Ses yeux clairs suivent la silhouette trapue jusqu’à ce qu’elle disparaisse hors de la salle, emportant avec elle les mots, les banalités et les éclats d’une soirée difficile à supporter. Assise à une table, les ongles courts plantés au rebord du bois vernis, elle inspire, expire. Rares sont ceux qui mettent à l’épreuve sa patience, et pourtant, cet homme a réussi.

Imbécile.
Mais elle ne le dira pas à haute voix.

Elle se redresse, ramène vers l’arrière ses épaules délicates et glisse dans son chignon quelques doigts pour le défaire. La cascade de boucles lui tombe sur l’épaule, recouvre sa peau aux teintes de porcelaine avant qu’elle ne se lève. Et son pas la dirige vers le bar, mais ne crois pas que ce qu’elle dégage soit faible ; car il n’y a rien chez Cassandre Greengrass qui ne soit digne d’une reine.

Arrivée à l’abord du comptoir, elle y pose une main et se permet une brève lecture de la carte.

- Un verre de Chardonnay, je vous prie.

Le sourire doux quand on lui répond, la tension de ses muscles diminuée, elle pivote pour observer la salle. Il n’y a finalement pas tant de monde ce soir. Et alors qu’on lui tend son verre à pied d’un aimable “Votre commande, Miss Greengrass”, ta voix qui s’élève comme un souffle pour happer son attention. Elle te reconnaît immédiatement.

- Darya.

Le pied du verre entre les doigts et son sourire qui s’élargit, pétillent ses yeux de cette lueur de l’authentique. Car si vous n’êtes pas spécialement proches, Cassandre est ainsi ; heureuse de rencontrer, de parler, de découvrir.

- Cela fait une éternité. Est-ce que tu es seule ?

Ses pupilles vaquent, peut-être à la recherche d’une silhouette altière aux boucles blondes. Tes fiançailles ne sont passées inaperçues pour personne, surtout pas dans sa famille. Les sang-purs surveillent en permanence les alliances.

Elle t’observe, le regard franc, tandis qu’elle se permet une gorgée de son verre. Tu es aussi belle que dans ses souvenirs.

- Peut-être puis-je me joindre à toi ? Si cela ne te dérange pas, évidemment.

Son verre sur le comptoir, déposé à un peu plus d’un mètre de toi ; suffisamment loin pour ne pas s’imposer dans ta bulle. Et tandis qu’elle ne te lâche pas des yeux, elle se demande ce qui pousse une femme telle que toi à passer la soirée en tête à tête avec ses pensées.

 @A. Darya Black | 20 janvier 2032

Tu es tel un oiseau de nuit au plumage sombre dont les douces lèvres s’ornent de mutinerie. La solitude est un besoin que Cassandre n’appréhende pas beaucoup ; le silence, le recueillement, la froideur d’une pièce habitée par elle-seule. Femme de la nature, elle a besoin de la chaleur des autres, de la vie qui s’écoule en tout ce qui l’entoure. Jamais seule, toujours entourée ; même de l’invisible.

Ta réponse la soulage, heureuse d’avoir l’occasion d’en savoir plus sur toi, elle fait glisser son verre sur le comptoir puis s’avance jusqu’au tabouret que tu lui as désigné. Quand elle s’assoit, elle pivote un peu face à toi de façon que vous ne vous touchiez pas. Vous n’êtes pas intimes, après tout, pas vrai ? Et pour une personne qui s’annonce directement friande de solitude, elle ne veut pas te braquer.

- Tu as raté la compagnie, et crois-moi, tu ne peux que mieux t’en porter ainsi.

Son rire est un peu jaune au moment où vous trinquez, mais la gorgée dans son verre lui permet d’effacer les traces de mauvaise humeur. C’est une habitude à prendre. Malgré les apparences, les préjugés, tout n’est pas toujours au plus rose pour les sang-purs et les privilégiés. Tu parles, et ses yeux remontent de son verre à toi, amusée de ton audace à poser ce genre de questions et de présomptions. Elle rit, c’est doux.

- Ne t’en fais pas, j’ai toujours préféré la franchise aux manières.

