Il avait fallu te trainer presque de force pour organiser ce rendez-vous. Blair fut aussi menaçant que convaincant. Tu n'es pas à ton aise lorsque tu pénètres une des cheminées de l'Atrium. L'idée de passer par les toilettes est sûrement la plus mauvaise qu'ils ont pu avoir - tu avais bouché la circulation pendant plus de quinze minutes de ce fait, profondément écoeuré de foutre un pied au travers de la lunette. Si tu es aussi peu dans ton élément, c'est surtout parce que tu es loin de ton monde habituel. Les paillettes et le luxe sont loin derrière toi Zadig, quand tu traverses les couloirs austères du ministère. Aussi réticent face aux imbéciles qui composent ce gouvernement, tu es aussi allergique aux institutions.

On t'installe dans un bureau fermé, après que ta guide se soit arrêté cinq minutes pour papoter avec une collègue de l'administration. Vous aviez traversé plusieurs open-spaces où de nombreux sorciers travaillent éparpillés.
Une fois assis sur la chaise, tu sors ton pineapple pour pianoter quelques messages (quelques complaintes) à un ami. Tu sais que Blair attend beaucoup de toi et qu'il te le fera payer si tu rates l'entretien. Sauf que ce n'est pas à lui de te convaincre, mais à la (pauvre) personne qui va se retrouver en face de toi dans quelques instants. Jouer au con c'est ta spécialité.

Tu entends des pas dans le couloir mais n'y prêtes pas attention, le nez toujours plongé sur l'écran. Quand la porte s'ouvre et que la voix déraille tu lèves juste le menton pour croiser son regard, le sourcil haussé et sceptique.

— « Bonjour ? »

A peine aimable, tu t'armes d'un sourire ravageur pour contrebalancer ton ouverture.

— « Enchanté Miss Smith. »

Tu prends enfin la peine de te lever de ta chaise pour lui tendre la main, la détaillant sans pudeur de la tête aux pieds. A croire que le destin t'avait béni d'une jolie fille à défaut d'un casse-couille.

— « Zadig Montgomery. Mais je suppose que vous le savez déjà. »

Ton rictus dévoile un sourire denté et blanc. Tu te rassois et croises les jambes, tapotant le haut de ton genou après avoir rangé ton pineapple dans la poche de ton jean.

Pourquoi ils ne sont pas tous comme elle au ministère ? À s'excuser de te faire attendre - ce qui est profondément normal. Quand on en vient à faire perdre du temps à l'autre, sans une volonté ou une légitimité de se faire désirer, on s'excuse. L'agacement que tu aurais pu nourrir à son égard s'efface. Tu souffles, charmeur, et tapotes tes doigts sur ta cuisse.

— « Et bien... En voilà un gros dossier. J'espère que ce n'est pas mon casier judiciaire. »

Tu penches la tête sur le côté, cherches à capter son regard alors qu'elle semble fuir le tien derrière ses petites lunettes. Tu n'aimes pas jouer aux devinettes Zadig, encore moins qu'on te fasse grimper une attente qui ne sera pas satisfaite par la suite.

— « Pas du tout ! Mon manager m'a juste menacé de me couper les vivres si je ... je le cite : si je ne déplace pas mon petit cul de privilégié au ministère pour répondre à votre audience. »

Tu ricanes, autant ça t'amuse, autant t'es encore piqué. Tu te redresses de ta chaise, poses un coude sur le bureau pour te pencher au dessus de la paperasse, faussement intéressé. Quand la question parvient à tes oreilles, la franchise te déstabilise.

— « Quoi ? »

Mais tout de suite, tu te sens à l'aise. Te sens même compris, ce qui est assez rare.

— « Totalement. En général les gens n'osent pas me regarder. »

Et tu espères qu'elle le fera.
Tu adorerais qu'elle te regarde.

Un honneur de te recevoir, qu'elle dit. Tu es évidemment d'accord avec elle - ta présence est un service que tu leur rends. T'as pas besoin d'eux pour exister, tu le fais déjà très bien dans le monde des moldus. Même si aimes faire croire l'inverse, tu es loin d'être naïf. Si tu es là c'est pour un échange d'intérêt qui leur servira plus à eux qu'à toi.
Au moins, la vue est belle.

