Il était un rituel qui durait déjà depuis des années ; depuis un temps que je peinais presque à me remémorer. Lieu, date et heure, toujours identiques ; ainsi que le prétexte. La raison qui me poussait à venir ici chaque année ; que le temps n’avait pas su altérer.

C’était une habitude que je n’avais jamais chamboulée. D’aucuns diront que ce n’était pas la meilleure des façons de fêter son anniversaire, mais j’avais la fâcheuse tendance à n’écouter qu’une voix : la mienne.

La cérémonie, toujours la même. Ma baguette flottant près de ma tête, éclairant de sa faible lueur votre tombe. Père, mère. Mots et larmes versés, espérant une réponse de votre part qui ne viendrait jamais. Et lorsque je me sentais suffoquer, je savais qu’il était temps de rentrer.

Seule.
Il le fallait.
C’était un poids que je ne voulais partager, celui de mes années.
Sans eux.

En toute honnêteté, je ne sus ce qui m’était passé par la tête au moment de te contacter : Baron. L’idée avait germé dans mon esprit et avait gonflé d’une vitesse exponentielle, pour finalement m’envahir comme une nuée.

Peut-être que le poids devenait trop lourd à porter ; paradoxalement, je n’attendais pas de toi de le partager. Trop tard pour revenir en arrière lorsque tu fis ton arrivée. La fuite n’était pas envisageable et cela n’avait jamais été mon genre non plus.

Le facies stoïque n’était pas l’accueil le plus pétillant ; mais j’osais espérer que ma présence t’était déjà satisfaisante ; surtout devant une parure si… minimaliste. Une tenue légère, certes, mais rien d’affriolant ; à défaut d’avoir de la pudeur, j’avais de la décence.

L’ébène d’une chevelure lâchée, frisant légèrement après l’avoir décoiffée. Le temps d’y remédier, mais l’absence d’envie ; tu ne m’en tiendrais pas rigueur, je me doutais que tes yeux trouveraient quelque chose d’autre à contempler. Je n’oubliais pas ma plastique, difficile d’y échapper ; surtout lorsque j’aimais en jouer.

─ Un commentaire à faire ? Tu sais quel jour on est aujourd’hui ? Je n’avais aucun doute à ce sujet, mais le besoin d’amorcer un conflit avait dominé la moindre volonté de garder la tête froide. Si oui, tu ferais mieux d’y mettre les formes, tu me connais, la patience n’est pas mon fort.

La politesse non plus visiblement. Où comment démarrer sur de bonnes bases. Sans doute que chambouler mes habitudes m’avait bien plus perturbé que je ne voulais l’admettre. Tu en faisais les frais.
 

Tu pris tes aises, comme à ton habitude. Rare pouvaient se le permettre ; tu bénéficiais de certains passe-droits ; bien que cela ne plaisait pas à certains. Ema, mon elfe de maison en tête de gondole. D’ordinaire quand tu étais là, elle s’arrangeait pour ne pas te croiser.

En plein centre de mon salon comme si les lieux t’appartenaient ; tu souhaitas que je m’enquisse de ton bien-être. J’eus une autre idée :

─ Non. Ça ne m’intéresse pas de savoir comment tu vas. Cette journée m’est consacrée. Je sais que tu n’as pas l’habitude de jouer les seconds rôles, mais tu vas devoir t’y plier. Un rire gras et moqueur accompagnant ma pique, puis la prochaine salve dans la foulée : difficile lorsqu’on aime tellement son reflet qu’on copulerait avec, j’en conviens ; souffre en silence, si toutefois tu en es capable.

Ce dont je doutais fortement. Tandis que j’observai avec malice te voir t’installer, voilà que ma chère Ema attira mon attention. Un regard lourd de sens en ta direction, histoire de bien te faire comprendre que tu n’étais pas le bienvenu ; puis elle s’exprima sans émettre le moindre son, agitant ses petites mains pour me parler dans une langue que tu ne saurais comprendre.

