Les lèvres d’un autre n’ont pas scellées les miennes, et les sentiments d’un coeur ne sont pas parvenus à voler le mien. Comme un souffle du vent je caresse la joue d’un homme avant de me tourner vers le second, jusqu’à avoir salué toutes les âmes qui m’ont un jour demandé un peu d’amour, et puis, je reviens, même essoufflée,
au même qu’aujourd’hui.
C’est comme si nous étions figés dans nos fatalités, luttant pour nous effleurer… J’aimerai être une bourrasque pour te bousculer, parce que des brises printanières tu dois en rencontrer tout le temps, Ephraïm. Pas vrai ?

« Jäger ! Quel heureux hasard de te croiser ici ? »

Menteuse et il le sait, car je n’ai jamais cru à cette drôle d’idée de hasard. Mais j’ai vu sa voiture aux abords du parc, je sais qu’ils ont ouvert le petit café des jardins pour célébrer cette saison, et je sais que tu l’aimes, ce pumpkin spice coffee.

Mes yeux le dévorent et mon cœur l'affirme :

« Ca fait une éternité. »

C’est dur de vivre chaque jour en pensant à toi mais sans jamais te voir. Mes lèvres trempent dans la chantilly de mon chocolat chaud avant que je ne me décide à passer un bras sous le sien, entament la marche.

« Dis moi tout ce que je ne sais pas. »

Et peut-être comprendrais-je ce que j’ignore encore, moi aussi.

S’empourprent mes pommettes quand il délivre de son coeur ce message que je partage, en secret. Sans tressaillir, je n’expose qu’un léger sourire d’où rêve de s’échapper le bonheur à l’état pur, tandis que mon visage fait face aux rayons du soleil qui peinent à trouver leur chemin à travers les nuages, alors je pourrais toujours dire que c’est ce temps d’automne qui tapisse mes joues quand nous savons tous deux que ce sont mes sentiments qui s’expriment en silence.

Mais à moi aussi, Ephraïm. Tu m’as manqué.

Quelques pas près de lui, une minute à peine à ses côtés, il a dans un souffle et peu de mots réussi à bouleverser les étoiles pour les aligner selon ses désirs.

Prendrait-il la responsabilité de les arranger avant son départ ? Je prierai que non… Alors il suffirait de ne jamais partir.

Attentive à ses dires qui toujours me bercent d’un amour clandestin nos pas se stoppent. Peut-être étions nous déjà arrivés à la frontière de nos droits, en partageant si peu et tellement à la foi ? J’aurai du me douter qu’au contraire, il trouverait l’audace et la fourberie de transgresser la barrière (fragile) que j’imposais à nos cœurs. Ses lèvres fourbes qui bénissent ma peau après son tendre rire… Être torturée n’a jamais été aussi plaisant. Et je respecterai tes ruses, comme tu as sûrement deviné les miennes.

« Merci. » prononcé avec la tendresse d’un je t’aime, avant que nous ne reprenions la marche et ses discours.

Mes lèvres trempent encore dans la chantilly qui à chaque pas rejoint un peu plus le lait chaud, alors au fur à mesure je ne me retrouve qu’à contempler ma boisson, sur le son de sa voix, couvée par le ciel presque noir. Chaque scénario devient toujours plus beau que le précédent, et si j’ai cru que notre dernière danse au manoir serait mon rendez-vous le plus parfait, je tends à croire que celui-ci le détrône, même en étant persuadée que le prochain me ferait l’aimer encore plus que de raison.

« Quel doux vol quand je ne dérobe rien mais que je reçois de toi. » Le regard détourné sur le paysage qui nous sublime, puis sur son visage que je pourrais découvrir chaque jour sans un seul soupir d’ennui. Ma main alors glisse d’elle-même, plus téméraire que mon doux sourire. « Ne m’envoie pas la musique, je préfère l’écouter avec toi. As-tu déjà essayé le café froid, Ephraïm ? » Mes doigts comme de petites rivières se frayent un chemin timide le long du tissu de sa veste. « C’est une idée. Moi je n’abuse que du vin, au moins je ne me brûle jamais le palais. » Mais les doigts, si… Et voilà les miens qui enfin trouvent leur trésor : les siens, pour s’entremêler et s’y figer. « J’ai terminé d’aménager les chambres à l’étage de mon petit manoir, je m’attèle alors à l’isolation des salles de bain. En dehors de ma maison, rien ne passionne vraiment mon cœur en ce moment. Je crois que j’aime trop mon pays… L’automne à travers l’Ireland a bien plus de valeur qu’un automne ici… Enfin. C’était avant aujourd’hui. Je crois que j’aime tous les automnes à présent. » Tous, quand ils sont avec toi. Et peut être dans trop d’audace et peu de pudeur, j’ose ranger nos mains liées dans le fond de ma poche ; que les regards indiscrets s’imaginent la vérité, que la chaleur nous préserve du froid qui nous menace, et que mon amour le garde de laisser sa main rejoindre celle d’un.e autre. « Mais je n’ai pas chanté depuis notre dernière valse, tu sais ? Je laisse un homme tenir mes hanches et me faire de beaux poèmes, mais malgré ses efforts, non, il ne me fait pas chanter… » Une seconde m'empare, comme déguisée en éternité, avant que je ne parvienne à terminer mon dialogue. « Mais à ses côtés j’ai bien conscience de ce que c’est, d’aimer. »

