la vie a été dure,
et elle l’a tant puni.

sans relâche, comme pour lui apprendre à toujours retenir son souffle
le corps inerte dans les vagues, attendre la noyade.


d’une famille sans amour à la peine de coeur qui le brise
d’une dévotion sur laquelle il ne pourrait jamais mettre de mot
au plus grand échec de sa vie

comment
soutenir le regard
de l’ami que lui-même
avait trahi ?

« j’ai l’air fier ? »

ses mots répondent sans qu’il n’y pense
quoi qu’on lui dise
jamais il ne laisserait quiconque croire
que ses actes lui ont inspiré le moindre amour-propre.

« j’ai l’air libre et heureux ? j’ai l’air de prendre le soleil ? »

ses accusations débordent de colère et il ne peut la renier
mais se refuse à l’accepter sans broncher
le poids du monde avait toujours été sur ses épaules
et sa peine, jamais il ne la trahira.

ses yeux enfin cherchent à trouver
ne serait-ce qu’un souvenir
un reyn sans haine
pour lui

pourrait-il
exister, aujourd’hui ?

il soupire, détourne son regard,
se morfond presque dans sa chaise pour se faire le plus petit
un carré de sucre emballé dans les mains
pour occuper ses doigts tremblants.

« tu penses que la prison c’est une colonie de vacances ? chaque noël quand toi tu t’en allais voir tes parents, les miens me considéraient déjà mort.
tu as apprécié ta liberté, tout ce temps ? comme je t’envie. la mienne je ne la reverrai jamais.
j’ai le gouvernement qui me trace, je dois justifier le moindre de mes déplacements. rentrer en france ? un concept que je peux oublier pour toujours.
et le bonheur ! ah, reyn, le bonheur ! j’aurai du mourir dans ma cellule, pour être heureux ! et c’est fâcheux, vois-tu, je n’ai même pas de quoi me payer une baguette pour mettre fin à mes jours.
libre et heureux ; rien que ça... je t'avais pas entendu dire des conneries depuis longtemps tiens. »

la rage au fond de la gorge
le remord au fond du cœur

quelques grains de sucre sous les ongles
le papier qui l’enveloppait, détruit en poussière ;
il jeta ce qu’il en restait sur la table qu’ils partageaient

« j’aurai jamais dû te revoir. »

il n’avait pas besoin de son vieil ami
pour lui rappeler
l’inutilité complète de son existence.

malgré la haine
la douleur
la colère
il n’y avait véritablement plus aucune retenue
entre leur âmes
car après tout

malgré l’absence et la trahison
ne restaient-ils pas
deux amis perdus ?

face à lui il avait
un homme, dont il connaissait tout
jusqu’à
l’étendu de sa fureur, et pourtant
il ne pouvait plus
le prendre dans ses bras
rire de ses peurs
jauger sa patience

tout était si
brûlant
il pense alors ne plus jamais se risquer
au moindre contact

et c’est pour cela
que soutenir son regard
était une torture ardente.

« arrête. »

il n’a rien vendu il n’a rien donné pour mort
il le sait
la seule chose qu’il avait sacrifié
toutes ces années durant
c’était sa propre vie
qui n’avait ni valeur, ni sens

errer comme un mort dans l’attente du lendemain
comment le laisser croire que c’était ça ; vivre ?

« à ce que je sache crow est toujours libre
tu, es toujours libre. j’ai vendu personne
si ce n’est moi-même
et ma pseudo liberté, comme t’aime l’appeler.

toutou du ministère ? tu tiendrais même pas une semaine
à devoir rapporter sans cesse où tu vas
qui tu vois
ce que tu fais
pourquoi tu le fais.

ce café, là, » il empoigne sa tasse, le lui tend avec rage
en tremblant il s'ébouillante les phalanges mais il ne fléchit pas

« je risque tellement,
et c’est pour me faire insulter ?
j’ai pas besoin de toi pour savoir
à quel point je suis un misérable vaurien
dont la mort prendrait grand soin.

le fuyard, le lâche, celui qui n’a pas assumé ses idéaux
c’est celui qui a vécu en toute liberté
alors qu’il m’entrainer à lancer des sorts qu’on était pas censé pratiquer. »

il repose le café qu’il a à peine toucher
secoue vivement sa main pour avoir un semblant de fraîcheur ;

tout était
feu
entre eux.

inspirent, ses poumons qui chaque jour prenaient cet acte si simple
comme un supplice,
et puis il expire, soupirant sans honte

face à reyn
jamais il n’avait su
garder en lui, tout ce que son coeur
crevait à dire.

