Pas ses singes, pas son cirque. Par politesse -rare cadeau réservé aux plus rares encore ayant obtenu une once de respect de sa part-, Eamon a laissé Evlalìa parler, mais sauver des vies ce n'est pas de son ressort. Si elle ne l'avait pas encore remarqué même, c'est tout le contraire. Et aussi triste que cela puisse l'être, il ne peut pas aider d'avantage une créature en mauvais état; c'est même son job à elle, pas le sien.
Sauf pour un tel prix.
Un soupir, lourd et las; au final, le faire changer d'avis n'est pas compliqué quand on possède les moyens. Comme l'argent. Un coup d'oeil bref, un regard noir; l'argent, et le don de chercher ce qu'il désire directement dans son esprit.

Le voilà donc bien trop loin de chez lui, perdu dans son refuge, une large sacoche à la main avec une bonne partie de ses précieux liquides et autres ingrédients de choix pour une mission qui ne lui ressemble pas. Une brève aventure du côté juste et bon de la vie active...
L'occasion de réaliser qu'il n'a rien pour la vie en pleine nature, que sa garde robe reste citadine et que ses précieux vêtements vont prendre cher. Tant pis. L'argent avant tout.

Pas de politesses, pas de paroles inutiles. Droit au but. Un vrai plaisir, quand le monde s'acharne à lui faire perdre son temps ! L'empoisonneur la suit, guettant la créature du regard, loin d'être serein, et en même temps impatient.


Oh, il a bien quelque chose en tête. Un filtre de mort vivante suffirait pour un sorcier, mais pour un dragon... Eamon pourrait toujours en fabriquer un d'autant plus coriace, avec un peu de crève-chien ou même de datura. Oh, cela lui ferait plaisir, d'utiliser cette dernière...
Un coup d'oeil en biais à la dame sauvage. Déjà parce qu'elle lui semble nerveuse et c'est rare. Puis, parce que s'il pense, elle sait probablement. Eamon commence à s'en jouer, même, à penser une chose et répondre l'opposé.


Après tout, il fabrique essentiellement des poisons.
Mais un animal de cet envergure... Il y a des chances que les symptômes ne soient qu'une formalité. Il n'y a qu'une seule manière de le découvrir !

D'autant plus lorsqu'elle le menace de l'offrir comme déjeuner à la dragonne.
Eamon souffle du nez à ses ordres, dans un léger sourire doucereux. Un tel ton autoritaire lui suffirait à envisager une vengeance.
Quel culot.
Cependant, c'est une bonne alliée, qui reconnait ses talents.
C'est suffisant pour calmer ses ardeurs, mais juste insuffisant pour empêcher un regard en biais, uniquement pour la toiser, elle qui l'ordonne comme s'il n'était qu'un vulgaire employé.
C'est d'autant plus supportable quand ce comportement lui est aussi familier. Jovanah, doyenne des Ainsleys, est elle aussi une femme de caractère.
Mais le traiter de bout de viande... c'est une première.


On enchaîne avec le travail, maintenant.
L'atelier est sien, et il compte faire comme chez lui.
Eamon pose sa mallette au bord du plan de travail. Il fouille dans une valise qui semble contenir plus de choses qu'elle n'en a l'air -le strict minimum, selon lui.
Aucun regard pour les ingrédients déjà présent : il ne fait confiance qu'aux siens.


Donc pas encore le poids d'un dragon adulte...
Une bête qui allait à elle seule épuiser tout son datura. Une petite bouteille entière d'essence d'herbe du diable qui s'envole, voilà qui vient troubler son visage de sourcils froncés.


Pas là pour juger plus ce que vaut la vie de cette bête, juste faire sa magie.
Eamon s'attache enfin les cheveux, avant de se concentrer sur le filtre. Une goutte de mort vivante, avec son twist maison : de la datura.
Soif intense, photosensibilité, fièvres, délires hystériques pour enfin sombrer dans un sommeil narcotique. Quelque part, Eamon a hâte. Derrière cette concentration sans faille se cache un léger sourire, trahissant son impatience, celui d'un empoisonneur qui va confronter ses talents à une force de la nature.

