Un français parfait et presque sans accent, chantant et solaire se fit entendre après le bruit d’une porte d’entrée qui s’ouvre et qui se referme. Peut-être un cliquetis de cloche pour annoncer l’entrée d’un visiteur.

- Parsi, je suis là ! Et seulement trois minutes de retard… à une ou deux minutes près, c’est pas une science exacte.

Sambre venait d’entrer dans le salon de tatouage Markus Scarrs, un peu comme s’il était très attendu ou déjà chez lui. C’est vrai qu’il était du genre à être très à l’aise et familier peu de temps après avoir rencontré de nouvelles personnes. Après tout, c’était seulement la troisième fois qu’il venait au salon, et il se permettait déjà de raccourcir le nom de son tatoueur comme s’ils avaient élevé les boursouflets ensembles. Pire, ça lui venait totalement naturellement sans qu’il ne se pose aucune question.
Cela dit, même si on chassait le naturel, il reviendrait au galop, Sambre connaissait très bien le dicton. Alors pourquoi perdre de l’énergie à cacher ce que l’on est quand on finira par l’être tôt ou tard, fatigué de devoir se cacher aux yeux du monde. Et dans le meilleur des cas rien ne changeait, dans le pire cependant, les personnes qui croyaient nous connaître finissaient par être déçues.
Non Sambre ne s'embarrassait pas à se cacher. Il était entier, même quand la situation n’était pas à son avantage. Personne n’avait dit que c’était une qualité, ni même un atout.

Aujourd’hui, le jeune sorcier était habillé de manière plus discrète qu’à son habitude et ce, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord parce qu’il avait appris depuis son plus jeune âge que traverser l’allée des Embrumes ne s’effectuait pas toujours sans embûches et qu’il était plus raisonnable de n’afficher ni bijoux, ni tout autre type de richesse apparente devant les yeux envieux des voleurs et des marginaux.
Et lorsqu’il y venait pour s’approvisionner d’ingrédients sous le manteau, il était toujours bon de ne pas attirer l’attention.
Ensuite, parce qu’il avait passé un temps fou avant sa première séance à retirer un nombre incalculable de bijoux. Et que ça avait été tout bonnement ridicule.

D’un geste élégant, il retira sa veste pourpre en se perdant dans la contemplation des murs couverts d'œuvres de l’ancien propriétaire.
C’est parmi les artistes de son nouveau cercle qu’il avait entendu parlé de l’adresse et il n’avait pas été déçu. Cette boutique était à elle seule un univers, le convainquant presque immédiatement de sauter le pas.

Sambre était là pour un tatouage, déjà bien entamé, sous les mains expertes de Parsifal Bloodlance. Quand il était venu avec son idée, dessinée de ses propres mains, les idées artistiques du tatoueur avait tout de suite collées avec sa propre vision des choses. Ils avaient d’ailleurs déjà longuement discuté lors des deux premières séances, de choses et d’autres, ce qui avait d’ailleurs amené Sambre à l'interpeller en français, puisqu’ils avaient ce point commun.

- Je suis tout à toi.

En français encore une fois.
Radieux, il était impatient comme un enfant malgré la douleur qui l’attendait, il le savait. Bientôt, il retirerait son haut pour laisser l’artiste reprendre son œuvre.
L'œuvre en question : un sablier qui commençait à prendre possession de sa peau sur son flanc gauche, tout le long de ses côtes. Il est encadré de lignes géométriques sur le modèle de lignes et dessins ésotériques. Par endroit, des ronces s’enroulaient autour du sablier, parsemées de petits bourgeons. Il manquait encore certaines ombres et les couleurs. Certaines lignes étaient encore à parfaire. Le travail était fin, soigné, aussi délicat que la peau sur laquelle il prenait vie.
Sambre serra un peu les dents en se rappelant de l’aiguille contre ses os mais que voulez-vous… Il fallait souffrir pour être beau.

@feat  L. Parsifal Bloodlance Je mets les réfs du tatoo asap <3.

Sambre, sage comme une image, hoche la tête quand Parsifal lui indique qu’il peut s’installer sur le fauteuil où il repassera encore plusieurs heures à serrer les dents. C’était quand même fou, ce qu’on se faisait subir volontairement. L’être humain, avec ou sans magie, avait toujours été très versatile sur ce point.
On ne voulait pas souffrir à cause des autres mais s’imposer soi même une douleur paraissait être une lubie tout à fait normale.

- Tout à fait prêt ! Même si j’ai rêvé que tu me poursuivais avec une aiguille géante.

