Tu payais encore les mauvaises décisions de la veille. Quand tu étais rentré de boite de nuit, dans les alentours de quatre ou cinq heures du matin, tu avais à peine pu calculer les restes d'une soirée inachevée. Tu t'étais glissé dans le lit aux côtés de Monday. Si tu étais prêt et motivé à aller au travail à l'heure, tu comptais un peu sur Monday pour te réveiller. Mais aucun réveil n'avait sonné.

C'est vers dix heures du matin que tu émerges. Tu paniques moins de cinq minutes. Tu comptes profiter avec insolence du fait que Monday est directeur pour aller au travail en retard. On te fait tellement chier avec ça depuis un an maintenant que tu as décidé sur un coup de tête de chercher des avantages gratifiants à cette situation, vu que le prix a payé au quotidien sont des railleries.

Avant de partir, tu remarques la table dressée dans la salle à manger et te mords la lèvre. T'étais pas au courant qu'il voulait dîner en tête à tête. Merde, ça te fait quelque chose. Mais d'un autre côté, t'espères que la frustration était à la hauteur de la punition. Oui, parfois, tu peux être une teigne Leslie. Autant qu'il peut être un vieux con, buté et aigri.

(...)

Sur l'heure du midi, tu manges avec tes collègues. L'un d'eux te fait remarquer ton retard colossal. Tu hausses les épaules et t'en dédouanes. Tu mens sur le fait que tu avais posé ta matinée.

Le secrétaire de Monday finit par se ramener et tu comprends avant même qu'il ouvre la bouche.

— « C'est pas vrai... Le chien. »

Il annonce que tu es convoqué et tu décides de jouer au plus con.
T'as plus rien à perdre, juste une tombe à creuser.

— « Vous direz à monsieur le directeur que je ne suis pas disponible. Je suis en pause repas. »

Tu sais que ça va le mettre hors de lui.
C'est peut-être ce que tu veux - tirer sur la corde jusqu'à ce qu'elle cède.

Quelques minutes plus tard, le secrétaire revient.

— « Monsieur Stuart vous fait transmettre ceci : c'est à treize heures que débute votre congé sans soldes. Vous pourrez rentrer chez vous après déjeuner. »

Tu vois rouge. Tu te lèves d'un bon. Serres les poings et pousses le secrétaire d'un mouvement d'épaule rageur. Aaaah, il va voir ce qu'il va voir. C'est pas parce qu'il est directeur qu'il est ton chef. C'est encore Raspoutine qui décide de tes congés.

Tu passes la porte brutalement du bureau. T'as les yeux qui lancent des éclairs.

— « Monday Stuart. »

Tu refermes derrière toi.

— « Vous voulez vous battre ou quoi ? »

Tu dépasses plus les limites là, tu les piétines.

Tu boues intérieurement. Littéralement. T'as le sang chaud Leslie et la parole retrouvée depuis un an, tu l'emploies un peu trop à mauvais escient, surtout pour dire des grosses conneries. Tu te retiens de ne pas l'insulter mais le bureau et son fanfaronnage de directeur te rappelle malheureusement à ta place. La réalité te frappe. Tu n'es pas seulement le petit ami de Monday, tu es aussi son employé. Est-ce qu'il aurait l'audace de te virer pour tes fautes ? C'est ce que tu lui conseillerais de faire car à sa place, tu prendrais la bonne décision. Mais aujourd'hui, tu as décidé d'être con et de te plaindre de toutes les injustices du monde.

— « Tss. »

Il a peut-être gagné le premier round mais tu n'en perds pas ton insolence pour autant.

— « Excellente. Je me suis éclaté comme jamais. »

Tu mens en plus. C'était pas si bien que ça. Tu t'es retenu de boire et t'étais lucide sur le fait que c'était nul pendant un peu trop de temps.
Mais pas question de lui dire. Tu t'avances vers le bureau et y plaques tes mains. Tu te penches en avant, le regard brillant.

— « Vous allez faire quoi du coup ? Vous allez me virer ? Ou retirer mes retards de mon salaire ? »

Tu siffles comme un gamin.

— « Vous allez assoir votre autorité ? »

Grommelle.

— « Pour une fois. »

Tu te sentais jusqu'alors surpuissant, protégé par une pseudo immunité que tout le monde s'amusait à te rappeler dans les couloirs. Mais lorsqu'il te tutoie avec fermeté d'un ton paternaliste, tu sens ta fierté se faire piétiner à grand coup de semelles richelieu. Tu déglutis et te figes en le voyant se lever. Il cogne sur la table et tu relèves la tête, le sang glacé par l'absence totale de tension ou de jeu.

