Les lumières sont splendides. Leurs flames jaunes sont tremblotantes, comme appeurées par le vent de la nuit qui se souffle entre elles, chatouillantes. Elles bordent les contours, subliment les ombres ; elles sont divines, pourtant si peu admirées comparé aux étoiles qui les surplombent de bien plus haut. C’est absurde comment nous, pauvres mortels, visons l’inaccessible quand bien même nous savons les construire nous-même : des étoiles artificielles qui brûlent aussi nos mains. Ça force mon sourire ; le moindre détail faisant écho à nos désirs semble si stupides, tant nous sommes incapables de simplement tendre la main.

Et au bout de mes doigts l’épaule d’Ephraïm.

« Jäger. Merci mille fois pour ta présence ce soir. » Et quand ses yeux se posent sur moi je lève mon verre, à la santé des sorciers. Par cette nuit du trente avril c’est en l’honneur de la magie que j’ai fait convier tous les sorciers du pays ; tout du moins tout ceux aussi heureux que moi d’être les créatures que nous sommes. Divines, uniques.

Vêtue de ma plus longue robe noire j’ai laissé mon immense chapeau être l'emblème de notre essence, satisfaite de voir autour de nous, de loin comme de près, d'innombrables magiciens et magiciennes dans des tenues aussi belles. Et si de tous Ephraïm n’était pas le plus beau à mes yeux ce soir, il avait tout du moins sa place dans l’élite de mon cœur.

« Tu es sublime, tu le sais ? Tu mérites bel est bien ta place ici, au sommet des escaliers. Mais regarde les tous. Frêles dans la profondeur de l’horizon, pourtant aussi magnifiques que nous. Une question de position, finalement. Nous serions en bas, auprès d’eux ; nous serions toujours aussi glorieux. C’est une fête en l’honneur de ce que nous sommes au plus profond de nous : des sorciers, au sang pur, impur, malmené, honteusement accepté, sinon fièrement embrassé… Nous incarnons ce qu’il y a de plus beau dans la vie, à tous les niveaux. » Ma main gauche s’était faite serpent pour se languir sur celle de mon invité précieux ; assez lentement pour que le chemin ne soit pas imprudent, assez fermement pour qu’il ne puisse ignorer ma présence. Ce n’est qu’à la fin de ma parole que je le libère, m’adossant à la rambarde de cet escalier faisant de nous les maîtres de notre temps. « Excuse moi Jäger, je me suis un peu répandue. C’est de voir toute cette beauté… Enfin. Comment te portes-tu ? » Incapable de retenir le geste qui s’accompagne de sa question, j’ai finalement craqué pour effleurer sa joue du bout d’une main. « Ta peau est si jolie, marquée par l’âge. »

Radieuse, merveilleuse. De jolis mots tissés d'or, finement apporté par l'esprit, sublimé par le cœur : je suis belle parce que je le provoque, parce que je l'amène, parce que je l'ai construit, tout cet idéal qui fait rougir les joues, qui accrochent aux yeux, qui s'installent et parasitent les pensées pour les réformer, en un nouveau concept plus pervers : fantasmes. Mais pour Ephraïm toutefois j'ai la sensation, absolument pas douloureuse, qu'en m'approchant du soleil pour lui voler son éclat je n'en reste pas moins qu'un autre que l'on ne collecte pas. Me désires tu, grand garçon ? Je ne crois pas. Et pourtant j'ai du plaisir à laisser sa caresse faire son caprice contre ma taille, parce qu'après tout il n'y aurait que ça : pour lui, pour moi, pour tous. Que des effleurement qui appellent à traverser le tissu mais, tant que je n'ai pas de bague ; alors ils n'auront pas mon corps.

J'ai donc souris, gracieuse, bien heureuse. La compagnie est tendre, la parole est sucrée, le toucher est chaud ; il n'y a rien que les étoiles détesteraient voir sous leur brillance infinie. Personne ni rien ne se serait surprit à rougir, c'est bien en cela que l'univers des adultes est un plaisir.

