il les aime plus que de raison, alexander ; ses murs blancs, son matériel stérilisé, ses cadavres frais. il y a quelque chose de poétique, dans cette pureté immaculée qui sert de cage pour des restes putrides. chaque matin quand il franchit la porte de son bureau d’artiste vêtu de sa blouse, il n’a pas plus grand plaisir que d’inspirer l’air propre de cette pièce propre où subsistent des corps sales : voilà ce qu’il aimait répondre aux audacieux qui lui demandaient quel plaisir son travail peut bien lui apporter (seulement personne ne s’y risquait).

il est 8h pile quand il enfile ses gants chirurgicaux - car alexander prenait tellement de plaisir dans son métier qu’il n’était jamais en retard. son café est déjà bu, ses rendez-vous d’aujourd’hui ont tous été relus, ses fluides sont prêts depuis déjà vingt bonnes minutes, et s’il avait hésité entre madame williams et monsieur jones pour commencer, c’est uniquement car son avance lui permettait ce léger doute quant à l’organisation parfaite de sa journée.

c’est à 9h45 qu’on toque à sa porte - son assistant chargé de la paperasse qu’il abhorre connaissait les règles. alexander se redresse, admire son art un court instant avant de quitter proprement la salle des miracles. « il serait bien aimable de ta part de préparer du café pour deux. merci bien. » il sourit, le laissant rejoindre la salle de repos alors qu’il se dirigeait quant à lui à l'accueil. 10h. alexander ne croise plus ses bras - il les ouvre grand quand apparaît, ponctuellement, le rendez-vous préféré de sa journée. « regardez qui voilà ! entre donc, dépêche toi. » il n’appréciait pas trainer. entamant le pas derrière le comptoir, il fit signe de la main pour qu’on le suive - il enfila au passage l’une de ses polaires. « erza, j’ai fait faire du café pour moi. » il est fier d’être poli et de ne pas lui en proposer. récupérant sa tasse pleine et une vide sur le chemin, il salua l’assistant qui buvait son café lui aussi. au bout du couloir, il entra enfin dans l'antre de leurs secrets, se désinfectant minutieusement les mains - c’était une sorte de bureau à la température froide, et où l'on trouvait en face à face, deux murs occupés par des morgues. si bien des portes n’étaient pas destinées à être ouvertes, alexander en sélectionna une, et, tirant le plateau, on y vit des boîtes à dossiers pleines de poches de sang. « alors ! puis-je te proposer une dégustation, ce matin ? sang de vaudelune. intéressé ? »

il sourit, fier de son humour brisé, fier de sa joie mal placée. il est heureux, alexander, de côtoyer l’espèce étrange qu’ezra strauss est. mais tout bonheur est aussi fragile qu’un espoir; pas vrai ? c’est pour cela que l’on ne vit qu’en ressassant ses erreurs et ses colères. ses mains posées sur la sélection qu’il avait proposé à son invité, il cessa ses mouvements - et même son regard se figea sur lui : comment ça ? pourquoi espacer ses visites ? non. s’efface la courbure de ses lèvres, pour ne laisser que le sérieux de son désarroi. il prend la pochette, ferme la morgue. alors qu’il lui tourne le dos pour préparer sa tasse, il ignore complètement son refus quant à la dégustation - convaincu qu’il pouvait bien dire non, mais que son corps lui criait oui.

« quelle folle idée. vous n’ignorez pas que la qualité d’un sang se détériore progressivement, pas vrai ? vous savez aussi que je chasse toutes les semaines. » il lui apporta sa tasse, emplie de sa boisson rougeâtre. il fait ensuite le tour de son bureau pour s’y installer, sortant un cahier de l’un de ses tiroirs. il dicta alors ce qu’il écrivait.« le sang se conserve une trentaine de jours, après l’ajout de conservateurs - personnellement j’y ajoute de l’adénine. un an complet, si conservé à - de 25 degré celsius. cinq jours seulement, pour les plaquettes. bref, bien des chiffres qui diffèrent pour simplement vous dire qu’il n’y a rien de meilleur qu’un sang frais, erza strauss.  » ses yeux se posèrent alors sur son teint, sur ses yeux, sur ses lèvres. il posa son stylo, s'affaisse dans son siège. « vivez-vous ? ou vous contentez-vous de survivre maladroitement ? pourquoi saccager votre palais, pourquoi négliger votre appétit. je ne comprends pas. goûtez, allez-y. je l’ai égorgé il y a deux nuits. pourquoi restreindre cette particularité… qui vous définit si bien ? pardon. je veux dire : pourquoi tabasser ce vampire en vous ? pourquoi ne pas le laisser vivre ; et manger à sa faim. ah et, pour vous répondre : mon café est délicieux, en effet. j'aime me faire plaisir. » il leva sa tasse de café comme pour fêter sa santé, avant d'y prendre une gorgée