─ Tu ne pouvais pas fêter ton anniversaire avec moi, ou ta famille dont il demande des nouvelles ? Pourquoi lui ?
─ Parce que je suis une grande fille et que j’invite qui je veux très chère. Navré de cet imprévu, mais peux-tu nous préparer de quoi manger ?
─ Comme tu veux.

Un clin d’œil plein malicieux pour l’elfe, puis elle obéit. Quant à moi, je répondis à ta question, prenant place non loin de toi :

─ Eh bien, nous avons eu une réunion… aussi fascinante que surprenante quelques jours auparavant. Je me surprends à croire de nouveau en la capacité de notre patriarche d’enfin prendre ses responsabilités. Il nous a fait une proposition qui pourrait très bien provoquer un séisme sans précédent chez les familles comme la mienne si cela venait à s’ébruiter.

Naturellement, tu n’en sauras pas plus ; notamment nos projets. Mais sans tout dévoiler, je pouvais toujours te mettre l’eau à la bouche :

─ Tu me connais, il est… difficile pour moi d’accepter de ne pas incarner ce renouveau qui se profile. Mais je dois me rendre à l’évidence : je fais partie d’une génération qui ne peut être le visage du changement. Pas avec un frère comme le mien.

Frustration au bout de mes doigts qui vinrent se crisper sur les pans de ma robe. L’orage battant son plein dans l’azur de mes yeux avant d’enfin se calmer, après quelques longues inspirations.

─ Mais dis-moi, bien piètre doit être ton image de moi si tu m’imagines entourée d’une myriade de serviteurs répondant au moindre de mes désirs. Ne sais-tu pas que l’on n’est jamais mieux servis que par soi-même ? Tu m’offriras ton cadeau après le diner, j’espère ne pas être déçue.

L’ultimatum fut honteusement limpide, pour les scrupules on repassera.

─ Comment va ta progéniture ?

T’en entendre parler avait toujours le mérite de m’amuser autant que me consterner. Petit plaisir malsain auquel j’aimais m’adonner.
 

L’un comme l’autre, enchainant les piques comme des politesses ; le privilège des années se faisait ressentir. Les barrières érigées s’étaient abaissées, la confiance s’était installée. Loin était le temps où tu n’étais qu’un Serpentard amouraché et moi une Serdaigle effarouchée.

L’idée de se côtoyer plus souvent, évoquée comme une évidence ; elle avait ses avantages et ses inconvénients. Jouir de la bonne compagnie de chacun certes, mais avec cela il y avait les quolibets des uns et des autres. Mais au fond, quelle importance ? Auparavant, il m’était impensable de bénéficier de ta présence autant que je le voulais.

Mon père s’y était opposé.
Ema s’y opposait encore.
Et moi-même… j’avais d’autres priorités.

Mon travail, ma famille. Que des prétextes que j’avais érigés au rang de nécessités, j’avais sciemment choisi de m’éloigner de ceux dont je voulais me rapprocher. Et puis… tu avais ta vie de famille à gérer ; bien qu’elle me semblait aussi chaotique que la mienne.

Installée sur le canapé, la cigarette au bout des lèvres, allumée d’un claquement de doigts ; nonchalance et malice imprimées sur les traits. Me donner en spectacle quand tu étais là, il le fallait, toujours.

Ema qui fit savoir son dédain pour toi, comme de coutume. Quant à ta remarque sur sa courtoisie… il était grand temps de me confier à ce sujet.

─ Inutile de lui en vouloir, Ema ne fait qu’essayer de me protéger comme je le fais avec elle. La faute est mienne, ce n’est pas comme si je vantais tes mérites auprès d’elle. Me doutant que tu voulais savoir où je voulais en venir… la réplique allait être salée : Baron, en toute honnêteté ; tu es un étalon qui dispense sa semence de pouliche en pouliche, espérant qu’un de tes poulains finira enfin par te satisfaire.