« tu sais rien de ma vie, reyn.
quand j’ai échoué, tu m’as abandonné.
quand j’ai été amené au tribunal, tu m’as abandonné.
quand j’ai croupis en prison, tu m’as abandonné.

il a fallu que je sois libéré pour que tu te dises que mon existence
méritait bien un peu de ton amertume ?

merde. t’as vie a du être bien fade
les trois années où j’ai disparu. »

comment se taire face à celui
en qui la confiance avait été promise comme éternelle ?

le passé ne voulait plus rien dire
tant la rancoeur avait été bouffée par leur idéaux

et les enfants, alors
étaient bels et bien morts
avec les sacrifices d’antan.

il rit.
c’est assez rare pour le noter ; il rit

ce n’est ni joie ni amusement
mais c’est un rire qui veut vivre malgré la haine et les remords

c’est un rire qui veut dire
que ce qu’il entend pourrait bien être une blague
il en serait ravi.

« crow n’est pas mort,
crow n’est pas mort… »

se chuchote-t-il, un sourire malicieux
le corbeau, déchu ?

renard n’y croyait pas.
c’était étrange parce que d'amertume pour lui, il en était empli,
mais l’imaginer sans vie,
il fallait être fou ?
s’il n’était plus, pourquoi le surveillait-on ?

que craindre de lui ?
si ce n’est qu’il retourne se couver sous ses ailes, ah
renard le sait.
il n’est pas mort.

les accusations de reyn sur lui
il mord sa lèvre inférieure
veut retenir cette rage qui bouillonne en lui depuis trois ans

craquer aujourd’hui
craquer pour lui ?

son regard le fuit comme la peste
il a peur qu’en un coup d'oeil
son cœur s'épanche sans pudeur.

« la ferme. »
ça lui échappe et pourtant il parvient à être encore un peu poli
mais dieu qu’il ne pouvait plus entendre
ces mots de gloire ces mots de succès

lui qui n’avait jamais voulu devenir un héros
ni pour leur folie, ni pour la justice.

« le ferme reyn.
je veux plus t’entendre.
tu veux quoi ? que je m’excuse ?
de quoi ? d’être un boulard ? un incapable ?
je crois que j’ai assez payé pour ça.
alors quoi ?

reyn on était des gosses
perdus
endoctrinés dans des idéaux qu’on comprenait à peine.
on a fait les mauvais choix, j’ai payé pour tout le monde.

maintenant dégage, va,
profite de ta vie, le passé ne te fais aucune misère
moi j’ai toute une vie à rebâtir,
seul, avec juste moi pour compagnie.

arrête de pleurer pour ce corbeau de malheur,
dès que ça a capoté il a disparu en laissant tout le monde derrière lui,
pourquoi tu t'emballe pour la mémoire d’une pourriture ?
laisser des gosses tuer quelqu’un. faut vraiment être cinglé.

mais continue de penser que c’est moi, le mouton noir,
si ça peut te faire plaisir,
si ça peut te faire taire.

si tu restes encore à cette table c’est pas de la colère que t’as contre moi
c’est une fascination morbide, va te faire soigner.

tu m’as pas manqué.
voir ta tête me rappelle juste qu’on était des crétins.
si t’es bloqué dans le passé c’est ton soucis, pas le mien. »

la violence du passé les habite
et elle ne les a jamais quittés.

que ce soit sa volonté abstraite de vouloir vivre
ou la rage intense des actes qu’il doit maintenant subir

un café chaud au visage
sa chemise imbibé
sa colère renforcée

reyn se lève pour le surplomber
comme s’il avait peur que ses mots n’aient pas assez d’impact
mais quel ignare !

l’entendre, imposer ses diktats, sans lui laisser
ni répit ni choix,

quand cela cesserait-il enfin ?

pas une seconde ne défile sans qu’il crache sa fureur
les regards curieux des inconnus qui voudraient se faire une place dans l’intimité de leur conflit
renard fronce les sourcils
se découvre plus expressif en une rencontre
qu’en toute une vie
il se lève alors, lui aussi

se retient de renverser la table,
il respire fort, se contient

mais quand tombe sur lui la menace
son bras se lève, son poing se ferme
son visage est dur, crispé, ses muscles aussi

et pourtant
pas un mouvement
ne se fit.

pas un coup, ne sera porté.

parce qu’il ne peut frapper
le souvenir de son ami
quand bien même un ennemi lui faisait face
il y avait
dans ses yeux

le reflet d’autrefois.
les rires, les sourires
le soutien inconditionnel
les secrets avoués,
les sentiments qu’il avait osé partager

sa peine son espoir

comment
le briser ?

