Malgré les cafés et la fumée de cigarette qui s’attarde sur tes vêtements, tu as toujours l’air aussi fatigué qu’au matin - et c’est à contre coeur que tu te prépares mentalement à cette entrevue là.
Mais les conséquences des actions faites en situation de mise en danger devaient être assumées.
Et autant ton appréciation personnelle pouvait entrer en jeu, autant ici, les risques pris étaient trop élevés. L’entorse était trop grave pour être ignorée.
Alors que tu finis une dernière cigarette, que tu écrases dans un cendrier bien trop rempli à tes habitudes, la porte s’ouvre et tu lèves les yeux.

Asseyez-vous, je vous prie.

Ta main indique le fauteuil face à toi - le ton et la mine grave, aussi grave que les malheurs qui s’étaient déroulés la veille.
Il te fallait reprendre en main ton département.

Face à cette porte qu’elle connaît bien, les yeux sur le nom d’Antoine. Le tien. Elle inspire, puis expire. Il n’y a aucun doute, elle sait pertinemment pourquoi elle est là. Elle sait les raisons, elle se doute des conséquences. Bien. Cassandre n’est pas de ceux qui se défilent, ni de ceux qui reculent. Elle a fait des choix, ce jour-là, des choix qu’elle ne niera pas.

Elle toque, puis elle ouvre la porte. L’air du bureau est enfumé, la même odeur que dans ses souvenirs. Les cheveux noués en chignon par sa baguette, elle t’adresse un sourire. Douce. Elle t'a toujours apprécié, peu importe ta place, peu importe la hiérarchie. Tu as toujours été juste. Et elle sait que tu le seras encore aujourd'hui.

- Bonjour.

Remerciements de la tête, tandis qu’elle s’installe dans le fauteuil qui te fait face. Les jambes délicatement croisées, le dos bien droit.

- Avant que vous ne commenciez, je tiens à vous dire que je suis prête à assumer les conséquences de mes choix. Quelles qu’elles soient.

Mais elle espère que tu sauras faire la part des choses. Que tu sauras déceler l’importance de leur mouvement, car en passant par un autre chemin, elles ont découvert la sortie. Elles ont maîtrisé la dragonne. Elles n’ont abandonné personne.

@Antoine Savoy | Aout 2032

Oeillade pensive, tu soupires, te passes une main sur le visage avant de raidir ton dos, toi aussi.

C'est bien. Vous avez donc conscience que vos actions laissent à désirer.

Expiration lourde de sens, tu sors ton calepin où tu as noté tes pensées, lisant tes notes, avant de relever ton regard sur elle. N'était-elle pas pleine de tes espoirs ? Que s'était-il passé ?

Vous étiez une magizoologiste particulièrement douée, Miss Greengrass. Je n'ai pas compris pourquoi vous souhaitiez changer de poste, mais je l'ai accepté.

Jouant avec un stylo plume, tu ne réalises que trop tard avoir fait une tâche sur ton carnet - et c'est avec une grimace que tu la fais disparaître d'un coup de baguette.

Expliquez moi, je vous prie, pourquoi avoir agi comme vous l'avez fait ? Vous n'avez certes pas instigué le mouvement, mais vous avez tout de même délaissé une équipe qui avait besoin de vos connaissances, délaissé la mission initiale qui était de porter secours à deux de vos collègues, et ainsi avez mis en danger non seulement vous même - qui sait ce qui aurait pu arriver en vous éloignant ainsi - mais aussi le reste de notre équipe. Et tout cela sans mon aval - que je ne vous aurais pas donné, me l'auriez vous demandé.

Ton regard qui se pose sur elle, déçu.

Expliquez moi.