Il se mit à rire. Quand il arrivait à dormir, il faisait toujours des rêves un peu nuls.
Abandonnant son t-shirt sombre sur une chaise près de lui, le plus jeune des Lawrence s’installa de manière à ce que tout son flanc gauche soit accessible.
Il avait, sur les doigts, des restes de peinture qu’il avait oublié d’effacer avant de quitter son appartement qui lui servait aussi d’atelier. La couleur dominante était le rouge, et si d’autres petites touches de couleurs n’avaient pas été également présentes, on aurait pu penser à des tâches de sang, de loin seulement.

- Je suis désolé, j’ai les mains dégueux…

Il avait l’air à l’aise, le blondinet. Même si ses regards réguliers au matériel de son tatoueur trahissaient son appréhension de la douleur.
Réflexion mise à jour, c’était encore plus étrange de s’imposer une douleur qui allait être provoquée par une tierce personne, qu’elle soit artiste ou non.
Pour se changer les idées, il préfère se concentrer sur Parsifal et sur ce pourquoi ils étaient là tout les deux.

- J’ai imaginé un truc fou ! Tu as déjà entendu parler d’un sablier qui s’écoule plus lentement quand la discussion est intéressante, et inversement si elle ne l’est pas ? Est-ce que ça serait pas génial que ce tatouage soit ensorcelé de la même manière ?

Son regard violine brille comme celui d’un enfant à Noël et son sourire s’étend largement. Finalement, il observe le dessin sur sa peau et l’effleure du bout des doigts de sa main droite.

- Mais bon, je m’emballe… On va peut être déjà le finir. Et j'hésite encore sur les couleurs. Mais... C’est juste qu’il… est déjà tellement beau.  

Et il glisse à la suite de sa déclaration, en relevant les yeux, toujours familier, pour demander naturellement.

- Tu as l’air songeur, est-ce que tout va bien ?

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Sambre s’était contenté de sourire quand Parsifal lui avait demandé s’il faisait réellement peur, un sourire amusé et faussement énigmatique qui voulait autant dire “Qui sait ?” que “Tu sais bien que je plaisante et que ce rêve était pourri de toute façon.”. Ce n’était pas un spécialiste de l’interprétation des rêves mais il restait persuadé que c’était sa peur de la douleur qui avait fait trembler son subconscient. De quoi pouvait-il avoir peur de toute façon, enfin chez Parsifal en tout cas ?
Lors de leurs précédentes séances, ils avaient parlé d’art, de tatouage, de passion. Malgré l’appréhension de l’aiguille, Sambre se sentait en sécurité et en bonne compagnie dans cette pièce. Franchement, qu’est ce qu’il aurait bien pu trouver d’effrayant chez son tatoueur.

En fait, à la réflexion, il avait eu peur de quelque chose en entrant dans le salon de tatouage. Du jugement de son tatoueur, lorsqu’il lui avait exposé son idée de sablier ensorcelé. C’était étonnant d’ailleurs, lui qui pensait ne pas être influencé par le regard des autres. Peut-être qu’il se voilait la face. Ce ne serait pas la première que ça arrivait celà dit… Cela faisait plusieurs mois qu’il pensait échapper à l’influence de sa famille, et il était bien possible qu’il ait eu tort.
Ce tatouage, c’était peut être, en réalité, une façon silencieuse de reprendre le contrôle de son corps qu’on avait contrôlé durant l’enfance.

Stop, pourquoi est-ce qu’il pensait à ça tout d’un coup ? C’était juste un rêve pourri, sur une peur nulle et infondée.
Pendant un instant, il désira ardemment que l’aiguille reprenne son œuvre, la douleur aidant toujours à oublier.
Et Parsifal ne l’avait pas jugé, bien au contraire. Pourquoi imaginer une chose pareille ?

- Si tu es doux avec moi, j’y réfléchirai pendant que tu réalises ton œuvre.

Son sourire taquin et sa propension à vouloir s’occuper des autres chassa rapidement ses pensées sombres, avant même que l’aiguille le touche.
Ses yeux violines scrutaient Parsifal qui prenait place en répondant à sa question, mais ils étaient moins inquisiteurs qu’il n’y paraissait. Sambre était un jeune homme empathique et curieux, quoi qu’on en dise devant ses airs de petit prince trop gâté. Mais de là à être réellement observateur, on n’en était peut être pas encore là.

D’un air entendu, il hoche la tête quand l’artiste s’empare de son arme, pour lui indiquer qu’il était prêt.

