C'est toujours quand on est pressé et que tout se doit d'être parfait qu'il arrive galère sur galère. C'est pas vraiment dans ces conditions-là que tu espérais que ton retour se fasse. D'abord le portoloin prévu à Dunkerque qui merde, ton pineapple que t'as littéralement broyé dans ta main et impossible de le réparer par magie. T'as poireauté trois heures sur la plage à attendre qu'un technicien du ministère se déplace pour reprogrammer le bordel. Quand finalement ils cessent de tous jouer avec tes nerfs, le sceau de plage en plastique fonctionne de nouveau. Tu lèves un doigt d'honneur au responsable, au même moment où ton pied se glisse pour te laisser aspirer tout entier.

Londres. Il est plus de vingt-trois heures trente et il pleut des cordes. Le temps ici ne t'avait pas manqué. Le centre de la France avait au moins ça pour lui - chaud, mais un peu humide. Tu songes à ces dernières nuits de pleine lune où tu aurais voulu l'emmener dans les forêts bordant les châteaux de la Loir. Dans les Alpes aussi. Putain mais pourquoi est-ce que t'es si angoissé Teddy ? T'as le mal du pays - comme si tu l'avais quitté il y a des années.

Tu sors ta baguette une fois dans la bonne rue, invoquant l'apparition de la demeure des Black. Tu sens son odeur même de l'extérieur, les sens décuplés par les stimulis qui t'entourent. Le bruit des gouttes de pluie qui s'écrasent sur ton anorak te file le tournis. Quand il t'ouvre, tu ne sais pas vraiment comment tu dois te conduire. Tu ne l'embrasses pas, tu avances juste un peu pataud jusque dans l'entrée.

— « Yo. Désolé pour le retard. Le portoloin marchait pas et j'ai pété mon tel donc je l'ai jeté dans la mer à Dunkerque. »

Tu pousses un grognement sourd et lâches ton sac à dos contre l'escalier. Tu fais non de la tête pour le verre d'eau. Si ça continue tu vas casser un autre truc à ta portée.

— « Faut que j'en rachète un, encore. »

Au moins cette fois t'éviteras de prendre le dernier cri. Tu le détailles comme un animal sur la défensive. Et le couperet tombe. Sage et ses questions d'emblée. Tu t'étrangles d'un rire mauvais.

— « Quoi ? C'est pour ça que tu m'as fait venir ? Pour me demander ce que voulait dire "prendre une pause" ? »

Si tu réagis mal c'est parce que t'es piqué à vif. Cette phrase à toi aussi elle te fait peur. Tu l'as brandi comme un bouclier la dernière fois parce que t'avais pas envie de le quitter, et que tu préfères vous retenir prisonnier dans une incertitude confortable.

— « Ça veut littéralement dire. Prendre. Une. Pause. »

Tu rougis, puis détournes le regard pour fuir la conversation.

— « J'y crois pas. Sérieux Sage. »

Tu déglutis.

— « Tu veux vraiment mettre les choses au clair maintenant ? »

Bah maintenant que t'es là.
((Y'a plus trop le choix))

Tu as du mal à rester inflexible, Teddy. Tu n'as jamais été doué avec lui. Tu t'es même demandé plusieurs fois ce que vous foutiez ensemble. Il est la glace tu es ce volcan prêt à faire fondre la banquise - il est la mesure sobre et tu es plus qu'explosif. Est-ce que tu lui as fait du mal ? C'est pour ça qu'il t'a demandé de venir, pour te le dire ? Tu souffles par le nez, vaillant mais pas valeureux. Tu as sincèrement peur de cette discussion et c'est pour ça que ça fait des semaines que tu la fuis.

— « Tu as dit oui Sage. Commence pas à me rejeter la faute dessus. C'était putain de compliqué depuis un moment ! »

Tu te cherches des excuses. Ça t'emmerde de devoir porter le chapeau du méchant. Ça t'emmerde de passer pour cruel quand tu penses avoir été juste. Vous ne vous croisiez presque plus, vous n'échangiez quasiment plus. Tu avais l'impression de l'arracher à son monde - quand tu ne pouvais plus en faire parti.

— « Et tu crois que je me sens pas coupable ? Je me sens vide depuis début juillet. T'es mon bêta, il me manque quelque chose. »

T'es pas clair Teddy. T'oublies des mots évidents. Il lui suffit d'un regard noir pour que tu te rattrapes.

— « T'es mon mec. »

C'est mieux. T'as du mal à le verbaliser à voix haute. Il parle d'être nul en relationnel ? Toi t'es carrément un bouffon. Minable quand il s'agit d'exprimer des sentiments, lamentable quand il s'agit de les mettre en pratique, abominable quand il faut réparer les conneries.

