T'as fais aussi vite que t'as pu, le temps de te préparer et de prévenir la meute que tu t'éclipsais quelques heures, sûrement pour le reste de la nuit au moins. Et puis t'as transplané avant de te mettre à courir à travers la forêt. La lumière de la cabane au loin pour te guider, c'est un endroit reculé mais tu le connais bien puisque c'est dans cette forêt que tu vivais, avant de quitter Romulus.

Tu captes l'odeur d'Ezra en approchant. L'odeur d'un sang qui n'est pas le sien -une troisième odeur aussi, plus faible, qui disparait doucement.

Et quand tu l'aperçois enfin il est là, Ezra, à genoux près d'un corps que tu n'as pas besoin de connaître pour l'identifier. L'odeur si similaire de son sang fait le travail pour toi, autant que ce pieu qu'il a en plein coeur ne fait aucun doute sur ce qu'il est. Un vampire, un vrai de vrai. Son père, là. Mort simplement.

Tu viens stopper ta course à quelques pas pour le rejoindre en marchant.

— Ezra.

Quand il se relève, qu'il vient t'étreindre comme pour s'assurer que t'es pas mort toi aussi sans jamais lui dire que si t'es vivant c'est bien grâce à lui. Une main que tu glisses délicatement dans son dos, l'autre qui dans ses cheveux pour le serrer tout contre toi avant de poser ta tête au sommet de la sienne.

C'est fini.
Tu ne réponds pas tout de suite mais tes iris viennent se poser sur le corps à vos pieds.

— J'suis désolé.

Avant de demander après quelques instants encore sans quitter ni ses bras ni son père des yeux.

— Qui a fait ça ?

C'est moi. Tu le regardes alors sans pourtant y croire. Porter une responsabilité qui n'est pas la notre est assurément insupportable, tu le sais pour l'avoir fait des années durant. Pour le faire encore parfois quand arrive si vite les dates de leurs anniversaires à chacun -ils auraient été si grands aujourd'hui, mais ils sont morts. Pas par ta faute mais c'est tout comme, pas vrai ? Alors tu le comprends Ezra, c'est pour ça que tu ne dis rien, les encouragements ça ne t'avaient jamais aidé après tout.

Quand il parle de la chasseresse tu fais rapidement le lien avec la troisième odeur qui s'estompe doucement. Elle ressemble à celle d'Ezra et de son père, elle est si différente pourtant. Mais tais la question qui te brûle les lèvres car peu importe bien ce qu'est cette fille au final, ça ne t'empêchera pas de la retrouver pour lui briser les os.

Parce que quand tu le vois comme ça, Ezra, t'as envie de hurler.
Quand tu le vois comme ça, Ezra, t'as besoin de tout brûler.
Mais tu lui souris, à lui.

C'est faible et triste mais sincère, t'es là pour lui Hermès. Tu seras toujours là pour lui.

— Viens avec moi, restons pas là.

Le sauver hein.
Sale pute.

D'une main calme dans son dos, tu le laisses calé contre toi tout en l'entraînant à l'intérieur de la petite cabane. Tu le fais s'assoir sur une chaise avant de fouiller un peu pour lui trouver de quoi boire un peu.

— J'imagine qu'il a des réserves de sang mais j'sais pas où elles sont. Si toi tu sais dis-moi et j'irai t'en chercher. T'as besoin de manger un peu.

Après avoir posé le verre d'eau près de lui tu viens tirer une chaise pour te poser juste à côté. Et après ce qui te semble avoir été un silence interminable, tu annonces, de la façon la plus bienveillante dont tu puisses faire preuve.

— Je vais aller creuser, tu devrais rester ici te reposer en attendant.. Je tiens à faire ça pour toi.

Pour lui qui n'a plus rien non plus.
Quand tu te relèves de ta chaise c'est pour le serrer contre toi une nouvelle fois.

— J'te jure que tu vas t'en sortir Ez'.

C'est promis.

Lorsqu'il t'indique le frigo tu sors ta baguette pour l'ouvrir et en attirer deux poches de sang pleines que tu poses sur la table près de son verre d'eau. S'il n'a pas soif qu'il n'en fasse rien, mais t'es persuadé qu'il finira par craquer à un moment ou un autre. Au moins c'est là et lui n'a plus qu'à se servir -t'aurais aimé qu'on fasse ça pour toi à l'époque. Mais ce n'est pas le moment d'y repenser.

Quand il refuse que tu sortes creuser t'étires un léger sourire en coin. C'est un peu comme si tu le prenais de haut et en même temps pas du tout, parce qu'il n'y avait probablement rien de plus affectueux que ce sourire à lui adresser à cet instant précis.

— Tu demandes rien.

C'est pas vraiment un problème pour toi de creuser une tombe pour un inconnu et le fait qu'il soit le père d'Ezra n'y changeait rien, au contraire. Toi tu n'avais pas d'attache mais lui en avait et tu le connais depuis assez de temps pour savoir qu'il n'y arriverait pas.

Sans l'écouter plus que ça tu te lèves pour venir l'étreindre avant de sortir, mais il te repousses rapidement. Et tu vois dans son regard toute cette douleur si familière à la tienne.

Ça te donne envie de tous les massacrer.
Pourtant tu restes là, les poings à peine serrés à le regarder.

— Toi arrêtes.

Tu souffles par le nez toute l'agitation qui se forme à l'intérieur de toi, les sentiments contradictoires qui se mélangent, les anciens qui se rajoutent comme pour te torturer de nouveau. T'as pas besoin de ça maintenant putain.