Eamon n'avait encore jamais fabriqué de poison dans un tel contexte. L'animal s'approche, menaçant, et c'est sous la pression qu'il se tient toujours plus droit, dévisage d'encore plus haut. Du bluff. Instinctivement sa main vient à sa baguette, sans la sortir pour autant : Elì aura vite fait de le mordre avant même qu'il ne prononce un sort, et il n'est pas le sorcier le plus habile.
Si c'est un animal fascinant, lui ne voit que les crocs et les yeux fous de l'animal. Ses grognements couvrent les louanges d'Evlalìa, alors qu'il finit par légèrement grimacer à son tour. Non, cela ne lui plait pas.
Ah, oui, ses parties génitales. Il fallait bien y venir.

Un regard à la magizoologiste, noir, et court ; la présence du loup l'angoisse, juste un peu.


Puis un coup d'oeil à la maudite bête qui le tend. Elle est évaluée du regard avec dédain.
Une morsure de son poison, et l'animal sera emporté avec sa paire sans aucun soucis. Et les deux aimeraient éviter ces pertes, pas vrai ?
Cela ne couterait que son silence...


Parce qu'Eamon n'a pas fini de se plaindre.
Il ne le fera pas à voix haute, et ne cherche pas à le faire pour la provoquer non plus.
Mais il est furieux. La présence du loup le stresse, et se sent insulté. Si l'envie d'être salé le démange, Ainsley a bien compris que cela ne valait pas la peine de l'exprimer d'avantage. Aucun mot, aucun soupir.
Mais l'esprit, lui, ne peut être empêché de penser en permanence.
À cet affront.
À la menace qui plane à ses côtés.
Au fait qu'il aille déjà bien vite.
Le temps que la passion pour ses propres poisons l'emportent petit à petit et reprenne de droit toute son attention. La potion avance, change de couleur... Avec précaution, il incorpore ses plus beaux poisons. Aucune réaction anormale.

Il faudra encore une quinzaine de minute à remuer, de temps en temps ajuster la couleur avec quelques ingrédients, mais ce n'était plus qu'une question de patience.
La potion est versée dans un bocal, et les cheveux d'Eamon son libérés de leur élastique.


Son regard se pose sur le loup, puis la charmante interlocutrice.


Cette proximité avec le prédateur le dérangeait déjà assez.
Pas besoin d'enfoncer le couteau plus loin, le message a été compris.

Eamon ne la quitte pas des yeux lorsqu'Evlalía gronde. Toujours à se tenir droit devant les menaces et les colères, peut-être même plus distingué qu'à l'accoutumée. La vipère ne perd jamais une miette de ses interlocuteurs perdant de leur calme, attentif aux failles et aux débordements.
Incapable d'effacer un léger sourire de ses lèvres à chaque fois qu'il trouve un nouvel angle, avec lequel jouer avec la patience de l'autre.
L'empoisonneur n'en fera rien.
Pas tout de suite.


Son sourire s'élargit, plus moqueur cette fois.


Quand elle peut lire ses pensées, pourquoi ne pas en profiter pour le dire à voix haute ?



C'est poison en poche qu'Eamon suit la magizoologiste dans ses plaines. La marche est longue, mais bientôt la bête se révèle à eux. Immense, imposante, une créature qui ne lui donne pas envie de s'approcher de trop tant qu'elle est consciente. Malgré tout, magnifique.
Sa contemplation est brisée par la vieille Evlalía, blasée par la vie et la beauté de ses créature.


Le membre préféré de sa famille, de loin.
L'empoissonneur au cœur de glace ne peut pas s'empêcher de sourire rien qu'à songer à elle, malgré le silence radio qui caractérise désormais leur relation autrefois heureuse. Jovanah Ainsley, vieille dame qui lui a tout appris, même le fiel.