Sage balance la bombe de l'appartement à Paris. T'es sur le cul Teddy. Tu fais la tête de ces types à qui l'on apprend qu'ils vont être pères alors qu'ils ont jamais touché la meuf, ou qu'ils ont mis une capote. Tu passes par différents stades, mais tout ce qui sort c'est cette voix niaise et un peu trop aigu.

— « Quoi ? »

Tu portes une main à ton front, exaspéré.

— « Merde. Sage, chiale pas. »

Tu fais un pas rapide pour le prendre dans tes bras. Glisses une main dans ses cheveux.

— « T'es trop con aussi, pourquoi tu me parles pas ? »

L'hôpital qui se fout de la charité, tu parles pas non plus. Et la preuve en est que tu lui as pas encore annoncé ce que tu venais lui dire.

— « J'ai démissionné de l'équipe de France cet aprem. »

Il y a peut-être un fond de vrai dans ce qu'il a dit. T'as ignoré, t'as pas rebondi, mais ça t'a piqué. Sûrement que t'as essayé de le larguer parce que ça te faisait trop mal de pas savoir où vous alliez - mais t'as pas eu la force, alors t'as juste parlé d'une pause en espérant ranger ce problème dans un tiroir, sans rien faire d'autre, oubliant qu'il existe (avec tous les autres). Sage a toujours eu ce don pour voir dans ta tête, tu le soupçonnes d'être secrètement légilimens. Non... non parce qu'il aurait deviné sinon à quel point t'es trop con.

Tu le serres contre toi. Son sarcasme toujours son putain de sarcasme. Le fait qu'il ait raison t'empêche de réaliser que t'as pas forcément tort. Tu soupires bruyamment dans le creux de son cou.
Lâches la bombe à ton tour, l'affreuse vérité de ta pire bêtise.

— « Je sais... je sais que j'ai fait une énorme connerie. »

Tu souffles, ris bêtement alors que tu t'agrippes à ses épaules. T'as jamais rien fait d'aussi inconsidéré par amour. Tu serres un peu plus ta prise pour respirer. Tu fais une crise d'angoisse.

— « Je sais pas ce qu'il m'a pris ? »

Tu confesses, toujours aussi tremblant.

— « Je me voyais pas rentrer après ce week-end et te laisser comme ça. Je savais pas pour Paris, j'ai pas envie d'habiter à Paris Sage ! »

Tu recules pour le regarder, mais sans le lâcher. Tes mirettes brillent d'un doré pur.

— « J'ai pas envie d'habiter loin de toi. »

Pourtant...

— « J'ai pas envie de perdre mon taff non plus, MERDE ! »

Avant c'était toute ta vie mais maintenant il y a bien plus que ça.

Tu te sens tout de suite mieux Teddy. Enfin, mieux... c'est vite dit. Maintenant la réalisation vient t'étreindre. Tu angoisses. Heureusement que tu sais contrôler les battements de ton coeur à la perfection depuis tes sept ans. Romulus et son éducation cauchemardesque - cet enfoiré aura au moins eu le mérite de faire de toi quelqu'un de solide, aussi mentalement que physiquement.

— « Pour la France je crois ça va être dead, ouai. J'ai pas envie d'y retourner de toute façon. »

Mais l'espoir s'accroche désormais à ce qu'il a dit à propos de la ligue. C'est vrai que Sage a de l'influence. Ça te fait chier d'en profiter (tu veux toujours tour réussir par toi-même) mais t'es désespéré. Et t'es certain que la ligue de Grande Bretagne te déteste depuis le scandale loup-garou qui s'est répandu en début d'année. Si tu attrapes le connard qui s'amuse à vouloir bousiller ta carrière tu lui tords le cou.

— « Tu ferais ça ? Putain c'est chez les Griffes que je veux jouer. J'aurai jamais du me barrer, même pour le cachet qu'ils m'ont donné. »

Mais assez parlé de Quidditch. Tu vas pour l'embrasser mais tu laisses échapper un rire moqueur. Neal, putain Neal. T'as pas répondu à tout ses derniers messages non plus. T'espères que ce connard de Vanitas prend soin de lui. T'y comptes bien.

— « Non, il vit avec Dorothy maintenant. »

Et puis c'est pas le propos.
Le propos c'est...
Je t'aime.

— « Hein ? »

Tu écarquilles les yeux, soufflé. Tes ongles s'enfoncent dans le bois de la table juste à côté de toi. Tu réponds pas avec les mots, parce que tes lèvres sont trop occupées à l'embrasser passionnément. Tu t'accroches à sa taille pour le soulever et l'assoir sur la table. Tu écartes ses cuisses sans trop de difficulté, et sans arrêter de l'embrasser. Te plaques à lui, les deux mains de chaque côté.

— « Moi aussi. »

Et c'était juste pour t'autoriser à respirer, parce que tu fonds sur lui de nouveau.

