Tu avais toléré ses folies, ses cadeaux inopinés et ses costumes bien taillés. Mais s'il y a bien quelque chose que tu ne supportes pas Ezra, c'est d'être forcé de constater que les règles ont bon dos quand ça le concerne lui. Il te rabâche sans arrêt qu'il n'a pas confiance, qu'il attend que tu rentres après le boulot sans trainer - mais tu pourrais bien vagabonder dans Londres toute la nuit qu'il n'en saurait rien. Noah n'est pas à la maison ces derniers soirs.

Plusieurs nuits de suite qu'il te réveille à des heures tardives, à se glisser dans les draps. Quand il n'y a pas toute sa bande à la maison pour parler affaires (quelles affaires, d'ailleurs ?) il est tout simplement absent. Et tu n'as rien contre en soit Ezra, tu trouves juste injuste qu'il ne te partage pas toute la vérité, qu'il se permet ce qu'il te refuserait. Tu n'apprécies pas non plus d'attendre toute la soirée sans être prévenu.

Et ce soir, vingt-deux heures toujours aucune nouvelles. Tu as décidé que tu ferais la gueule pour protester. Ses derniers cadeaux t'avaient suffisamment décontenancé. Tu ne te ferais plus avoir. Et tu te questionnes, Ezra, sur la provenance d'objets d'aussi grande valeur.  Est-ce qu'il les a acheté avec de l'argent sale ? Ou pire, est-ce qu'il les a volé ? Tu ne sais pas quoi en penser. Et tu ne sais toujours rien de ce job décroché à Londres depuis septembre. Faut dire qu'à chaque fois que tu abordes le sujet il s'arrange pour le détourner. Tu commences à fantasmer des scénarios improbables, ne soupçonnant aucunement que dans les plus invraisemblables se cachent une grande partie de vérité.

Quand minuit sonne, tu fais rentrer Van's et fermes la porte à clé.

— « Au panier. Ouai, tu restes là. C'est bien. »

Nosferatu se frotte à ta cheville. Van's, lui, se couche dans son large panier à côté de la télé. Au lieu de monter dans votre chambre à l'étage, tu fais le choix stratégique d'aller t'installer dans la chambre d'ami en bas au bout du couloir. Vicieux que tu es, tu avais installé le traversin dans votre lit pour feindre la présence d'une silhouette. Ce soir, il dormira avec son oreiller pour seule compagnie. Tu ne veux pas lui parler sinon tu vas l'allumer. S'il croit que mettre un costard cravate fait de lui un homme d'affaires... il en faut plus pour t'impressionner.

Éteins la lumière, te couches. Fermes les yeux mais la colère t'empêche de profondément te laisser bercer par Morphée.

Tu as juste à tendre l'oreille pour l'écouter jouer avec le chien. Évidemment que tu l'as sorti ! Tu t'occupes plus de son clébard que lui, heureusement que tu l'as adopté pour lui changer les idées... Tu te retrouves avec l'animal sur les bras. Tu devrais te réjouir pour Noah mais tu as la douce impression qu'il se fout de ta gueule - et tu n'aimes pas qu'il te mette à l'écart. Alors par pur esprit de contradiction tu te mets à l'écart tout seul.

Tu entends ses pas couiner dans l'escalier. Il rejoint naturellement la chambre. Il gueule et redescend. Tu vas pas y échapper longtemps. Tu te tournes dos à la porte, fermes les yeux quand il l'ouvre. A sa première question tu ne réponds pas. À la deuxième non plus d'ailleurs. Il tire sur les draps pour se glisser dans le lit et tu grondes. L'avertit comme un animal sauvage qu'il n'a pas intérêt à s'imposer. Sa main entre tes cuisses est l'affront de trop.

— « Mais DÉGAGE putain ! »

Tu le repousses.

— « Si je me suis mis là c'est pas pour te laisser me tripoter sans autorisation ! »

T'es furieux.

— « T'as vu l'heure ? Dors et me casse pas les couilles. Et si t'es pas content t'as le lit en haut. »

T'es coincé dans la spirale infernale : tu veux qu'il se fasse pardonner mais d'un autre côté t'as pas envie de céder.

— « Et la prochaine fois que tu sors tu prendras Van's avec toi, j'en ai marre de devoir m'en occuper tous les jours parce que t'es jamais là. »

Tu serres et grinces des dents. Tu vas lui décoller un pain c'est pas possible. Ton regard se fait meurtrier quand tu tournes la tête vers lui. T'es pas d'humeur à supporter son comportement à chier et ses remarques sexistes à deux balles. Tu grondes encore, pas assez sot pour ne pas prendre en compte ses menaces dissimulées.