- Tu peux y aller. Je suis prêt. Mais je vais peut-être continuer à m’inquiéter pour toi pour me changer les idées.

Instinctivement, il tourne la tête pour ne pas voir l’aiguille se poser sur sa peau. Il lui avait toujours fallu plusieurs longues minutes avant d’oser jeter un coup d’œil au travail de Parsifal, qu’il trouvait fort intéressant. Mais pour le laisser l’approcher avec son instrument, il fallait qu’il regarde ailleurs quelques instants pour penser à autre chose.
Il serra les dents quand l’aiguille pénétra sa peau, et tout son corps se crispa comme traversé par un électrochoc. Sachant pertinemment qu’il devait se détendre, il inspira sans faire de gestes parasites empêchant Parsifal de travailler, du moins il essaya. Et alors que ses yeux se posaient sur le plafond, il reprit.

- Tu travailles trop ? Je peux comprendre… C’est un peu la malédiction de l’artiste, on a pas d’horaire pour notre créativité.

Il a un sourire sincère, mais encore crispé par la douleur.

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Les yeux de Sambre partageaient leur temps de contemplation entre deux éléments : le plafond, neutre et inintéressant au possible, et le visage de Parsifal, n’étant pas encore prêt à regarder l’aiguille marquer sa peau. Du coin de l'œil, il croit percevoir ce sourire étrange sur le visage de son tatoueur mais entre la douleur et ses propres démons, il n’était pas vraiment très sûr de ses perceptions.
Et même si des questions plus poussées pouvaient lui brûler les lèvres, il n’était peut-être pas opportun de mettre les pieds dans le plat comme il pouvait avoir tendance à le faire.

Silencieux à son tour quelques instants, apprivoisant sa douleur tant bien que mal, ses yeux finissent par glisser sur les mains de Parsifal pour le voir travailler. La position de son cou n’était pas excessivement confortable mais il aimait regarder.
A sa question, il hoche doucement la tête.

- Ça peut aller. Le passage des côtes me fait toujours un mal de chien. J’ai l’impression de sentir mes os vibrer.

Sambre se concentre sur sa respiration. C’était nécessaire pour permettre à l'artiste de dessiner sur sa toile.
Sa toile vivante.
Le plus jeune des Lawrence était particulièrement fasciné par ce talent, de graver sur la peau son art, lui qui ne déposait le sien que sur du tissu tendu sur un cadre en bois.

- Tu sais, si un jour tu as besoin de décompresser après le boulot. J’ai une ou deux galeries d’art à te faire visiter.

Ses dents se serrent par intermittence en fonction du dessin, du tracé que prend l’aiguille.

- Des fois… C’est plus simple de se vider la tête avec des gens qu’on connaît pas trop.

Une réflexion à voix haute, pour lui ou pour Parsifal et son sourire triste.
Le jeune homme détourne un instant la tête pour soulager son cou, puis reporte son attention sur les mains du tatoueur. Il sert les dents. Combien de temps avait-il mis pour s’habituer la dernière fois ?

- Je me demande ce que ça fait… Dessiner sur la peau, par rapport à une toile. Comme sensation.

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Sambre confirme en silence l’affirmation de Parsifal concernant la douleur qui vibre dans ses côtes. Mais à son ton désolé, le jeune homme répond par un sourire, qu’il comprenne qu’il n’avait pas à l’être.
La dernière fois qu’il était passé sous son aiguille, Sambre avait mis du temps à s'adapter, mais en sortant du salon, la douleur lui avait comme… manquée. Est-ce que c’était bizarre ? Il préfère taire sa question, juste au cas où.

La question de son tatoueur le fait sourire, et le peintre doit tâcher de ne pas rire pour ne pas déranger l’autre artiste à l'œuvre.

- Grave ? Absolument pas. Tu sais, nous sommes toujours friands de nouveaux regards à charmer alors novice ou amateur, c’est appréciable de voir du monde. Et tu n’as même pas besoin de t’y connaître, dans le nombre de personnes qui viennent simplement se faire mousser, tu seras presque le plus authentique des visiteurs.

L’avait-il surpris par son côté avenant ? Trouvait-il l’invitation étrange ? Sambre était un animal social par excellence, ayant tendance à oublier que tout le monde ne l’était pas autant que lui. Il le rassure d’un sourire.

- Mais je ne te force à rien. Tu t’en doutes.

