Un hibou et une fuite
la fuite de tes sentiments la fuite de ton égoïsme la fuite car tu prends peur. tu prends peur car il souffre et tu ne peux pas, tu veux maintenir dans tes bras les aimés car ils sont si rares, tu laisses si peur de vivants s’approcher de ton palpitant qu’une fois arrivé face au creux qui t’anime tu ne peux plus les laisser partir, tu ne peux plus les laisser se détruire et surtout; tu sais les conclusions que le chagrin peut prendre. Tu as déjà enterré une morte, tu as préféré oublier mais tu sais. tu sais parfaitement le goût de la terre sous les ongles, le sang sur les vêtements.

Tu as simplement enfilé une chemise, tu as sauté dans ta voiture et tu as conduit le plus vite possible. Une course folle qui t’arrache les poumons et quand tu le vois ainsi sur le sol, secoué de sanglots tu laisse tes genoux glisser dans la terre, à t’en arracher la peau et tu le prends contre toi, ta main qui rejoins sa chevelure, l’autre dans son dos

Je suis là. Je suis là Antoine.

Tu enfouis ton visage dans ses mèches, les yeux humides de larmes alors que tu jettes un regard vers le défunt, vers la terre remuée, les mots qui ne sont pas prononcés.

Excuse moi, j’aurai du venir plus tôt. Antoine.

La douleur comme cape que tu te refuses de porter et tu te demandes; pourquoi prendre cette place quand toi-même tu essaies de fuir un souvenir, que tu essaies de fuir un fantôme.

Comment.. pourquoi ? Que s’est-il passé.

Ta faute ? Non. On est coupable quand on prononce les mots interdits, quand on fait couler le sang, tu n’es pas fautif, tu n’y es pour rien.

Et ces mots, tu les connais par coeur. Tu les as avalé à t’en rendre ivre, à en perdre la raison car c’était ton unique moyen pour survivre; coupable tu devais mourir, innocent simplement oublier. et oublier c’est doux, c’est piégeur mais c’est tendre, comme une étreinte directe dans les bras d’une faucheuse.

La terre sur ton visage te fait penser au rouge et tu t’approches pour le lui essuyer du revers de la main, venant au passage ôter les larmes qui inondent ses joues

Antoine je t’aime, s’il te plaît ne te blâme pas.tu ne peux pas t’empêcher et tu le reprends contre toi, caressant sa nuque du bout des doigts, l’amenant contre ton torse, la lèvre mordue à sang pour retenir tes propres émois.
Ta main libre sort ta baguette de ta poche et tu murmures

je ne suis pas un médecin comme Raspoutine et pas un virtuose comme toi, ma magie est faible, je suis un bien médiocre sorcier alors j’ai tout fait pour la sublimer, pour qu’elle ne soit qu’artifice. un mouvement ample du poignet et la terre vient s’entasser, finir le travail rudement entamé de ton ami, une nouvelle valse et un champ de fleur s’amourache de la tombe, l'encerclant tendrement pour qu’au printemps les papillons, libellules et abeilles s’y abandonnent. je suis là.

et tu le lui chanteras à nouveau s’il le faut
tu es doué pour fuir
mais pas aujourd’hui, pas maintenant

comment est-il mort …

Je suis désolé. Et c’est véritable, tu ne peux pas récupérer les morts, tu as le pouvoir de mentir à la perfection, feindre le bonheur, vomir le faux, tant et tant que ça déchire les limites de l’humain. Cependant tu ne sais toujours pas comment arracher les défunts des bras de la funeste, de la dernière, de celle qui volera ta survie.

Il ne veut pas te poser ce titre bien disgracieux mais tu te contentes de faire un léger non de la tête et comme si tu prenais peur tu viens le reprendre dans tes bras, posant ton front contre son épaule. Tu as peur car il est si fort Antoine, il ne plie jamais le genoux, toujours droit il t’élève et tu te demandes un peu trop souvent ; pourquoi moi. Pourquoi m’offre t-il ses sourires ?
Alors là
le voir ainsi effondré, le voir tremblant, c’est effrayant. Tu en comprendrais presque les sanglots de son fils, tu en comprendrais la panique dans le timbre de Raspoutine, tu comprends tout maintenant.

Il faut le protéger, cet ange, le protéger de ses propres tourments et de la violence du monde qui semble l’avoir jugé coupable de tant de choses alors que les vrais criminels
comme toi
s’en sortent toujours immaculés.

Viens. Tu prends sa main et l’éloigne quelque peu de la tombe, vers ta voiture. Tu escalades alors le capot pour finir sur la toiture de celle-ci.
Une grande inspiration dans tes poumons et tu hurles
tu hurles au monde qui devant vous se dessine

JE SUIS AMOUREUX DES DEUX PERSONNES LES PLUS BELLES QUI PUISSENT EXISTER SUR CETTE TERRE ALORS QUE JE NE MÉRITE RIEN, JE SUIS UN LACHE, ET TON BOULE ANTOINE EST INCROYABLE  haletant, tu tangues un instant et éclate de rire alors que de grosses larmes viennent rouler sur tes joues, pourtant dans les derniers rayons du soleil t’as l’air heureux

tu sautes sur le sol et le pousse un peu

à ton tour. hurle tes peines, que ce soit tellement ridicule que t’ai juste envie de disparaître.