Le nez dans un verre, assis face à une table qui n’est remplie d’aucune autre présence que la sienne, Attila soupire. Il ne boit jamais, et encore moins seul, pour la simple et bonne raison qu’il déteste ça. Risquer perdre le contrôle de lui-même, c’est quelque chose d’impensable.

Pourtant, ce soir, c’est différent.
Ce soir, c’est l’anniversaire de la disparition de ses parents.

Il ne les a pas beaucoup connus, pris en charge dès ses quatre ans à la suite de leur décès par ses grands-parents, mais connaître la date et avoir quelques vagues souvenirs flous est suffisant. Il est en deuil, Attila, et cela fait déjà plus de vingt ans. Vingt ans passés à les manquer. Vingt ans passés à chercher comment les venger. Vingt ans passés à s’entendre dire qu’il doit être droit, grand, fort, parfait.

Ses doigts se serrent sur le verre dont il boit une nouvelle gorgée. C’est ignoble, mais la brûlure au passage de l’alcool lui fait du bien. Il en veut encore. Il veut oublier, arrêter de penser, ou bien continuer, qui sait ? Il ne sait plus. Son verre est vide, il lève les yeux pour croiser le regard d’un serveur, mais ce qu’il voit, au travers des carreaux de la fenêtre, c’est toi.

- Hyperion.

C’est à peine s’il pense à sortir quelques mornilles qu’il balance sur la table, déjà élancé dans la rue pour ne pas te perdre des yeux. Cette silhouette, la tienne, il la reconnaîtrait n’importe où. Comment avez-vous fait pour vous manquer durant toutes ces années ? Comment a-t-il fait pour être si aveugle ?
Tu étais là.
           Tu es là.
                     Tu es vivant.
Tu es vivant.
Tu es vivant !

                              Et il est fatigué de laisser partir les vivants, Attila.

Ses doigts agrippent ton épaule, mais au même instant, il se souvient. Le flou de l’alcool lui laisse apercevoir ton visage comme celui d’un fantôme, celui d’un souvenir qui l’a presque tué, celui d’une bête qui a pratiquement achevé son frère. Noah. Noah. Tu es Noah, maintenant, c’est ça ? Non. Oui. C’est faux. C’est impossible. Est-ce que tu vas le tuer ?

Ses yeux sont figés à toi, sa gorge nouée. Détresse dans le bleu de ses pupilles, il ne sait même plus comment réagir. Il ne sait plus s’il doit être heureux, s’il doit être dégoûté, s’il doit crier, s’il doit pleurer. Vivement, ses doigts se rétractent pour cesser de te toucher, mais quelque part son cœur s’en veut immédiatement.

- Hyperion.

Dans un souffle qui s’estompe.
Il ne sait plus ce qu’il fait. Il ne veut pas que tu disparaisses. Est-ce que c’est bien toi ? Est-ce que tu as bien torturé Atlas ? Est-ce que tu vas le tuer ? Est-ce que tu vas le mordre ? Est-ce que tu as le droit de respirer ? Pourquoi tu l’as laissé ?

Pourquoi tu l’as laissé, Noah ?

- C’est toi.

ft. @H. Noah Priest | Juillet 2032

La menace qu’il lit dans ton regard au moment où tu te retournes lui noie l’estomac. Ton aura est meurtrière, tu le regardes comme si tu pouvais l’enterrer d’un coup d’œil. Est-ce toujours ainsi que tu l’as fait ? Était-il si aveugle, il y a de ça plusieurs années ? Ou bien devenir une de ces sordides créatures t’as réellement transformé ?

Ses lèvres se figent, tes questions sont si crachées qu’il ne sait même pas quoi dire. Comment t’a-t-il retrouvé ? C’est très simple : il ne t’a tout simplement pas cherché. Il était là, Attila, à noyer les relents d’un passé sans personne pour l’épier, et tu t’es contenté de passer. Un heureux hasard, pourraient dire certains. Mais à voir ta tête, on ne pourrait peut-être pas qualifier celui-ci d’heureux.

Piqué au vif, il sort de ses pensées au moment de se faire insulter.

- Mon air de meuf désespérée t’emmerde.

Il serre les dents. Il vient de faire une connerie, pas vrai ? Est-ce que tu vas sauter à sa gorge ? Est-ce que tu vas le terminer ? Il ne te connait plus, au fond.

- …

Son regard se détourne, tique à l’orée de ses lèvres.

- Tu fais chier. T’es vraiment toujours le même con.

Qu’est-ce que tu fais ?
((Où tu étais ? ))
Tu l’as vraiment torturé ?
((Tu l’as vraiment oublié ?))
T’as vraiment changé ?
((T’as jamais eu envie de demander de l’aide ?))
T’as jamais donné de valeur à votre amitié ?
((Il t’a jamais manqué ?))

Tout s’embrouille dans son esprit. L’alcool, la fumée qui s’élève pour altérer son jugement et ses pensées, ton visage superposé à celui d’Atlas, à celui d’Ezra, à tous ceux qui peuplent cette foutue terre. Il soupire, les poings serrés au moment de nouveau te regarder.

- Tu t’es jamais remis en question, pas vrai ?

ft. @H. Noah Priest | Juillet 2032

Il t’observe, il tente de se faire plus grand qu’il ne l’est. Tu n’as pas la palme de la hauteur, pourtant de vous deux c’est toujours toi qui gagnes. Ta prestance, l’imposance de tes muscles… Si tu le voulais, Noah, tu pourrais certainement le briser. Et tu n’aurais d’ailleurs même pas besoin de tes bras pour cela, tes mots pourraient suffire.