« Alors nous sommes tous les deux sublimes pour les yeux… » parfois peut être laids pour nous même. Qu'en sais-je, après tout, moi je m'aime. « Parfaite c'est audacieux mais maintenant que tu l'as dit, elle ne pourra pas être mauvaise. Je n'ai pas fait mon vœu encore, j'attends minuit. Mais je ne sais pas quoi souhaiter… J'ai déjà tout au creux de mes mains, il me suffit de fermer le poing et rien ne m'échappe. » Une gorgée et ma coupe semble bien vide, une honte pour un début de soirée. Mais ce n'est rien, les plateaux dansent autour de nous et d'un geste simple il me suffit de tendre le bras, d'échanger, et de porter à mes lèvres une fois encore ce délicieux vin. « J'imagine qu'on attend de moi que je souhaite un époux ? Haha. » À cet instant seulement, je bois, puis soupire en observant mon beau peuple. « Je ferai un vœux pour nous. Aucune divinité ne saurait interférer mon destin… Et si nous devions être ensemble Jäger je pense que nous le serions déjà. » L'univers est à l'image de cette soirée ; parfait. Et s'il y avait un amour pour moi dans ce manoir, oh. Nos yeux se seraient déjà rencontrés. Mais dans les iris pourtant magnifique de mon convive je n'y vois que tristesse, et brasier. Des choses qui animent rancoeur et désir, sûrement à l'honneur d'acte manqué. « Mais je t'aime beaucoup quand même, tu sais ? Comme un amant. J'ignore encore qui je trompe ; mais si je le devais, ce serait probablement avec toi. » Et c'est à mon tour de rire pour étouffer la bienséance. « Quel discours je te fais ! Et toi alors, as-tu fais ton vœu ? Le diriges tu pour toi, ou pour les autres ? Je suis curieuse de savoir si tu préfères sauver ton cœur ou nos âmes. Il n'y a pas de mauvaise réponse, ne crains rien. » D'un pas lent qui détient toute la patience du monde je m'égare autour de lui, scrutant, dévorant. Sa prestance est un cadeau mais qu'en est-il de l'intérieur ? Es-tu pourris jusqu'aux os, mon beau Ephraïm ? Me risquerai-je à poser le doigt sur ta chaire corrosive ?

L’atmosphère danse avec nos désirs et à la recherche du tout j’ai bien conscience que je me perds en n’ayant rien — du moins c’est ce que pensent les éveillés. Et j’en suis une. Le monde, fragile entre mes doigts, pourtant aucune poussière ne s’y échappe. Mais face à mes yeux, le poing fermé, j’y vois encore tout ce qui ne sied pas dans ma paume. L’intouchable, L’innateignable… L’amour, le bonheur. Ces deux vœux que je n’ose formuler, de peur de m’y confronter enfin ? ? Non. C’est la peur de les ignorer.

Regarde, je crois déjà tenir un amant alors que je n’ai personne à tromper.

« C’est vrai que les égoïstes sont les plus heureux. » J’arrête ma marche ronde, dépose ma coupe sur la rambarde qui nous sépare des fêtards sourds, pour me glisser face à lui, congédiant la distance. Deux mains sur le tissu repassé de sa chemise, remontent la rivière des interdits pour trouver refuge sur ses épaules ; nos yeux l’un pour l’autre.

« Quand bien même j’ai dis faire un vœu pour nous ? » Les égoïstes sont-ils capables de partage ? Ou bien suis-je trop gourmande ? Je veux tout avoir, mais j’en ai peur. Quand on a tout, même l’impossible ; que reste-t-il ?

« Je t’avoue que j’hésite. Libre tu es divin, mais impossible à voir véritablement de près, jusque dans les moindre recoins… Alors que dans une cage, Ephraïm… » Une caresse sur sa joue, puis je débarrasse son verre, qu’il tienne compagnie au mien : parce que je veux ses doigts contre ma taille, et c’est ici que je les guide. « Comment rendrais-tu fou celui qui me capturera ? » Je veux savoir comment il aime. « Que penseras-tu de moi le jour où je ne serai plus aussi libre que toi ? » Je veux savoir à quoi ressemble la vie à deux. « As-tu seulement déjà essayé de me kidnapper avant de vouloir maudire celui qui s’y osera ? » Je veux aimer.

Apprend moi.