Se fissure l’image peut-être de la fille parfaite, celle que l’on vous demande, à toi, à elle, d’être depuis toujours. Elle dépose avec délicatesse son verre sur le comptoir, ne parvient qu’à peine à te lâcher du regard.

- Pas de prétendant, simplement l’impolitesse d’un demandeur d’investissement. Il vient pour chercher soutien et argent, il repart après avoir non seulement tenté de m’approcher mais également associé mon nom au doux quolibet d’arriérés écologistes en quête de suprématie.

Ses pupilles au plafond, une nouvelle gorgée pour faire passer l’âpre de ses réflexions dans un rire. Elle ne doit son sang-froid envers l’importun qu’à de longues années d’éducation et d’abnégation. Pour autant, la malice se glisse au bord de ses lippes quand elle trace sur le comptoir la forme de quelques symboles du bout des doigts. Distraitement, peut-être, ou peut-être pas.

- Je pense qu’il reviendra. Il n’aura pas d’autre choix, crois-moi.

Mais il n’aura rien d’autre de la part des Greengrass que des regards médisants.

Elle te sourit, Darya, s’applique à observer tes traits, la beauté de tes cheveux et ta prestance. Tu as toujours eu une certaine allure qu’elle t’enviait, de loin.

- Qu’en est-il de toi ? Tu dis apprécier la solitude, mais tu as l’air d’en souffrir ce soir.

Son coude élégamment posé sur le comptoir, sa main presque refermée pour supporter le poids de son menton entre ses doigts. Le franc de ses yeux sur toi.  

 @A. Darya Black | 20 janvier 2032

Ton compliment ne passe pas inaperçu, Darya, son sourcil se dresse subtilement avec le coin de ses lèvres. Elle pourrait te le retourner, si aisément, mais la suite de tes mots pique sa curiosité. Sa tête se penche un peu de côté, son verre entre les doigts qu’elle repose sur le comptoir.

- Est-ce nous qui sommes addictifs ? Ou notre nom, peut-être, et la notoriété qui va avec ? Je me demande souvent s’ils nous voient comme les sorciers que nous sommes ou si à leurs yeux ne valent d’attention que notre fortune et notre rang. C’est une question que je me plais à leur poser.

Un clin d’œil, amusée. Cassandre n’a jamais eu de problème à être exhibée par sa famille, à être regardée, adulée sans réelle autre raison que son statut ; c’est ainsi qu’elle a été élevée. C’est son rôle, quelque part, pas vrai ? Pourtant, toute aristocrate qu’elle soit, elle est aussi humaine. Vivante. De chair et de sang. Parfois, elle aime le leur rappeler.

Elle t’observe, Cassandre, incapable de te lâcher ; incapable de passer à côté d’une douleur silencieuse et mal dissimulée. Quand tu parles d’audace, son sourire est encore plus large.

- Et je l’assume, Mademoiselle Black.

Combien de temps encore avant que tu ne portes le nom des Lestrange ?

Elle pourrait se reprendre, enchaîner sur un autre sujet, ou simplement boire son verre et s’en aller. Mais elle sait que tu n’en as pas terminé. Alors elle ne bouge pas, attend simplement que tu te décides à lui faire face. Ou peut-être est-ce à toi-même que tu fais face lorsque ton regard croise finalement le sien ? Pas du coin des yeux, cette fois-ci, mais pleinement. L’une face l’autre, comme le jour et la nuit qui se découvrent au creux des sourires.

Je peine simplement à exister pour ce soir.
C’est beau, et c’est aussi tellement triste. Ses sourcils délicatement plissés, elle suit des yeux le trajet de tes doigts, réprime un frisson à leur contact. Elle aurait aimé les prendre avant que tu ne les retires, les réchauffer. Pour te montrer qu’un cœur de glace est bien loin d’être une fatalité. Et puis ce n’est qu’un masque, n’est-ce pas ? Celui qui te permet d’avancer.

- Mais tu existes, Darya.

