Sous les affres d'une fausse quiétude, tu pourrais mépriser son assaut. Pourtant après la vulnérabilité avouée se dresse un semblant de force. Tu écarquilles les yeux à la première révélation. Tu as besoin de quelques secondes pour assimiler l'information et ainsi calculer tes actions, qu'elles soient plus douces que féroces, plus pédagogues que bestiales.

— « Que dites-vous ? La première fois, vraiment ? »

C'est dans un moment de blanc qu'il en profite pour vous faire rouler sur les draps de soie. La literie ancienne couine sous vos poids respectifs. Ta bouche se fend d'un sourire méprisant, dont la cruauté est à peine voilée.

— « Pourtant, à vous voir minauder, j'en avais déduis que vous aviez l'expérience. Mais j'en conclus que vous aimez juste papillonner des cils avec innocence, sans jamais aller au bout des péchés que vous suggérer. »

Mais ça ne fait rien, parce que le manque d'expérience ne t'a jamais dérouté. Et puis, si la pratique lui faisait défaut, tu devinais qu'il avait parfaitement connaissance de la théorie à son âge avancé.

— « Je serais doux. »

Promets-tu ; alors que les ondulations de son bassin sur le tien t'arrachent quelques onomatopées. Tu agrippes ses hanches pour le guider.

— « Commencez par ôter mes vêtements comme vous savez bien le faire. »

Tu veux sentir sa peau brûlante épouser la tienne.
Et la faire danser jusqu'à ce qu'elles se collent, moites de sueur et de parfum tiède.


Vous aviez sûrement glissé à un moment sur le tapis au pied de ton lit parce que c'est à même le sol que ta poitrine se soulève. Tu reprends quelque peu ta respiration. Tu plaques vers l'arrière tes cheveux de jais, ceux-ci brillant à la simple lueur du chandelier.

— « Avez-vous besoin d'être porté jusqu'à la salle de bain, Beau ? »

Toujours avec ce sourire suffisant aux lèvres, tu ne peux pas t'empêcher de le couvrir de cette parentalité déplacée, alors que la paume de ta main caresse joyeusement la courbe de son corps, encore plaqué contre le tien.

Il pourrait pourtant jurer que tu l'aies tutoyé pendant l'acte.

Aussi braillé, il a tout du fauve. Sa chevelure flamboyante en désordre te fait penser à celle de Patty. Quand vous vous aimiez aussi sur le lit ou sur le tapis, elle finissait toujours par se plaindre avec une douceur innée, d'à quel point elle devait se les attacher pour la prochaine fois. Mais elle oubliait - à chaque fois.

— « Fort bien. J'aurais bien besoin d'une douche brûlante, moi aussi. »

Car son parfum lancinant mélangé à ta propre transpiration te monte à la tête et te donne des élans de migraine. Tu vas pour te lever quand ses lèvres à tes tempes achèvent de figer ton mouvement. Tes yeux se baissent sur lui et tu te sens rougir à son compliment. Tu fronces les sourcils et balaies la gêne d'un revers de la main.

— « Ne soyez pas ridicule. »

Tu ajoutes en te raclant la gorge.

— « Je le sais. »

Tu fléchis les cuisses, les reins encore enflammés. Tu te penches pour le porter, glisses tes mains sous ses genoux et le soulèves du sol. Tu te diriges vers la salle de bain de la suite parentale et le déposes dans la baignoire.

— « Je suppose que vous n'avez pas besoin d'aide pour ça. Vous êtes un grand garçon, Beau. »

Tu tournes la tête pour le prendre de haut, un sourire narquois et un brin paternaliste. Tires ensuite le rideau pour le laisser se laver le premier. Pendant ce temps là, tu astiques tes dents pour t'assurer qu'elles ne demeurent impeccable.