— « Pour refuser faudrait déjà que je sache de quoi il s'agit. Vous ne voulez pas la cracher votre pilule hein. »

Et puis la dinguerie arrive. Cette femme prouve que les fonctionnaires ne sont pas aussi ennuyeux que leur travail le suggère. Toute la journée enfermés dans des bureaux, tu pèterais rapidement un câble Zadig.

— « Vous m'ôtez les mots de la bouche. »

Ça y est, t'es flirty et c'est totalement volontaire. T'en as plus rien à foutre du dossier, tu veux juste t'amuser.

— « Je vous prête toutes mes oreilles. Convainquez-moi vite qu'on passe à la suite. »

Apparemment, la subtilité que t'as voulu faire passer n'a pas été entendu. Elle a perdu de son charme, s'est barricadé derrière des murs lisses et gris pour déblatérer son discours sans âme. Tu hoches la tête à quelques moments, bailles dans ton poing à d'autres. Clignes des yeux pour ne pas t'endormir, tu tentes presque sincèrement de t'intéresser pour ne pas que ton inactivité ne devienne une torture.

Un peu piqué lorsque qu'elle aborde le sujet des hybrides. Tu n'aimes pas du tout qu'on te ramène à ton sang Zadig. Encore moins quand on laisse penser que tu serais une victime dans cette société malade. Tu n'es pas une victime, tu ne subies pas la discrimination, tu n'es pas à plaindre. Tu penses honnêtement que ton côté vélane est une bénédiction (inconsciemment une malédiction). Sans ça, on ne t'aimerait pas autant. Sans ça tu ne serais rien aujourd'hui. T'as rien à offrir sans ton beau sourire.

— « Ouai. Vous m'avez choisi parce que je suis un modèle de réussite c'est ça ? Si j'ai bien compris vous voulez que je devienne une sorte d'égérie. »

Tu la toises, sévère (vexé).

— « Très peu pour moi Elliott. » Tu te permets de l'appeler par son prénom. « Je suis pas vraiment d'accord et je refuse de conforter les gens dans une position victimaire. Semi-vélane ou semi-gobelin, c'est à nous de nous sortir les doigts du cul pour dire fuck au système. Chouiner ne sert à rien. Se plaindre ne sert à rien. »

Tu détestes les chouineurs.
Et t'es clairement détestable, de croire que tu peux comparer les souffrances. Comme dirait Basile, tout le monde n'a pas eu la chance de naitre beaux - certains sont laids, difformes, écailleux, petits, blafards. Toi t'es parfait.

— « J'ai une question, du coup. Pourquoi est-ce que vous faites ce métier ? »

Sous-entends que tu ne comprends pas trop à quoi ça sert.

Le domaine du privé hein... Tu dois bien reconnaitre qu'elle a du mordant, même dans l'expression la plus distinguée de ses convictions cachées. Tu hausses les épaules, comme pour lui transmettre qu'il n'y a pas de problème à ce qu'elle garde ça pour elle sans le partager avec toi mais affiches tout de même un petit air déçu au visage. T'aimes pas qu'on te refuse les choses, quand bien même tu lui refuses toi depuis le début.

Monsieur Montgomery - et tu la coupes immédiatement d'un ton aussi impertinent qu'impoli.

— « Mademoiselle Smith. »

Qu'elle comprenne qu'appuyer ton patronyme ne te fera pas changer d'avis. Pourtant après ça tu l'écoutes. Tu l'écoutes même attentivement. Elle a pragmatiquement raison et ça te coute un soupire de devoir le reconnaitre. Tu t'enfonces un peu plus dans le dossier de ta chaise, bras et jambes croisées. Prêt à rétorquer d'une répartie sèche et virulente... la voilà qui change de stratégie.

— « Oh. »

Tu te sens un peu pris au piège Zadig. T'es peut-être un connard mais t'es pas un fumier. Tu fais claquer ta langue sur ton palais comme pour lui témoigner de ta frustration - tu veux qu'elle se rende compte d'à quel point ça te coute - avant de lui céder.

— « Bon. Très bien. Mais c'est bien parce que vous êtes jolie. Je peux pas consciemment vous laisser dans la merde alors on va le faire ce partenariat. Par contre j'accepte que ça s'étale sur trois mois mais non renouvelable. Si je fais des stories pro ministère pendant trop de temps je peux me prendre un backlash de ma communauté. Les influenceurs collabos c'est pas trop le délire d'internet. »

Tu te lèves, prêt à signer n'importe quel contrat.

— « Mais vous me devrez un service en échange de ma bonté. »