Tu as abandonné les débats stériles et la discussion sur ton travail. Au pire tu finiras coach, au pire du pire prof, au pire du pire du pire tu seras au chômage et prêteras tes bras à une meute de loup-garou pour survivre. Que Romulus puisse ravoir du pouvoir sur toi te terrifie, mais tu feras avec s'il est question de protéger Sage. Tu préfères être un loup apeuré qu'un loup esseulé. Il n'est plus question de laisser les non-dits vous détruire. Quand même tu es persuadé que parler est plus compliqué que de s'aimer.

D'ailleurs, aimer c'est ce que tu sais faire de mieux. Aimer avec les mains qui se saisissent de ses hanches, aimer avec ton nez qui s'enfouie dans son cou, aimer avec tes dents qui mordillent sa peau, aimer avec ton corps tout entier - prisonnier de ses cuisses et de ses souffles.

— « Prouve-le alors. Rattrape-toi. »

Rattrapez surtout le temps perdu. C'est ce que tu veux vous hurler mais tu ne sais faire que grogner. Et il sait ce qu'il fait. Il sait comment attiser la tension qui t'étreint déjà à la gorge. Tu inspires bruyamment à son oreille, passes ta langue sur son lobe et susurres d'une voix rauque.

— « Sage. »

Ses mains dans ton dos t'électrisent. Tu te débarrasses de ton haut que tu chiffonnes et jettes en boule à l'autre bout de la cuisine.  

— « J'entends personne dans la maison. »

Tu t'arrêtes un moment, l'oreille tendue et les sens en alerte. Avant de tourner la tête vers lui pour le dévisager, mortellement sérieux.

— « Et je sens personne. »

Comme pour te rassurer, parce que t'as la flemme de monter. Tu l'allonges un peu plus contre la table pour continuer de le couvrir de baisers. Ça t'a manqué autant que le reste. Quand t'es loin t'y penses pas, mais face à lui c'est difficile de ne pas te laisser déborder.

 Toi, prouves que tu m’aimes. Tu n'as de cesse d'y penser, pendant que tes mains parcourent son corps, que le tien s'abandonne, pendant que ton souffle se froisse aux plis harmonieux de sa peau - comment peux-tu lui prouver que tu l'aimes plus que ça ? Tu ne sais pas faire, tu n'as jamais eu de véritable figure d'amour. Ta mère partie, ton père tyran - il n'y a eu que la violence et la peur comme sentiments. L'attachement profond que tu portes à Sage Black est aussi dévastateur que terrifiant. Il est devenu en si peu de temps l'unique moteur de ton coeur battant.


La poitrine se soulève. Tu te laisses glisser à genoux sur le sol en pierre, le front trempé de sueur plaqué contre le rebord de la table. Tu inspires lentement et expires de même, de sorte à reprendre une respiration convenable. Tu t'étouffes dans un hoquet de rire quand il parle de cette foutue table.

— « Putain ! »

Tu te relèves, le torse toujours bombé et suintant. Tu ne caches pas l'amusement qui pulpe les lèvres.

— « Tu sais quoi ? Moi ça me va. Au moins tu penseras à moi en toutes circonstances. »

Tu lui fais un clin d'oeil, fier - puis t'étires. Tu remets ton caleçon, juste pour ne pas avoir l'impression d'être maté par des tableaux ou des fantômes potentiels. Tu retournes à ton sac abandonné dans l'entrée.

— « Où est-ce que je pose ça ? Je peux m'installer dans ta piaule ? »

Des mois que vous êtes ensembles et pourtant tu as encore du mal à accrocher ton regard sur cette cicatrice, à sa cuisse. Et Merlin sait à quel point tu as eu l'occasion de la caresser, avec plus ou moins de tendresse. Tu esquives toujours, sûrement autant par déni que par culpabilité. Tu sais qu'il ne t'en veux pas lui, mais tu ne peux pas t'empêcher de penser que sa vie ne sera plus jamais la même.

En bas des escaliers, il te rejoint assez vite. Tu n'attendais aucun geste affectueux, et pourtant Sage te vole un baiser aux allures candides et amoureux. Tu lui rends partiellement, surpris et à l'ouest. La fatigue commence à marquer tes traits.

— « Sage... »

Merci d'avoir changé ma vie.
T'es pris d'un frisson. Tu forces un sourire mais légèrement crispé. Est-ce qu'il lit dans tes pensées et cherche à te rassurer ? Non, lui ça a toujours été l'inverse.

— « Me remercie pas. »

Tu glisses une main dans son dos pour le frotter puis lèves le pouce en l'air quand il mentionne la chambre.

— « Ok let's go. »

Tu montes les marches deux par deux à coup de grandes enjambées.

— « Ça marche. »

Tu le suivras quoi qu'il arrive. Comme un chien bien élevé. Ou comme un traqueur fou. Les deux sûrement.