C’est qu’il faisait bien noir là où il n’y avait plus rien. C’est qu’il fait bien froid là où le feu ne crépite plus, c’est que le coeur est bien meurtri du vide placide qui cogne contre les murs. L’entends-tu, ma soeur ? L’entends-tu, si peiné que même lorsqu’il crie - il donne l’impression de s’être fissuré.
Et nous sommes seules désormais, dans ce manoir trop grands pour nous ou même nos peines se perdent. Les affres teintent les murs de pigmentations grisaillées et il n’y a que le tintement de nos pas comme écho aux dernières paroles.

Mnemosyne ne se souvenait pas même de celles de Clovis, au même titre que celles des autres. Elle se persuadait pourtant, c’était peut-être ce qui la maintenait en vie à l’heure actuelle ; elle ne pouvait pas céder. Et pourtant, ce sont bien les corps de sa famille qu’ils ont enterré plus tôt. Dans sa robe de noir - elle fait les cents pas. C’est que tout est si vite devenu vide, si vide devenu mort - et elle peine encore à chercher ton regard, dans un silence qu’elle ne comble même plus.
C’est qu’il riait souvent, Clovis. Qu’il avait le sourire pimpant aux lèvres et que Mnemosyne presque en parcourant le manoir, se souvenait de l’époque où la naïveté peignait leurs traits, de l’avant Poudlard ou de l’après, elle l’avait toujours terriblement chéri. C’était comme pour eux tous, finalement, mais à la fois si différent pour chacun.
Alors qu’on ne lui retire pas désormais, la seule personne qu’il lui reste - qu’elle chérit si ardemment qu’elle n’a de cesse de la chercher. Et toujours elle se demande car elle ne peut s’infiltrer dans ses pensées ; toujours elle se demande si elle aussi, son coeur se pourfend misérablement à chacun de ses pas ici.

— Evonice, ma soeur.. Qu’elle doucement déclare, en la percevant dans ses appartements. Parce qu’elle ne se fait pas à l’idée qu’il ne reste qu’elles. Parce qu’elle est désespérée de la perdre elle aussi et qu’elle se demande encore une fois, pourquoi eux ?
Que son esprit tourmenté gronde de colère ou de tristesse, elle ne sait pas comment lui parler - mais c’est qu’elle aimerait que jamais rien ne change. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, le changement avait toujours été parasitaire. Comment te sens-tu ? Je nous ai fais du thé. Qu’elle pénètre l’enceinte d’un sourire qui se veut doux. Ô sais-tu, Evonice, il n’y a qu’avec toi qu’elle se défait de cette lourde colère, de se mépris inexorable et farouche dont elle se sied pour mieux se voiler la face.
En réalité, son coeur a mal - bien trop mal.
Dépose un plateau d’argent sur le bois où l’odeur du thé embaume la pièce. Ce n’est pas grand chose et elle ne l’énonce pas clairement - mais elle espère éveiller leurs maux au travers de la chaleur d’un thé aux arômes de sanctuaire ; le vôtre. Votre sanctuaire déchu, qui lentement s’est éteint avec les morts.
 

Elle l’admire un instant, peut-être d’une oeillade trop brièvement déposée pour en être une - avant de prendre place à son tour à ses côtés. Les temps sont mornes ; l’odeur encore persistante de la fumée en est témoin, sa robe de noire pigmentée en est la preuve. Son coeur s’est recouvert d’une quiétude malheureuse, d’une insuffisance qu’elle ne peut combler ; autrefois ils étaient tout, mais désormais il ne reste rien. Elle avait toujours redouté que tout s’oeuvre ainsi, de façon si chaotique et désastreuse, elle avait toujours regretté que le temps devienne un concept regretté. Pourtant, elle n’avait pas de remords ; elle n’aurait rien pu faire. Ce qui était arrivé n’était rien d’autre qu’une tragédie, et Mnemosyne n’avait le coeur à dénicher les coupables. Tout était déjà scellé.

Alors elle l’écoute, sans prendre garde à sa tasse qui se fait patiente. La vérité est telle ; elle n’a d’envies depuis un moment. Elle est persuadée que sa soeur aussi, mais tout ce qui se passe en son esprit lui est complètement inconnu. Il y a tant de choses qui lui sont finalement, parfaitement inconnues.
Et à ses mots, elle ne réussit qu’à compatir en silence ; ainsi n’est-elle pas la seule. Car trop d’émotions en elles s’emmêlent ; n’a-t’elle pas toujours été si vive, après tout. Mais tout cela est bien au dessus de ses capacités, la chute est flagrante, voir déroutante, aux peintures de leur famille décomposée désormais, elle ne peut se résoudre à les dépeindre elles-deux, seules.
Pourtant elle le sait, elle sait qu’elles en seront capables, dans tous les cas ; même si Clovis réapparaît un jour. Même si elle reste persuadée qu’il n’a pas complètement disparu - l’enfant candide qu’elle était autrefois les idolâtrait tant ! Aujourd’hui, elle se fait encore grand enfant pour se persuader, rien qu’un peu, qu’un miracle est sans doute possible.

— Je suis ici, avec toi. Qu’elle s’ose enfin à dire - n’avait-elle pas toujours été là ? Ça semblait si banal et pourtant, si nécessaire. Ses paumes vinrent se réchauffer contre la porcelaine un instant. Nous traverserons ça ensemble, de toute évidence. C’est ce que nous avons toujours fait. Sourire comme plume légère qui à la fois reste douceur et mélancolie - il ne s’efface que pour accueillir sur ses lèvres sa tasse. Fragrance délicate mais qui n’efface pas et ne surplombe pas ce trou béant qui a envahi leurs coeurs.
Mais ses mots sont bien plus qu’une simple empathie jetée au large, ils sont une compagnie intarissable, une volonté claire d’un combat qui désormais, leur sera commun. Elles ont toujours été capables de grandes choses ; elles seraient capables de passer cette étape là également, Mnemosyne en était persuadée.
Et dans le regard autant de peine que de volonté pour peut-être, se servir des cicatrices mal cicatrisées pour avancer. Le regard doux pourtant attristé déposé sur sa soeur - elle sait, il en dira bien plus que de simples mots.