Elle a l’intonation chantante de ces mélodies peu mondaines que le temps glisse partout, de cette population qui s’engouffre partout pour lentement faire étouffer les plus calmes dans leur silence. Kumiho est la représentation des choses les plus détestées qui pourtant résonnent contre son échine ; qui murmurent à son oreille leur désir de corrompre et de dévorer. Si Ashe savait il y a longtemps déjà qu’elle était pleine de vices et empoisonnée, il n’avait pu pourtant s’empêcher de goûter au fruit défendu et désormais, il était prisonnier de ses griffes. Il n’avait voulu le mal de personne pourtant, alors pourquoi ? Pourquoi est-ce toujours cette empreinte métallique contre son palais, qui danse quand les ongles de Kumiho se détachent de son derme ? Pourquoi alors est-ce que les frissons que lui procurent son toucher contre son visage sont-ils bien loins d’être agréables ? N’était-il pas censé être grand, fort ; n’était-il pas censé faire trembler les pupilles comme il le faisait déjà si bien avec Parsifal ?
Il avait simplement à enserrer sa gorge de ses doigts, resserrer ses mains autour de sa nuque pour laisser imploser le rouge ; il n’aurait alors plus qu’à contempler ses orbites implosées et gorgées de sang. Pourtant, alors qu’autrefois cette vision l’aurait écoeuré, elle avait le dont d’animer quelque chose en lui. Une émotion terrifiante mélangée à de la peur, comme si Kumiho avait la capacité de survivre à tout ce qu’il lui infligerait. Et au même titre, la simple idée que tout puisse retomber sur le corps fêlé de Hua lui était inconcevable.
N’était-ce pas pour elle finalement, qu’il avait fait tout ça ? Ne l’avait-il pas perçue de nouveau, elle, dans ses orbes noircies de terreur ? Mais qu’avais-tu dont animé en lui, Kumiho ?

Il entend sans écouter, se courbe sans pourtant résister, son corps et sa volonté s’éteigne à chaque coup plus violent que son les épingles de ses mots. Ashe a déjà goûté à la couleur de sa colère, les teintes de sa désapprobation ; si Nahash était malsain alors elle était méphitique et néfaste, si les Enfers étaient pleins de flammes véhémentes alors Kumiho était l’apogée de la combustion. Lui n’était qu’une torche aussitôt née aussitôt morte qui n’avait que ses poings pour faire gronder l’épiderme ; Kumiho par de simples mots savait le faire basculer des autres côtés, ça serait probablement terrifiant pour n’importe qui, mais sa raison n’était qu’insuffisance.
Et à son souffle entrecoupé de spasmes involontaires - Ashe ne distinguait qu’une partie des mots de son interlocutrice. Chaque fois pourtant il les percevait comme un coup brusque donné à sa nuque et plus de fois alors il se renfrognait sur lui-même, comme un être moindre terrifié d’affronter la lumière extérieure. Il ne fallut qu’un simple mot résonnant pour qu’Ashe daigne relever la tête ; qu’un simple nom insuffisant pour certains, trop important pour lui. Ce n’était pas un nom - juste un surnom, et l’entendre sortir de sa bouche lui faisait chaque fois revêtir une robe de colère bien plus étroite que la précédente.
Quand il s’agissait de lui obéir, Ashe ne faillissait jamais ; mais quand il s’agissait de Parsifal, il refusait qu’elle l’entrevoie. Ne serait-ce que l’espace d’un instant. Peut-être était-il honteux de ce qu’il lui avait infligé, peut-être était-il terrifié que cela ne soit pas suffisant - mais il était persuadé que Parsifal était en sécurité là-bas, et il ne voulait pas troubler cette songe.

— Non, non attend ! Il répète, reste ici et finit par se lever - sans vraiment songer à pourquoi, sans vraiment se poser la question du comment. Son corps bien moins agile que celui de la renarde se prête à jongler entre les désastres étalés au sol, mais sans vraiment réussir à en éviter. Il s’est déjà entaillé les paumes et ses bras se recouvrent toujours un peu plus de fêlures qui ne s’effacent que dans ses rêves.

Mais n’est-ce pas ta faute Kumiho ? C’est toi qui l’a rendu incontrôlable.
Si incontrôlable qu’il s’empresse de plaquer son dos contre la porte, rendant l’accès impossible et la repoussant par ailleurs - si elle veut passer, si elle veut ne serait-ce que l’entrevoir à travers la serrure, il faudra qu’elle lui passe sur le corps ; mais Ashe sait que cette simple volonté sera factice. Il y a bien longtemps déjà que sa force n’a plus suffit à restreindre chaque mouvement du serpent.

— Tu ne dois pas entrer.. Mais plus il s’appuie contre le mur et plus il se sent terrifié ; car si tu entres Kumiho, alors ça sera automatiquement pour les détruire, chaque fois un peu plus n’est-ce-pas ?