Mais jamais te dépasser ? Pourtant l’on devait espérer cela pour nos enfants. Nous n’avions pas besoin d’un reflet du passé, mais d’une embellie de l’avenir. L’enfant ne devait pas répéter les erreurs commises par son géniteur, mais s’en servir pour avancer.

À l’ambition pouvait parfois se mêler la peur. Qu’un jour ils n’auraient plus besoin de nous, que nous fussions superflus dans leur vie. Si la descendance avait peur de l’abandon, pouvait-on vraiment avancer qu’il en était différent pour les parents ? Oui, Baron ; un jour, nous étions relégués au second plan. Pour le meilleur ou pour le pire ? Telle était la question.

Ce fut à mon tour d’éclater de rire. La vérité pouvait s’avérer blessante, mais brosser dans le sens du poil n’était pas mon genre ; j’avais plutôt tendance à le hérisser. La fumée expirée dans ta direction, taquinerie de plus alors que tu vantais mes mérites. Quant aux promesses de grandeurs… oh Baron si tu savais. Des années auparavant, je me sentirais flattée. Aujourd’hui, il n’y avait aucun émoi.

─ Les gens murissent très cher. Changer le monde toute seule est à la limite de l’impossible ; avec l’aide de ma famille en revanche, l’espoir nous est permis. Sans mettre mes ambitions de côté, j’ai appris à les tempérer. Et surtout… je m’aperçois qu’être une reine sur son trône est une vie de solitude à laquelle je n’aspire plus.

Quant à mes secrets… ils étaient si bien gardés que toi-même tu n’en aurais l’accès qu’au moment où je l’aurais décidé. Et ce malgré tout ce que nous partagions. Tu pouvais être particulièrement avare lorsqu’il s’agissait de ta descendance. Moi, évidemment, je fus loin de m’en satisfaire.

─ Comment est-ce possible ? Tu as quoi, sept enfants et tu m’en parles comme des cousins éloignés. Parfois je me dis que la seule raison pour laquelle tu te souviens de leurs prénoms est que tu ne peux décemment pas oublier les jours de la semaine. Une pause marquée, de nouveau la fumée expirée vers ton facies en guise de provocation. Puis un ordre : des détails, des détails, c’est ça que je veux. Croustillants, insignifiants, peu m’importe tant qu’ils sont évoqués. Nous avons tout le temps du monde et tu seras emprisonné ici tant que je ne serais pas satisfaite.

Le premier verre d’alcool, lévitant jusqu’à ta main tandis que mes félins vinrent s’incruster. Les deux grimpant sur le canapé, espérant être choyés.

─ Bois. Peut-être que ça t’aidera à délier ta langue.

Tu étais mon prisonnier, Baron. Tu ne pouvais t’en prendre qu’à toi-même. Tu m’avais donné les clés de la cage en débarquant dans mon antre ; maintenant il fallait assumer.
 

L’éclat de rire à ma petite pique, tu dis que tu me trouvais injuste. Et pourtant avais-je vraiment tort ? J’avais toujours eu l’impression que chacune de tes épouses n’avait joué que le rôle de la génitrice, oubliant celui d’être une mère pour tes enfants.

Quant à ton rôle, pouvions-nous en parler ? Tu riais de bon cœur à mes piques et je n’allais pas m’en plaindre ; peut-être qu’au fond tu t’en fichais, que ta progéniture n’était là que pour faire jolie, que pour flatter ton égo.

Au fond, ça ne me regardait qu’à moitié. Ces vérités que je te balançais à la figure malgré le ton badin, elles n’en étaient pas moins vraies ? Tu choisissais de ne pas les partager, ce n’était pas à moi de refaire le monde et changer ta vie ; il était bien trop tard désormais.