— Ez' je te laisserai pas creuser la tombe de ton père c'est clair ?

Le ton ferme qui ne laisse pas de place à la discussion.
Parce que tu sais ce que ça fait, toi.

— Tu t'en remettrais pas.

C'est beaucoup trop douloureux.

— Reste ici un moment et essaie de te reposer s'te plaît. Je fais vite.

Tu prends sur toi pour ne pas réagir à ce regard qu'il te lance, pour ne pas retourner le voir alors qu'à peine la porte fermée tu l'entends comme un murmure. Ça te fait mal qu'il le prenne comme ça mais la vérité c'est que sur l'instant tu préfères encore qu'il te déteste plutôt que de le laisser affronter ça. Tu serres les poings un instant, ton regard posé sur le corps inerte de Mladen à tes pieds, c'est qu'il aurait presque l'air paisible pour un mort si seulement il n'avait pas ce pieu planté dans le coeur.

Tu t'abaisses doucement pour venir le retirer, prendre toutes les précautions avec ce corps si fragile que tu n'as pas su prendre pour les tiens à l'époque -même si des tiens il n'en restait plus rien à ton retour. Le pieu posé près du corps, tu trouves rapidement une pelle pour commencer à creuser. Un peu à l'écart des murs mais pas trop loin non plus, juste assez pour ne pas gêner.

Et tu luttes, Hermès, pour ne pas t'écrouler.
Parce qu'à cette image se superpose la vision si réelle de tes mains qui creusent les tombes de ton père, de tes frères. La tombe de Rana. À chaque coup de pelle tu te revois à genoux et tu cherches les os et tu creuses la terre encore encore encore.

Tu peux pas imposer ça à Ezra, hein ?

Personne ne devrait subir ça, même pas l'autre abruti de chien galeux avec qui il sort.

Alors tu creuses en silence, le son seul des coups de pelle et de la terre qui se soulève. Tant pis s'il te déteste, il aura au moins la chance de pouvoir lui faire ses adieux proprement après le traumatisme qu'il a vécu. Une fois terminé tu viens poser la pelle contre le mur près de la porte avant d'entrer pour le voir bondir d'un coup. Sa détresse te cloue la gorge, tu mets quelques secondes avant de répondre.

— Ouai. ..C'est fait.

C'est creusé, du moins.
Le plus dur reste à faire t'imagine.

D'un coup de baguette tu attires à toi un drap propre pour pouvoir couvrir le corps. L'idéal aurait été un cercueil, mais à défaut t'imagines que ça fera l'affaire.

— Tu veux le voir ?

Une dernière fois.
S'il refuse tu y retourneras seul pour terminer ce que tu as commencé.

S'il te plait, finis-en. T'es resté là quelques secondes à le regarder histoire d'être certain qu'il change pas d'avis puis t'es reparti sans un mot à l'extérieur. T'as déplié le drap sur le sol pour y enrouler le corps de Mladen avant de le faire léviter dans la fosse sans un mot. Le pieu que tu viens déposer de toi-même à ses côtés tout en te concentrant pour ne pas penser. Ni à Ezra, ni à Mladen, ni à toutes ces douleurs qui se ravivent à cause de la situation. T'as pas le temps pour ça alors plus neutre tu es, plus efficace tu seras. Les larmoiements c'était pour avant-hier, ce sera peut-être pour demain mais certainement pas pour maintenant.

Alors tu portes à bout de pelle la terre jusque dans la fosse, tu rebouches le trou rapidement sans plus t'attarder -et alors que tu termines tout juste de placer au sommet du petit lopin de terre une espèce de croix en bois bricolée à la va-vite, tu entends la porte s'ouvrir, devine Ezra qui en sort sans pourtant te retourner tout de suite. T'attends qu'il soit près de toi pour daigner enfin le regarder, et t'as sûrement l'air un peu froid à force de trop t'essayer à faire comme si ça ne changeait rien. Que ça te touchait pas.

Sa main contre ton torse fait battre ton coeur un peu plus vite quand ses mots balbutiés t'arrachent un sourire faussement moqueur.

— Ouai jusqu'au prochain enterrement quoi.

T'as conscience que c'est de très mauvais goût, alors pour lui faire comprendre que t'es pas sérieux tu viens passer un bras derrière sa nuque pour l'amener à toi.

— Aller viens, j'comptais pas te laisser rentrer tout seul de toute façon. Et l'autre connard a qu'un mot à dire pour que j'lui arrache la jugulaire avec les dents.

Qu'il croit pas une seconde que t'ai peur de lui. C'est con parce que t'es sûr que dans d'autres circonstances vous auriez pu être de bons potes, mais bon.

Tu laisses Ezra transplaner pour vous et faire le guide jusque chez lui, en profite pour mémoriser les lieux et la localisation au cas où. Sur le chemin, tu en profites pour lui redemander ce que tu lui avais déjà proposé quelques jours avant. T'es sûr qu'il refusera, mais qu'il sache au moins que t'es là. Toujours.

— Viens un moment chez moi Ez. T'as besoin de repos et c'est pas avec l'autre con que tu vas en avoir.

Alors que toi t'as tout ce qu'il faut pour l'aider à se ressourcer.

— Et j'pourrais même t'apprendre deux, trois trucs si tu veux.

Balancé l'air de rien, parce que t'as pas oublié ses yeux tout à l'heure.

Sauve-moi.

T'as pas oublié.
T'oublieras jamais.