il sait, alexander, que le malaise est une compagnie courante quand il initie des têtes à têtes. il le voit, le ressent, le sait. dans les micro expressions de tous les êtres sur terre, alexander voyait sans trop chercher ce que sa présence pouvait susciter. du dégoût, bien souvent ; sinon, ce malaise récurrent qui trace le gouffre entre les désirs. on ne sait jamais vraiment si on veut le connaître, ou l’oublier.

« c’est vrai. je ne comprendrais jamais. » parce qu’il se nourrit des morts mais d’une autre façon ; c’est plus beau, plus poétique, car le plus souvent il ne vole rien et se contente de réparer les sévices de la vie. mais en s’exprimant, en prononçant ce jamais, alexander eu un frisson : il savait.

un jour il franchira la limite de l’interdit, et ce jamais deviendra mensonge car il ne pourra jamais véritablement l’avouer…

il se leva (comme pour chasser sa pensée) ; quittant son siège il se pencha une seconde pour mettre face à son invité, la boite de mouchoir qui trainait sur son bureau. après son attitude courtoise ; quoi qu’un peu hautaine, il s’en alla à ses frigo mortuaires qu’il avait soigneusement dédicacés aux besoin du garçon strauss. « ça doit être ton côté humain ? c’est fascinant. erza dis moi, si tu meurs avant moi, aurais-je le plaisir de m’occuper de ton corps ? je suis curieux de voir comment, à l’intérieur, ces deux êtres cohabitent… » mimant ses mots par ses mains qui viennent se serrer contre sa poitrine, il ouvrit ensuite l’une des portes, un sourire dominant son visage austère.

« mais soit ! je ne me risquerai pas à t'énerver. j’aime simplement… titiller. c’est que ma vie est assez peu trépidante, dans le fond, tu sais… » devoir chasser de pauvres bêtes pour se sentir vivant - comment en être fier. il y avait tant d’hommes et de femmes qui prolifèrent autour de lui que souvent il se demandait comment il parvenait à résister à ses limites… la société était une instance si puissante.

il sortit une nouvelle poche ; plus petites que les autres, qu’il apporta avec lui en s’installant à nouveau à sa place. son bras se tend pour reprendre la tasse vide de son client, qu’il remplit avec ce nouveau sang. « j’ai l’impression de gérer un salon de thé, quand tu es là. » il en rit, brièvement. le plus décontenançant avec alexander, c’était sa capacité à tuer ses débordements d’émotion par un simple silence. « le plus agréable c’est de pouvoir te proposer diverses saveurs. goûte donc, je t’en prie. puis fais moi la liste de ce que tu aimerais, nous aviserons ensuite pour le prix. »

morbide était l’excitation qui montait en lui alors qu’il lui avait gracieusement servi : son propre sang. plus ils se voyaient plus le désir interdit d’être goûté grondait en lui… comment résister au danger ; lui qui se lassait de sa vie si peu trépidante.

quel doux euphémisme à ses oreilles, véritable mélodie dissonante que pourtant ; il aime. peu recommandable ? des bêtises de la sorte il aurait aimé en entendre des centaines, tant il appréciait que l’on modère sa démence. toutefois il ne se trompait pas sur le malaise ambiant qu’il faisait planait simplement en respirant ; à la bonne heure.