Et moi dans tout cela ? Sans surprise la conversation finit par bifurquer à mon sujet. Le mariage ; la nécessité d’avoir un homme dans ma vie ; que d’affirmations qui eurent le don de m’arracher un sourire moqueur, s’opposant au charme du tien :

─ Ah… vous les hommes, vous me faites rire. Toujours à penser que vous êtes indispensables dans la vie d’une femme. Si tu savais à quel point tu te trompais, Baron.

Soucieuse de ne pas te laisser dans l’ignorance cependant, les réponses vinrent sans tarder, pendant que j’entamais mon verre :

─ J’aurais pu me marier avec l’amour de ma vie… mais le statut d’un sang-pur est une cage dorée. Notre liberté, une illusion. Mon père ne m’a jamais forcé, il savait que c’était impossible ; il savait qu’il y avait un autre moyen pour moi de faire honneur aux Black. Si la direction du Département des Mystères m’a été confiée, c’est loin d’être un hasard ou un caprice de sa part.

Il y avait toutefois un point sur lequel tu avais raison : qu’en était-il de mon héritage ? Qu’allais-je laisser derrière moi ? J’avais tendance à penser qu’un héritier aurait pu tout changer. Qu’un enfant m’aurait comblé.

Mais au final ; que ce fut l’homme que j’ai aimé, ma fille qui naquit… les deux ont été spoliés. Je m’en voudrais toute ma vie ; je le savais. J’avais aussi tendance à penser que je ne changerai jamais. Comme toi, Baron, il y avait moi et les autres.

Le rôle de l’alpha, je ne pourrais pas le partager. Quel homme serait prêt à l’accepter ? Il n’y eut que lui et en dépit de cela, je n’étais jamais vraiment là. Juste un mirage, juste de passage. Je ne voulais plus recommencer. Sans être fataliste, il me semblait que la solitude, j’y étais simplement condamnée.

─ Quant aux autres ? Oh je connaissais ce regard. J’eus un long soupir, la main caressant mon front, consternée. Baron… vraiment… tu es sérieux ? Peux-tu me faire un plaisir pour mon anniversaire ? Essaye d’avoir une conversation, avec chacun d’entre eux. Nous nous reverrons dans quelques semaines… allez quelques mois parce que je suis magnanime et je voudrais plus qu’un silence cette fois. Fais-le pour moi, pour me faire plaisir. Ou simplement parce quand je reviendrai à la charge, si tu me déçois, tu vas le regretter, amèrement.

L’ultimatum, glissé dans un verbe de velours pour éviter de te brusquer, il n’en fut pas moins pernicieux. Tu connaissais ma cruauté, tu en fus témoin lorsque nous étions à Poudlard, devant toute une assemblée pardi. Tu te doutais que je pouvais faire pire, bien pire.

─ D’ailleurs, j’en reviens à ce que tu disais… qui te dit que j’ai besoin d’un homme dans ma vie ? Si j’avais besoin d’être aimée, choyée, voire plus si affinité ; pourquoi forcément me tourner vers la gent masculine ? Dis-je d’un sourire aguicheur, reprenant d’un ton enjoué : tu n’as pas idée très cher… tu n’as pas idée. J’ai abandonné l’idée d’être sage le jour où j’ai compris jusqu’où je pouvais aller pour m’amuser.

Braver les interdits, faire fi des clichés, j’avais dépassé ce stade depuis longtemps, bien longtemps. Une vie aussi mouvementée que tourmentée ; ce fut ce que j’avais choisi de mener.
 

La réciproque était tout aussi vraie, Baron. Moi aussi j’appréciais ta compagnie. Mais il y avait toutefois une ligne que je ne voulais pas franchir avec toi. Raison pour laquelle, à la seconde où tu évoquas l’idée même d’une union entre nous, je dodelinai négativement de la tête.

Et pourtant, je n’avais aucune réelle aversion contre l’idée d’être avec toi… mais à mon sens, tu le savais aussi bien que moi : nous n’étions pas faits pour être ensemble. J’avais toujours essayé de m’en convaincre parce qu’en observant ta vie de couple ainsi que ta vie de famille… je savais n'être qu’un élément perturbateur pour toi.

