tentative de t'arracher ta bouteille est loin d'être suffisante. T'en rajoutes une couche.

— Qui l'eu cru... Vu que tu ne me rappel jamais...

Laisse traîner ta voix, insister sur une fuite qu'il ne supporte pas. Parce qu'il n'a pas changé sur ce point-là, n'est-ce pas ? Il déteste être mis en face de sa lâcheté et de ses propres manques. Il est trop beau, trop solaire pour ça. Et toi, tu as aimé ce soleil (tu l'aimes encore). Il est temps qu'il paye. Tu ne te feras plus berner par ses écrans de fumée. Il peut aller crever.

— Ou alors... Oh, attends j'ai compris. Au final, tu t'en fiches, c'est juste que tu n'aimes pas voir ce que je suis devenu. C'est pas de l'amour, c'est juste de l'ego. Ouais, c'est ça, aimer tu ne sais même pas ce que ça veut dire après tout, non ?

Tu pointes maladroitement ta baguette pour lancer un accio sur la bouteille, la lève devant Clovis comme pour trinquer. Tu le cites, l'imites.

— Tu me prendras pas le peu qu'il me reste.

Parce que cette bouteille, c'est tout ce qu'il te reste.

Tu ris en toi-même. Il comptait le faire. Ah ! Quelle chance, quel honneur, il comptait le faire. Pas d'excuse sur une batterie récalcitrante ou sur un oubli terrible de pinneaple. C'est que tu pourrais te croire privilégié ! T'es si acide. Si amer, Jasper. Tu n'as pas le temps de porter la bouteille à tes lèvres qui te l'arrache de nouveau. Pire qu'un préfet à dicter sa discipline quand toi tu ne rêves que de quelques gouttes supplémentaires contre ton palet. Tu tires, force, mais l'énergie te manque, ton corps engourdi par ce même alcool que tu tentes désespérément d'engloutir. Tu finis par lâcher et tu vois ton seul réconfort s'en aller. Tourne la tête vers lui, tu le regardes s'éloigner. Le regard un dans le vague, tu viens chercher ton paquet de clopes, tu troques un cancer pour un autre. Ça aussi, c'est de sa faute.

Prostré contre le kitchenette, tu pourrais le croire sincèrement affecté. T'es presque soulagé, de voir que t'as encore assez de respect envers toi-même pour ne pas avoir trop de pitié.

— Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même... C'est toi qui a commencé tout ça.

Tu désignes, alors qu'il est de dos, la pièce devant vous. Tout ça. Les coups. Les pleurs. L'alcool. Les clopes. L'oubli. Tout. Absolument tout. Tu colles la cigarette entre tes lèvres, balance un sort approximatif pour l'allumer. Tire dessus. T'es toujours au sol, t'as pas envie de considérer le moment où tu devrais te lever.

— Ce qu'on est devenu...

Tu souffles la fumée.

— Mais on a toujours été comme ça, Clovis.

Cruel. Tu sais que tu fais mal, que tu bafoues jusqu'à son jardin secret mais qu'importe. Tu piétines ses fleurs, comme il a piétiné les tiennes.

— La seule différence, c'est que tu vois les dégâts parce que je l'ouvre et que, toi, tu as commis un faux pas.

Un horrible faux pas.

— Appelle-moi.

Tu tournes la tête vers lui, intransigeant.

— Appelle-moi que je te montre.

Tu le regardes sans le quitter des yeux, lui qui prend son pinneaple, lui qui compose ton numéro. Et tu laisses sonner, Jasper. Tu le regardes tout du long. D'interminables secondes où tu lui fais payer chaque absence, chaque fuite, chaque silence. Inquisiteur sont tes yeux bleus alors que tu scrutes la moindre de ses expressions. Tu ne vas pas décrocher. À la dernière sonnerie, tu lèves ton téléphone, le laisses tomber au sol. Pas une seconde, tu ne l'as quitté des yeux.

— Maintenant, tu sais ce que ça fait.

T'as le regard rougi par les larmes silencieuses, mais tu ne le sais pas (tu ne veux pas savoir.).

— Agréable, n'est-ce pas ?