Vos yeux qui se quittent, tu lui échappes, son sourire se fait plus doux. Vous ne vous connaissez pas, vous avez passé si peu de temps ensemble au cours des années. Et c’est si dommage. A cet instant, Cassandre aimerait tellement plus que ce que vous avez, elle aimerait pouvoir poser sa main sur la tienne pour te rassurer, glisser un bras autour de tes épaules. A la place, elle se mordille l’intérieur de la lèvre, lève les yeux en prenant le temps de réfléchir. Ta question n’est pas si anodine.

- J’écoute les rires de ceux qui m’entourent.

Ses prunelles qui reviennent à toi, cherchent ton regard avant de continuer.

- J’inspire les odeurs de la forêt jusqu’à m’en droguer, je marche pieds nus pour sentir les vibrations de la vie résonner. Je dévore mes plats préférés sans aucune manière, je hurle au clair de lune.

Sa main qui se lève et s’approche de toi, glisse une de tes mèches sombres entre ses doigts. Mais le contact ne dure pas, ses dents apparaissent derrière son sourire.

- Il y a tellement de façons d’exister. Il suffit de trouver la bonne.

Ses yeux sondent, de tes iris jusqu’à tes lèvres, tes mains, ton verre. Puis de nouveau tes yeux.

- Veux-tu que je t’apprenne l’une des miennes ?

 @A. Darya Black | 20 janvier 2032

On dit de certains sorciers qu’ils sont capables de rendre la vie à ceux qui l’ont perdue. C’est ce qu’elle a entendu, loin dans les forêts quand elle apprenait à Castelobruxo. Des rumeurs, des « on dit ». Mais à défaut d’avoir posé la main sur une telle magie, de toute façon contre nature et ses convictions, Cassandre se contente d’aimer la contempler, la vie. D’aimer la sublimer, la faire exister au travers des regards et des éclats de rire.

C’est ce qu’elle veut faire avec toi, Darya. As-tu idée de ta beauté quand tu la regardes droit dans les yeux ? Quand tes lèvres s’étirent pour presque lui offrir un sourire ? Combien de moments de joie as-tu laissé de côté pour cette image d’une princesse de marbre que rien ne peut toucher ?

Tu lui dis qu’hurler à la forêt est proscrit, Cassandre émet un rire. Léger, perdu au bord de son verre auquel elle prend une gorgée.

- Non, tu n’as pas l’air du genre de femme qui aime à hurler.

Pourtant, les dieux savent comme ça te ferait du bien. On ne parle pas seulement d’hurler, mais d’extérioriser. Exister.

Comme par un geste mimé, tes doigts s’emparent d’une mèche de ses cheveux, mais elle, il n’y a que toi qu’elle regarde. La hauteur de tes pommettes, la courbe de tes lèvres qu’elle se promet de faire hausser. Tes mots la touchent, car derrière le souffle d’une réponse se cache une profonde vérité. Tu ne sais plus exister. Elle ne sait pas comment, ni pourquoi. Elle sait simplement que c’est le cas, que ce soir, sa place, elle est là.  Pour toi.

Vous vous faites face en silence, quelques secondes, peut-être plus.

- Dans ce cas, nous allons devoir quitter cet endroit.

Sourire mutin quand elle se lève, ses bras dressés pour enrouler rapidement ses cheveux en un chignon lâche. Au milieu, sa baguette finement sculptée pour le faire tenir, les joues encadrées de boucles récalcitrantes. Elle se tourne face au comptoir, fait signe au barman du bout des doigts.

- Je prends pour nous deux.

Les quelques pièces déposées, sourire chaleureux au personnel avant de se retourner. Vers toi. Elle t’observe, Darya, curieuse de savoir si tu comptes la suivre.

- Auras-tu l’audace d’exister ce soir ?

Elle ouvre sa main, t’invite à la prendre sans lâcher tes yeux des siens. Et ce n’est pas grave si tu ne veux pas, ce n’est pas grave si tu souhaites la suivre sans le contact de vos doigts. Mais une fois à l’extérieur, vous n’aurez pas d’autre choix. Tu devras au moins prendre son bras, pour que d’un sourire elle puisse te rassurer avant de vous transplaner.

- Ferme les yeux. Même en arrivant, je ferai en sorte que tu ne tombes pas, je te le promets.