Nous n’étions pas complémentaires pour un sou. Or, dans un mariage, c'était préférable.

─ Ce n’est pas étonnant très cher, tout le monde apprécie ma présence. Un gloussement amusé, un sourire sarcastique, l’arrogance de mes propos était-elle dénuée de vérité ? Je laissais les autres en juger.

Tes enfants, tes enfants ; à t’entendre parler, on avait parfois l’impression que ce n’était pas les tiens justement. Quel genre de parent pouvait en savoir si peu sur ses rejetons ? Des parents comme toi et moi ; ceux qui s'aimaient eux-mêmes, plus que le fruit de leur chair. Regrettable, certes, mais il fallait de tout pour faire un monde.

Je tentais de corriger le tir, m’occuper au mieux de la progéniture de mes frères, l’un n’étant plus là et l’autre étant irrécupérable. Mais m’occuper de tes mômes Baron ? Plutôt me flageller avec barre cloutée.

─ J’ai déjà fort à faire avec les enfants Black, tu crois sincèrement que j’irais perdre mon temps avec tes marmots ? Tu m’as bien regardé ? J’ai encore quelques années devant moi avant de devenir sénile, j’aimerais en profiter si ça te ne dérange pas.

D’autant plus que je serais sans doute une piètre mère pour eux… peut-être même pire que tes épouses. L’expérience a prouvé que je n’avais pas la fibre maternelle, malgré toute la volonté du monde… il s’avérait que je n’étais pas capable d’aimer une autre personne, plus que je m’aimais moi-même. Ça, tu pouvais le comprendre, pas vrai très cher ? Mieux que quiconque même.

─ Qu’ouïs-je ? Toi qui t’entiches d’un autre homme que toi-même ? Allons, allons, restons sérieux deux minutes. J’apprécie l’emploi du terme « gouter » ; comme une petite friandise, tu vois parfaitement où je veux venir quand je parle de divertissement.

Un clin d’œil, un rire ; puis une main qui vint se recroqueviller sous ton menton, saisissant celui-ci entre mon pouce et mon index.

─ Si tu m’avais épousé, je t’aurais rendu misérable, je t’aurai fait souffrir comme personne. Je suis une femme qui consomme les autres ; hommes et femmes sont des plaisirs à la chaîne plutôt que de véritables conquêtes. Je n’aime pas consommer le même aliment tous les jours, j’ai toujours besoin de changer.

L’index qui remonta jusqu’à ta joue, puis ses semblables qui vinrent se joindre à lui. La tendresse provoquée par l’alcool qui faisait peu à peu son effet. Du moins ce fut ce que j’imaginai.

─ Mais peut-être que ce n’est pas ton avis. Qu’en sais-je ? Alors, dis-moi Baron. Sincèrement… comment imaginerais-tu la vie avec moi ?

En avais-tu seulement idée ? Ou tu avais balancé ça sans prendre le temps d’y songer ? Parce que moi, je savais déjà quoi en penser.
 

Les sorciers comme nous jouissaient du privilège d’une vie allongée. Néanmoins cette bénédiction pouvait vite trouver son contraire lorsque le poids des années devenait trop lourd à porter. À quoi bon vivre plus longtemps lorsque l’existence était dénuée d’intérêt ?

Non pas que je voyais ma vie ainsi ; cela demandait toutefois matière à réfléchir. Si je te le demandais, pouvais-tu répondre en toute honnêteté que la vie t’avait été clémente ? Que tu ne regrettais rien ? Que tu n’avais aucun remords ?

Aurais-tu l’audace de me mentir ? Avec toi, on ne savait jamais.

─ Ah oui ? Tu voudrais répéter inlassablement ce même cycle ? Reprendre une épouse, la voir enfanter, puis disparaitre un jour ; une de plus, qui se ferait consumer par ce que tu es. Moi je me serais vite lassé.

