Au premier coup de pelle, tu songes à abandonner. Tu as déjà l'estomac retourné, la gorge serrée et la tête bourdonnant d'un millier d'excuses pour te détourner de ta tâche. C'est stupide, rien de plus que de la paranoïa et de la fatigue. Tu rationalises. Tu ne trouveras rien. Tu ne peux rien trouver. Le scénario est trop invraisemblable.

Tout avait commencé avec le retour des cauchemars. Depuis votre retour du Japon, étaient revenues les mêmes terreurs d'enfant. La vision de ce trou que vous creusiez dans le jardin, Tuesday, Wednesday et toi. Thursday dans les bras de votre père. Cette bâche que vous y aviez jetée et le malaise qui s'en était suivi. Le rêve que c'est toi qu'on enterre et votre mère qui avait disparu peu après. À force de te réveiller en sursaut en bousculant Leslie, tu avais dû lui expliquer. Assis dans le lit, transpirant et honteux, tu lui avais fait le récit de cette soirée lunaire où ta fratrie et toi aviez enterré une étrange bâche au pied d'un arbre. Tu avais trouvé des milliers d'excuses pour ne pas faire le lien. Comme le besoin d'enterrer le secret et de ne pas concrétiser le trauma. Mais Leslie n'avait pas eu cette délicatesse et depuis, le doute persistait. C'était improbable, impensable même. Mais rien n'y faisait. Des jours et des jours à ressasser à en devenir fou, tant et si bien que tu ne savais plus ce qui tenait du rêve ou du souvenir. Il fallait que tu en aies le cœur net, que tu vois ton père, que te retournes devant cet arbre. Alors tu avais pris quelques jours de congé pour retourner au manoir familial. C'était la première fois depuis le wizgala.

La nuit est sombre et épaisse. Il est plus de trois du matin lorsque tu plantes le premier coup de pelle. La transpiration finit par rendre poisseux tes cheveux sous l'effort. Tu creuses et creuses. Mais tu ne ne trouves pas de bâche.

— Qu'est-ce que... ? Non ! Non ! Non !

Tu te jettes dans le trou gratte avec les mains. Aurais-tu rêvé ? Il devrait y avoir une bâche, avec une lampe ! Mais il n'y a pas de bâche, rien. Tu as l'impression de devenir fou, mais tu sais que tu ne l'es pas ! Tu grattes, grattes encore et enfin tes ongles heurtes quelque chose de dur... De blanc. Un os.

Tu le sors tremblant de terre, le souffle court. Tu en retrouves quelques autres. Ils sont blanchis, probablement là depuis longtemps. Il n'y a pas de quoi reconstituer un squelette, loin de là. Mais en les observant, tu comprends. Tu les lâches et remontes à la va-vite. Tu as à peine le temps de poser un genou à terre que tu vomis. Le déni ne pourra pas te sauver cette fois. Les quelques os que tu as trouvés sont humains.

**

Tu rentres en trombe dans la chambre de ton père encore couvert de terre et le visage maculé de boue. Tu claques la porte derrière toi et la verrouilles d'un coup de baguette avant de jeter sur son lit un vieux sac-poubelle.

— Réveille-toi.

Ta voix vibre sous la colère et le dégoût. Tu allumes la lumière et campes au pied de son lit. Ton cœur tambourine dans ta poitrine, tu as encore envie de vomir.

— Redis-moi comment maman est partie. Redis-le moi.

Maman. Pas mère. Preuve que l'émotion te submerge.

Non. C'était attendu mais pourtant tu arrives à en être déçu. Ton regard se fige sur le sac-poubelle, puis sur le visage de ton père. Il a l'air trop rebuté pour ne pas se douter ce qu'il s'y trouve. Tu as envie de hurler. Il vient d'avouer sa culpabilité. Ta baguette pend à ta hanche et d'un geste sec tu viens l'agiter pour le dissuader de te menacer.

— Oh, l'un de nous deux va amèrement regretter en effet.

Mais tu ne précises pas lequel. Tu espères au-delà de tout qu'il s'agira de vous deux. Tu observes son dégoût. Une partie de toi ne veut pas y croire. Pas lui. Pas ça. Il avait été un cauchemar et un monstre à bien des niveaux. Mais il n'en restait pas moins ton père, ton sang, ton héritage, ton modèle. Tu l'avais si désespérément aimé. Tu l'aimes encore si désespérément. Tu pouvais bien assumer de l'affubler de toutes les étiquettes néfastes. Mais pas celle d'un tueur tu ne pouvais pas. Pas celle-là. Tu sens ta patience s’effriter à mesure que tu le vois lutter contre l'odeur rance de la terre mouillée. Ta lèvre tremble, tu voudrais qu'il te parle mais en réponse à ses cris tu ne peux que crier aussi.