— « Que dira votre femme quand vous rentrerez ce soir, à la vue que son baiser s'est étiolé ? »

Tu as été marié par trois fois Baron, et dans aucun de ces mariages tu n'as fait jouer l'équité entre les genres. Tes femmes se sont toujours pliées à tes désirs et aspirations, quand bien même tu n'avais aucun problème à ce qu'ils s'arrêtent dans la chambre à coucher. Tes désirs ont toujours été d'ordre professionnel et éducatif. C'est toi qui décidait où la famille Stuart se dirigeait, c'est toi qui décidait tout ce qui concernait tes sept enfants, c'est toi qui décidait ce que vous faisiez la plupart du temps.

Alors quand Beau te partage la violence de son quotidien, tu ne comprends pas. Tu ne cherches pas à être volontairement malveillant, mais tu laisses échapper un petit rire condescendant - glisses d'une voix rauque.

— « Vous laissez votre femme faire sa loi ? Pourquoi diable acceptez-vous qu'elle vous marche dessus, Beau ? »

Tu l'entends geindre comme un chiot mouillé dans le fond de la baignoire. Soupires, à moitié exaspéré, à moitié attendri par la fragilité qui se dégage de lui.

— « J'en suis ravi. Je suis un homme, je me satisfais d'avoir encore le droit à des premières fois, surtout à mon âge. »

C'était devenu plus que rare avec les années. Les midinettes de vingt ans ne t'intéressaient aucunement. Tu aimes les femmes et les hommes de ton temps.

Tu tires sur le rideau pour le découvrir.

— « Il faudra bien tôt ou tard, malheureusement. »

Tu lui jettes tendrement une serviette pour lui permettre de se sécher. Tu le prends par le bras pour le hisser hors de la baignoire.

— « Attendez-moi là, c'est à mon tour. »

Et tu pénètres la douche à ton tour pour te rincer d'eau brûlante.

Pendant que le jet d'eau brûlant râpe ta peau brillante d'effort et de parfum, tu l'écoutes se sécher de l'autre côté, en se lamentant des possibilités qui pourraient lui échapper. Il finit par s'assoir dos à toi sur le rebord de la baignoire, tu le devines à sa silhouette frêle ayant bousculé le rideau de douche. Tu te laves de vos ébats quand il se permet de les remettre sur le devant. Tu déglutis et immerge ta tête sous l'eau pour devenir sourd face aux responsabilités.

— « Hm... »

Tu grognes et plaques tes cheveux en arrière. C'est malheureux ! Tu passes ta vie à te plaindre qu'on ne te pose pas assez de question, que tes enfants ont perdu leur curiosité naturelle (celle que tu as essayé de leur enseigner) mais quand enfin on t'en pose, elles ne te plaisent pas. Elles sont dérangeantes, perturbantes, stériles et dénuées de sens pratique. Ce n'est qu'un étalage de sentiment auquel tu n'arrives pas à te soustraire, quand bien même tu le voudrais. Beau Cavendish est décidément une plaie béante.

— « Quelle jolie tournure de phrase pour dire que je vous ai baisé, Beau. »

Tu tires sur le rideau et manques de le faire trébucher.

— « Vous n'êtes pas habitué à quoi ? A tromper votre femme ? Ce n'est pas quelque chose s'apprend, la traitrise. Mais ... »

Tu plaques tes grandes mains sur ses épaules pour le maintenir assis. Te penches en avant pour embrasser sa chevelure de feu, dont tu fais pleuvoir des gouttelettes depuis ta mâchoire.

— « Et moi je crains que vous y attachiez trop d'importance. »

Tes doigts dessinent des cercles dans son dos, descendent dans le creux de ses reins pour l'obliger à se cambrer dans un frisson opportun.

— « Votre coeur vous dites ? Le mien ne me fait pas peur. Cessez de vous flagellez avec des sentiments imaginaires. »

Cette fois c'est toi que tu rattrapes au vol.

— « Mais soit, nous pourrions recommencer. »