« différent. » il répète, sans que sa voix ne porte plus haute que la sienne. une sorte de murmure qu’il aimerait simplement laisser dans les oreilles de son interlocuteur ; un souvenir de son audace. « non... » continue-t-il, quand on lui fait remarquer que ce breuvage singulier n’a rien à voir avec ceux que d’ordinaire il servait. le voilà bien meilleur, bien plus intense, bien plus riche, bien plus « humain. ».

ses yeux scrutant l’homme finissent par le dépeindre tout entier, avec une affection particulière pour son regard plus intense désormais qu’il ne le fut jamais auparavant. il se lève, mais alexander pose ses coudes sur le bois du bureau, joignant ses poings pour y poser son menton. il se rapproche, animal de chasse, et la proie ne fléchit pas, attend patiemment - bien qu’il n’eut pas à attendre longtemps ; l’ordre divin.

c’est bien, erza, de vouloir. on obtient toujours ce que l’on veut en exigeant.

sourire traite et carnassier, celui qui se fait trop honnête pour plaider l’innocence ; il se lève une fois encore, pour remettre une main dans le frigo. pas la peine de revenir, il se contente de jeter sur son bureau une nouvelle poche qui, malheureusement, n’est pas plus grande que la dernière.

« fais donc, erza. hydrate toi. tu mérites bien cela, après tout ; pourquoi te priver de ce qui est bon ? »

pourquoi s’y soumettre, à cette foutue société ? lui, cet être si particulier qui n’appartient à aucun monde, devrait être rejeté des humains et des vampires comme on a souvent rejeté les sorciers des moldus… alors pourquoi subir ce que le juste nous interdit, si de justice il n’y en a pas de vraie.

il revient, d’un pas lent car malgré son audace sans borgne il craint ce qu’il ignore. prêt du bureau pourtant il ne s'assoit pas sur sa chaise, se contente de lever une jambe pour que sa cuisse trouve un appui contre le meuble.

« demande moi mon sang, je t’en préparerai. demande moi du sang, j’en trouverai. si j’ai toujours été sage à respecter les limites auxquelles tu te crois assujetti, c’était simplement pour t’offrir ce moment-là, tu sais ? »

le visage fier, il inspire en l'admirant dans toute sa barbarie, alors qu'il se délectait de son offrande. mais tout a un prix.

« mais en échange donne moi un peu de ton sang. »

face à lui un tout autre diable se tortille, comme enfermé dans l’enveloppe du raisonnable il lutte, le coeur en feu peut-être, pour que se réveille ce que le commun des mortels se refusaient à accepter. délicieuse créature que la bienséance voudrait tuer dans l’ombre, on le laisse pourtant respirer dans sa cage sous le feu des projecteurs ; et alexander a bien conscience de tout l’enjeu que représente l’âme amoindrie, perdue dans les tréfonds de son propre doute, jusqu’à devoir, malgré une volonté hésitante : à tuer sa propre existence.

mais vis, erza. entre ces quatre murs de honte il n’en existe aucune, on peut même écrire liberté sur les murs avec tout le sang du monde…

pourtant ça ne lui plait pas - et il ne le comprend pas, quand bien même il peut le concevoir. pas la peine, pas la peine ; mais sa soif était là, et elle était même un peu plus assouvie: alors pourquoi se priver ? sa silhouette se veut menaçante mais alexander ne craint aucune mort autre que celle qu’il savait qu’il s’infligerai, alors il reste droit dans sa posture, son regard suivant celui de cet animal dont il pourrait cent fois tomber amoureux.

le seul souci de son amour c’est à quel point il était éphémère et pourtant redondant ; typique certainement de sa folie. c’est pour cela qu’il ne croyait pas en l’amour mais en la passion ; elle est bien plus diverse et légitime que tout autre sentiment.

« tu pourrais. » confirme-t-il encore et toujours d’une voix qui se veut comme parasitante, absolument pas plus forte que la sienne.

mais il choisit la satiété, brillante idée - alexander expire comme s’il réalisait une pression… ou une excitation disparue.

il se lève, récupérant le déchet vulgairement jeté sur sa table pour le mettre à la poubelle de son bureau. il prit ensuite le soin, comme s’il n’existait plus, de nettoyer les quelques gouttes de sang qui avaient souillé son bureau ; dieu qu’il était détestable d’être si peu propre pendant un repas…