Ashe noyé sous les flots de paroles ne distingue plus même son visage aussi perfide soit-il dessiné sous son regard ; il lui a ôté la vision d’un oeil après tout. Il ne s’agissait pas de grand chose mais tout avait été suffisant pour qu’il en soit à jamais bouleversé, mais jamais assez et toujours trop fort. Comme si elle enfonçait ses crocs plus férocement à chaque fois et qu’il ne restait jamais plus rien que des traînées de sang. Ashe n’avait jamais compris ce qu’elle cherchait, il s’était embrumé dans ce qu’elle laissait paraître et ce qu’elle voulait réellement ; alors il l’écoutait comme si elle seule était capable de le sortir de ces ténèbres dans lesquelles il s’était noyé.
C’était le cas, n’est-ce-pas ? Il se suspendait dans son rire, sans jamais en contempler la cruauté, simplement la laideur. Mais de quoi pouvait-il se plaindre ? N’était-il pas pire ? Elle n’avait pas agit, et lui l’avait frappé de ses mains, lui dont le sang bordait les murs - lui dont il avait resserré les liens et enserré la gorge. Persuadé qu’il était définitivement le seul coupable alors qu’elle lui avait délibérément mentionné d’agir de la sorte (pour qu’il reste avec toi) elle avait dit. Pourtant il brûlait de sa colère et de toutes ses émotions ingérables.
Son poids contre la porte il a l’impression curieuse et indélicate qu’il la briserait s’il continuerait. Puis quand ses doigts se perdent sur la longueur de son visage il déglutit (toucher immonde) il aimerait s’enfuir mais alors elle aurait pleinement accès à ce qu’il chercher à cacher, si ce n’était réellement le protéger de ce mal qui s’avisait.
S’il pouvait éviter que le serpent se faufile jusque lui, alors il serait soulagé.
Même si ce n’était qu’un petit instant dans toute son existence.

Elle a ce toucher qui signifie tout ; tu ne partiras pas. Ce toucher qui signifie ; tu ne fuiras pas. Tout le poison qui s’éprend de son derme hâlé, toute cette colère qui se mélange à cette terreur trop condamnable.
Le monstre est si grand face à lui et pourtant, il n’aurait besoin que de rien pour l’éliminer. Que de rien et il se souvient alors de Darya et sa sagesse. Darya et son calme ; alors il respire à nouveau. Il lui faut être patient sans céder, vigilant sans sourciller.
Mais comment était-il censé réussir à ne pas se réduire à néant de nouveau ? Il en finissait toujours dérouté, dépaysé (à moitié mort ou vivant) - les mains en sang.

— Je continuerai. Je - ce que tu me diras, oui. Je le ferai. Parce qu’il le doit. Pour tracer des sentiers meilleurs un jour peut-être ; pour réussir à voir de nouveau la lumière il fallait accepter de sombrer trop longtemps dans les ténèbres. Et les ténèbres étaient la peur, la colère - la terreur et la solitude. Ashe était prêt à rester seul pour l’éternité, si c’était pour qu’il trouve enfin la paix.
— Dis-moi seulement. Et il obéira.
Parce que c’est comme ça ; ça fonctionnait toujours mieux quand il n’établissait rien de lui-même. Il avait toujours été incapable de prendre les décisions. Toujours les blessures béantes jamais soignées ; comme les siennes. Trop de peines pour le hanter mais personne pour les soigner.

On lui avait ôté le peu de conscience qui lui restait ; on avait arraché la raison comme on avait arraché et piétiné les fleurs sur les haies ravissantes de son Éden. Il ne restait que des sentiers où s’écoulaient la terre et la boue symbole de son ignominie - il était si misérable quand il s’enfonçait contre la porte au moindre de ses faits et gestes. Il était si misérable de croire qu’il avait à la fois fait ce qu’il devait, en plus du nécessaire.
La vérité était qu’il aurait dû éliminer la menace quand elle s’y attendait le moins, quand elle était toute jubilatoire de croire qu’il était malléable au creux de sa main. Et c’était parce qu’elle n’avait pas tort qu’Ashe s’était tassé, comme il le faisait toujours.
C’était parce qu’il se souvenait de la douleur lacérante qui avait arraché une partie de son esprit ce soir-là, il avait compris qu’il devait se tasser pour que cette douleur n’atteigne pas son coeur (ou celui de Parsifal) et parfois il regrettait simplement de ne pas avoir le courage ; parce qu’il était si mort faisandé à l’intérieur. Émietté qu’on pouvait encore le piétiner sans qu’il n’en dise rien.
Il était si grand et fort mais si ridicule et mièvre, qu’il semblait tellement stupide force d’exister.

Et à l’immondice qui frôle son visage ses muscles se brusquent. Il aurait aimé avoir la décence d’agir et de lutter mais ce qui persiste reste son coeur en feu qui ne demande qu’à éclater ; et s’il le fait ça sera de toute évidence envers lui-même, qu’encore cette fois il s’acharnera sur ce qui lui tombe sous la main ; faute de ne pouvoir extraire ce qui le pourrit réellement. Mais Ashe sait que ce n’est pas la fin - il s’est lui-même enfoui dans cette terre maudite, il vit dans un enfer qu’il a créé de toutes pièces car il était insuffisant.

— Du travail ? Qu’il interroge, alors qu’elle s’est déjà évaporé. Avant même d’avoir rêvé qu’il puisse un jour abattre sa colère sur elle, arracher chaque étincelle de son regard ou chaque courbe de son sourire - il détestait sa présence mais elle lui était essentielle ; qu’adviendrait-il de lui si on ne lui disait plus quoi faire ? Parce que sur le long chemin des sentiers de vie, tout était devenu si brumeux. On le traînait en laisse de peur de le perdre, car de toute évidence il ne pouvait trouver le chemin lui-même. Et c’était déplorable.