Le ministère a déjà une place toute particulière dans les souvenirs du sorcier. L'austérité et le luxe qui s'en dégageait ne lui était pas inconnu, ni à lui, ni à sa famille. Cette dernière frôle ce sol chaque jour ouvrable, et c'est sans surprise qu'Eamon ne les croise pas sur sa route, bien qu'il empiète sur leur territoire.
Qu'est-ce qui mènerait Ainsley senior à descendre du dixième niveau ? Son fils ?
Sûrement pas.
Quant à sa douce mère, insaisissable, comme jamais. Tous introuvable, à chaque fois qu'il se trouvait dans le besoin. Lui qui s'était pourtant si bien habillé pour leurs retrouvailles, sorti sa veste la plus élégante ainsi que ses bagues. Il n'y aura que Leonid Vasiliev pour l'admirer.

Aimablement convoqué dans le bureau, Eamon se lève et pénètre l'espace du président du Magenmagot.
Monsieur Vasiliev, Président Sorcier du Magenmagot. Homme pressé, homme présent lors de la convocation et lors des quelques repas entre collègues tenu au manoir Ainsley qui avait ponctué sa jeunesse. Un grand homme qu'on lui avait présenté dans l'espoir de l'inspirer à rejoindre l'ambition familiale : travailler au Ministère.
À cette époque, il ne l'avait pas convaincu.
Ce bureau, par contre...
Il prend place en face de lui, assis dignement, comme s'il n'était absolument pas dans le pétrin.

Clark Roberts. Un nom qui alimentait son imagination, désormais. Un remède miracle lui ferait un bien fou.
Peut-être qu'il l'avait insulté. Avec politesse et métaphores ingénieuses, n'insultant aucune mère sauf peut-être son éducation.
Peut-être qu'il l'avait bousculé, tiré son col à lui et susurré à l'oreille quelques visions que ce vieux riche lui inspirait, et ensuite recommandé de ne plus lui manquer de respect.
Quant au harcèlement... Monsieur Roberts a dû être si secoué qu'il a décidé de lui faire la leçon.

- Monsieur Roberts semble être d'un naturel dramatique...

Son regard, jusqu'ici posé sur le manuscrit, se pose alors sur Leonid. Un géant, dans ses souvenirs. Il n'en restait pas moins grand aujourd'hui...
Eamon se redresse dans un soupire discret, sans rompre le contact visuel, comparant un court instant le souvenir qu'il avait de Leonid avec celui en face de lui. Quelque chose semblait différent... Et s'il cachait son attrait pour le tabac, c'est raté. Immanquable.

- Je me souviens l'avoir... Insulté, et menacé, oui.

L'appel à comparaître lui avait fait froid dans le dos. Quel soulagement, quand il appris que ce n'était que l'égo d'un vieil homme qui avait été froissé !
L'altercation même ne l'avait pas plus marqué, alors une seconde rencontre... Les chances qu'il l'ait oublié également sont probables, mais pourquoi aurait-il osé le provoquer à nouveau ? Cela ne faisait aucun sens.
Prolonger les démarches administratives ne ferait que lui faire perdre du temps et de l'argent, tous les deux nécessaire pour ses propres desseins.

- Mais je crois en la justesse du jury.

Le Ministère règne tout puissant dans la demeure Ainsley. Ce serait idiot de ne pas profiter de l'idéologie étriquée de sa famille pour s'en sortir.
Ses yeux se pose sur l'augurey, quelques secondes, puis à nouveau sur le président. Pour un tel pose, il aurait prit un animal de compagnie plus... Prestigieux. À la hauteur de son charisme.

Un regard en coin déposé sur Leonid quelques secondes, le coin de ses lèvres rehaussé en un sourire entendu, c'est un court instant de complicité qu'il accorde au vieil ami de famille. Cet opinion du jury est partagé, bien sûr.

- Vous trouvez ? Il me donne l'impression que son cœur lâcherait si je ne faisais qu'éternuer.

Un plumeau vivant qui n'inspirait pas confiance. Néanmoins, il avait du mal à détacher ses yeux de l'animal.

- Il a quelque chose d'attachant, je le concède.

Il continue d'épier les mouvements de l'oiseau, écoutant en même temps le président.
Une vague moquerie au visage lorsqu'il n'est pas le seul à juger Mr. Robert excessif, soufflée brutalement pas le prix de son zèle qui lui coupe le souffle.
Chaque pas de travers lui coûtait si cher...
Il se serait levé, et dans un cri aurait balayé tout ces maudits papiers traînant sur le bureau imposant de Vasiliev, à l'aide de sa baguette, projeter le bureau sur ces belles armoires; si cela aurait été possible même, retourner toute la pièce sous le coup de l'impulsion.
Eamon reste cependant au fond de son fauteuil, lourd. Seul un tressautement de paupière fugace persiste pour trahir cette colère qui bouillonne au fond de lui.
C'est à ce moment que l'augurey s'agite, tirant douloureusement Eamon de sa torpeur.
Il garde la tête haute. Sans aucun regard adressé vers lui. Pas tout de suite.

Le silence plane le temps de sa tirade.
Et il s'étend, pendant que le sorcier cherchait désespérément une solution. Rien de ce qui était suggéré lui allait.
Dans un soupir, Eamon sort du fauteuil et ose quelques pas lents vers l'oiseau de mauvaise augure, lui laissant de la distance pour ne pas trop l'effrayer, pour voir s'il le laissait s'approcher ou non. Pour esquiver le regard de Leonid le temps de reprendre un peu d'assurance.
Bras croisé, il finit par se tourner suffisamment pour lui lancer un regard par dessus son épaule, visiblement insatisfait.

- Combien d'heures ? Quel genre de travail ?

