Tu avais passé des heures dans le noir à te demander si c'était une bonne idée, à stresser d'être exposé devant trop de monde, à avoir peur que tout se passe mal et que Noah t'en veuille à mort de ne pas avoir été à la hauteur de ce qu'il espérait. C'est que depuis février, il en fait des caisses et ça te rend fou. Chaque détail est important et tu peines à imposer ta vision ou tes idées. Tout ce qui lui semble nul, discret ou subtil est jeté à la corbeille. La seule chose qui t'avait encore appartenu, c'était le choix de ton costume.

Ta mère adoptive était venu avec toi pour l'acheter. Vous aviez repris un peu contact depuis un an - avant cela, la mort de Cillian vous avait pas mal éloigné. Elle et ton père adoptif s'étaient même proposé de payer un petit peu et de passer la tenue dans leurs frais. Malheureusement pour leur proposition, Noah en avait fait bonne réception mais avait quand même tenu à tout régler.

Le jour du mariage, un samedi de juillet, tu étais arrivé à l'aube sur place. Impressionné et stressé, tu n'avais pas quitté la pièce qui t'était assignée pour te préparer. Ta mère avec toi, la seule que tu voulais encore appeler Maman, tu te fixais dans le miroir avec l'impression d'être ridicule.

— « Je vais pas le faire. Tu vas aller t'excuser auprès de Noah mais je vais rentrer... »

Mais rentrer où ?

— « Non, autre plan. Vous me cachez à la maison et j'enverrai un mail à Noah quand ça se sera tassé pour lui expliquer. »

Putain, il pouvait pas être ce genre de type avec lequel on casse facilement ? Qui ne revient pas hanter une fois bloqué. Non, Noah retournerait la terre entière et celle de ta tombe au passage.

— « Oui oui ça va aller, je dois juste me calmer PUTAIN. »

(...)

Sur le pas de la chapelle, tu tiens le bras de ta mère. La musique démarre (évidemment) et commence la lente ascension vers l'autel. Elle retourne s'assoir au premier rang lorsqu'elle l'atteint et te laisses continuer tout seul. Tu rejoins Noah devant tout le monde devant le prêtre et balaies l'assemblée d'un regard un peu fermé. Souffles à ton futur mari.

— « Il y a beaucoup de monde. »

((Que tu connais pas))
Mais rapidement, celui qui officie la cérémonie fait signe à tout le monde de se taire. Il s'éclaircit la gorge et commence son discours.

— « Nous sommes réussis ici ce jour pour unir ces deux hommes dans le sacrément du mariage. Les unir devant Dieu. Très bien... Mes feuilles... D'abord, j'aimerai vous rappeler à quel point il est important de... »

Vingt cinq minutes sur les valeurs du mariage, de l'union, de la fidélité. Tu fronces les sourcils dans la direction de Noah, à bout de souffle et clairement à bout tout court. C'est sûrement de son fait, de t'assommer avec tout ça. Qu'ils en soient tous témoin, tu vas l'étrangler ! Au moins tu as eu le temps de pouvoir admirer sa tenue sous toutes ses coutures. Il est vraiment magnifique et le blanc lui va bien au teint. Ses boucles blondes lui donnent l'aspect d'un ange. Tu réprimes un rire moqueur à l'idée ; un ange ou un chien mouillé, au choix.

— « Nous allons passer aux voeux. Veuillez répéter après moi. Nous allons commencer par vous Hyperion Priest, puisque vous apparaissez clairement comme le plus dégourdi. »

Il a même réussi à se mettre le prêtre dans la poche. Un classique. Tu essaies de te concentrer. Attentif.

— « Moi, Hypérion Noah Priest... (...) je te prends Ezra, (...) comme époux (...) je te promets fidélité, à partir d'aujourd'hui (...) pour le meilleur et pour le pire (...) dans la richesse comme dans la pauvreté (...) dans la santé comme dans la maladie (...) et je m'engage à t'aimer et à te chérir jusqu'à ce que la mort nous sépare. »

Heureusement qu'il est là pour vous souffler les mots, car tu aurais juré avoir tout oublié.

Il prend tes mains et tu jurerais que ton coeur s'est arrêté. C'est le moment, ça y est. Tu l'écoutes prononcer ses voeux. Soupires, stressé. Tu ne saurais dire si le fait qu'il fasse des blagues te crispe ou au contraire t'aide à te détendre. En tout cas, tout le monde semble l'aimer dans la salle et ça te fait bizarre. Tout le monde sourit, tout le monde est ravi, tout le monde célèbre et tu n'as pas l'impression d'avoir fait quoi que ce soit pour mériter ce bonheur.

Tu rougis encore. Il n'a pas vraiment répété mot pour moi. Non, il a fait son Noah. Tu meurs d'envie de l'embrasser pour qu'on n'ait pas à te demander de parler.