« et si je me mettais à grimacer tu aurais tout autant envie de me violenter. » toutefois il concéda à sa requête, adoptant en toute logique l’expression de la déception. lui laissant tout le plaisir d’être du côté de la puissance (la sienne), lui se contenta de s’asseoir sur la siège qui avait été dédié à l’invité, faisant face à erza comme s’il était celui qui le recevait. quelle drôle d’image avait-il, à cet instant, alors… comment ne pas en avoir l’air amusé ? « juste une fiole ; une moitié, même, si tu le souhaites. je suis plein de curiosité, erza ; sans pour autant vouloir devenir ce que tu es... j’aimerai juste avoir un échantillon, un précieux trésor à découvrir par moi-même… en attendant de te disséquer, un jour, peut-être. que peux-tu craindre de moi ? après tout, tu pourrais me faire du mal. je ne joue pas avec le feu, j’aime juste danser autour. » d’un regard il fit le tour de la pièce, comme si ses esprits cherchaient encore quelques mots pour l’envouter. « et dis moi, tant que nous y sommes. comment décrit-on la douleur… des crocs dans la chair ? as-tu déjà essayé de mordre ailleurs que dans le cou ? et si je me plantais une paille directement dans l’aorte abdominale ? comment saurais tu où se situe la limite entre le meurtre et la satiété ? » affamé à sa façon, lui aussi avait trouvé un plat particulier qu’il souhaite déguster sans jamais s'interrompre.

un rire, enfin. pas le plus joyeux, certes ; mais un doux son pour son coeur. alors erza était capable de biens des mélodies ? lui qui semblait tant figé dans la colère et la retenue.

alexander l’observe comme un rat de laboratoire, ses yeux s’attachant au moindre mouvement ; que ce soit sa main qui cherche, à ses pommettes qui trahissent plus que sa colère. jusqu’à ce que ses paroles viennent déranger son raisonnement, alors ses yeux sont clos, son visage signe dans un mouvement de négation presque las ; n’importe quoi.

malin, intelligent ; fin d’esprit ; quoi de plus normal chez un adulte en bonne forme. fou, ça c’était une évidence plus forte encore que l’éléphant au milieu de la pièce, mais il pardonne à erza la simplicité de sa réflexion… après tout c’est lui qui l’avait excité. il ne se satisfait cependant pas de sa conclusion abstraite et irréfléchie, indigne de tout ce qu’il s’efforçait à bâtir en lui, et autour de son monde.

il ne torturait jamais personne, alexander. il laissait toutes les voies libres, la porte ouverte, même, pour ceux qui désiraient fuir. il s'immisçait durement dans les âmes mais jamais il n’en avait retenue une dans ses filets. il n’y a que les bêtes qu’il craignaient son ennui.

le regard sur son bras nu il souffle un rire court, amusé ; était-ce si simple ? et pourquoi ça ne le serait pas ? alors qu’il s’apprête à se lever, les pensées de son invité coupent son élan. demander à ? non non non ; il se fiche bien des mots que peuvent dire ceux qui se laissent mordre. alexander s’adressait au coupable lui-même.

ce qu’il voyait, ce qu’il pensait provoquer.

alors qu’il s’approche, lui garde ses bras sur les accoudoirs de son fauteuil, ainsi que son air attentif pourtant pas très inquiet. simple, est-il, comme homme. simple.

« non. » il fallait tout reprendre depuis le début. «  je ne t’ai pas demandé de me mordre. je t’ai demandé comment souffrent les gens que tu agresses ? je n’ai aucun journal, je suis juste un honnête curieux. tu crois que j’ai un club particulier où je retrouve les autres détraqués de londres, et là alors nous mettons nos petits cahiers en commun , surlignant ce que nous avons trouvé chacun de notre côté ? » son arrogance lui échappait, tant il ne supportait pas qu’on n’écoute pas attentivement ses intentions. « calme toi veux-tu. »

alors il se leva, prenant le soin de sortir de sa chaise en faisant le tour pour éviter le demi vampire en colère. il ouvrit le tout dernier réfrigérateur dans le fond de sa pièce pour y sortir ; en effet, de quoi prélever. « c’est la faim qui te fait démarrer au quart de tour ? comme si j’allais te laisser marquer ma peau avec tes canines. tu es fou ? » pouffe alexander, véritable insolent. il se savait en sécurité, son secrétaire comme témoin, sa folie comme garant. la seule chose qui plantera sa chair, ce sera son propre scalpel : voilà ce qui semblait tant l’amuser. sa démarche lente le ramenait doucement à son bureau, reprenant sa place de chef. « mais j’apprécie ta confiance, erza ! te montrer si… hargneux ! tout en acceptant notre marché. je devine que tu es un homme de parole, malgré ton manque de contrôle. c’est comme ça que ça fonctionne, dans ton monde ? tu menaces tu menaces tu menaces jusqu’à ce que cèdent les autres ? tu ne dois pas être bien entouré… parce que tu mords ? j’essaye simplement de comprendre, tu sais.. comment quelqu’un que je nourris peut-il se montrer éhonté malgré toute ma dévotion ? lève un peu plus ta manche et cesse donc de me prendre de haut. je crois bien être ton seul allié dans cette société qui te fait croire que vivre en t'annihilant c'est ce qu'il y a de plus normal. »