Et la sensation de torsion au creux de l’estomac, jusqu’à ce que vos pieds foulent le sol herbeux. Il y a la brise, celle qui souffle à vos oreilles et fait voler vos cheveux. Il y a la nuit, qui exacerbe vos sens de sons et de senteurs différentes du plein jour. Elle sourit, Cassandre, te fait face pour regarder si tu as gardé les yeux fermés. Détache ses cheveux pour les laisser voler, s’imprime du contact de ses vêtements fluides collés à sa peau par le vent. Et derrière elle, en contrebas, il y a la mer. Les falaises. L’odeur du sel et le chant des vagues qui s’écrasent.

- J’adore venir ici en pleine nuit.

Doucement, elle se permet. Te prend la main pour te faire avancer quelques pas, jusqu’à finalement te lâcher, reculer encore et écarter les bras. Inspire à pleins poumons de cet air pur qu’elle vénère presque autant que sa forêt.

- Tu l’entends ? La vie. C’est la nature qui te hurle que tu existes.

Son sourire au plus large, sa tête qu’elle peine à ne pas renverser en arrière, les yeux fermés.

- Tu peux regarder, si tu le souhaites.

 @A. Darya Black | 20 janvier 2032

Elle se plait à découvrir tes expressions, celles d’une femme que tout le monde décrit comme de glace là où elle aperçoit la timide chaleur de la flamme qui subsiste. Elle veut la voir briller, Cassandre, la voir grandir. Elle veut te voir incendier les ombres et l’obscurité qui t'enlacent.

Tes lippes plus sensuelles quand tu souris, tes yeux qui la fixent. Il y a quelque chose en toi, tu sais ? Quelque chose dans la lueur de tes iris, la force de ton regard, le port de ton menton gracile. Tu parles déjà d’une prochaine fois, Cassandre sourit.

- Ce serait avec plaisir.

Vos mains qui se trouvent, vos yeux qui ne se quittent pas, jamais. Comme happée dans le regard de l’autre, c’est à peine si elle remarque le trajet jusqu’à l’entrée, si elle comprend l’étendue de la confiance que tu lui offres en fermant tes paupières. N’y a-t-il de toute façon pas que vous, seulement vous, dans ce monde qui se construit ? Tu prends son bras, et quand vous atterrissez, Cassandre voit. Tes épaules qui se soulagent, ce sourire qui plane au-dessus de tes lèvres sans vraiment s'étirer.

La mer, le son des vagues qui se fracassent, l’odeur iodée.

Elle ferme les yeux, s’imprègne de toute la puissance de la nature et des éléments. C’est comme si elle pouvait entendre la nuit chanter, comme si la vie lui hurlait qu’il n’y a qu’ici que vous pouviez aller. C’est pour ça qu’elle émet un léger rire à ta question, rouvre ses billes pour te scruter sous le clair de la lune. Douce Cassandre aux airs sauvages de liberté.

- Une intuition qu’il me fallait suivre.

Elle ramène ses bras le long de son corps, s’avance à ta rencontre en t’écoutant.

- C’est là-bas que tu te ressources, n’est-ce pas ? Nous pourrons nous y rendre, la prochaine fois. Ses yeux qui brillent. Ou tout de suite, si tu y tiens.

Surprise en sentant le contact de tes doigts, elle y baisse momentanément le regard. Puis revient à ton visage, s’ose à te lever la main tout près de sa bouche. Mais son geste se suspend, comme un baisement fantôme et égaré à la pulpe de tes doigts qui jamais ne rencontre le galbe de ses lèvres. Ce n’est pas correct, pas vrai ? Non, peut-être pas. Pourtant son sourire reste le même, d’autant plus quand elle aperçoit la gratitude du tien. Tes remerciements, musique douce à ses oreilles avant que vous n’avanciez jusqu’au bord de la falaise.

Au bord du précipice.

Elle s’assoit à tes côtés, perd son regard à l’horizon illuminé du rayon de lune sur les flots réguliers. S’il ne faisait pas tant nuit, tu pourrais peut-être la voir rougir. Elle glisse une mèche de ses cheveux derrière son oreille, tourne un peu la tête pour t’observer.