C'est à toi.
Le prêtre commence à énoncer la phrase en la décortiquant par passage, exactement comme il l'a fait pour Noah. D'une voix peu assurée, tu répètes :

— « Moi, Ezra Strauss... Je te prends toi, Noah comme époux... Je te promets fidélité... »

Tu écarquilles les yeux. Tu regardes tour à tour le prêtre, puis Noah, puis le prêtre, puis Noah. Tu crois discerner une lueur narquoise dans les siens. Tout dans ta posture trahit la confusion. Mais les secondes s'écoulent et le prêtre répète en soufflant. Tu te râcles la gorge.

— « Et obéissance... À partir d'aujourd'hui, pour le meilleur et pour le pire... Dans la richesse comme dans la pauvreté... Dans la santé comme dans la maladie... Et je m'engage à t'aimer, te chérir et d'être dévoué... Jusqu'à ce que la mort nous sépare. »

Enfin ! C'était interminable.
C'est le moment où ta petite cousine s'approche avec les alliances, déposées sur un petit coussin de velours noir. Tu attrapes celle de Noah en premier et lui passes au doigt, non sans écraser (de bonne guerre) sa main au passage. Tu tends la tienne pour qu'il fasse de même.

— « Je vous déclare uni par le lien sacré du mariage. Vous pouvez vous embrasser. »

Tu fais le pas en premier, poses une main sur son épaule et vole ses lèvres. L'assemblée se lève et applaudit.

À l'entendre rire comme un fou, il donne l'impression d'être un de ces méchants dans les vieux films qui ont réussi à mettre leur plan diabolique en place et à vaincre le héros. Tu ne peux t'empêcher de rire un peu, le coeur qui se soulève en même temps que tes pieds décollent du sol. Tu t'accroches à lui pour ne pas tomber, gêné qu'il vous donne autant en spectacle. Mais c'est pas grave, Noah peut bien avoir son heure, tu peux bien lui accorder cette faveur. Qu'il s'amuse ! Tu profiteras plus tard, quand tous les invités seront rentrés chez eux et que tu pourras décompresser, seul, dans le château gonflable avec de la musique.

Noah embrasse ta joue. Tu l'entends railler à ton oreille. Pour le punir, tu pinces son nez.

— « Obéissant et dévoué, on verra ça. Qui craquera en premier. »

Niveau tête de mule, tu es encore pire que lui. Quand il s'agit d'arriver à tes fins, tu peux te montrer tout aussi persuasif. Mais Noah a un avantage : il sait mieux gérer le public. Tu rougis en l'entendant murmurer du sale à ton oreille et lui tapes l'épaule.

— « Arrête ! »

L'église se vide peu à peu. Tu frissonnes à le voir te sourire comme ça. Tout ton corps perçoit la subtile menace.

— « Mais je suis TRÈS heureux ! J'ai juste pas besoin de le CRIER AAAAAH »

Tu t'accroches à lui, la tête nichée et cachée dans son cou. Tu fermes les yeux et entend simplement les hourra de plus en plus sonores. Une pluie de riz s'abat sur vous et des grains se perdent dans tes cheveux. Tu ne comprends pas pourquoi il a dit ça tout à l'heure : tu es heureux.

Après quelques minutes de célébrations et de chansons, les invités sont dispersés dans le domaine, à rire, parler, et surtout dévorer les éléments des buffets disposés un peu partout dans l'immense jardin. À croire que vous n'avez jamais un moment seul - il faut constamment qu'un ami, collègue, membre de la famille vienne parler ou adresser ses félicitations. La batterie sociale devient rapidement à sec, tu luttes pour écouter et sourire en boucle à quiconque viendrait vous serrer la main. Le seul pour qui ça semble aussi naturel que providentiel, c'est Noah.

Tu lu glisses, dès que votre interlocuteur tourne le dos.

— « Je meurs de soif. J'ai rien avalé depuis hier matin je vais tomber dans les pommes. »

S'il y a bien quelque chose que tu ne pourras jamais critiquer chez ton mari, c'est son dévouement et sa serviabilité (quoique, c'est quand ça l'arrange bien la plupart du temps). A peine fais-tu comprendre que tu as soif, et même si tu te serais contenté d'un jus ou d'une coupe de champagne, Noah te tire à part. La chance d'être en costume, tu ne te prendrais pas les pieds dans une robe comme une mariée aurait pu s'en plaindre. Tu le suis en riant joyeusement derrière la petite chapelle du domaine.

— « No.. Hm... »

À peine tu ouvres la bouche que la sienne la prend d'assaut. Tu réponds à son baiser avec la même voracité. Mordilles sa lèvres, aspires sa langue et finalement baisses la tête, le regard déjà titillé par la vue de sa peau immaculée. Tes canines s'allongent et tu mords le bas de son cou, à la lisière de l'épaule.

— « Hmm... »

Tu te rassasies, essaies de faire ça proprement. Tu l'écoutes à moitié parler de tes collègues et de ce soir. Finalement tu relèves la tête, la bouche encore tâchée de son sang.

— « Pourquoi tu les as invité, même ? Je m'en fiche d'eux. »

Tout ce qui compte c'est lui et juste lui.
Tu passes ta langue sur tes lèvres et plaques ton front contre le sien.