— ASSEZ !

Tu tranches l'air avec ta baguette et, en écho à ton geste, le sac poubelle se retourne et déverse sur le lit les os maculés de terre.

— IL N'Y AVAIT PAS DE BÂCHE, NI DE LAMPADAIRE ! IL Y AVAIT ÇA !

Tu sens tes yeux te brûler, ta bouche se remplir d'un arrière-goût métallique.

— Et ne me prend pas pour un idiot. Je suis chef-guérisseur, je sais reconnaître des os humains quand j'en vois.

Tu pointes les os de ta baguette, le menton tremblant.

— Est-ce maman ?

Est-ce que tu nous à fait enterrer maman ?

Tu ne veux pas entendre la réponse. Tu n'aurais préféré rien savoir. Tu ne veux pas. Tu as peur. Tu es phobique des illusions qu'on brise. Tu as besoin de stabilité. Il devait être ton pilier.

— Papa, je t'ai posé une question.

Papa. Papa. Papa. T'as toujours crevé de ce mot tendre que tu n'as osé prononcé que transit de peur ou noyé de regret. Entre vous, ça n'a jamais été que "père". Baron n'a pas voulu être ton "papa", pas une fois avec toi. Tu détaches les syllabes, les joues déjà mouiller de larme.

— E s t - c e   m a m a n ?

Tu entrouvres la bouche, le menton tremblant. Face à son silence, tu ne peux que comprendre. Tu recules d'un pas, puis de deux, avant de heurter un meuble. Tu baisses ta baguette, tu as tant de choses à dire mais tous tes mots se perdent en un seul souffle.

— Non... Tu... Comment as-tu pu...

Ton regard s'échoue sur les restes de ta mère. Des os blancs sous une couche de crasse et de terre. Elle n'a plus rien d'humain, désormais. Avant elle sentait bon, tu te souviens encore de son parfum. Aujourd'hui, ce qui s'échappe d'elle ce n'est que mort. Tu sens de nouveau l’écœurement te ravager l'estomac. Tes yeux s'écarquillent quand enfin ton esprit réalise. Tu attrapes précipitamment un vase et te vides. Tes yeux te brûlent sous la nausée. Ton estomac se tord douloureusement d'être ainsi secoué. À la fin il n'y a plus rien de solide, juste de la bile. Tu redresses la tête, le regard emprunt de détresse.

— Tu nous as fait enterrer maman.

Tu poses le vase et te précipites sur lui pour le saisir par le col.

— TU NOUS AS FAIT ENTERRER MAMAN. TU L'AS TUÉE !

Et soudain toutes les connectiques se font. Le choc pousse ton esprit à assemblé les pièces du puzzle avec la précipitation d'un fou. Ton regard s'écarquille davantage, c'est à peine si de l'écume ne sort pas de tes lèvres tant tu as l'impression de devenir fou.

— C'est à cause d'elle. C'est par amour pour cette pute que tu as tuée maman ? Tu m'as menti, tu nous as trahis. Comment tu peux te regarder dans une glace ?

Tu le lâches et le mets en joue de ta baguette.

— Je devrais te tuer. Je devrais te supprimer ici et maintenant. Vingt-trois ans. ÇA FAIT VINGT-TROIS ANS QUE TU ME MENS ET ME POURRIT L'EXISTENCE. ÇA AURAIT DU ÊTRE TOI DANS CETTE BÂCHE !

Le cauchemar est réel et pourtant tu espères encore te lever en sursaut dans ton lit à côté d'un Leslie fatigué d'être constamment réveillé. Un accident. Le mot n'a aucun effet sur ta colère. Tu n'arrives pas à l'amputer de sa culpabilité. Il vous l'a fait enterré, il vous a menti. 23 ans. Ça fait 23 ans. Son contact te brûle. Tu retiens le pas en arrière, mais pas le sursaut.

— Tais-toi.

Mais il poursuit. Tente de justifier ses actes ou d'implorer ton amour, tu ne sais pas. Tu en vomirais presque.

— ... Pour moi ? POUR MOI ?

Tu le repousses et heurtes dans la débâcle la table de nuit derrière toi.

— Tu es immonde. Ta bouche ne sert qu'à cracher des cendres ! Deux décennies pour avoir de ta part un semblant d'amour et de reconnaissance et quand tu me l'offres c'est pour justifier ce que tu lui as fait ?!

Et soudain, il n'est plus que question de toi. Tu revois les visages barbouillés de ton frère et ta sœur ce soir-là. Celui trempé de Thursday à peine plus qu'un bébé.

— Tu as fait enterrer le cadavre de sa mère à Wednesday. Ta propre fille. Tu l'as forcé à creuser comme un esclave une tombe destinée à cacher tes secrets. Tu l'as souillé.