Elle aimerait tiquer, car tes mots lui semblent bien peu appropriés. Si par « laissent à désirer », tu veux dire qu’elle a suivi son instinct, alors oui. Mais est-elle pour autant coupable d’une faute grave ? C’est un débat qu’elle ne s’ose pas à commencer. Du silence de ses pupilles curieuses, elle te regarde sortir tes notes, une coutume qui pourrait être attendrissante. Comme si tu n’en avais pas l’habitude, et que quelques phrases t’étaient toujours nécessaire pour passer comme intransigeant.

Hochement de la tête au souvenir de sa demande de transfert, puis les yeux ancrés à toi. Derrière sa rétine s’impriment les souvenirs de ces moments, de la grotte, du dragon, des cristaux, des magizoologistes, des civils. Sa mâchoire en rien contractée, car Cassandre n’a rien à se reprocher. Rien qu’elle n’ait fait sans son propre consentement – le plus important.

Une fois que tu as terminé, elle croise les mains sur le bureau.

- J’ai suivi mon instinct.

Et pas une seule fois, au cours de ses années de services, elle n’avait outrepassé cela.

- Je n’ai jamais prétendu être infaillible. Ni avoir les réponses à tout. Je ne suis qu’humaine, après tout. En revanche, je crois en mon instinct, en la magie qui imprègne l’environnement, les animaux, les créatures. Dans cette grotte, j’ai ressenti le besoin de suivre Evlalìa, et je me suis refusée à le taire. J’ai toujours agi ainsi, vous le savez. Et si c’est une faute que de suivre son ressenti, que d’être ce que l’on a toujours revendiqué, eh bien, Antoine, j’en suis désolée.

Elle décroise ses mains, mais ses pupilles ne te quittent toujours pas.

-  Si nous avions suivi le reste du groupe, qui sait ce qu’il se serait passé ? Si nous nous en serions sortis ? Vous étiez nombreux et compétents, je n’ai pas pensé que notre absence puisse être un si grave problème. Pour cela, je m’excuse. Sachez néanmoins que, en cas d’urgence, Dawn, mon phénix, aurait pu venir à notre secours, de même qu’au vôtre.

Ses doigts tapotent sur le bois du bureau.

- Je suis désolée que cette mission se soit déroulée d’une façon que vous n’attendiez pas, mais si c’était à refaire, je le referais.

Le souffle, elle prend le temps d’inspirer. Elle n’avait pas remarqué que son estomac s’était noué, jusqu’à ce qu’elle finisse par terminer sa tirade. Le regard plus apaisant, le sourire ornant ses lèvres, elle termine :

- Je m’appliquerai à la sanction. Et si vous pensez que me renvoyer est la solution idéale, j’abdiquerai. Sachez seulement que je prends à cœur ma mission, ainsi que les créatures qui nous entourent. Raison pour laquelle, si vous ne me renvoyez pas, j’aimerais revenir à mon poste initial de magizoologiste.  

@Antoine Savoy | Aout 2032

Cassandre est calme.
C'est fou comme cela te fait du bien, te soulage de ce que tu te dois de lui annoncer. Prouve que c'est un élément qui mérite encore une chance. Qu'elle mérite encore qu'on lui explique ses erreurs et leurs conséquences.
Alors tu l'écoutes jusqu'à la fin, hochant la tête, pensif. C'est après un court silence que tu finis par laisser entendre ta voix.

Vous ne pourrez pas retrouver votre position de magizoologiste, Cassandre. Je salue votre instinct en temps général, mais cette fois-ci, vous auriez dû suivre les ordres que vos supérieurs, plus expérimentés, vous ont donné. Je vous ai fait confiance pour fermer la manche - vous m'avez déserté. Je ne pourrais vous refaire foi désormais.

Expiration fatiguée, tu passes une main légèrement tremblante sur ton front.

J'avais besoin de compter sur vous, non sur votre animal de compagnie, vous comprenez ?

La tête qui se secoue, tu lui adresses un long regard.

On ne bâtit pas le monde sur des si. On le bâtit sur les faits. Il y a eu des blessés, évitables. Je sais que vous n'auriez peut-être pas été plus apte à aider, mais votre présence aurait été bien plus nécessaire ailleurs.