Condamnation. Tu te fais enfin juge, chaque seconde que tu passes à le regarder est une seconde où tu le rends coupable. Et ça te fait mal. Mal parce que quand tu le vois, tu vois la fin. Mal, parce que tu es furieux, perdu, démunie, abattu. T'as combattu dans une guerre glorieuse qui ne t'a valu que des cendres. Et tu lui en veux. Tellement. Tu avais besoin d'un coupable, d'un grand méchant. Lui qui ne t'a jamais rendu ce que tu lui as donné est idéal dans ce rôle.

Et tu attends. Sans savoir ce que tu attends. Un pardon ? La promesse de ne plus recommencer ? Tu ne lui avoueras pas que tu n'en a aucune idée.

Alors quoi ? C'est déjà la fin de notre idylle ?

T'as l'audace de rire, de secouer la tête. C'est quoi cette réaction ? Il ne manque pas de culot. Tu tires une nouvelle fois sur ta clope.

Si je m'en vais c'est ça la morale ? Tu décrocheras plus ?

Tu devrais. Oui, c'est ce que tu vas faire. C'est ce que tu vas te forcer à faire. Juste pour qu'il s'écrase contre les roches de ton indifférence. Juste pour que tu t'écrases contre les siennes, parce qu'il tournera la page, parce que vous n'êtes plus Clovis et Jasper. Parce que vous êtes devenu Argus et Magnus. Et qu'Argus et Magnus ne peuvent pas devenir amis.

Mais ton regard s'écarquille, furieux, ta clope qui tombe au sol. Il ose te faire passer pour l'indécis. Il ose vouloir se draper de le cap du gentil et de l'incompris. Le héros tragique. Non. Non. Non. NON. Tu bondis tes pieds, le chopes par le col. Toi tu ne sais pas ce que tu veux ? TOI TU NE SAIS PAS CE QUE TU VEUX.

— Par-

Il murmure.
Tu t'étrangles.
Reste interdit face à ces derniers mots. Tu le regardes sans comprendre. Quel genre de blague est-ce ? Quel genre d'humour est-ce ?

— Ne... Ne joue pas avec moi.

Tu serres son col. Furax mais incertain. Un investissement soufflé contre sa peau parce que tu n'aimes pas du tout le flou qu'il jette sur votre tableau. Tableau qu'il a lui même saccagé en partant. En t'étranglant. En t'embrassant. En t'aimant. En t'abandonnant.

— Ne joue pas avec moi.

Tu répètes, fermement, les jointures blanches.
Tu trembles.

— Tu ne me rappel pas. Il y a peine cinq minutes tu étais prêt à fuir. Ne te fous pas de moi, Clovis. Ne joue pas avec moi.

Tu t’entends balancer, désabusé, à Vanitas. Tu t’entends lui dire, toi qui te crois si intelligent, que tu étais assez stupide pour retomber dans le même piège depuis quinze ans. Tu lui en veux. Tu lui en veux tellement. De te tendre le même piège de nouveau. Tu t'en veux. Tu t'en veux tellement. D'y retomber encore.

— N'inverse pas les rôles... Ne te fais pas passer pour celui qui sait ce qu'il veut... Tu n'as pas le droit.

Froid. Furieux.

— Quinze ans que je te veux alors que toi tu ne m'as jamais regardé. T'es vraiment le dernier des enfoirés pour sortir ce genre de carte. Je ne te crois pas...

T'es trop proche. Il tend le piège. Tu tombes.

— Prouve-le-moi.

Tu ne veux pas le croire. Tu ne peux pas te permettre de le croire. Le croire pour quoi ? Il t'a toujours déçu. Il a toujours fini par piétiner ta dignité et toi, trop attaché à son sourire, trop amoureux, tu as pardonné. C'est exactement le même piège, à coup de sourire, de mot, de tendresse, d'affection, il porte un costume différent, mais c'est toujours le même piège et tu le sais. Tu le vois.

Pourtant. Pourtant.

— Tu crois que j'ai pas essayé ? Tu crois que j'ai pas tout fait pour enterrer cette merde ?