Habile est cet homme que je crois ne pas mériter. En me fiant aux étoiles, ces merveilles qui guettent sur nous dans leur silence, j'ai toujours pensé que viendrait à temps le cœur qui saura stopper le mien pour ne plus battre qu'en rythme, à deux. C'est cela que j'appelle destin ; comme un concours de circonstances dont je me dédouane des débordements. Suis-je réellement si fidèle à la Vie, dans ce cas ?

Quand il étale ses mots avec assurance — et ce baiser, tendre, contre ma tempe. Ephraïm je doute et pourtant je suis sûre : ce n'est pas lui. À moins que ? Quand ses doigts se reposent contre moi j'espère secrètement que jamais ils ne me quittent pour un.e autre, et ses yeux, quand nous parlons ; je suis bien heureuse qu'il n'ose pas les laisser contempler autre chose que moi. Mais ça, c'est de la passion, de l'envie. Ce n'est pas de l'Amour. Si ?

Le jeu est dangereux. En haut de ces escaliers nous sommes si sublime à contempler le monde que j'affectionne, le monde qu'il délaisse un peu. Des fois les caprices m'embêtent et je serai prête à tout quitter pour vivre de folie mais, je le sais ;

Le destin ne marche pas sur des coups de tête. Je dois rester moi-même.

« Ça me donne envie, Ephraïm. »

Mais pour tout cela je dois trouver un prétendu époux. Je dois trouver des chaînes dorées, les verrouiller à mes poignets et seulement à cet instant, quand j'agiterai mes mains vers le ciel, il pourra les voir et me faire comprendre —

Je crois comprendre ? L'inspiration me compresse les poumons et le cœur, mes yeux se perdent un peu dans le scintillement des bougies qui nous éclairent. Je crois comprendre.

Ses lèvres sur ma peau, ses mains sur mes hanches. J'initie un semblant de danse, laissant mes doigts glisser sur le tissu de sa veste, se frayant un chemin jusqu'à ses omoplates pour le tenir enfin contre moi.

« Je ne crois pas, mon tendre. Je peux à peine te retenir dans mes bras, regarde, tu sens ? Si tu veux partir, tu pars. Je n'ai pas la force pour te garder auprès de moi. J'ai toujours compté sur ta volonté. Et jusque là tu es toujours venu à moi quand je somme ta présence. »

On ne garde pas quelqu'un pour soi. Il faut qu'il m'aime pour rester auprès de moi ; pas que je le retienne pour qu'il m'aime. Et c'est grâce à cela que je comprends. Me détachant de lui je le repousse même, avant de saisir son visage dans les paumes de mes mains. Mon regard scintille et je me perds presque à l'admirer. Dieu que j'ai envie d'aimer.

« Il faut que je te quitte, pour que tu me manques. Il faut que je sois dans les bras d'un autre pour m'apercevoir que j'étais mieux lottie dans les tiens. Il me faut des baisers d'ailleurs pour me souvenir des nôtres. C'est ça, Ephraïm. Si le destin veut de nous alors il me met au défi d'aimer quelqu'un. Mais pourrais-tu vraiment le supporter ? Oui… Oui mon ange… » L'un de mes pouces se perdit à caresser ses lèvres, quand mes yeux les observaient aussi. « Tu te rendras compte toi aussi, de si tu m'aimes.  Ce sera peut être demain, peut être dans dix ans. Je dois trouver la chaleur d'un autre homme, c'est pour cela que je vais prier ce soir. Pour comprendre mes sentiments. »

D'un sourire tendre, je retire mes mains, m'interdit de le vouloir plus parce qu'il est temps que j'apprécie ce qu'il m'a toujours donné.

« Tu dois être fatigué de moi, non ? Mais je suis si heureuse de t'avoir dans ma vie. C'est peut être déjà bien assez, qui sait. Que tu sois celui que le ciel m'a promis ou simplement mon étoile précieuse, par pitié : aime moi toujours, comme une amie ou comme une femme qui ne te mérite pas. »

Quand je doute alors je me souviens : qu’il faut laisser la vie danser avec notre souffle — jamais elle ne se trompe quand doivent se répandre les soupires ou quand doivent intervenir les sursauts.