— « Pitié ne me fais pas danser toute la nuit si tu veux que je tienne encore après. »

Tu n'aimes pas les grandes fêtes et encore moins celles où tu es au centre de l'attention.

— « Mais je dois le reconnaitre, c'est parfait. »

La nature, tes parents, le décor. C'est peut-être pas ce dont tu rêvais mais maintenant que c'est sous tes yeux tu réalises à quel point ça te plait - parce que ça vient de lui.

((Oh tu sais pas à quel point tu vas regretter d'avoir pensé ça plus tard))

— « On y retourne ? Je veux bien faire l'effort et après je réquisitionne le château gonflable pour faire la sieste. »

La nourriture était exquise, la musique aussi appréciable, les invités agréables. Tu l'affirmerais sans tabou dans le futur : tu passais une excellente journée. C'était intimidant, au début, de savoir que chacun ici présent était là pour vous, pour toi, pour lui. Mais après plusieurs heures à être la vedette, tu t'étais habitué. Noah, lui, était aussi charmant que charmeur. Tu ne pouvais pas passer cinq minutes au-dessus de ton assiette sans sentir sa main presser ta cuisse ou son nez chatouillant ton cou.

Tu finis par lui glisser sur un ton un peu coquin.

— « J'ai compris que tu te réservais pour le dessert mais si tu continues tu ne vas plus avoir faim pour le reste. »

Tu es, pour ta part, un peu plein. Repus et surtout fatigué, tu reposes ta coupe de sang et croises les bras sur ton torse. Ta mère est en train de faire la conversation à Oswin, à essayer de le cuisiner sur cette entreprise qu'ils gèrent tous les deux avec Noah.

C'est à ce moment là que le volume de la musique augmente. L'un des organisateurs (tu oublies son nom à chaque fois et pourtant ça fait un an qu'il travaille avec ton mari) vous demande d'ouvrir le bal. Tu grimaces mais Noah est déjà debout, à te tendre la main. Tu lui offres la tienne en retour et hausses les épaules, tendu.

— « Avec plaisir Monsieur Strauss. »

Tu le laisses se positionner au niveau de ton bassin, enroules tes bras autour de son cou. À mesure que le slow débute, tu te laisses bercer contre lui. Caresses les boucles blondes à la naissance de ses cheveux, dans sa nuque, tu les fais jouer entre tes doigts.

— « Alors ça y est. Tu m'as eu à l'usure. »

Tu ricanes, mais c'est un peu vrai. Tu l'embrasses.

— « Je t'aime. »

Tu le dis si rarement comparé à lui que c'est toujours un évènement.

Je t'aimerai jusqu'à la fin de mes jours. Tu t'empourpres encore. Tu diras que c'est l'excès de nectar ensanglanté qui aura eu raison de toi. Tu baisses les yeux, entrouvres la bouche - tes lèvres tremblent un peu. Tu n'as pas idée, Ezra, d'à quel point tu es désirable pour lui ; et lui a tout à fait idée d'à quel point il l'est pour toi. Tu danses avec lui, ris à ses blagues, lui fais les gros yeux quand il va trop loin et l'admires, depuis la table, être aussi à l'aise avec quiconque il décide d'approcher.

Tu réalises que Noah a changé. Il n'est plus l'homme brisé venu chercher refuge dans ton ancienne maison. Il n'est plus Noah, survivant des Priest, il est redevenu Hyperion. Aussi solaire que brulant. Il prend toute la place qui lui est nécessaire pour se sentir vivant.

Les heures passent et tu accuses le coup de la fatigue. On vous appelle pour le gâteau et tu te lèves, rejoins Noah derrière la grande pièce montée. Au sommet, deux petites figurines vous représentent. Tu accio le couteau qui vient se loger entre tes doigts et serres le manche en regardant ton mari.

À ses sifflements scabreux, tu réponds d'un ton doucereux.

— « On ne provoque pas celui qui tient le couteau, combien de fois devrais-je te le répéter ? »

Tu étires un sourire narquois puis t'affaires à découper à peu près proprement. Même si tu t'appliques, ça devient rapidement une boucherie. Tu finis par abandonner et confier la tâche au serveur attitré. On vous tend une assiette au passage et tu commences à déguster. Le gâteau est très crémeux, pour toi il manque un peu de goût mais tu fais quand même l'effort d'apprécier.

— « Et voici, chéri, l'apothéose de cette soirée. Pas besoin de ton dessert, j'ai eu ma dose de sucrerie. »

Une petite pique qui saura faire son effet. Tu joues avec lui, passes ta main devant ta bouche.

— « Sonne la fin des festivités mon coeur parce que je suis... crevé. Je vais monter dans ma chambre. »

Clin d'oeil.
Tu ne lui donnes même pas cinq minutes pour mettre tout le monde à la porte et te rejoindre. Tu prends les devants pour t'épargner l'humiliation de te voir porté jusqu'au lit. Tu fais la bise à tes parents avant de t'éclipser par la porte de derrière, désserres ta cravate en soupirant puis grimpes les vieux escaliers en pierre pour rejoindre la suite que vous a réservé Noah pour la nuit au domaine.