Tu demandes s’il ne s’amuse pas à faire ta psy, ça aurait pu le faire ricaner s’il ne s’était retrouvé avec ta main enroulée à son col. Ses pieds décollent de terre, il s’agite un court moment avant de cesser. A ce jeu, contre une créature telle que toi, il ne gagnera pas. Il n’est pas suffisamment stupide pour l’oublier.

- Ce que je viens foutre là ?

Finalement, le ricanement. Il n’aura pas réussi à le contenir.

- Excuse-moi d’exister ? Est-ce que cette partie de la ville t’appartient ?

Il ne peut pas s’en empêcher, la frustration et la colère se transforment en venin à ses lèvres. Tu parles d’Atlas, tu le traites d’assassin, automatiquement l’envie de t’emmerder étouffe la peur naturelle de ses veines. Il sourit, le coin des lèvres étiré quand ta poigne se resserre. Il refuse de croire que tu vas le tuer. Tu ne vas pas le faire. Tu ne le feras pas, Noah, pas vrai ?

- J’en sais rien, t’aimerais que je te la foute à l’envers ?

Il sourit, mais c’est douloureux. Ta poigne est forte, ses pieds ne touchent toujours pas le sol. Ça a l’air si simple de le soulever, une partie de lui en est presque vexée.

- Tu veux parler de remise en question ?

Son rire se meurt à sa gorge compressée. L’alcool le rend plus brave qu’il ne l’est.

- Tu veux qu’on parle de celui qui a joué au mort pendant des années, celui qui a ignoré ses amis, celui qui a préféré les laisser chialer ? Tu veux qu’on parle de celui qui a préféré baiser des hybrides et vivre de méfaits plutôt que de faire confiance à ceux qui ont toujours répondu présents ? On peut en parler, tu sais. Aux dernières nouvelles, ce n’était pas moi, Hyperion.

Il déglutit, c’est difficile. Ses yeux plantés à toi, le dégoût mêlé de colère et de tristesse. Putain, Noah. Si pouvais savoir ce qu’il a eu mal.  

Si tu pouvais deviner comme il t’aimait.

ft. @H. Noah Priest | Juillet 2032

Ton hurlement lui coupe le souffle l’espace d’un instant. Parce que tu fais peur, tu sais ? Tu fais mal. Ton existence le fait souffrir, Noah. Tu as détruit Hyperion, tu as pris sa peau et sa place. Tu n’avais pas le droit. Tu n’avais pas le droit, et pourtant tu te tiens là. Tu respires quand son souffle se coupe, la douleur irradiant de sa joue où ton poing s’est enfoncé.

- PUTAIN !

Sa main sur la joue pulsante, les dents serrées de colère tandis que tu t’exclames au-dessus de lui. Il ne comprend que la moitié de tes mots, parce que la douleur et la colère prennent le pas sur tout. Il entend que tu as été mordu. Il entend que tu aurais dû mourir. Mais tu es mort, Hyperion. Tu es bel et bien mort cette nuit-là.

- TU AURAIS D-..

Mais son cri coupé quand ton pied lui tort le souffle. Il se recroqueville pour se protéger, de tes poings, de tes pieds, de tes mots. Il ne veut pas entendre tout ça. Il ne veut pas savoir. Il ne veut pas savoir qu’Atlas est à l’origine, alors qu’il est le seul à avoir été là tout au long des années. Il est le seul à ne pas l’avoir abandonné. Et il t’a fait du mal. A toi. Il t’a fait du mal. Non. Non, non, non.

NON

Il a envie de chialer, tout s’effondre, mais la fierté l’en empêche. Alors il encaisse, il avale tes paroles pleines de haine et de vérités, il serre les dents et peu à peu fait glisser ses doigts jusqu’à sa ceinture. Jusqu’à sa baguette. Au moment de tes dernières paroles, il la pointe vers toi.

- Flipendo !

Tu voles suffisamment loin pour qu’il puisse reprendre son souffle et se lever sur un coude. Les sourcils froncés, le visage fermé. Pourtant au fond, putain qu’est-ce qu’il a mal. Putain, Hyperion, pourquoi tu lui fais toujours aussi mal ?

- Tu ne m’as jamais laissé de chance.

Il se dresse sur les genoux, sa voix trop basse monte de plusieurs crans.

- TU NE M’AS JAMAIS LAISSE DE CHANCE !

Il ne parvient plus à garder contenance. Il n’aurait pas dû boire, mais il ne pouvait pas douter qu’il tomberait sur toi. Qu’il te suivrait, attiré comme un papillon vers la flamme. C’est trop tard.

- Tu m’as toujours regardé de haut, Hyperion. Tu m’as toujours pris pour quoi, exactement ? Un animal de compagnie ? Un mignon petit pote à qui tapoter le front quand ça t’arrange ? J’ETAIS QUOI PUTAIN ?

Pas suffisamment important.
Jamais.

Et ça le tue, d’en prendre conscience. C’est une claque, une douleur toute autre que celle des marques de ton poing sur son visage.

- TON HYBRIDE TE TRAHIRA TOT OU TARD !

Alors que lui, si tu lui avais laissé sa chance, il n’aurait jamais fait ça.

ft. @H. Noah Priest | Juillet 2032