— « La grève du... ? »

Trop c'est trop. Tu le repousses en frappant sur son torse.

— « T'es vraiment un minable ! Et t'as vu l'heure ?! Qui te dit que j'en avais envie au plein milieu de la nuit de toute façon ? T'es vraiment un animal quand tu t'y mets. »

Et comme d'habitude il ne comprend pas. Il se permet même d'être condescendant. Son mépris l'aveugle et ses leçons de morale te dégoutent. Tu trimes comme un chien depuis la sortie de Poudlard, des années que tu l'entretiens...

— « Ça y est. Monsieur gagne de la thune depuis trois mois et ose se croire supérieur. N'oublie que j'ai dû tout payer pour toi pendant des années avec mon salaire de merde... »

T'aimes pas du tout qu'il puisse te rabaisser. Pire, qu'il ait des raisons légitimes de le faire... Tu veux pas devenir le raté qu'il incarnait jusqu'alors. Il était question d'être sur un pied d'égalité.

— « Et c'est quoi ton travail au juste ? Pourquoi est-ce que ça te rapporte autant ? C'est grave suspect. »

Tu le dévisages comme s'il te cachait quelque chose d'important.

— « Et je t'ai jamais demandé des cadeaux. Ce que je veux c'est du respect et de la considération. »

Et ça, ça s'achète pas !

Tu crois rêver quand il retourne tout contre toi. Habilement en plus... Tu fais une tête de six pied de long, révolté et scandalisé par chacun de ses propos. Tellement que t'en perd tes mots et que tu ne sais plus quoi répondre. Par Merlin, il te donne des envies de meurtre. Léon Rosier va bien finir par venir t'arrêter parce que tu auras tué ton mec et tu l'auras enterrer dans la forêt. Personne ne retrouvera son corps, voilà ce qu'il va arriver.

— « C'est une blague j'espère ? »

Tu hausses un sourcil.

— « T'es vraiment en train de me la mettre à l'envers ? »

Tu réalises instantanément le tendancieux de ta phrase, et anticipant qu'il pourrait rebondir dessus pour encore plus se foutre de ta gueule, tu plaques ton index contre sa bouche.

— « Ferme-la. N'y penses même pas. »

Tu grognes et recules. Tout ce que tu entends te sort par les yeux. Mais tu dois bien admettre qu'il y va fort et qu'il sait parler. D'un coup, il se penche sur toi et tu t'enfonces un peu plus dans le matelas. Tu forces sur tes coudes pour redresser le haut de ton corps et forcer de l'espace entre vous.

— « Oui, tiens. D'ailleurs. Vu que tu en parles... Tout ce que tu fais, c'est quoi ? Hein Noah, tu fais quoi ? »

Tu ne peux pas t'empêcher d'être confus et ne te caches d'ailleurs pas de l'être. Tu tires la tête de ceux à qui l'on annonce qu'une chienne a réussi à enfanter une portée de petits chats. Noah te mène en bateau en plus de ne pas répondre clairement à la question. Tu t'imagines le pire, Ezra. Il n'y a pas trente-six façons de monter un empire financiers.

— « Tu as rejoint un trafic d'artefacts de magie noire ? »

Tu le toises. Il avait promis de se trouver un emploi respectable pour ne pas vous attirer des ennuis. Tu ne veux pas retrouver Léon Rosier une énième fois dans votre salon. Cet homme t'exècre et te fait peur. Tu ne veux pas le retrouver dans vos vies.

— « On ne devient pas riche en étant honnête... »

Mais c'est à peine s'il t'écoute, déjà penché à ruer ton cou de baisers. Est-ce comme ça qu'il te voit ? Dès qu'il y a un accrochage, prêt à se réconcilier sur l'oreiller ? Tu n'es pas aussi faible. Ça a beau être agréable, tu n'es pas d'humeur.

— « NOAH PRIEST. »

Tu le cognes à l'épaule pour le forcer à reculer puis roule sur le côté. Tires sur tes chevilles écrasées par ses genoux et les dégagent.

— « Tu me prends vraiment pour un imbécile. Et il est actuellement... deux heures quatorze du matin. J'ai tout sauf envie de toi présentement. Et n'essaie pas de m'amadouer avec ta grande maison et tes écuries. »

Tu ne veux pas t'accrocher à des rêves irréalistes qu'il te murmure à l'oreille juste pour te consoler.
Tu as eu assez de déceptions pour une seule vie.