le voilà qui semble soudainement comme, décontenancé ? pourtant alexander respire toujours à la même cadence, ses pas sont toujours aussi lents, sa voix toujours aussi oscillante tant il aime appuyer sur des mots et en étouffer d’autres.

tout ça pour entendre qu’il est fou ? oh erza. il voudrait ouïr des choses qu’il ignore, des vérités qu’on lui cache… pas une évidence aussi fade. fou, fou, fou… il pourrait l’avoir tatoué sur le torse, là où le cœur se cache : personne ne trouverait ça indécent de sa part. fou. erza…

sans entendre le cheminement de sa pensée, alexander est trop concentré sur sa propre parole pour donner de l’importance à un autre ; il dépose le matériel sur le bois tendre, observe le bras tendu. un poignet ? rire serait incongru alors il se contente d'un sourire tendre. vous avez dit fou ?

alors ils hurlent, ou se délectent. son visage acquiesce, il entend ses aveux, y porte un intérêt. mais ne succombe pas à la curiosité de se laisser mordre ; non, la simple idée par ailleurs lui décroche un rire discret. sans obstruer sa parole par la sienne, alexander dans son silence remontait la manche avec minutie, véritable chirurgien. c’est au niveau de son avant bras qu’il venu faire un garrot. seulement après il s'imposa :

« la prise de sang au poignet est plus douloureuse que dans l’entre-coude. j’ignore comment tu gères la douleur erza, mais j’ai plaisir à mettre en pratique ce que la science m’a appris… » désinfecte la zone, patiente quelques secondes pour qu’une veine se montre ; puis il la pique, sans compte à rebours mais non plus sans forte douleur. il semblait bien trop doué, pourtant il ne piquait pratiquement que des morts. le silence est lourd, on y entend le sang qui se déverse dans sa seringue : un flacon, pas plus. alors il retire l’aiguille, appuie la compresse qui avait servi à nettoyer sa peau, récupère l’élastique qu’il avait noué. « appuie une minute, ça suffira. »

précieux trésor entre ses mains, il admire le rouge fluide comme une mer calme contenue dans sa fiole, poésie qui désormais lui appartient… mais il la range au frais, rejoint à nouveau son propre siège. ce spectacle est sien, il aura toute la nuit pour l'admirer.

« bien ! » son contentement est semblable à l’extase des gamins heureux ; pourtant ses mouvements ne seraient jamais ceux d’un enfant innocent. il relève sa manche gauche, prépare son propre bras avec la même minutie. « dis moi, erza. tu réagis à l’odeur du sang, j’imagine ? bien plus qu’à la simple vue ? » son cœur en extase atténue sa méfiance, il parle comme un épicurien comblé sans se douter qu’il ne maîtrisait plus son propre jeu. la seringue qu’il empoigne est bien différente, celle-ci est reliée à une poche en plastique : un don généreux pour féliciter la docilité de monsieur.

« décris moi ce que ça te fait. » transperce la peau avec l’aiguille qu’il retire instantanément, laisse le timide liquide carmin se délivrer de son corps. cela suffit-il à embaumer l’air ? peut-être, qui sait. il replanta l’aiguille, un centimètre plus haut.

finalement il aurait bel et bien deux trous dans la peau : de lui-même uniquement.