- On m’a rarement fait de tels compliments… Merci. Touchée, émue. C’est bien la première fois que je vois un cœur supposé de glace briller d’un tel éclat.

Tu es magnifique, Darya.

Elle inspire l’odeur de la mer mêlé de la tienne, portée par votre proximité.

- Me reconnecter à moi, à mon corps et tous mes sens… c’est ça qui me fait sentir exister. Tu ne trouves pas que la brise les comble tous ? Tu peux la voir dans le remous des vagues, l’entendre chanter, la sentir contre ta peau, la goûter et y déceler toutes les odeurs portées du monde. C’est… parfait.

Ses yeux s’imprègnent encore de cette vision de la nuit, emplie de gratitude pour ce moment de vie. Puis sa tête penche un peu de côté quand elle te regarde, cherche sur ton visage quelque indice que ce soit. L’approbation, le plaisir ou peut-être l’incompréhension, elle ne t’en voudrait pas. Les Greengrass ont toujours été à part, avec leurs croyances, leur façon de penser parfois décalée. Cassandre ne fait pas exception à la règle, elle le sait.

Doucement, presque trop lentement, le bout de ses doigts vient caresser le dos de ta main. C’est fugace, presque comme un mirage. Mais remonte le long de son bras un léger frisson, et ça fait du bien. Il n’y a pas de faux-semblants dans votre échange, pas d’histoire de sang ou de rang. Juste Cassandre et Darya.

- Y parviens-tu ? A te sentir exister.

Ses dents derrière son sourire.

- Ou dois-je t’apprendre une autre façon encore ?

Sa voix qui devient plus basse, comme un doux murmure pour ne pas perturber le vent qui chante.

 @A. Darya Black | 20 janvier 2032

Léger froncement de ses sourcils, elle se demande ce qui peut tant te rattacher à Tinworth. Un passé empreint tant de douceur que de douleurs ? Une enfance, peut-être ? Elle sait que celle des Black n’est généralement pas des plus tendres, mais des détails elle n’en a aucun. Alors elle hoche doucement la tête, Cassandre. La prochaine fois. Il y en aura une, n’est-ce pas ?

Tendresse osée que de remonter ta peau si près de ses lèvres, ton regard se détourne et elle se demande si tu aurais préféré qu’elle aille jusqu’au bout. Mais quelle importance ? Votre monde gravite autour des non-dits, de ces actes manqués que vous hurlez dans vos têtes de ne pas avoir terminés. Vous avez des devoirs. Une réputation. Que se passerait-il, si…

Mais elle ne perd pas son sourire, Cassandre. Parle, complimente la femme qu’elle découvre si éloignée de ce que tout un chacun s’amuse à décrier. Quand tu ris, c’est si léger, si spécial. Ses yeux s’ouvrent à peine plus grand, ses pupilles logées sur toi alors que tu parles. Et elle ne peut pas s’en empêcher, Cassandre.

- Quelle infâmie. De priver le monde d’un si beau rire.

Le sien qui fleurit, doux et presque silencieux pour ne pas déranger le chant des vagues. Elle comprend tes raisons, elle commence à entrevoir les rouages de ton esprit.

- C’est vrai… Mais ça ne leur laisse pas non plus la possibilité de découvrir la femme que tu es. J’en aperçois à peine une bribe, et je ne peux imaginer une seconde vouloir la piétiner.

Grande dame, belle dame. Sensible, fragile. C’est un peu de ça, au fond, pas vrai ?

Vos épaules qui s’effleurent jusqu’à ce contact prolongé, sa parole qui se délie pour chercher à te dépeindre le monde dans lequel elle vit. Le même que le tien, et pourtant il semble si étranger. Vos regards qui se croisent, encore, et le temps suspendu dans la brise qu’elle chérit. Il y a un flottement, entre tes derniers mots et ses premiers. Comme si elle s’imprégnait de cet instant, incapable de lâcher tes prunelles auxquelles elle s’est logée. Et c’est rare, de la faire hésiter. Ses lèvres s’entrouvrent, à Cassandre, mais aucun son ne vient autre que celui de son sourire.

- …Ne te moque pas, d’accord ?