« J’ai toujours aimé tes mots. »

Glissent mes doigts contre la rambarde qui fait de nous des protégés, éloignés des valses douces qui pourtant m’appellent pour me sauver de ces questions qui pèsent, et qui, doucement, je le sais : nous étouffent.  

« La façon dont tu les dis. L’art que tu as pour les choisir. Le brut, le vrai. Comme sortis de la roche, là, tu tailles ce que tes pensées te susurrent. Ton cœur doit être jaloux de ne pouvoir les garder secret ? » Mais voudrait-il seulement se leurrer ? « Alors je te prends au mot Jäger. » Main tendue, le dos contre le bois vieilli. Derrière moi le vide, la foule. Un élan et je disparais pour rejoindre nos confrères, un élan seulement et tout s’arrête. C’est fou comme une simple pulsion pourrait donner un haut le cœur au destin, pas vrai ? « Viens mon tendre, accompagne moi. » Faisons quelques pas, en ronde ou en ligne, vers demain ou vers rien. Mes doigts effleurent sa paume, à l’image de mon désir, puis je le saisis, le tirant avec moi alors que mes jambes nous font descendre les escaliers avec assurance.

« Accorde moi une danse, après nous chasserons chacun de notre côté. Quand tu voudras partir, embrasse-moi. C’est tout ce que je peux avoir sans être mariée après tout ! » Le sourire interrompt le rire alors que mes yeux ne font que regarder les corps qui tournent, j’avais trop peur que dans ma voix il n’entende la tristesse qui m’incombe d’être une pauvre femme sans amour. Mais au moins mes lèvres appartiennent à tout le monde — et je ne trompe personne. Outre mon cœur.

Enfin auprès de nos semblables les plus merveilleux je pose mes mains contre son corps, m’apprête à rejoindre la danse dès qu’il initiera le début de notre première et dernière valse. « Ne sois pas si grave. » C’est la dernière fois que je caresse sa joue ce soir. « Souris moi. Si c’est notre dernière retrouvaille entre cœurs libres ; je te veux heureux. »

j’aimerai être la fougue, indomptable. ce coup de vent qui bouscule, qui le ferait se retourner inévitablement, à la recherche de cette brise qui se permet comme une reine de décaler ses pas du droit chemin. j’aimerai. c’est vrai. quelque fois je maudis mon âme car elle m’interdit d’être cette bourrasque. alors je n’ai plus que mes yeux pour lui implorer

ephraïm si ce n’est pas toi qui ce sera ?
quand j’ai dis que si le destin voulait de nous il nous aurait déjà réunis,

n’est-ce pas seulement mon caprice, juvénile, qui provoque, pour faire s’enflammer ce dictat qui nous sépare ?
et si nous étions fous ?

« mais on ne peut pas… » un murmure brisé alors que je le jure, j’aimerai t’entendre me parler des étoiles, j’aimerai découvrir tous tes sourires. comment l’avouer ? j’ai l’impression de commettre un crime en écoutant mon coeur. est-il sincère ou veut-il se presser ?

nous tournons mais ce sont ses mains à la fois tendres et dures qui m'entraînent avec lui dans autant de tours qu’il me commande.

« écris moi souvent alors. envahis mon appartement de fleurs. serre-moi si fort dans tes bras que ton odeur ne s’en ira jamais. fais tout pour faire partir le prochain qui voudra m’aimer. fais le et je reviendrai, je le jure. »

ainsi je pourrais dire
j’ai essayé.
ainsi, je pourrais le croire : j’ai donné mon cœur à d’autres pour me rendre compte qu’il n'appartient qu’à lui. et quand il ne battra plus dans les mains des ignares je pourrais m’enfuir pour le lui rendre. c’est ça, c’est bête parce que j’en ai envie mais je me l’interdis ; mais c’est ça.

c’est l’amour, timide. celui qui n’ose pas, celui qui veut qu’on ose pour lui. et si je veux être avec lui ce soir pour toute ma vie je dois quand même partir le plus vite, pour revenir aussitôt. alors torturons nous une unique fois mon amour et après, nous serons libres.

« embrasse moi. embrasse moi que je parte, vite. je veux revenir dès que je le peux, mais pour ça je dois commencer par partir… »

alors j’apprendrais à t’aimer aussi bien que tes yeux semblent me le crier.