« ah. c’est ça ?
tu vas me coller aux basques, me chuchoter que je suis qu’un échec ambulant ?
que j'aurais pu rendre ton monde meilleur, en y laissant ma vie ?
merde, reyn, je suis si triste d’être encore vivant.
tu te rends compte ? moi qui aurait pu crever en prison,
simplement pour que tu vives dans un hypothétique avenir séduisant.

woaw. » il souffle, un sourire au coin des lèvres.

« c’est beau l’amitié.
si j’avais su que t’attendais de moi le sacrifice ultime…
et dire que pendant toutes ces années,
j’avais une pensée pour toi.

je me demande qui de nous deux est le plus ridicule.
toi qui échangerais ma vie pour des idéaux,
moi qui ai survécu dans l’espoir insipide que tu m'accueilles encore. »

ses jambes fléchissent, il se rassoit, maladroit
tout son corps tremble,
il essuie avec peine sa chemise qui empeste,
ignore les regards intrusifs

ça il en avait l’habitude, de toute façon.

« le côté pratique c’est que tu me dois une chemise ;
et ça tombe bien, j’ai pas les moyens d’en avoir plus que trois. »

lève un doigt pour commander au serveur un nouveau café.

« maintenant que je sais que t’attend que ma mort
c’est drôle, j’ai plus aucune affection pour toi.
tu ne m'amuses pas. tu ne m’effrais pas. tu ne me fais ni chaud ni froid.
du dégoût ? même pas.

j’ai face à moi un espèce de malade qui reste figé sur le passé.
merci reyn. tu me donnes envie d’avancer,
je crois. »

étrange était leur rage
car elle vivait, s’épuisait, s’endormait un instant, toujours attentive pourtant

ils pouvaient hurler, la seconde d’après chuchoter
il y avait tellement à dire, tellement à retenir
tellement de chose s’était passées, en trois ans
comment ne pas se précipiter, pour tout exprimer ?

même s’il s’en voulait, de ne pouvoir en pleurer
c’est que son chagrin était agressif, quand il était pour un autre

ses peines à lui, il les gardaient silencieuses et doucereuses
elles coulaient sur ses joues la nuit tombées

mais les coups, eux,
ne pouvaient pleuvoir sur le corps de reyn
parce qu’il refuse
un crime nouveau.

« tu te contredis tout le temps. »

il récupère le mouchoir jeté,
essuie sans prétention son col,
se trouve ridicul ; avec un peu de magie, tout serait propre
et puis il le range, dans sa poche,
silencieux

garde ce présent
son tout premier souvenir avec le reyn d’aujourd’hui.

« les blagues sur mon nom ne sont toujours pas drôles. et c’est moi qui parle comme un abruti ? reyn. »

il fond, très légèrement, dans son siège ;
regarde aux alentours.

« je suis pratiquement sûr que chance me surveille, de près ou de loin. comment est-ce que je vais justifier tes conneries ?
est-ce que je dois prévenir que reyn shepard est un fervent activiste
militant pour la vie, la libération, le pouvoir de the crow ?
et qu’il a bousillé ma chemise parce que j’ai défendu notre nation ? »

ses yeux se portent alors sur lui
et il peut lire, dans son regard de renard blessé
que sa menace n’aura aucun avenir
qu’elle n’est qu’hypothétique,
car il est incapable de lui souhaiter le moindre mal.

« tu vis dans un univers d’illusions, c’est outrageant.
regarde toi. ça te parait stupide parce que tu n’es pas proche du ministère, j’imagine,
c’est vrai que c’est différent pour moi, après tout.

mais arrête. grandis.
j’ai peut être mûri en prison toi tu n’as vraiment pas gagné en maturité. un gosse en colère, c’est tout ce que tu es. » il joint ses mains, pose ses poignets contre ses cuisses.

renard n’inspire ni menace ni avenir.
renard n’inspire rien. renard voudrait disparaître.
sans qu’il disparaisse avec lui.

« je ne me sacrifierai pas pour toi.
et je suis désolé si ça te parait absurde.
pourtant je ne te dénoncerai pas non plus.

j’imagine que je pourrais avoir plus d’aisance et de liberté,
si je donnais d’autres noms. mais pourquoi faire ?
pourquoi est-ce que je choisirai mon confort au dépend du tiens ?

tu veux un scoop ?
finalement j’ai pas changé non plus.
et je vais continuer à prétendre que tu n’existes pas
si ça peut te permettre de continuer ta petite vie simplette.

tu peux toujours essayer de gâcher la mienne,
c’est peine perdue, et tu le sais.
j’attend que la mort ;
j’ai juste pas le courage de lui donner rendez-vous. »

il sait, renard ne l’ignore pas.
mais jugé innocent ?
il regarde la tasse de café les rejoindre,
y trempe ses lèvres
d’ailleurs il se rend compte d’à quel point
les mouvements sont inconfortables
dans une chemise humide à l’odeur amer.

mais il ne relève pas,
écoute, observe
la baguette qui rejoint la table
alors il grimace, comme éprise de dégoût,
déposant sa tasse, la gorge nouée.

cela faisait bien longtemps
qu’il n’avait pas vu d’aussi près
cette immondice de sorcellerie en bâton.