Tu n'as pas à te justifier. Pourtant, tu le fais. Rage soudaine, inconfort qu'il te prenne pour un soupirant éploré rêvant de romance. Besoin qu'il reconnaisse ton combat, qu'il te voit en guerrier, qu'il comprenne que chaque putain de seconde avait été une guerre pour et contre son nom. Tu tombes dans le piège. Tu ne peux pas te le permettre, pas cette fois. Cela fait trop longtemps déjà que tu te convaincs que tout ça ne rime à rien. Il n'a pas le droit d'y donner du sens, c'est trop cruel, surtout maintenant.

Pourtant. Pourtant.

Prouve-le-moi.

Ta mâchoire qui se contacte. Ses lèvres qui plongent sur les tiennes et tu perds pied. Écarquille un peu plus tes yeux, manque de t'étouffer.

— Hmph !

Merde. Merde. Merde. Tu ne veux pas le croire. Tu ne peux pas le croire. Il joue avec toi, même s'il te dit le contraire. Tout ça n'a aucun sens. Tout ça n'est pas logique. Ça ne peut que mal finir. C'est Clovis, c'est ton héros maudit, ton bourreau tendre, pas ta porte de sortie, pas ta solution. Pourtant. Pourtant. Tu te laisse emporté, emporté contre cette étagère même si tu luttes, refuse sa soi-disant passion en faisant barrière de tes dents. Mais il insiste, commet l'erreur fatale d'entrouvrir les lèvres et sa langue contre la tienne tu te sens fébrile. Tu le détestes. Tu te détestes. Serre son col pour le ramener à toi. Fait chier. Fait chier. Fait chier. Quand il décolle sa bouche tu essuies son baiser du revers de la manche, regard furieux, mais t'auras beau lui lancer toute la haine du monde tu l'as laissé t'embrasser, tu as déjà perdu.

— Parce que c'est à moi d'essayer ? Tss.

T'as le cœur qui tambourine douloureusement. Tu perds face à lui et ça te rend fou. Tu sors ta baguette, un geste du poignet pour lancer un sort anti-mauvaise odeur sur tes vêtements, agacés. Tu sors de ta poche un paquet de chewing-gum à la menthe et en fourres un dans ta bouche, sans croiser son regard, tu t'obstines à ne pas le regarder depuis qu'il t'a embrassé.

— Je ne te comprends pas.

T'es toujours adossé contre cette étagère. T'as l'air d'une bête furieuse mais tu ne fais rien pour t'extirper de sa poigne non plus. Tu glisses lentement ton regard vers lui.

— Tu me veux.

T'oses le regarder vraiment.

— T'as une façon déplorable de me le montrer.

Fronce les sourcils, un véritable reproche alors que la menthe envahit ta bouche, fait disparaître le relent de rhum et de whisky. Tu te redresses un peu, le toise. Tu ne le laisseras pas te prendre de haut, c'est toi le plus grand. Que ton bassin frôle le sien et que tu en frisonne ne change rien. T'as toujours une main solidement attachée à son col, l'autre vient gagner sa hanche.

— C'est quoi ton plan ? M'embrasser ? Peut-être me baiser contre cette étagère et après quoi ? Tu t'en vas, tu refaits le mort pendant plusieurs semaines jusqu'à ce qu'Iphigénie fasse une connerie qui me donnera envie de me tailler les veines ? Parce qui si c'est ça tu peux aller te faire foutre, Clovis. Tu embrasses comme un dieu, mais ce n'est pas ton cul que je veux. Je veux ton respect.

Son cœur aussi.
Mais ça t'a encore un peu de fierté pour ne pas lui dire. Pourtant, dieu sait qu'il l'a déjà deviné.

Tu as toujours aimé ses yeux. Ses longs cils, cette façon dont ils papillonnent avec une fausse innocence insolente. Tu as toujours aimé cette façon dont ses boucles blondes dansaient, encadraient ses traits fins. Comment son profil faisait écho à celles de ces jeunes garçons lisses à la beauté insolente. T'as toujours trouvé ça d'une extrême virilité, aussi paradoxal que ce soit. Il la forme de l'ingénue, mais l'essence du conquérant, il a les yeux de la biche et l'éclat du lion. Il est paradoxal, Clovis, contradictoire. Il est ce gant de soie qui cache la morsure du serpent. Et tu as toujours été sensible (faible) face à ça. Te sens toujours petite chose impressionnable face à ça. Tu déglutis. S'il se joue de toi, tu le tueras.