Avec le non support familial et le salaire de serveur, débourser une telle somme serait plus que louche. Cette somme, il en avait besoin.
Ses yeux noirs se posent sur les documents en face du président.

- Que peut donc faire Mr Roberts pour être si facilement rancunier ?

Ils se posent ensuite sur Leonid, sourcils légèrement froncés alors que son esprit proposait déjà quelques pistes. Un collègue du ministère ?

Léger froncement de sourcils alors qu'il passe son regard des yeux de Leonid au dossier devant lui. Impossible de chercher lui même la réponse à cette distance. Il intériorise un soupir, avant de se concentrer à nouveau sur l'oiseau, songeant encore à la soi-disant victime de l'affaire.
Aucune information.
Rien pour venir soutenir son hypothèse sur l'homme à l'égo visiblement fragile.
Au moins, l'animal le distrait. Eamon reste suffisamment loin pour rendre son approche difficile. Il ne l'aurait pas pensé curieux... Craintif, à la rigueur, mais le voilà, à essayer d'établir le contact.
Qu'Eamon lui refuse finalement.

L'augurey n'est qu'une légère distraction balayée par ce tutoiement soudain, et le rappel douloureux de son casier. Un coup d'oeil par dessus l'épaule, vers l'ancien ami de famille fatigué.

- J'en suis bien au courant. La moindre erreur peut coûter cher...

Il avait maintenu qu'il n'était pour rien. Qu'il s'est servi dans son sac sans prendre la peine de vérifier.
Et c'est vrai, quelque part.
Il l'a juste prévu.

- Même une malencontreuse altercation non violente.

Si cette phrase avait un goût, ce serait celui de mille citrons loin d'être mûrs, d'une amertume à en faire fondre le parquet si une goûte venait à être renversée.
Il éloigne un peu plus sa manche de l'oiseau alors qu'il était presque arrivé à l'attraper.

L'accident de travail dans un pigeonnier ne le questionne même pas; c'est une insulte, que de lui proposer un travail aussi rabaissant. L'idée de passer sa colère sur le plumeau miteux qui lui sert d'augurey lui traverse l'esprit aussi lentement qu'il aime se déplacer.
Mais pas besoin : il tombe de lui même, mollement, alors qu'il n'avait pas encore retiré son bras de sa portée.
Le destin.
Leonid se lève et se précipite vers l'animal secoué par la chute, alors qu'Eamon étouffe un rire derrière sa main, observant la scène.

- Oh non...

Le sorcier se penche légèrement à son tour sur Vasily. Il lui ferait presque de la peine... S'il n'était pas tombé au meilleur moment.

- Brave bête...

Sourire douceâtre aux lèvres, il en profite pour caresser le plumage de l'oiseau.

- Il est plus costaud qu'il ne paraît.

Son regard se pose ensuite sur Leonid. Sans gêne, Eamon prend cette occasion pour le détailler du regard : moins grand que dans ses souvenirs, mais le dépassant toujours, traînant sur ces nouvelles rides et les cheveux blancs naissants, qui au final, lui donnait encore plus de grandeur et de caractère au personnage.
Plus aucun bureau ne les séparait. Pas de dossier sous les yeux pour être rappelé à l'ordre.

- Vous me semblez toujours aussi grand que dans mes souvenirs... C'est frustrant.

Un peu d'humour, même si c'est faux.
Parfois, comme récompense.
Pour ne pas penser au pigeonnier.

En voilà une façon bien étrange de témoigner de l'affection pour son animal de compagnie. Coincé sous le bras comme une marchandise. Jamais il ne se verrait traiter Amaryllis de la sorte... Mais cela lui collait à la peau.

La comparaison au frigo lui arrache un léger sourire éphémère.
C'est pas faux. C'est même impressionnant. Il pourrait commencer à décrépir, à son âge, mais il n'en est rien.
Peut-être qu'avoir cet oiseau de malheur servait à se dire "oh. Comparé à cet chose déplumée, il n'est pas si mal.".

Eamon avait changé.
Eamon s'accrochait misérablement à ses rêves de grandeurs, brisé par une bête erreur de sa part, suivie par des rumeurs. Vraies ou fausses, elles se sont chargées de son avenir.
Sa noble motivation a été remplacée par une nouvelle énergie pleine de ressentiment. Ses alliés sont devenu des ennemis.

- Vous trouvez ?

Ils avaient bon dos, les aléas de la vie.
Mais il ne laisse rien de la rage qui le consume intérieurement remonter.
Le sorcier le laisse réduire la distance, sans s'écarter. Il est peut-être qu'un étranger entre ces murs, mais même un frigo comme lui ne l'intimide pas. Ils succombent tous aux même poisons, peu importe leur taille...

- Au contraire. On se débrouille bien, seul. Lorsqu'il s'agit des autres, de leur aide ou de leur support, là, on est abîmé par leur absence.

Son regarde est planté dans le sien, de ses centimètres en moins.
Personne n'était là physiquement après son renvoi. Ni les professeurs, ni sa famille. Il n'avait revu aucun camarade de classe. Et rien n'avait changé depuis; sa famille se cachait dans les fin fonds du ministère en ce moment même, sachant qu'Eamon en arpenterait les couloirs aujourd'hui.
Qu'en savait-il, au final, de son état ?
Qu'y avait-il d'écrit dans son dossier, par une personne qui ne s'était jamais plus penché que cela sur son cas, ce qu'il en avait à dire ?
Ses yeux se détachent avec lenteur de ceux de Leonid pour se poser sur le dossier encore ouvert sur le bureau, et d'un levé de menton, souligne la présence de la paperasse.

- Qu'en disent-ils ? Vos secrétaires, de leurs bureaux, ont certainement un avis on ne peut plus pertinent sur la question.