Elle aurait pu guider de front - elle avait pu glisser de bonnes idées au creux du combat, de ce que l'on t'avait dit. Tu aurais aimé qu'elle glisse ces pensées avant que l'attaque ne commence.
Mais les si ne menaient nulle part.

Je regretterais de vous licencier. Mais je ne peux vous accorder de nouvelles responsabilités, c'est impossible jusqu'à ce que vous fassiez vos preuves. C'est pourquoi je vous rétrograde. Vous serez observatrice de nouvelles espèces, vous resterez ici et irez sur le terrain exclusivement pour observer.

Expiration.

Je ne vous garderai pas infiniment à ce poste, Cassandre, mais j'ai besoin de me refaire un avis positif sur vous, alors je vous prie, prouvez moi que je peux avoir foi en vous.

Elle est prête, Cassandre. Prête à assumer tout ce que tu lui diras, tout ce que tu lui ordonneras. Si elle doit repartir chez elle sans emploi, eh bien soit. Elle trouvera, elle fera autre chose. Elle est prête à tout, pour suivre ses instincts et ses idéaux. Alors elle t’écoute. Son temps de parole terminé, elle te laisse à ton tour t’exprimer. Et elle comprend, bien évidemment qu’elle comprend ! Alors elle hoche doucement la tête, le visage apaisé et l’air assuré.

- Bien sûr, Antoine.

Tu reprends. Le monde ne se bâtit pas sur des « si », Antoine, mais il est pourtant bien érigé par les désirs des rêveurs. Des idéalistes. Ceux qui suivent leurs tripes pour aboutir aux nouveautés, à ce monde tel que vous le connaissez. Elle ne s’ose évidemment pas à te couper. Lorsque tu dis que tu regretterais la licencier, une partie de son estomac se dénoue. L’issue ne sera peut-être pas aussi terrible que ce à quoi elle s’était préparée.

Observatrice.
Ce n’est pas magizoologiste, et elle ne pourra être que très peu sur le terrain. Cassandre prend une inspiration, les yeux fermés le temps de digérer cette nouvelle. Ce sera très bien. Ce sera parfait. Il suffit de s’en convaincre. Quand elle rouvre les yeux, son sourire est radieux. Noble.

- Je comprends parfaitement votre décision. J’ai fait des choix qui ne sont pas les vôtres, je suis allée à l’encontre de votre autorité et de vos attentes. J’accepte cette rétrogradation, et je vous remercie pour la chance que vous m’octroyez. Je ne vous décevrai pas, Antoine. Vous pouvez me faire confiance.

Elle pose ses mains sur la table entre vous.

- Je vais récupérer mes affaires au service de liaison avec les êtres, pour m’installer à ma nouvelle place. A moins que vous n’ayez autre chose à me faire parvenir ?

@Antoine Savoy | Aout 2032

Cet enfant, elle est tel le calme après la tempête. Lessivé et à bout de force, tu t'attendais à devoir te battre de nouveau - mais voilà qu'elle accepte les choses, chaleureuse et bienveillante.
Tu aurais aimé qu'elle soit aussi arrangeante lorsqu'il s'agissait de suivre les consignes.

Je vous suis reconnaissant au-delà de ce que vous pouvez imaginer. Vous êtes libre d'aller récupérer vos affaires, oui.

Sourcils froncés, tu te relèves cependant, vient poser ta main sur son épaule par-dessus le bureau.

Je vous met en liste d'attente probatoire pour retourner à un poste de magizoologiste, si cela vous tente. Ce ne sera pas immédiat, et vous devrez vous parer de patience, mais je pense que vous conviendriez bien pour un poste plus engagé.

Un doux sourire alors que tes doigts se serrent sur son épaule, rassurants. Elle méritait de savoir que tu ne voulais pas te débarrasser d'elle, bien au contraire.
Après tout, l'erreur est humaine.