Sagement, il l’écoute répondre à sa question. C’est qu’il pouvait être bavard le Sambre parfois. Souvent. Le silence l’effraie parfois, et le ramène à sa douleur. Et puis il était curieux de tout, avide de savoir, de découvrir.
L’envie lui prend même de vouloir s’essayer à la manipulation de cette aiguille de malheur. C’était une façon de marquer son passage dans le monde d’une manière bien différente qui lui plait soudainement beaucoup.

- Une toile n’a effectivement pas la même souplesse… Et pas d'appréhension de la douleur non plus. Ton analyse me plait, et ça me donne même envie d’essayer. Sur quoi t’es-tu entraîné ? Des cobayes compréhensifs ?

Mais voyant la concentration du tatoueur, Sambre se tait de nouveau en serrant les dents. Il comprend en effet toute son analyse quand il sent ses muscles se contracter au passage de l’aiguille sans qu’il puisse y faire grand chose. Peut-être aurait-il dû avaler une potion avant de venir pour faciliter la tâche de l’artiste. Ou peut-être avait-il eu besoin de ressentir cette douleur.
Son esprit s’extirpe de la désagréable et pourtant vivifiante sensation à la question de Parsifal.

- Oui. J’aimerai que le sable s’écoule perpétuellement dans le sablier, infiniment plus lentement si la situation dans laquelle je me trouve est agréable…  et que les quelques bourgeons  sur les ronces éclosent puis se referment pas moment. Tu penses que c’est faisable ?

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Il suffit d’une simple hypothèse envisagée pour éclairer le regard améthyste posé sur le tatoueur et Sambre lui rend un large sourire en réponse, heureux que Parsifal prenne le temps de songer à le rejoindre dans une galerie. Et le jeune homme redevient silencieux car ce qu’il aurait pu ajouter lui semble évident. Un refus ne le vexera pas, il comprendra. Une acceptation et il se promettait secrètement que Parsifal ne le regretterait pas.
Il était comme ça, Sambre, à s’emballer alors que le chemin qu’il prenait en pensées n’était qu’une option. Cela lui jouait parfois des tours, même si là, à imaginer une simple soirée artistique pour faire découvrir la peinture à un novice, il ne risquait pas grand chose pour une fois.

Sambre, empathique, imagine sans mal l’appréhension de sa première aiguille sur sa première toile vivante. En tout cas, il en a l’impression, en rendant à son tatoueur un sourire malicieux.
D’ailleurs, il constate avec douceur en reposant ses yeux sur la main qui officie sur sa peau, se laissant aller au plaisir d’une contemplation fascinée qui se mêle petit à petit au plaisir versatile de la douleur.

- Je suis bien heureux qu’ils t’aient laissé faire. Ton travail est splendide. Quand je t’ai parlé de ce sablier et que tu as donné vie à mes idées, j’ai su que j’étais au bon endroit.

C’était peut-être un peu trop, cette avalanche de compliments mais pas pour Sambre dont une partie de sa philosophie de vie se résumait parfaitement par “Trop n’est jamais assez.”. Alors forcément, il n’allait pas se priver.
Et puis parler lui faisait un bien fou quand Parsifal repassait sur ses côtes, pour un détail ou une finition délicate, même si ses mots s’interrompaient parfois, étranglés dans sa gorge quand la douleur était trop agressive.

Le jeune homme se détend quand le tatoueur repose son aiguille et qu’il capte son sourire satisfait. Se redressant un peu, plus pour remuer un peu ses muscles contractés par une même position tenue depuis trop longtemps, et ses yeux se posent sur le miroir.

- C’est absolument sublime Parsifal… Vraiment. Les lignes ésotériques sont vraiment élégantes ! Et tout s’adapte parfaitement en termes de style. Déjà tes premières esquisses étaient parfaites mais de le voir en vrai… Je suis impressionné par ton habileté et la précision de ta main.

Charmé par l'œuvre, l’artiste la contemple presque religieusement encore un moment. Il a envie de retracer les lignes du tatouage du bout des doigts mais se garde bien de le faire.

- Je crois que j’ai envie d’y voir de la couleur… Des reflets nacrés et des tons froids. Du bleu et du violet. Qu’est ce que tu en penses ?

Un rire le prend.

- Il faut croire que j’aime passer sous ton aiguille Parsi ! Je ne peux plus m’en passer. Je ne veux pas t’ajouter du travail plus que de raison mais j’ai envie que ce soit parfait.

Tout doit être parfait. Et perdant de nouveau ses yeux sur le dessin encré dans sa peau, son regard se voile et il souffle, surtout pour lui-même.

- Il faut souffrir pour être beau.

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