Ces précieux souvenirs ne le détendant malheureusement pas lorsqu'il faut s'approcher de la créature. Evl ne le dit pas, mais Eamon sait qu'il doit faire au plus vite. Lui obéir au doigt et à l'œil, s'il ne veut pas perdre un bras lors de l'opération. Il s'approche à grands pas peu assurés, surveillant les faits et gestes de la dragonne qui meurt d'envie de s'agiter à voir un snack tel que lui s'approcher.
Et avec ce stress, il maudit intérieurement l'Islandaise. Il n'est pas fait pour le terrain, juste un atelier, elle doit bien s'amuser à le torturer ainsi. Cette frustration contrebalance son appréhension et lui donne la force de s'approcher de la gueule de la bête.
Là, il ralentit. C'est grand, un dragon, et voir d'aussi près son oeil fou le fige sur place.
Une véritable leçon d'humilité, jusqu'à ce qu'il entende presque la douce voie d'Evlalía hurler dans son esprit.
Le poison, oui.
Il sort de sa poche, et cherche un moyen d'être administré. Les soubresauts de la dragonne l'inquiètent, et donne à Eamon une énergie nouvelle : celle de sauver sa peau en forçant ce qu'il faut sa gueule ouverte, quitte à y glisser des doigts pour s'assurer que le poison s'écoule dans la gorge.
Avant qu'elle puisse cracher des flammes...
Qu'est-ce qu'il fout là, vraiment ?!
Aux grognements de protestations, Eamon reprend espoir. Il faut relever un peu la lourde tête de l'animal, mais lorsqu'il s'agit de faire vite pour mieux se tirer, il se dépêche.
Le liquide coule dans sa gorge, bien qu'elle se débat, recrachant parfois des gouttes violemment, et notamment sur lui.
Quelques pas en arrière quand il ne reste qu'une bouteille vide, qu'il laisse tomber au sol.

D'abord, une soif intense ainsi qu'une phobie de la lumière. Le cœur s'emballe, puis les délires et mouvements violents avant un sommeil narcotique.
Comment savoir quand cela va fonctionner, comment, sur une créature pareille ?  Serait-ce seulement suffisant ?
Rien que ce doute le convainc à sortir sa baguette et reculer encore. Prudent, sans le quitter des yeux.
Jusqu'à ce que la dragonne trouve la force de pousser un cri assourdissant qui fait tanguer Eamon, puis détaler vers Evlalía.
Une fois mais pas deux.
S'il survit, seulement !

Les seules félicitations que l'empoisonneur obtient d'Evlalía sonnent comme des moqueries. On n'a que ce qu'on mérite, et de toute façon, Eamon ne les entends pas, préoccupé plutôt par les bruits du dragons.
Le reste, par contre, le tire de sa torpeur et l'invite à dévisager la dompteuse de dragon.
Maman est là.

- Pardon ?? J'ai bien entendu ? Ton instinct maternel s’emballe, serais-je finalement un fils à tes yeux ?

Faut-il verser une larme sentimentale ou s'inquiéter ?
Eamon suit la magizoologiste comme son ombre. Elle s'affaire à sa blessure, et lui, admire du regard la bête. Un animal si intimidant, qui impose le respect...
Le sorcier tourne lentement autour, faisant encore attention aux signes d'activités du dragon. Puis ceux d'Evlalía. Concentrée sur la blessure, elle ne fait pas attention à lui.
Alors Eamon approche doucement sa main, frôlant du bout des doigts les écailles.
Ce sera la seule fois où il approche une telle créature.
Affaiblie par ses propres poisons, qui semble pourtant insignifiant à côté.
Une ressource vivante d'ingrédients rares et précieux.