Parce que tu me manques tellement.

« Tu me fais goûter ta boisson ? » Elle a sûrement le goût de tes lèvres. Stoppant notre marche sur cette requête capricieuse qui n'autorise aucun refus, je viens me poster face à lui.

« Je te promets de ne pas partir cette fois. »

De toujours t’appartenir, même si toujours commencera quand tu demanderas ma main.

La simplicité doit être bien jalouse de nous, et je la comprends. Chaque sourire, chaque souffle, chaque mot partagé : nous n’avions rien à lui envier.

J’entends un homme qui me partage son quotidien, du déroulé de sa journée à ses pensées les plus sincères, jusqu’à cette remarque qui pourrait se tenter à s’habiller de reproche alors qu’elle n’a comme tenue que la constatation candide d’un fait qui berce mon quotidien, à moi. Comme si par un avis franc de son coeur nos histoires alors se liaient, et ça me plait… Alors de près comme de loin quand nous buvons ce que notre âme réclame, même sans le savoir finalement, nous trinquons inconsciemment à la santé de chacun.

Et quand il serre ses doigts contre les miens j’ai cru entendre un je t’aime, ou bien l’ai-je ressenti dans la chaleur de sa paume ? Sans vraiment savoir je ne suis pas si gourmande et curieuse non, j’accepte ce que je crois et j’y tiens, comme à ma vie. Ce sont ces secondes qui font rougir la simplicité la plus candide qui me font comprendre, un peu plus à chaque instant, ce que ça implique, de vouloir quelqu’un.

Je termine mon chocolat d'une gorgée pour m'en débarrasser aussitôt, saisis sa boisson, la portant à mes lèvres sans jamais quitter son regard. Elle a le goût de l’automne, le goût du bonheur, la chaleur d’un cœur qui vit, la texture d’une confiance limpide. Et dans ses yeux j’y vois la profondeur de ses mots, l’honnêteté de ses poèmes. Les siens même sans en être ont toujours sonnés comme la plus merveilleuse des poésies, et je me trouve sotte d’avoir tant douté avant de me comprendre enfin ; avant de comprendre que ce sont ses versifications à lui seul qui fonctionnent pour ma lecture du monde.

Alors serais-je un monstre si je trompais le cœur d’un homme pour qui je n’ai jamais cédé le moindre sentiment ? Qu’ai-je promis, pour lui ? Mon dieu, tout a l’air si simple quand il me suffit de penser à Ephraïm. Il n’y aurait jamais un seul faux pas, jamais un écart, jamais un doute : tout serait clair, évident. Mes yeux pour sa beauté pour ce qu’il incarne pour ce qu’il veut être, mon cœur pour le sien, pour sa voix tendre, pour ses bêtises et pour ces cafés brûlants ; c’est ça : je le jure

jamais un café ne te brulera s’il vient de moi, et c’est comme ça que je me suis convaincue. je veux le protéger.

Mais pour aujourd’hui je dois simplement m’asseoir sur un banc, prier pour que cette assise soit si petite que nous en serions collés l’un à l’autre. Alors je m'exécute, pour obéir à ce destin qui me teste. Regarde bien mon Ciel, regarde comme je ne respire que son air, comme je ne vis pleinement que dans sa bulle. Est-ce assez pour prouver aux étoiles que je l’aime ? Ephraïm si tu t’amuses tant à les placer selon tes caprices pourquoi ne les enferme tu pas entre tes doigts ? Aujourd’hui et pour toujours j’aimerai n’obéir qu’au destin que tu m’imposes. Pitié, demande moi.