— « Les objets que tu m'as offert ? Tu les as volé ou tu les as acheté ? Et répond moi honnêtement. Je ne poserai plus de questions si tu dis la vérité. »

Il le prend tellement mal et de manière personnelle que tu sens obligé de te remettre en question. Merde... Est-ce qu'il a raison ? Est-ce que c'est toi qui est en tort depuis le début ? Tu te sens un peu con d'avoir osé poser la question à voix haute. Tu grognes au coup de pied dans le tibia et te masses la jambe dès qu'il saute hors du lit. Tu portes une main à ton front ensuite pour encaisser le reste.

— « Non mais... Rooooh. »

Tu ne sais plus quoi dire, soufflé par l'échange qui a encore mal tourné. Tu t'en veux sincèrement de l'avoir vexé. Il a tellement eu l'habitude de dévier du droit chemin que tu n'arrives plus à rationnaliser.

— « Mais c'est toi aussi qui refuse de cracher le morceau ! Si t'étais pas aussi mystérieux je serais pas aussi suspicieux ! »

Lui qui traque le moindre de tes faits et gestes parce qu'il n'a plus confiance en toi ; il se permet de ne pas dire ce qu'il fait ni où il va. La confiance a bon dos.

— « Ouai c'est ça... BONNE NUIT ! »

Tu rages et tires sur la couette pour te rouler en boule dedans. T'as le regard furieux. L'entendre faire trembler les escaliers fait monter encore plus la haine qui découle de votre dispute.


À l'aube, tu t'étais levé en premier (car tu n'avais clairement pas dormi). Tu avais enfilé un pantalon d'équitation et des bottes. Tu avais sorti le chien dès le lever du soleil pour aller faire une balade en forêt. Accroché à ton cou, l'appareil photo que Noah t'avait offert pendouillait. Tu l'avais pris pour le régler et prendre quelques clichés. Le froid de l'hiver avait, durant la nuit, déposé une couche de brouillard quelques centimètres au dessus du sol. Van's s'amusait comme un fou dans la terre humide et les feuilles mortes. La maison n'étant plus dans ton champ de vision, tu avais eu quelques scrupules à l'idée de ne pas y retourner. Tu craignais l'humeur massacrante de Noah au réveil.

Au bout d'une heure et demi d'escapade, vous retrouvez finalement le chemin de la maison. Votre cabane n'a pas aussi fière allure que cet été. Les bois la rendent maussade. Tu rentres par la porte d'entrée et râle de voir le chien tout salir.

— « Mais laisse-moi t'essuyer les pattes sombre idiot ! »

C'est qu'il pèse son poids maintenant l'animal. Tu regardes autour de toi et ne voit pas de nouvelles de Noah ni de vaisselles sales dans l'évier. Il n'est pas encore descendu prendre son petit déjeuner mais tu sens encore son odeur en haut.

Tu décides de prendre sur toi et de faire le premier pas.
Ainsi tu lui prépares un steak et une omelette d'oeufs frais (les poules survivantes derrière la maison dans le poulailler aménagé pondent encore).

L'assiette dans la main tu grimpes. Tu empestes encore la fange et l'humidité de la terre. Tu passes la porte de votre chambre conjugale et déposes le plat fumant sur la table de nuit.

— « Hey. »

Il ouvre un oeil et qualifie ton assiette d'offrande. Le pire c'est qu'il a pas spécialement tort. Tu lui apportes ça pour ne pas venir les mains vides et pour ne pas qu'il te repousse. C'est pas de la générosité c'est clairement intéressé. Tu gonfles le torse pour te faire plus grand que tu ne l'es déjà. L'observes taper un croc dans la viande alors qu'il s'est redressé contre la tête de lit.

— « Il est bientôt huit heures quarante cinq. »

Tu croises les bras sur ton torse. T'as pas fait l'effort d'enlever tes bottes et t'es encore en tenue.

— « J'ai sorti le chien, c'est fait. »

Pas sûr qu'il en ait quelque chose à faire mais au moins tu l'empêches de trouver une excuse pour quitter la maison. Mais quand il t'annonce aller travailler tu t'insurges immédiatement :

— « Quoi ? Mais on est samedi ! »

Donc non seulement il rentre à des heures pas possibles toutes la semaine, mais il compte aussi s'enfuir le week-end. T'es passé d'un coup à devoir le supporter tous les jours à ne plus devoir le supporter du coup.

— « Mais je t'ai à peine croisé toute cette semaine, c'est une blague ? »

Mais la fierté t'empêche de verbaliser clairement que ça te fait chier et qu'il te manque.

— « Que je te retienne... Qu'est-ce que je dois faire, verrouiller les portes pour que tu ne puisses pas t'enfuir ? Te jurer que tu te feras à manger seul pendant les trois prochains mois ? Te condamner à l'abstinence ? »

Supplier ?
Jamais.

