Tu avais pris soin d'enlever tes chaussures en entrant dans l'objectif de faire le moins de bruit possible. Il était tard et, si tu savais la bêtise immense que tu avais commise en loupant le dîner journalier sans prévenir, tu ne voulais déranger personne à cette heure. Alors tu t'étais faite aussi petite qu'une souris et tu avais rasé les murs en priant fort que les tableaux farceurs toujours accrochés au mur ne te balancent pas.

Mais tu aurais dû te douter qu'il leur était impossible de se taire, pas vrai ? Tout comme dans cette maison il t'était impossible d'échapper au maître qui la dirige. Il te surprend d'ailleurs, son arrivée tellement discrète que ce sont ses premiers mots qui t'arrachent un sursaut brusque et un couinement de peur que tu camoufles au mieux d'une main devant ta bouche.

— Père !

Il te semble salement en colère et tu ne sais plus ou te mettre. Prise sur le fait, la faute est si grande et ses commentaires si cinglants que tu ne bronches pas. Tu te contentes de triturer tes doigts et de baisser les yeux. Tu as perdu ton portable ?

— Non je-

Tu passais une soirée si bonne que tu n'as pas pensé à le consulter. Ce n'est qu'après, à la fin quand l'inquiétude et la panique ont ressurgit d'un seul coup que tu as pu constater les dizaines d'appels et de sms de tes frères et soeur. C'est la cata. Il doit tellement t'en vouloir que tu seras punie pour le reste de ta vie. Et puis que vont penser les autres ? Tu ne vaux déjà pas grand chose à leur yeux... Aux siens non plus d'ailleurs. C'est pas vrai t'as encore tout gâché.

La sensation de ton coeur qui se serre alors qu'il mentionne ta soeur. Wednesday l'exemple parfait, elle le vaut bien après tout ! Toi tu n'en es qu'une pâle imitation et même en faisant tous les efforts du monde pour lui ressembler tu te foires lamentablement. Tu as déçu ton père, Saturday, et la pensée te noue l'estomac. Soudain t'as la nausée et les larmes qui montent aux yeux. Mais tu ne pleures pas. L'humiliation serait trop grande pour lui, tu ne peux pas le décevoir encore plus pas vrai ?

— Je suis désolée, père.

Tu forces plus qu'il n'y paraît pour ne pas laisser trembler ta voix. Lève ton regard pour trouver le sien parce que tu sais qu'il ne supporterait pas l'inverse. Alors même s'il se fait fuyant, il revient toujours à retrouver celui de ton père. Et son expression te glace le sang.

— J'ai passé la soirée avec un ami- ce n'était pas prévu- ! J'ai. Euh... J'ai complètement oublié de prévenir je suis vraiment désolée.

Qu'il te pardonne, qu'ils te pardonnent tous.

— Ça ne se reproduira plus.

Tu n'es pas une mauvaise fille, n'est-ce pas ?
Tu n'es pas une mauvaise fille Saturday.

L'indécence avec laquelle il t'imite comme pour se moquer de toi t'arrache le coeur. T'as envie de vomir et de pleurer en même temps, envie d'hurler -les pensées qui s'emmêlent pour te faire remémorer ce fameux soir sur le toit avec Friday. Et si ? Et si tu recommençais Saturday ? Tu ne peux pas leur faire à tous plus de mal que ça, pas vrai ? Tu ne peux pas continuer de les rendre malades par ta seule présence et-

— Je suis désolée.

C'est murmuré doucement, le regard fuyant partout ailleurs parce que tu ne peux plus supporter toute cette déception dans les yeux de ton propre père. Tu n'as pas vraiment écouté ce qu'il a dit, trop concentrée à tenter de simplement respirer. T'es terrifiée de constater qu'on te pointe une nouvelle fois comme un échec, terrifiée surtout de savoir que cet échec là est plus que mérité. C'est vrai ça, après tout tu n'avais prévenu personne. Personne. Pas même ton propre père. Et après tu t'étonnes qu'il s'énerve ?

Lorsqu'il te questionne soudain sur ce fameux ami avec qui tu as passé la soirée, tu sais encore moins ou te mettre. Les mots bloqués à ta gorge à cause de la panique et de l'hésitation, tu lances un regard affolé à ton père tout en réfléchissant à quoi répondre. Devais-tu seulement lui mentir ? Viktor risquait des ennuis non ?