C'est là que sa collègue prend la parole, récupère son regard dans un léger sursaut. Eamon écoute, rangeant sa main à ses côtés. À l'entendre, il comprend qu'il ne vaut mieux pas demander ne serait-ce que du sang de dragon, bien qu'il coule de lui même et qu'il serait plus utile entre ses mains que sur le sol.
C'est comme si elle avait prédit sa folie des grandeurs : à vaincre ainsi une telle force de la nature avec juste ses potions, il allait se sentir infaillible. Mais non, Evlalía est là pour détruire ses rêves et le ramener à la réalité : courber l'échine en permanence, même face à la nature.
Petit, en permanence...
C'est insupportable.
L'empoisonneur reste silencieux. Quelques pas pour s'écarter de la dragonne et il s'arrête. Sa gardienne, elle, s'approche, loin d'en avoir fini avec son discours moralisateur.
Ca parle de cette noirceur humaine, qu'il comprend parfaitement.
De son rôle même, qui contraste avec le reste.
Tout cela avec un doigt qui dérange sur son torse face auquel il ne plie pas, mais souffle du nez.

- Aller contre sa propre nature... Mais tu te rattrapes avec tes semblables, n'est-ce pas ?

Léger sourire moqueur qui passe brièvement sur son visage.
Bien qu'elle l'intimide avec son loup et lui donne des ordres à tout va, il est encore là.
Après tout, lui aussi repousse ses semblables pour se protéger.

Puis, une requête.

- Bien sûr.

Soufflé dans un soupir, croisant les bras, certain de le regretter par après.
Mais curieux : à part l'animal, qu'y avait-il à vérifier autour d'eux, dans une telle réserve ? Qu'est-ce qui aurait pu blesser un dragon, et comment ? Cela peut s'avérer intéressant à savoir...

- Vérifier quoi ?

Le soupir se fait discret. Ses yeux passent d'Evlalìa à la dragonne, aux souvenirs... chaotiques. Aucun effort pour les aider, donc. Encore du travail.
Eamon la suit, et s'agenouille près de la bête avec un peu plus de réserve que sa camarade. Cette proximité au danger volant ne le rassure toujours pas, même à ses côtés.

Mais une fois la blessure révélée, l'empoisonneur se concentre enfin. Il plisse les yeux, détaille la chair rongée comme par de l'acide et s'approche un tout petit peu plus pour mieux observer. C'est horrible à regarder, sûrement même plus douloureux à subir. Inspirant, presque.
Puis Evlalìa revient avec ses idées brillantes : Eamon doit s'approcher plus encore, et gratter ces blessures pour un échantillon.
Un coup d'oeil frustré à sa collègue;

- Tu en demandes beaucoup en une seule journée...

Forcer un poison dans la gueule d'un dragon, limite mettre ses mains dans ses plaies...
Mais elle sait comment l'appâter.
Il la fixe, hésite, puis soupire et se tourne vers la dragonne, résigné.

- Tu me fais vivre de ces aventures, Evlalìa, je te jure... Mais tu trouves toujours les mots justes pour me faire sortir de mon atelier.

Alors il s'affaire : sort de petits flacons vides, sa baguette, et doucement s'approche de la bête.

- Préviens moi à temps si elle se libère.

Hors de question de finir défiguré pour de misérables bouts de viandes fondus ! Son visage sert aussi à gagner sa vie après tout.
A l'aide de sa baguette, il vient récupérer de petits bouts de chair, veillant à être le plus délicat possible. Oubliant qu'il s'agit d'une créature brutale. Laissant plutôt les dégâts l'hypnotiser. Si cela pouvait pénétrer des écailles, quel genre de dégât cela pourrait avoir sur un sorcier ?

- J'en déduis que tu ne sais pas ce qui a provoqué une telle blessure... Ce ne serait pas un animal, alors ? Tu m'aurais fait tout un discours dessus sinon.

Cela aurait été plus simple à se procurer si ce n'était qu'un vulgaire venin. Mais si l'experte doit fouiller des souvenirs pour avoir le cœur net...
Et un troisième échantillon !
Le reste devient déjà plus compliqué à prélever.

- Je lui fais mal ?

Simple curiosité.
Dans le cas où elle pourrait le réduire en poussière... Eamon préfère ne pas mettre la dragonne en colère.