Je te veux, et après quoi ?

Tu l'observes, incapable de mot. Tu es perdu, vous vous êtes perdu. Vos frontières floues, mi-chemin entre amour et haine passionnée. Il n'a plus l'air fâché, il ne te regarde plus comme il te regardait quand tu l'as croisé dans les toilettes du club, la première fois. Tu lui en veux presque d'être incapable de te montrer sa haine. Ce serait plus simple de se détester, de mettre tous les écarts sous le compte de colère trop prononcée. Et tu te rends compte que tu n'es peut-être pas prêt à envisager que ce soit réciproque. À aucun moment tu n'avais envisagé que ça le soit.

— Tu ne m'apprends rien.

Il n'a rien à t'offrir et toi non plus. Vous n'avez rien à construire et tu le sais. Il s'éloigne, le froid soudain contre toi. Tu baisses les yeux, fixes le sol, penaud. Tu sais. Tu sais tout ça. La gorge qui se serre. Merde. Tu fais un pas et c'est là qu'il revient, se colle à toi, colle ta paume contre sa joue. T'as le réflexe de la caresser du pouce, de le regarder. Lui son visage d'ange, le seul que tu as la capacité t'aimer. Ton Clovis, ton beau, si beau Clovis. Et ses lèvres qui envahissent ta nuque alors tu renverses la tête contre l'étagère, lui laisse le champ libre à l'exploration. Ton soupirer, ton souffle qui tremble.

— .... Il y a quelque chose que tu peux m'offrir.

Tu baisses la tête, le force à te regarder. Ton regard meurtri et tendre.

— Traître moi comme un être humain, non comme une distraction. C'est tout ce que j'ai jamais demandé.

Passe une main dans son dos. Ton front qui s'échoue contre son épaule. Se relève, ta bouche qui s'échoue dans son cou.

— Tu sais que contrairement à toi je ne demande pas beaucoup...

Qu'est-ce que tu fous ? Le regard déçu de Vanitas sous tes paupières closes. Tu fais de la merde, voilà ce que tu fais. Tu le sais. Tu ne le sais que trop bien. Et pourtant. Pourtant. Tu remontes lentement contre sa mâchoire, embrasse, glisse tes lèvres contre sa joue, ton nez contre le sien, la respiration suspendue.

— Je suis toujours furieux.

Comme pour adoucir ton propre échec à le repousser.

— Il va me falloir du temps pour arrêter de te détester.

Léger baiser, le cœur qui tambourine. Putain. Putain. Putain.

— Clovis...

Viens remonter ta main dans son dos jusqu'à sa nuque, putain t'en peux plus. Ton autre main échouée contre sa hanche que tu viens saisir pour ramener son bassin contre le tien.

— Si tu me refais le même coup je te tue, sache-le.

Maintenant, montre-moi comme tu me veux.
Aime-moi.

Tu perds pied à mesure qu'il fait monter la fièvre. Conscient de tomber dans son piège, conscient qu'il t'amène exactement là où il veut aller. Pour cramer encore un peu de passion ce soir, seulement à quel prix et pourquoi ? Mais ses provocations qui t'écarte de ta détermination à avoir des réponses. Son envies visible, pressée contre toi, qui te rends prompt à l'oubli. Il est doué. Doué à te faire oublier le plus important et le plus laid. Doué, pour que dans ta tête ne reste que son putain de regard et l'appel de ses lèvres. Et t'es faible, si faible.

Murmures empressés quand il te tire. Vous percutez les chaises, les plantes, jusqu'à ce que son dos trouve la table. Un tableau divin devant tes yeux. Lui dans cette position tous tes fantasmes adolescents s'alimentent d'images désormais réelles. Déglutis, parce que tu es à deux doigts de lui donner ce qu'il attend. Ton désir de lui est bien trop présent pour qu'il ne puisse l'ignorer. Et ton visage qui plonge jusqu'à sa bouche vient embrasser impatient, passionné. Une main qui se perd dans ses boucles blondes, les doigts qui dansent glisse sur sa joue, mélange de tendresse et de fougue, ton bassin dans un mime parfait de la danse qu'il voudrait te voir jouer.