« Alors tu es pudique ? » J’abandonne à contre coeur sa main pour défaire de mon cou l’interminable laine qui me protège du froid, et, penchée sur sa personne, je m’enivre une seconde en discrétion de son parfum alors que mes doigts s’affairent comme dix prudentes travailleuse à enrouler un peu de mon écharpe autour de son cou. Vois tu comme je ne t'abandonne jamais vraiment ? Comme chacun de mes gestes n’existent que pour t’attacher à moi. « Là. Je ne verrai pas tes joues rougir. Mais j’espère que tu verras les miennes. Toujours. Elles deviennent tomates quand je rentre sur mes terres, quand je bois en tête à tête, quand j’attrape chaud dans les bras d’une âme, quand je dis je t’aime. » Elles pourraient devenir tomates pour toi. Mais je n’ose plus me perdre dans son regard quand mon cœur décide de se livrer si impudemment. « J’espère te montrer ma maison achevée : celle où je vais vivre jusqu'à ma mort, mais aussi celle où j’ai grandi. Tu rencontreras mon quotidien, et aussi mes folies : alors tu me partageras peut-être les tiennes. Elles seraient amusantes, si elles finissaient par se rencontrer, tu sais ? J’attendrai que tu sois moins pudique. J’ai toute la vie devant moi, de toute façon. »

Car tous ces désirs n’existent qu’en ta compagnie.

« C’est quoi ta chanson, alors ? »

Il me fallait cesser mes je t’aime pour enfin oser le regarder à nouveau.

J’aimerai tuer le temps pour que seul subsiste cet instant. Qu’il ne reste dans ce parc automnal que nous deux. On entendrait ton souffle et le mien se mêler, le tissu de nos vêtements se froisser quand je me repose sur ton épaule, quelques sourires discrets qui peinent encore à vivre sans pudeur.

« J’en casserai jamais aucune. » comme une promesse perdue dans un rire discret.

Le regard vers sa personne puis sur l’écran, je savoure chaque seconde comme la cadeau le plus sincère du monde, quand bien il y a ces non-dits qui planent les mains sur la bouche pour s’empêcher de délivrer leur secret. Quand avions nous pris cette photo ? A peine le temps d’admirer la couleur de ce cliché il cherche sa musique, et moi j’attend, obéissante parce que curieuse. Je pose l’écouteur à mon oreille, regarde une seconde le ciel pour qui il trompe mon regard. Le sourire est tendre, aussi chaleureux qu’un feu de cheminée aux premiers jours d’hiver. J’appuis mon dos comme le sien sur le bois du banc, mais laisse se reposer ma joue contre son épaule. La mélodie est agréable, le rythme a quelque chose d’heureux et de triste à la fois. Les paroles veulent chanter la mélancolie mais aussi le bonheur ; savant mélange de ce que je rêve d’avoir, de ce que je me refuse à demander.

Car j’ai déjà sa main dans la mienne, sa chaleur pour me bercer, son épaule où me blottir. J’occupe son téléphone, les sons qu’il écoute. Pourtant comme une souris je crève de m'inviter chez toi et dans ta vie dans ton futur dans ce quotidien presque lassant que tu crois pouvoir deviner chaque matin mais moi je le sais Ephraïm — moi je serai si bien nichée dans tes journées et jamais plus tu ne te brûlerais avec ton café.


Et je ferme mes yeux, pour m’imaginer ce début de vie particulier, « J’aime beaucoup. » les minutes passent.

Qui pourrait m’offrir une vie aussi palpitante et insolite que lui ? Qui. J’inspire doucement, gavant mes poumons non pas d’air mais d’une tristesse que je ne soupçonnais pas, quand soudain mes paroles m’échappent ;

« Mais pas autant que toi. »

J'écarquille les yeux. Et deux secondes s’écoulent avant que je ne porte ma main libre à ma bouche. Mais pourquoi toute cette surprise, Wednesday ? Ce n’est pas la première fois que tu dis je t’aime, ce n’est pas la première fois que ton cœur parle pour toi ?

Un rire qui s’évade, cristallin et court, je réalise seulement que c’était la première fois que je pense désirer quelqu’un que je n’aurai jamais.

« C’est sorti tout seul haha, excuse moi ! »

Je replace quelques mèches derrière mes oreilles, unes à unes, avant de laisser tomber mon poing sur mes cuisses, le regard fuyant.