Encore ses doigts qui effleurent les tiens avant que son buste ne se redresse. Elle ferme les yeux, pour ressentir chaque effet du vent qui fait voler ses cheveux, balaie son visage comme le massage des éléments. Inspire, expire en libérant de ses lèvres trois notes d’une mélodie forte et claire, portée par la brise jusqu’aux échos des vagues qui se fracassent en contrebas.

Et ses yeux se rouvrent sur la nuit et la mer étoilée. Elle attend, glisse son regard à toi, le sourire étiré au coin de ses lippes. Cela prend trente secondes, peut-être plus. Ses yeux t’invitent à la patience et au silence, la pulpe de son majeur trace quelques symboles sur le dos de ta main.

                      Puis, enfin.

L’écho lointain du chant qui répond, son visage qui se tourne vers l’horizon. Et dans le ciel sombre de la nuit, déchire la silhouette enflammée de la créature mythique. Vole en dessinant dans les airs des messages que lui seul peut comprendre, chante comme pour toucher les âmes et y insuffler la vie. Mystérieux sont les pouvoirs du phénix, Cassandre en est perpétuellement fascinée. C’est instinctif, son sourire s’élargit, ses doigts enserrent doucement les tiens.

- Est-ce que tu la sens, ton âme qui vibre au son de son chant ?

Son menton vers toi, son regard aux courbes de ton visage quand son souffle murmure encore.

- Ou bien en veux-tu encore ? J’ai mille façon de te prouver que tu existes, Darya.

 @A. Darya Black | 20 janvier 2032

Elle le voit quelque part à la frontière de tes yeux, qu’une sorte de limite tacite a été dépassée. Joueuse, Cassandre, tellement naturelle qu’elle en devient difficile à stopper. Alors elle ne continue pas, ne force pas ; la dernière chose qu’elle souhaite est te braquer, Darya. Tu sembles avoir tellement à partager.

Elle t’écoute avec intérêt, hoche doucement la tête, parce que si elle ne partage pas ta vision du monde qui vous entoure, elle la comprend pourtant. Rien n’est doux, rien n’est offert ou simple comme bonjour. Les tyrans existent, ceux qui veulent nuire aussi.

- Je vois, c’est tout à fait louable. J’espère simplement que ton entourage te remercie à hauteur de ce que tu fais pour eux.

Tu es aussi importante que le nom de ta famille ou celui de ton fiancé, Darya. Mais elle n’ose pas te le dire, de peur peut-être d’étioler ce fin contact que vous êtes en train de nouer.

A l’arrivée de Dawn dans le ciel étoilé, elle sent son cœur se libérer, comme à chaque fois. C’est profond, il touche une corde, si loin qu’elle en a encore du mal à l’identifier. Liberté, sauvagerie, renaissance. Il disparait aux dernières notes de son chant, ses yeux à elle sont sur toi.

- Je t’en prie. C’est un plaisir.

Ses doigts qui lentement relâchent leur prise sur les tiens, s’ouvrent la main tendue en avant comme pour sentir le toucher de la brise. Ta question la surprend, la pousse à réfléchir. Lentement sa main repose sur l’herbe qui vous sépare. Qui serait-elle, si elle n’était pas Greengrass ? Pourrait-elle seulement encore être elle-même ? C’est une question qu’elle se pose souvent, même si elle a parfois du mal à l’assumer.

Elle inspire, expire en prenant le temps de penser ses mots.

- J’ai l’insolite chance de plutôt aimer ma vie.

Un léger rire pour elle-même avant de continuer.

- Si je n’étais pas Greengrass mais seulement Cassandre… Je resterais druidesse, je resterais animagus. Peut-être aurais-je… un élevage de dragons.

Elle te regarde du coin de l’œil pour épier ta réaction.

- Ou bien je pourrais être chercheuse en botanique, en magizoologie. Je ferais peut-être le tour du monde…

Ses jambes balaient le vide sous vos pieds, le regard perdu à l’horizon.

- Mais je reviendrais toujours à Sherwood, à un moment ou un autre. C’est là-bas que je me ressource, au pied du Major Oak. Je n’abandonnerais ça pour rien au monde. Elle penche un peu la tête de côté, se permet la fantaisie d’imaginer. Et si d’aventure je trouvais l’amour, le vrai, celui qui embrase l’être et l’âme… j’épouserais cette personne. J’en ferais l’être le plus… épanoui et heureux d’exister que je puisse.