Je n’arrivais pas à croire que c’était dans tes projets. À mon sens, tu voulais profiter de cette liberté nouvelle ; cette enivrante délivrance qui terrifiait ceux qui ne l’avaient jamais expérimenté. Je n’avais jamais compris cette peur d’être libre… mais j’avais tendance à penser que je n’étais pas un exemple à suivre dans tous les domaines.

Rien de surprenant pour l’homme qui vantait sa lubricité que de soudainement se montrer bien plus entreprenant. J’avais l’impression de nous revoir des décennies en arrière… manifestement, il y avait une leçon que tu ne retenais jamais ; ou que tu ne voulais pas apprendre.

Il y avait toutefois bien plus amusant que de jouer la vierge effarouchée. L’araignée qui attirait sa proie dans sa toile pour mieux la piéger, bien plus divertissant. Raison pour laquelle je n’offris aucune opposition quand commençait ta parade nuptiale.

L’oreille attentive sur tes propos, n’oubliant pas de te donner la réplique quand je sentis qu’il était grand temps de te l’offrir :

─ C’est ainsi que tu m’imaginerais ? La mégère qui jouerait le mauvais rôle ? Et toi dans tout cela ? Tu serais le bon père qui viendrait rassurer, cajoler ta progéniture apeurée ? Difficile de dissimuler le sarcasme tant il était prononcé.

L’index pointé contre ta tempe, l’ongle presque planté dans ta peau. Un rappel à l’ordre me semblait adéquat :

─ Non, il n’y a pas que tes marmots qui seraient horrifiés, tu le seras à ton tour. Parce que je finirai par t’écraser. Ou mourir en essayant. Tu me connaissais, la modestie n’était pas mon fort. C’était en doutant qu’on était vulnérable, qu’on laissait planer l’espoir d’une insurrection.

Il fut toutefois difficile de me retenir de rire, à l’idée d’enchaîner les coïts pour désamorcer les conflits, ou bien les résoudre ; un brin d’humour graveleux ne pouvait pas faire de mal :

─ Peut-être qu’après m’avoir baisé une fois tu seras épuisé, peut-être que j’en serais rebutée. J’irais alors batifoler entre amants et amantes pour oublier que tu n’as jamais su me satisfaire.

Le sourire à la fois railleur et lascif aux lèvres. Il n’y a qu’en essayant qu’on en eût la certitude non ? Oui, peut-être. Mais non, pas tout de suite.

─ Ai-je besoin te rappeler que cette journée est la mienne ? Que c’est moi qui dois être comblée, pas ton égo de mâle en rut ? D’un claquement de doigts, l’ambiance n’était plus la même. Tu sauras me pardonner de te malmener ainsi, certaine que ce moment te remémorait quelques « bons » souvenirs. Le prochain rappel à l’ordre pourrait être bien plus… douloureux, mon cher. Tu n’as pas oublié comme je peux être cruelle, rassure-moi ?

S’il fallait te rafraîchir la mémoire…  

L’éclat de rire incontrôlé alors que je me redressai. Te voyant t’éloigner de moi, comme tu le faisais inexorablement à chaque fois que tu t’approchais si près que tu finissais par te brûler par l’incandescence de mes propos. Nos égos qui se confrontaient, encore et toujours.

Tu flattas le mien, je blessai le tien. Inutile de le nier, c’était presque marqué sur ton front. Je m’en amusai davantage :

─ Ouh mon pauvre chou, tiens ramasse ton égo il vient de tomber par terre. Le gloussement goguenard et ça reprit de plus belle : tu dis que tu n’as pas oublié, mais parfois il faut te rafraîchir la mémoire. Allons, allons, ne t'offusque pas Baron, tu ne peux pas faire un rodéo et te vexer à chaque fois que la bête te désarçonne !