L'annonce du rapport et de l'avertissement jette un froid. Tu baisses les yeux, comme un enfant au pied du mur qui ne sait plus quoi dire. Tu as cherché et les conséquences sont tombées. Maintenant que tout est redescendu, tu te sens affreusement bête d'avoir provoqué. Pour dire vrai, tu n'auras pas cru Monday capable de te rappeler à l'ordre avec autant d'inflexibilité.

— « Oh. »

Tu te mords la lèvre et fronces les sourcils.
Bon, tu l'as mérité, mais quand même.

— « Ok. »

Tu ne sais plus où te mettre, c'est embarrassant. Tu ne supportes pas qu'il gagne de cette manière, qu'il soit le plus mature de vous deux. Il a le pouvoir de te punir parce que c'est le directeur de ce putain d'hôpital.

Tu pourrais réfléchir à mille façons de te venger mais tu n'en as plus l'envie. Tu glisses tes mains dans ton dos et forces une légère courbette. Le sourire est amer.

— « Vous avez raison. Veuillez me pardonner pour mon attitude. Prenez les dispositions qui s'imposent. »

C'est dans ce genre de phrases hyper solennelles et protocolaires qu'on remarque le plus ton anglais à couper au couteau.

Par Aramazd, il va déguster une fois à la maison.

— « Je ne vous dérange pas plus, monsieur le directeur. »

Tu lui en veux à mort. Il peut l'entendre.

Avant que tu ne passes la porte, résigné, il se lève d'un bond pour te retenir. Tu lâches la poignée et l'écoutes revendiquer sa frustration haut et fort. Il parle constamment de punition ! Toujours à brandir l'injustice de ta punition ! Mais laquelle, d'ailleurs ? Tu as voulu jouer, mais ce n'était en aucun cas pour le punir. C'est juste ainsi qu'il l'a vécu, peut-être, sûrement, certainement. Tu n'as aussi rien dit pour démentir ou rassurer.

Tu le toises d'un air fermé. Ta langue gesticule dans ta bouche. Tu sembles vouloir réfléchir avant de parler, bien que sa dernière remarque ait failli t'en dissuader.

— « Je ne vous punis pas. »

Tu sens ton torse se soulever à chaque respiration.

— « Et vous avez raison de m'imposer des conséquences. J'ai agi délibérément en me croyant inatteignable. »

Mais c'est quand même de trop.

— « Je suis sorti parce que je voulais m'amuser, c'est tout. Et vu que vous n'êtes pas disponible en ce moment, je suis allé chercher de l'attention ailleurs. »

Tu peines à expliquer correctement alors ça te frustre. Tu tapes du pied nerveusement.

— « Vous ne m'avez pas réveillé ce matin. »

Tu te hisses sur la pointe des pieds pour le dévisager, à hauteur de son visage.

— « Qui punit qui ici ? »

Tu lui tiens tête parce que même si tu reconnais tes erreurs (difficilement) tu aimes la réciprocité Leslie. Tu veux qu'il admette les siennes. Tu veux qu'il admette être aussi fourbe que toi, et qu'il accepte et embrase sa tyrannie. Oh... Monday Stuart a bon dos: directeur de Sainte-Mangouste et chef d'une fratrie de sept. Mais s'il est ton chef ici il ne l'est plus dès lors que vous quittez cet endroit le soir venu. Tu veux qu'il le comprenne bien, et qu'il assume être de mauvaise foi.

— « Vous avez du mal à assumer que vous êtes une teigne tout autant. »

Tu hausses les épaules. Il s'éloigne pour retourner à son bureau. Le rythme de ton coeur ralentit un peu. Tu restes un peu bête devant la porte puis la pousses légèrement du pied pour qu'elle se claque. Mains dans les poches de ton uniforme de médicomage, tu le rejoins pour te tenir face à lui.

— « Arrêtez ça. »

Tu ourles un sourire narquois aux coin de tes lèvres. Tu ne peux pas t'en empêcher maintenant que l'ambiance est un peu plus détendue. Tant pis pour le reste.

— « Et mes amis sont trop bêtes pour vous. C'est ce que vous avez dit. »

Tu retiens tout, en particulier ce qui pourrait se retourner contre lui.

— « Vous pourriez venir en boite si vous le voulez. »

Tu sors les mains de tes poches pour croiser les bras.

— « Et vos amis sont des snobs intellectuels qui me regardent mal. »