Toujours furieux ?

— Oui.

Tu te détaches de lui, non sans regret. Ta poitrine qui se soulève, t'es essoufflé de l'énergie que tu mets à lui résister. Glisse tes mains sur ses hanches, ses cuisses, le force à te libérer.

— Tu ne m'auras pas aussi facilement.

Tu le toises, lui allonger sur cette table n'a plus la possibilité de se faire plus grand, plus royal que toi. Tu le toises, les joues rougies. T'as encore le goût de sa bouche sur tes lèvres et tu sais qu'il te fera payer (comme toujours) ne pas accéder à son caprice. Mais tu ne veux pas être un simple caprice.

— Il parait que tu me veux or, si tu as bien appris tes leçons, tu sais qu'on a seulement ce qu'on mérite.

Tu croises bras, viens tapoter du doigt ton coude.

— Et on ne peut pas dire que tu aies été très méritant...

Tu tires sur ta cravate pour la défaire totalement. Libère ta nuque en faisant sauter les deux premiers boutons de ton col. Une main lache contre ton front, repousse quelques secondes tes mèches ébène vers l'arrière.

— Je suis sérieux, Clovis. Je ne veux pas être ton jouet. Tu me veux et je ne vais pas te demander si nos définitions concordent, mais je veux pouvoir te faire confiance.

Tu fronces les sourcils, soudain sévère.

— Je peux te faire confiance ?

Il boude, petit prince à qui on a dit non. Si tu n'étais pas aussi incertain sur ce que vous êtes (sur ce que t'espères être) tu pourrais t'amuser de cette démonstration frustrée et enfantine. Tu pourrais en jouer, trouver ça adorable, venir cueillir son visage froissé pour lui dire que tu aimes quand il se fait aussi démonstratif. Seulement, tu retiens les gestes, l'envie. Retiens le réflexe d'accourir et de combler ses désirs. C'est que tu es trop amoché pour te jeter à l'aveugle, trop diminué pour te donner comme t'en rêves si c'est pour qu'il te piétine à l'arrivée. Et il va te piétiner, Clovis.

Tu ne soulignes pas sa remarque, il a très bien compris ta logique et tu ne t'en excuseras pas. Tu te contentes de froncer davantage les sourcils. Il ne t'a pas habitué à plus qu'à cette vision binaire de ses relations. Et tu poses la question. Une parmi tant d'autres, une question de confiance qui aurait pu s'appeler autrement. Tu me veux comment ? Est-ce que tu es sincère ? Est-ce que tu vas me faire du mal ? (évidemment) Est-ce que tu finiras par me faire te haïr à la fin ? On est quoi, Clovis ? On est quoi ? Mais là où c'est simple à verbaliser avec Vanitas, ça ne l'est pas avec Clovis. Chaque mot est un appel à la fuite et toutes ces questions que tu pourrais poser pour remettre de l'ordre dans le bordel qu'il a engendré (et tu as besoin d'ordre, Jasper) il ne te fera pas le loisir d'y répondre. Il lèvera les yeux au ciel, il te fera comprendre que ça l'agace. Peut-être même qu'il partira, parce qu'il a toujours détesté de se fixer. Alors tu essayes de te faire subtil, pourtant l'angoisse te prend. Son regard qui s'écarquille et tu te demandes s'il va avoir l'audace de te regarder droit dans les yeux et de te mentir.

Bien sûr que non...

Tu restes interdit quelques secondes, le temps pour lui de venir trouver refuge contre ton torse. Tu restes interdit quelques secondes. Puis tu souris.

— Si tu m'avais dit oui je ne t'aurais pas cru. Au moins tu es honnête, j'apprécie.

Tes doigts qui se perdent dans ses boucles blondes. Masse le crâne doucement, alors qu'il s'accroche à toi comme toi, tu t'es toujours accroché à lui. Désespéré. Ses confessions à l'ombre de ton costume. L'idée que ce soit lui qui tremble t'amuse autant qu'elle te fait trembler.

— Je pense que c'est un peu tard pour ça... Se vouloir c'est une connerie en soit.