« Quelle audace. Alors que je suis avec quelqu’un, mon dieu !  » Je secoue doucement la tête, et l’écouteur tombe. « Ça fait six mois depuis la fête… Six mois et aucun autre homme ne m’a manqué plus que toi. » La lèvre inférieure mordue, les sourcils froncés. Je dis être occupée avec un homme mais chante pour un autre ; et de honte je ne me tais pas, non ! Je prépare des paroles plus belles encore. Pécheresse en chasse tout me dis de fuir en silence mais mon cœur bat si fort qu’il doit entendre tous mes maux, alors pourquoi m’en cacher ?

« Qu’est-ce que je dois faire Ephraïm… »

La honte de trahir la vie, mais l’audace sincère de laisser s’étaler ce sentiment qui ronge. Ça sonne mal et pourtant comment ça pourrait être mauvais, d’être honnête ?

Comment faire. Et si je fuyais, là, aujourd’hui ? Bras dessus bras dessous, ses rires au rythme triste mais aux notes heureuses pour étouffer ces pensées négatives qui m'accusent d’avoir suivi cet homme plutôt qu’un autre. Son emprise, sa large paume pour tenir mes doigts frêles, son souffle chaud à mon oreille pour me dire des secrets idiots… Ton café brûlant mon ange, je suis prête à t’écouter t’en plaindre tous les jours.

Alors puis-je venir dans ses bras, m’y installée confortablement pour ne jamais quitter le confort que sa tendresse me promet ? Et si je m’y reposais toute ma vie. J’inspire en laissant ce rêve faire pâlir la vie que je mène. Une embrassade timide que l’on peut confondre entre amitié et amour, pudeur et gourmandise. Je ne fais que demander ses lèvres depuis qu’enfin nos regards se sont croisés mais il lutte, honore des paroles que nous avions pensées sous l’effet de l’alcool. Je suis sobre, peut être ivre de lui mais nous ne devrions pas nous arrêter à ces promesses drapées de vin rouge.

Ah, tu es si juste, Ephraïm. Alors je ne pourrais jamais t’accuser de m’avoir volé, n’est-ce pas ? C’est moi qui dois avouer : c’est toi que j’ai toujours suivi, même en marchant à l’envers.

Ma main dans la sienne, j'en apprécie la chaleur, serre alors sa paume quand il se délivre de ses tourments pour se faire victime de mes absences. J’affronte enfin son regard à nouveau, me surprend à le découvrir si trahi par ses émotions. Deux idiots se pensant discrets alors que l’évidence les gouverne depuis le premier regard.

Mon dieu que j’aime son rire. Il réussit toujours à faire fuire mes doutes pour n’être sûre que d’une chose : c’est lui que je veux.

« C’est moi qui t’ai appris ça, non ? » Un souffle qui cache un gloussement, la tendresse qui se niche dans un sourire. Je lâche sa main pour poser la mienne sur sa joue rougie, apaise ma panique dans la profondeur de ses yeux. « Se retenir pour mieux se comprendre… » Moi aussi bien souvent je regarde mon téléphone à outrance, la sensation qu’un message devrait arriver pour m’arracher un rire. C'est ça l'amour. C'est l'attente constante qu'il n'intervienne pour signer mon quotidien de son existence.

J’inspire profondément, cherchant à saisir ses deux mains dans les miennes.

J'en ai terminé de faire l’enfant. « Alors veux-tu m’aimer comme tu en étais capable à dix huit ans ? Quand la déception n’était pas entière, quand l’attente était séduisante, loin d’être un supplice. Moi j’en ai envie. Innocente, me réveiller chaque matin toujours heureuse de te redécouvrir. Faire en sorte que nos chemins se croisent alors que tu t’y attends. Adoucir tes cafés. Te garder contre moi. T’avouer que je t’aime comme une première fois pendant des années. Voir tes yeux tomber amoureux de moi sans jamais te lasser. Me dévêtir de mes secrets pour que tu puisses y trouver ton confort ; promettre ma vie, frivole et benêt, pour que la tienne jamais ne te semble morose et triste. » Je renifle, assailli par le froid et par la peur qu’il puisse y avoir un non. « C’est encore beaucoup te demander mais tu connais mes caprices ; alors veux tu m’attendre encore quelques jours que je le quitte pour définitivement me reposer dans tes bras ? »

Un non silencieux fait de la tête, dans la lenteur et la tendresse. Parce qu’en prononçant ces mots je prends conscience que jamais il ne pu y avoir quelqu’un d’autre que lui.

« Tromper mon amant, c’est mal. Mais tromper mon coeur, c’est pire. Je t’aime, et si j’en avais peur il y a deux minutes c’était pour comprendre que j’en étais sûre. »