— Je- Il- ... Je sais pas je-

Oh mon dieu.
T'as les mains qui tremblent mais ça ne se remarque pas vraiment tant elles sont crispées sur tes avants-bras, tes ongles enfoncés dans ta peau. Tu prends une grande inspiration, la plus grande que tu puisses et tant pis si elle est bruyante, qu'il l'entend et qu'il se moque encore ! Tu ne lui laisses de toute façon pas le temps de réagir tellement tu te forces à parler pour tenter de le contenter.

— Vik-tor- Il s'appelle Viktor.

T'as des hauts le coeur et tu bafouilles c'est atroce.

— Solheim- Viktor Solheim. Il est auror.

Dans tes yeux la crainte qu'il y fasse une excursion dès l'aube demain.
Tu vois Saturday tous les problèmes que tu causes encore ?

— Il voulait simplement fêter avec moi l'obtention de mon DEMA ! Père s'il te plaît-

S'il te plaît ?

Tu laisses ta phrase en suspend.

Baron hausse le ton et sa voix porte bien plus loin, tu sens qu'il perd patience et tu crispes alors un peu plus encore tes doigts sur tes avants-bras. Retiens une grimace violente à la douleur fulgurante qui te prend tout à coup mais qui te permet de te recentrer sur ton père. T'as retenu un pas en arrière quand il s'est mit à hurler, et même si tu n'as finalement rien fait, rien que cette intention te vrille l'estomac. Pourtant tu restes droite, malgré les fourmis dans les jambes et le vertige qui te prend. Il est léger, sûrement dû à ta respiration que tu peines à contrôler. C'est saccadé, faible pour ne pas trop le gêner, irrégulier. Tu te forces à trouver de nouveau son regard.

— Non. Vous avez raison père. Je n'ai aucune excuse, j'aurais dû prévenir de mon absence au dîner.
(tu aurais dû venir, surtout)

Prononcer chaque mot te demande une énergie considérable alors tu le fais clairement mais doucement. Tu prends le temps pour chacun d'entre eux de ne pas faire trembler ta voix et de retenir tes larmes. Entre, tu t'arrêtes simplement de respirer. Puisque le reste n'a pas fonctionné c'est ta dernière option pour ne pas plus lui faire honte.

Tu lui parles de Viktor et il ne semble pas apprécier. C'est vrai que ton père ne porte pas les auror dans son coeur, moins encore depuis que ton frère Friday en est devenu un. Il te mentionne d'ailleurs, comme une évidence (pourtant pas si évidente) et tout de suite tu l'arrêtes.

— Quoi ? Non !

Non non non Friday n'a rien à voir avec ça, tu refuses qu'il se fâche avec ton frère à cause de ça.

— J-J'ai rencontré Viktor à Poudlard, nous sommes amis depuis longtemps.. Friday n'a rien à voir avec ça.

Et d'une voix plus hésitante tu le questionnes ensuite, en proie à des craintes que tu peines à retenir.

— Est-ce que cela pose un soucis ?

La prochaine fois tu te tairas.

Lorsqu'il s'apaise tu retiens un soupir de soulagement. Contrarier ton père restait l'une des choses que tu détestais le plus au monde, mais tu semblais étrangement très douée à ce petit jeu. Parfois tu voudrais le voir sourire un peu, mais Baron est un homme occupé. Il n'a pas le temps ni pour ça, ni pour vous et tu le sais. Tu l'acceptes par manque de choix et tu vis avec aussi bien que tu le puisses, en tentant de le ménager.

Alors qu'il parle de toi comme d'un investissement tu ne peux pas t'empêcher de baisser les yeux. Si ton coeur s'apaise lentement et que tu n'es pas particulièrement triste de cette réalité, tu te sens déçue. Tu culpabilises de l'être, d'être aussi ingrate envers celui qui t'a tout apprit. Puis le sujet dévie sur Viktor -tes joues prennent une teinte rosée de surprise à sa question.

— Non, non pas du tout.

Si tu savais tu aurais prié que la lumière soit assez faible pour qu'il ne te voit pas rougir ainsi. Le malentendu serait si ridicule que t'en aurais sûrement paniqué pendant une semaine au moins, sans plus oser le regarder.

— Viktor est seulement un ami, père.

Tu insistes sur ce point, même si tu bafouilles un peu.

— Je ne me plaît pas à transgresser les règles, tu sais.. J'ai commis une erreur ce soir. Et je n'ai pas- Je n'ai pas ce genre de relation avec Viktor.

Tu fais la moue, avant de reprendre plus bas.

— Avec personne d'ailleurs.

Au cas ou il poserait la question.