Tu viens cueillir son visage entre tes mains, relever sa tête vers toi. Tu l'observes, l'amour dans les yeux, la tendresse, la tristesse aussi. Beaucoup trop de tristesse. Caresse sa joue du pouce. Tu as aimé ce visage avec passion dès le premier jour.

— Je ne veux pas que tu m'écartes. Pas encore.

Et tu sens qu'il pourrait le faire. Franchir le pas de ta porte et aller combattre seul, encore. Parce qu'il a toujours été comme ça. Parce qu'il ne t'a jamais demandé d'aide, tu t'es toujours arrangé pour la lui apporter sans qu'il n'ait à meurtrir sa fierté. Tu viens prendre une de ses mains, celle enchaînée, celle souillée, celle qui a essayé de te tuer. Vient y déposer un baiser.

— Ne m'écarte pas.

Tu approches ton visage, l'observes.

— Pourquoi il faut que tu sois aussi beau ?

Tes lèvres au bord des siennes. Embrasse, tendre. Son visage entre tes mains, ta plus belle œuvre d'art.

— Je te veux tout entier... Et toi ?

Cruel de demander ça quand ses yeux crèvent sous l'envie.

Vous le savez tous les deux. Tu as envie de le croire quand il dit qu'il sait. Après tout, c'est d'une telle évidence. Ça l'a toujours été. S'il y avait eu un autre Fawley avant toi ça aurait été un rêve à réaliser. Les seconds ne comptent pas, les seconds n'ont jamais compté. C'est encore plus évident maintenant que lui aussi est devenu un premier. Pourtant tu penches ton visage sur le siens, tu frisonnes quand il t'embrasse, tu désespères de l'entendre. Et quand il te parle, c'est autant de soulagement que de détresse. Tu te demandes, qui t'es pour lui reprocher de faire de ta vie un enfer quand tu as si peu d'appréhension à plonger dans son Styx.

— Clovis...

Ses bras autour de ton cou, son corps qui épouse le tien. Il emploie le possessif avec une telle passion et tu as envie d'y croire, de tout lui donner, de tout lui céder. Parce qu'après tout ça fait quinze ans que tu rêves d'être son quelque chose, d'être simplement à lui. Et c'est si confortable de lui appartenir, si confortable d'être possédé. Un peu brutalement, tes mains qui quittent son visage, gagnent son dos et l'arrière de son crâne. Vient le plaquer tout contre toi. Parce qu'il n'est qu'à toi, rien qu'à toi. Tu te trahis toi-même sous l'excitation.

T'es à moi Fawley, putain t'es à moi.

— Alors me laisse pas partir, Lestrange.

Tu signes un pacte avec le démon sans aucune appréhension. C'est une connerie et tu le sais. C'est du suicide et tu le sais. Il n'y a aucun monde où tu pourras entrelacer ses doigts avec les tiens au milieu de la foule. Aucun monde où tu pourras le faire valser dans une salle de bal et le laisser se pendre à ton cou. Aucun monde où tu pourras te réveiller dans le même lit que lui chaque matin et t'endormir dans ses bras chaque soir. Aucun monde où tu pourras le conduire à l'autel, le laisser te passer la laisse devant le reste de la communauté sorcière. C'est une passion sans espoir de douceur. C'est un pied dans ta propre tombe. Et tu te demandes s'il a aussi mal que toi en cet instant. Il a forcément aussi mal que toi en cet instant.

Tu l'embrasses avec passion, possessif au possible, veut imposer ta marque, couper son souffle et pour le reste tant pis. Ta main contre son dos qui vient agripper sa hanche, coup de bassin, le tissu qui vous sépare t'agace. Tu le noies d'amour pour vous faire oublier l'amertume, pour vous faire oublier que s'il n'y aucun monde où vous pourriez être heureux à deux, il y en a en revanche une multitude où vous pleurez ensembles. Mais tu finis par te détacher de lui, cependant. Tu ne peux pas, pas encore, pas maintenant. Trop peur encore, de lui offrir ça pour être laissé pour compte le lendemain. Tu es à lui, qu'il clame. Seulement, tu voudrais qu'il soit aussi à toi. Tu t'en tiendras ainsi à la douceur pour le moment. Viens quitter sa hanche pour caresser sa joue, baiser tendre sur le front.