« range ça… » chuchote-t-il
conscient qu’il se fiche bien de ses ordres

ses sourcils sont froncés et ses yeux semblent obsédés par la baguette
comment ignorer ce qui l’a conduit en prison ?

« j’ai jamais voulu t’ignorer
j’ai cru que tu viendrais en ami, c’est tout
pas que tu te serais présenté comme fervent défenseur de nos crimes passés…
range ça reyn. »

son visage montre la baguette,
son air de répulsion se transformant doucement en peur contrôlée

« tu sais que je suis incapable de m’en servir,
et je sais que tu es incapable de me tuer.
range ça par pitié,
on nous regarde déjà bien assez. »

il est pétrifié incapable de défaire son attention toute entière de cette chose
qui menace passé présent et futur, il
a le coeur qui bat trop vite
les muscles qui se crispent

il déteste
déteste
déteste
DÉTESTE
LA MAGIE.

c’est elle qui le tuera.

« range cette arme par pitié. »

se satisfait-il de le voir
complètement traumatisé par ses erreurs ?

il entend les critiques
entend la moquerie

ses mots sont crus,
reyn a toujours su contraster
sa pensée se délivre sans filtre
ses sentiments sont purs même dans la laideur

renard lui, depuis toujours
parlait avec des termes que, parfois, il ne comprenait pas.
parce qu’on voulait de lui qu’il se détache
qu’il brille, sans pour autant lui donner la moindre valeur

et si les années passent
les coeurs restent inchangés

s’il fermait ses yeux à cet instant
il entendrait le même loubard d’avant
la voix plus grave, surement oui,
mais fidèle à lui-même.

« t’es inlassablement provoquant.
parler pour rien dire, c’est ce qui te résume bien. »

la baguette rejoint son propriétaire
et il souffle, comme apaisé

cet idiot ne se rend pas compte, et comment lui en vouloir ?
les traumatismes de la prison, il ne les a pas vécu

il peut faire l’insolent,
il demeure un ignorant.

qu’il continue à faire l’enfant
renard pour la première fois de sa vie peut-être
se sentait assez adulte pour ne pas perdre les pédales.

il reprend une gorgée de son café, noir,
joue avec le sucre dans une main,
prétentieux au possible, peut-être bien parce que face à lui

il ne pouvait plus rien perdre
(tout avait déjà sombré)

« laisse moi un peu de temps,
tu verras bien. quelques années me suffiront
pour te prouver qu’avec la haine on n’avance pas.
tu peux me saboter, non,
tu peux essayer.

mais si c’est à moi qu’on a demandé de faire l’impossible
c’est parce que c’est en moi qu’on a vu du potentiel. »

pas le sorcier le plus puissant non ça c’est sûr
mais le coeur le plus déterminé
ça on ne pouvait le lui voler

après tout
il vivait encore
malgré la mort qui l’aspire jour et nuit.

l’arrogance à son sommet
comme une carapace pour se protéger de tout ces reproches
qu’il ne pouvait nier.

alors qu’il s’exprime il prend conscience,
étrangement,
que reyn n’est plus ce jeune garçon
à l’ambition désinvolte
non, c’est bien plus que ça, à présent
son ambition est devenue
un train de vie.

leurs provocations, qu’il pensait presque enfantines
avaient une portée bien plus intense
qu’il ne le pensait, au tout début.

en quelques instants il comprit
qu’il était véritablement devenu un danger

et que s’il s’était permis, aujourd’hui
devenir le menacer
c’est que ses intentions
étaient sincères.

presque inerte ses pensées happées par ces révélations sincères
il fait face à son pire ennemie,
ne le comprend que trop tard

et quand il se lève, jetant ses pièces
le renard effronté aurait ramassé chaque gallion
pour les lui balancer

mais le renard alerte
lui
garde son calme,
une sorte de
boule au ventre.

alors qu’il s’éloigne, il ose, de sa faible voix d'âme déchue
parce qu’il sait
qu’il n’entendra pas,
ou bien qu’il ne voudra pas l’entendre

c'était
une sorte de mise en garde
mais pour lui-même

« à bientôt, reyn. »

alors il faut grandir plus vite,
et plus fort,
renard
pour faire face
à l’avenir qui le défi.

vivre était-il vraiment
le meilleur choix ?