Une main dans ses cheveux, le rire un peu gêné. C’est peut-être la première fois qu’on lui demande une telle chose, la première fois qu’elle ose le verbaliser. Mais si Cassandre avait le choix, elle resterait Greengrass. Elle serait matriarche, épouserait l’homme ou la femme de sa vie et veillerait à faire prospérer sa famille dans la tradition de leurs ancêtres. C’est aussi simple que ça.

- Et toi ? Elle te regarde en biais, le sourire doux. Avenant. Si tu avais le choix, Darya, et que tu n’étais pas Black. Qui serais-tu ?

 @A. Darya Black | 20 janvier 2032

Il y a tant de devoir au fond de tes yeux, tant d’un honneur que tu incarnes sans jamais vouloir en récolter les fleurs. C’est louable, admirable. Le monde aurait certainement beaucoup à apprendre de toi ; la prestance et l’humilité, pour n’en citer que deux.  Mais un court instant elle se demande, Cassandre, si tu n’abandonnes pas tellement trop de merveilles au prix de tes barrières.

Elle les sent, tu sais ? Tes doigts, leur douceur qui effleure la pulpe des siens. Et elle ne veut rien faire d’autre, rien brusquer, préfère te laisser la liberté du choix quand le sien est de ne pas bouger. Profiter. Ses paroles s’écoulent, t’expliquent à demi-mots comme elle a appris à aimer sa vie. Il aurait été si simple de la détester. Si simple de trouver ses parents trop stricts, injustes envers ses frères, envers elle-même. Si simple de balayer ce monde à la recherche de son propre bonheur éphémère.

Non.

Cassandre aime sa vie. Sa famille. Sa forêt. Ses ancêtres. Elle est la fleur aux pétales gigantesques et colorés qui grandit, grandit jusqu’à émerger de son bourgeon, éclater les limites de sa propre liberté. Elle le décide, il n’y a rien (presque) qu’elle ne puisse obtenir.

Elle te retourne la question, baisse les yeux sur vos mains dont les doigts lentement s’entrelacent. Comme un puzzle. Et t’écoute. Une peine au cœur qu’elle ne s’explique pas, observe alors l’écume en contrebas.

- Qu’est-ce qui te plait tant chez l’océan ?

Ses émeraudes de nouveau sur toi.

- Belle, forte, inarrêtable. Tu as déjà tout de l’écume que tu sembles tellement admirer.

Le sourire qui fleurit quand vos regards encore se croisent, quand elle cherche à lire les mots cachés à tes pupilles. Pour faner à l’évocation du mariage, cette alliance qui lui a toujours été miroitée comme un devoir, un rituel forcé, l’un de ceux qu’elle n’a pas hâte de pratiquer mais qu’elle honorera. Elle honore toujours, Cassandre.

- Mon mariage sera une alliance avant tout autre chose. Comme le tien. Néanmoins, je m’espère à tomber sur une bonne personne, suffisamment ouverte d’esprit pour me comprendre et me laisser libre.

Libre de ses choix. De sa magie. De ses racines. De son amour, aussi.

En parlant de renier son nom, tu soulèves une question qu’elle s’est déjà posée, plusieurs années auparavant. Pour cette fille, cette femme avec qui elle a construit une histoire, aurait-elle pu renier les Greengrass, n’être simplement que Cassandre au nom de l’amour ?

- Je pourrais le concevoir.  

Le simple fait de l’évoquer noue son estomac, elle ne l’aurait pas pensé.

- Mais alors je m’en voudrais toute ma vie d’avoir abandonné mes frères. Ma famille. Mes ancêtres. Mes traditions. Pourrais-je encore être celle dont cette âme est tombée amoureuse ?

Ses lèvres qui se plissent, ses yeux qui se perdent au ciel derrière toi, observe les constellations dans l’étendue sans nuages. Non. Non elle ne pourrait pas se dissocier par amour. Elle ne l’a pas fait jadis. Elle ne le fera pas.