Mais nous étions d’accord sur de nombreux points : adieu les enfants, adieu le mariage, adieu le deuil. Nous cherchions les aventures qu’on ne voulait pas regretter. D’un mouvement de hanches, je vins réduire drastiquement la distance entre nous, mon visage s’approchant du tien.

Mes saphirs pour te toiser, mon sourire pour te provoquer. Si toi tu voulais arrêter de jouer, moi je ne faisais que commencer :

─ Mets et boissons viendront selon mon bon plaisir et pas avant. Mais soit, si monsieur veut se goinfrer plutôt que de tenter inlassablement de me dévorer.

Un petit geste de main, un fraisier fit son apparition sur la table basse, ainsi que l’alcool si gentiment demandé. La bouteille vint léviter d’elle-même, remplissant les verres. De même que le gâteau qui vint se fragmenter.

─ Pourquoi l’on se haïrait ? As-tu si peur de voir une femme te tenir tête que tu ne pourrais que la détester ?

De nouveau la distance qui se raccourcit. Un ton qui se voulut plus lascif malgré la menace qui plainait :

─ La poésie, je laisse ça aux petites pucelles névrosées. Je veux du concret. Réponds à ma question : une femme qui te fait de l’ombre, qui te surplombe, ça te fait peur ?

Je ne voyais pas comme homme qui s’impressionnait pour si peu. Pas plus que je ne te voyais te décomposer à chaque difficulté. Mais tu semblais abandonner si vite à chaque déconvenue… quelle frustration.

Une victoire, accordée ou cédée, lorsque l’aveu venait de toi, c’était plus savoureux qu’avec n’importe qui. Qui de mieux que moi pour piétiner ton égo lorsque tu faisais l’erreur de le mettre à mes pieds. Cela nous ramenait des années en arrière…

Heureusement, les choses avaient changé, pour le mieux. Nous n’avions pas connu les joies et les aléas d’un mariage ensemble ; mon père n’aurait jamais autorisé la perte d’un nom aussi illustre que le nôtre en faveur du tien. Et de toute façon, tu avais déjà trouvé ta « dulciné ».

Je doutais de tes sentiments pour tes épouses. Car dès que nous abordions un sujet aussi tabou que celui de tes émotions, plus qu’être sur la défensive, c’est un mur que tu érigeais. Une montagne que je n’avais jamais eu la patience de gravir… mais l’envie ça, c’était une autre histoire.

─ Oh mon cher, le danger tu sais, c’est fait pour impressionner les midinettes. J’ai dépassé le stade d’en avoir peur depuis longtemps.

Et toi, tu me donnais ce que je désirai. Plus que ton amitié que je chérissais, c’était aussi le reste. Te provoquer, te pousser dans tes retranchements ; tant que tu sortais de ta zone de confort, ça m’allait.

Tu vins voler mes lèvres ; et pourtant je n’avais pas l’intention de t’aimer ; celle-ci était réciproque. Nous le savions aussi bien l’un que l’autre. Je cherchais une distraction, un baume aux maux qui rongeaient mon esprit. Toi tu me l’offris sans que j’aie à le demander, comme si tu lisais dans mes pensées.

Ma réponse à cet élan, ma main qui vint épouser ton visage, mon index parcourant ta lèvre. Loin d’être satisfaite.

─ Pour un cadeau d’anniversaire… c’est bien en dessous de mes attentes. Décidément, il faut tout faire soi-même.

Cette fois ce fut moi qui vins chercher tes lippes. Ma propre passion qui voulait te consumer. Nul doute que tu fis face au « danger » avec la même bravoure que tu démontrais à chaque fois que tu te pavanais devant tout le monde, l’ego pour armure.

Mais ici et maintenant, chez moi, tu m’appartenais. Toi qui avais toujours voulu que je m’offrisse à toi, je te donnai un petit aperçu de ce qui nous avait échappé.

Comme toi, je fis au gré de mes envies.
Et celles-ci furent bien plus voraces qu’anticipées.

Je n’eus, pourtant, aucun regret.