« qu’est ce que tu sens ? »

qu’il est grincheux, l’être céleste au sang particulier. vivre en étant si spécial était-il tant un calvaire que ça ? pauvre de lui. alors qu’il annonce son départ, les pieds ancrés dans le parquet. eh bien alors, erza ? le voilà qui hurle, annonçant des troubles dont alexander ignore l’existence. sacré semi-vampire.

il n’est pas suicidaire ; du moins pas déjà. alors il récupère un coton imbibé, nettoie puis recouvre sa bêtise d’enfant, un sourire presque innocent crispé sur les lèvres. « j’ai beaucoup de sympathie pour toi. » mais bien plus de craintes encore, quand bien même ce détail il le garde pour lui-même.

jolie poche écarlate, elle était petite mais c’était pour la remplir plus vite ; ah, quel don de soi pour un tiers ! il bande vulgairement ses piqûres, baisse sa manche, fier de jouer l’ignorant à qui on ne devait reconnaître aucun tord : ses bras sont levés, les paumes en évidence. en adoptant la posture du criminel, alexander acceptait un cesser le feu. soit : il ne jouerait plus à titiller l’âme affamée du garçon - c’était déjà bien assez suffisant pour aujourd’hui.

un brave homme méritait bien sa récompense… il fit glisser la poche chaude de son propre sang vers le droit (bien trop droit) erza, alors que lui semblait être le plus détendu du monde.

« c’est le soucis, je crois, dans les affaires, vois-tu. on se rencontre, je ne te propose pas de café car j’imagine que ça te débecte… et en échange tu ne me dis pas non plus que tu as des tca. comment veux-tu que fonctionne le monde si tu gardes toute ton existence secrète ? prends donc, c’est mon cadeau, cette fois. pour la route ! » ah les lèvres refusent le moindre repos, et elles s’arquent en un sourire, complices de quelque chose… « j’ai l’impression de m’être fait un ami. j’arrête mes bêtises strauss, promis juré. » mais il se lève une fois encore, rejoignant par ce chemin répété trop de fois, les frigos contenant ses collectes. il sélectionne quelques poches, qu’il case dans un carton.

« vaudelune pour cette tournée, donc. tu as déjà essayé des mélanges ? » la réponse ne l’intéresse pas vraiment - il se doute bien qu’il ne prend pas le temps de préparer trois quarts de sang de chat pour un tiers de sang humain. « j’ai de folles idées pour toi je crois. » déposant le carton plein sur le bureau, il s’installa à nouveau à sa place, l’iris illuminé par une question qui soudainement le frappa. « je ne risque rien d’ailleurs, si je bois ton sang ? rassure toi, ce n’est pas dans mes projets. curiosité morbide… enfin, tu me connais. » mais mieux vaut se faire passer pour un fou plutôt que d’avouer l'étendue de ses malices.

quelle douce preuve de sarcasme que voilà, de par sa voix acerbe erza soudainement s'allège la conscience avec un humour, pitoyable, certes ; mais bien amené. et si alexander ne peut en rire de peur de faire un faux pas, il l’acceptait toutefois avec un sourire complice.

« ce n’est rien. » mais il ne relève pas sa nonchalance, continue sur sa lancée. à croire qu’il était prêt à déguerpir, mais il s’en accommode : après tout, il l'avait gardé ici déjà bien longtemps. « nous verrons bien. » qui sait s’il sera toujours vivant demain. ce n’est pas un peu de son sang qui viendra à bout de sa folie, mais rien que ce modeste présent suffisait à lui ouvrir un peu plus la porte vers une démence fielleuse.

« va donc, cette tournée est pour moi. entre amis ce n’est pas rare de se faire des cadeaux, tu sais ? je te remercie pour le tien. » car il est fier, d’être malhonnête : il a volé ce sang, par le pouvoir des mots. bien trop souvent alexander se surprend lui-même à vivre si aisément dans cette société qui le rejette ; mais il sait qu’en parlant assez joliment pour faire plaisir aux oreilles les plus étroites, il parvient à se frayer un chemin dans les cerveaux mais aussi dans les âmes.

il rangea le cahier et son stylo dans le tiroir de son bureau, se relevant pour accompagner son jeune ami à rejoindre la porte qui annoncera son départ. d’un grand geste théâtrale il appuya sur la poignée avant de la tirer, sans offrir de courbette (la passion de la mise en scène a ses limites), il invita d’un très simple mouvement de main erza à déguerpir.

« je suis toujours très heureux de te voir ici, erza. à chaque arrivé tu es pâle, mais sur le départ, je te sens… toujours plus rouge. j’ai plaisir à croire que c’est grâce à moi. rentre bien. j’attends déjà ton retour avec impatience ! »