- Je n’en suis pas encore là.

Le sourire qui renaît, peint à ses traits la douceur au moment de te regarder. A vos mains, les doigts se chevauchent presque d’avoir gravi la chaleur de vos peaux qui s’appellent. Elle ne sait pas ce qu’il se passe, ne souhaite pas y poser de mots, ou ne serait-ce que des pensées.

- Si toi, tu rencontrais cette personne. Est-ce que tu serais capable de tout annuler ? Fuir. Renier.

Ses paroles comme un souffle au murmure porté par le vent.

 @A. Darya Black | 20 janvier 2032

La liberté.
C’est doux. C’est triste. C’est tellement criant de vérité. Elle te regarde, Cassandre, et tout ce qu’elle voit… Elle aimerait le libérer. Elle aimerait que tu n’aies plus rien à penser autre que toi, elle aimerait que tu n’aies que toi-même à faire exister et non cette famille dont le nom est attaché à tes chevilles comme un boulet.

Elle sourit, pourtant, même quand tu la contredis. N’est-ce pas le propre de toutes les belles âmes, d’être incapable de se contempler réellement dans un miroir ? Pure, naturelle. Ce n’est pas grave si tu ne le voies pas, Darya, ce n’est pas ça qui importe. Cassandre, elle, sait. C’est suffisant, pour l’instant.

La conversation dévie sur le mariage, un sujet cruellement d’actualité. Le monde des sorciers ébranlé par The Crow, puis par la triste affaire des Lestrange. Il est temps, plus que jamais, de montrer que les sang-purs sont toujours debouts, pas vrai ? C’est ce que son père essaie de lui inculquer. Son sourire revient néanmoins quand tu mentionnes son frère aîné, une douce pensée au souvenir de sa visite peu de temps auparavant.

- Il n’est pas encore celui qui pourrait faire ce choix à ma place.  Son père, oui. Mais j’imagine que lui, ou Luke, prendraient ma défense s’il fallait en arriver là. Je ne me sens pas seule.

La famille, ce lien sacré. Elle sait qu’ils seront toujours là, contre vents et marées.

Encore dérive votre discussion, à des regrets que vous pourriez avoir, à la folle idée d’abandonner votre nom. Mais qui pourrait du jour au lendemain renier tout ce pour quoi il a été guidé ? Ce serait une folie, ce serait se perdre dans un labyrinthe d’incertitudes maudites. Pourtant, ne serait-ce pas là une magnifique histoire ?

Elle t’écoute répondre, sourit à l’assurance de ton “non”. Puis quand tu abordes le sujet de l’amour, ses yeux se détournent vers l’horizon. Quelle tristesse, de t’imaginer fermée au concept même qui pourrait t’aider à trouver la liberté.

- Oui. Une fois.

C’est du passé, désormais.

- Amusant de penser que, cette fois-là, ce n’était pas mon nom le nœud du problème.

Elle sourit, énigmatique, avant de revenir à toi. Ton visage, tes cheveux dont elle ne peut s’empêcher de caresser une nouvelle mèche. Douce. Est-ce que tu as deviné ?

- Mais cette histoire devra attendre la prochaine fois. J’espère que tu ne m’en veux pas.

Pression de ses doigts aux tiens, avant qu’elle ne se dresse, se lève sur ses deux pieds. Son regard toujours à toi, à ses lèvres, le sourire qu’elle n’abandonne pas. Les obligations la poussent à t’abandonner pour ce soir, mais ce n’est qu’une partie remise ; elle l’espère.

- J’ai passé un excellent moment, Darya. Merci.

Nouveau coup d'œil jeté à la lune, à la mer qui vit sous vos pieds. Si elle pouvait peindre un tableau de cette scène, de toi face à ce décor, elle le ferait.

- Appelle-moi, la prochaine fois que tu peines à exister. J’essaierai encore de t’aider.

La douceur de ses doigts à celle de ta peau, de ton visage, juste quelques secondes. L’éclat de ses dents derrière le sourire de ses lèvres. Puis elle te salue de la tête, tourne le dos aux rêves que la mer est la seule à connaître. Et transplane.

 @A. Darya Black | 20 janvier 2032