Tu détournes le regard, un peu penaud quand tu réalises, en effet, que tu l'as réveillé si tôt après une courte nuit de sommeil. Tu te tiens coi mais ne t'excuses pas pour autant. Tu hausses les épaules comme si ce n'était au final pas si grave. Le voir déchiqueter sa viande comme un animal te dégoute un peu mais tu te contentes d'une moue un peu crispée. Voiles ta grimace en sourire.

— « On est samedi. »

Tu répètes parce qu'il n'a pas l'air de comprendre et que lentement tu t'agaces de le voir jouer au plus con.

— « Si je ne t'avais pas réveillé tu te serais levé à treize heures. Me sors pas que tu serais allé travailler ensuite. »

Dis-moi que je te manque.
Tu déglutis et manques de t'étrangler avec ta propre salive. Éxcédé, tu tapotes du pied nerveusement sur le parquet. Tu t'insurges de ses insinuations.

— « Quoi ? Depuis quand je me plains quand tu es là ? Je veux dire, depuis que tu as commencé à... travailler. »

Pas convaincu de ce terme mais tu gardes tes réflexions pour toi. Sa main à ton menton t'arrache quelques frissons mais tu attrapes son poignet pour doucement le forcer à baisser le bras.

— « Oui, tu me ... manques. Et oui, j'aimerai que tu restes. »

Tu lèves les yeux au ciel, vexé d'être forcé de dire des mots gentils sans que ça ne soit naturel. En réalité, tu n'as aucun problème à dire ces mots quand tu l'estimes nécessaire ou spontané, mais sa mine victorieuse t'insupporte dès l'instant où tu la vois.

— « Oh arrête de faire le malin tu m'énerves ! Je retire ce que j'ai dis, va travailler. »

Mais dans l'ombre, on peut discerner ton sourire.

Oooh ce qu'il t'énerve ! Mais tellement habitué à ses petits sobriquets, tu manques clairement d'énergie ou d'imagination pour répliquer. Tu subis juste en faisant comprendre par des moyens visuels et sonores ton agacement. Moyens qu'il ignore allègrement bien sûr, Noah n'est pas du genre à se battre - surtout quand il sait qu'il a déjà gagné par abandon.

— « Tss. Tu ne manques pas d'air. »

Tu pousses un cri quand il te tire sur le lit. Tu rigoles en union avec lui mais c'est nerveux. Tu te prépares psychologiquement à déguster - pourtant tu n'y es pas spécialement disposé.

— « Ah super. »

Tu grondes de mécontentement à son commentaire.

— « Quand tu rentres du boulot et que tu pues le parfum et l'alcool et que tu prends même pas le chemin de la douche avant de te mettre au lit je te le dis pas. »

((En réalité tu lui dis sûrement))
Il n'empêche que ça ne change rien.
Tu aimes l'odeur de la forêt. Les balades à cheval sur les sentiers perdus de Pembroke te manquent.

Mais sous les faux compliments, tu sens tes joues rosir. Tu grinces des dents et te caches dans son cou.

— « Non... c'est la seule tenue que je peux mettre quand je vais me balader en forêt... »

Tu embrasses sa nuque libre d'accès et souffles.

— « De toute façon je pourrais mettre n'importe quoi... que tu dirais que c'est pour te provoquer... »

Lèches sa peau.

— « Et le cheval aussi, me manque. »

A sa question tu tires une expression scandalisé. Décidément, il ne comprend rien à rien. Lui pourrait s'habiller de la même sape militaire tous les jours qu'il ne verrait pas le problème. Il peut ne pas s'y intéresser (certes) mais tu as un style toi au moins. Tu fais attention à tes fringues pour ne pas les flinguer, tandis que lui achète ses fut par pack de douze pour pouvoir les déchirer à souhait et toujours en avoir en avance dans le placard.

— « J'ai plusieurs pantalons d'équitation, mais je les mets pour ne pas salir les autres. C'est pas vrai, on est vraiment en train d'avoir cette discussion ? »

Ses mains chaudes sur ton torse, tu peins à te centrer dessus cela-dit. Ton souffle s'époumone et ta peau rougit.

— « À vrai dire... J'avais bel et bien des trucs de prévus. »

Tout est bon pour y échapper - ou le faire gueuler. Au choix.
Tu les annuleras qu'il dira. Tu le connais par coeur et c'est fou de te dire que même à son pire tu l'aimes. Tu l'aimes même quand il te traite de princesse. Non tu le hais ! Tu le hais autant que tu hais le rose et tout ce qui brille.

— « Oh mais t'es chiant là ! »

Ta bouche quitte la moiteur de sa peau et tu le repousses. Mais comme stimulé d'une impulsion folle et dénué de préméditation, tu chopes son bras pour le mordre à sang.