Et ça te met hors de toi. Qu'il soit ton bourreau était une tragédie que tu avais presque réussi à normaliser. Mais qu'il soit celui des autres ? De ton sang ? De ta chair ? Le regard que tu lui lances est en au-delà de touts dégoût.

— Fils de...

Tu lui décroches une droite en pleine mâchoire. Le coup part tout seul, incontrôlé et incontrôlable.

— Et quid de Tuesday ?! De Thursday ?! Comment as-tu pu ?!

Tu t'es jeté sur le lit pour le plaquer dessus. Tes mains sur son cou. Tu pourrais le tuer. Tu pourrais le tuer.

— Je te hais. JE TE HAIS !

Il y a l'homme qui serre le cou du traître et le fils, le Monday de six ans et demi qui pleure de rage, appelant en échos des mots haineux "papa ! papa !".

Il y avait une photo de lui où, bébé, il te tenait dans ses bras, la fierté dans le regard, tendre comme un prince, rayonnant comme un roi. Où est passé cet homme-là ?

Papa.

Tu serres, mais tes mains tremblent. L'air te manque et à mesure que tes paumes s’imprègnent de la chaleur de sa nuque, que tu sens sur ta peau le battement de ses veines, tu te sens suffoquer. Tu as l'air ailleurs. Tu paniques, mais ton corps ne répond pas. Tes paumes ne font que serrer, serrer encore. Pourtant, c'est bel et bien la peur qui se lit sur ton visage.

— Tais-toi, tais-toi, tais-toi, tais-toi, tais-toi.

Et tu pleures, mais sans réellement en avoir conscience. Les larmes coulent et s'échouent sur son menton alors que tu serres, serres, serres encore, encore, ENCORE.

Il te hurle de le tuer, c'est comme-ci tu allais l’exaucer. Tu revois le visage de ta mère. Tu entends tes frères et sœurs. T'as tellement mal. Le fardeau est trop lourd, tu en a assez d'être Sisyphe, poussant son rocher. S'en est assez. Tu veux qu'on te libère. Qu'on te sauve. Héro, roi, chef, il n'y a que les débiles pour les vouloirs. Mais le plus douloureux, c'est que tu as compris, que tu sais, que le seul qui peut te sauver : c'est toi-même.

Ni Leslie, ni Tuesday, ni ta mère, ni l u i.
Certainement pas lui.
Et dieu que tu le détestes pour ça.

— RAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Tu le relâches d'un coup comme-ci le geste t'avais coûter mille enfers. Le souffle court comme après un effort surhumain, tu essuies tes yeux d'un revers de la manche.

— Non. Je ne serais pas comme toi. Jamais.

Tu te décales du lit. Manque de titubé quand tes pieds touchent le sol.

— Tu vas vivre et payer pour tes crimes. Je ne te ferais pas la grâce d'une porte de sortie, tu n'en mérite pas. Il est temps que tu suives tes propres leçons.

Il veut t'imposer le silence. Mais tu es loin d'en avoir fini. Tu pourrais franchir cette porte, enterrer cette journée comme tu as enterré le cadavre encore chaud de ta mère. Ce serait bien là un réflexe naturel. Mais tu en as assez. La soif de justice parle pour toi et, tu ne respires actuellement que pour l'écraser un peu plus sous ton talon et prendre ta revanche. Tu n'as jamais aimé ton rôle de jeune premier. Mais, aujourd'hui, tu es prêt à récupérer la couronne qu'il menaçait de te léguer.

— Non.

Dans un mimétisme involontaire, tu te tiens droit, ranges tes mains derrière ton dos dans une posture en tout point identique à celle que ton père aborde tant de fois.

— Tu es ici chez moi et tu n'es plus en position de me commander quoi que ce soit.

Ton regard se fait aussi tranchant que l'acier. Tu le toises, relève légèrement le menton. Tu le prends de haut. Jumeau parfait de ton propre parent.

— Il est temps que tu passes la main. À partir d'aujourd'hui tu n'es plus le chef de cette famille. Je te permets de rester au manoir mais tu n'auras plus voix au chapitre. C'est moi et seulement moi qui aurai le dernier mot quant à ce qui concerne notre nom.

Tu plisses les yeux, au fond de toi tu prends un plaisir presque maladif à lui arracher ses symboles de pouvoir.

— Pour le temps qu'il te reste sur cette terre, tu t'emploieras à être un père exemplaire et ouvert. Tu vas consacrer le reste de ta vie à rattraper tes erreurs. Et si jamais tu me déçois dans cette démarche, alors je leur dirai tout.

Tu achèves, sanglant.

— Et alors crois moi que tu me supplieras pour que je te traîne moi-même à Azkaban.