— C'est une torture de te dire non, vraiment.

Tu soupirs, recul, tu ne remets pas ta cravate, te contente juste de remettre en place ton col.

— Il y a quelque chose que je voulais te montrer. Viens avec moi.

Tu lui tends la main, glisse tes doigts entre les siens. Encore un peu de tendresse, juste entre vous, juste ce soir. Tu le conduis vers le cabinet de curiosité, sa grande porte peinte en noire qu'il va a toujours été interdit de franchir. Tu la déverrouilles d'un coup de baguette et la pousse. Dedans des centaines d'objets et de livres entassés.

— Malgré ton manque de politesse j'ai continué de réfléchir à comment t'aider avec la chaîne. Je suis venu fouiller ici dans l'espoir de trouver quelque chose. Il y a quelques livres anciens qui méritent le coup d’œil mais surtout je suis tombé sur ça.

Tu l'emmènes au fond de la pièce, quittes sa main pour tirer sur un grand drap blanc qui cachait deux armoires à disparaître.

— Iphigénie continuera d'essayer de découvrir la vérité et je ne peux pas franchir le pas de ta porte sans que ça ne te mette dans une position délicate. Si on veut travailler ensemble il va falloir être discret. Je me suis dit que ça pourrait nous y aider, qu'est-ce que tu en penses ?  

Tu ne lui adresses pas un regard, passe tes doigts sur les dorures discrètes et les décorations finement sculptées dans le bois noir. Ça aussi, c'est toi. Concentré. Méthodique. Curieux. Les restes du Jasper studieux qui voyait dans chaque nouveauté un mystère à élucider, un challenge à relever, une nouvelle ambition à assouvir, pas pour s'en venter, juste pour se sentir plus grand. Il y a dans cette pièce des raretés entassées que ton père à garder jalousement loin de tes yeux. Des témoignages et récompenses pour tout ce que ta famille avait accompli dans l'ombre. Il y a des noms qui brillent dans votre communauté et les merveilles du cabinet de curiosité sont les preuves du rôle que vous y avez joué. Tu observes les armoires, fronces légèrement tes sourcils sous la concentration.

Est-ce que tu saurais les faire marcher ?

— Je crois, oui.

Non. Tu secoues la tête, relèves le regard, plus déterminé.

— Non, j'en suis sûr.

Tu te tournes vers lui les doigts toujours sur le bois. Le regard plus brillant à mesure que ton plan se met en place. Une certaine fierté (revanche) à lui montrer ton efficacité, à lui montrer que pendant qu'ils se tournaient les pouces, tu avais toi, seul, sans lui, avancer. Tu joins tes mains derrière le dos, droit, sérieux. Une certaine fierté, oui. Tu es cet atout dans sa manche dont il ne pourra plus se passer.

— Je peux d'ores et déjà faire passer d'une armoire à l'autre des objets, et même de la nourriture. La seule chose que je n'ai pas encore testée, c'est la vie organique.

Mais ce n'est qu'une question de temps.

— Mais j'ai bien étudié le sujet et je me suis entouré d'experts dont je peux garantir la discrétion. Laisse-moi 48h et tu auras une armoire viable à ta disposition.

Tu poses sur lui un regard brillant de satisfaction, un sourire légèrement impertinent aussi. Toi, tu as déjà trouvé de solution. Toi, tu le feras avancer parce qu'il en a toujours été ainsi. Sans lui, tu ne peux pas fonctionner normalement. Sans toi, il ne peut rien accomplir vraiment.

— Pas la peine de me complimenter, je sais déjà que je suis brillant.

Et comme-ci l'histoire était déjà réglée tu demande, l'air de rien.

— Où comptes-tu la mettre ?

Tu avais bien quelques idées. Toi, tu hésitais encore entre le bureau de ton père et ta chambre. Si la seconde option était celle qui te tentais le plus, tu avais encore assez de fierté et de respect envers toi-même pour le taire. Tu ajusterais ton choix en fonction de ce qu'il dira. Il était hors de question de lui donner l'impression d'être prêt à plonger dans ses draps. C'est lui qui devait brûler de toi, non le contraire.