Elle veille comme chaque nuit, un livre à la main.
Elle guette les bruits, les pleurs et les rires.
Elle guette ceux qui vivent.

Elle n’arrivera jamais à savoir si c’est le bruit des pas martelant le pavé humide, si c’est l’odeur métallique d’une traque bien menée ou simplement son instinct qui lui dit quand elle arrive. Il n’y a pas besoin d’explication à ce genre de lien. Elle ouvre la porte arrière, consciente qu’aucun de ces protégés ne les verra ici.

C’est un bien étrange spectacle que le fantôme d'Eléonore portant la mort au bout des doigts. La bouche en coeur, elle expire un Oh. qui résume l’essence même de cette soirée. L’explication lui fait hocher la tête - hausser les épaules en miroir. Pourquoi s'inquiète-t-elle de ceux qui meurent, tant qu’elle existe encore. Bon travail. Elle sourit doucement - une lumière dans ses prunelles. Elle attrape la main de la chasseuse, la fait rentrer dans son antre.

La tête est délicatement enlevée, posée dans un coin - conjurée pour devenir invisible, jusqu’au cas où un garnement descendrait. Viens, que je te soigne.

Ses protégés ont toujours le don de s’abîmer, une sorte de talent bien inutile qui les faisait surgir à chaque heure du jour et de la nuit. Une vocation à l’autodestruction, qu’elle avait découvert ne pas pouvoir chasser. Comme une manière de contrebalancer tout ce qu’ils faisaient.

Elle l’amène jusqu’à son salon, à peine éclairée d’une lumière chaude, celle qui chassait les fantômes et les fléaux. Assis toi sur la chauffeuse, je vais chercher du sang et de l’essence de dictame. Elle effleure ses cheveux - se retient de l’embrasser sur le haut du crâne. Quelques pas vers sa pharmacie personnelle avant de revenir et de céder finalement au baiser qu’elle dépose à la frontière du front. Tu as été plus forte, c’est tout ce qui compte. Ne jamais s'arrêter aux batailles gagnées. Simplement avancer jusqu’à trouver son prochain combat, qui peut-être lui te tuera.

Elle se pose derrière elle, vient dégager ses cheveux emmêlés, les enroule dans un chignon bâclée. Quelques gouttes à peine de dictame sur la morsure - histoire d’effacer les plaies et guérir les chairs meurtries. C’est un de ceux dont je t’avais envoyé le nom ? Des informations captées à la volée, retransmis à Eléonore - une manière de mettre à mort ceux qui le méritaient. Une condamnation pour leurs pairs lorsque personne ne voulait s'en occuper.

Elle aimerait la protéger, comme tous ceux avant elle. Pourtant Maxine n’est pas de ces parents qui coupent les ailes de leurs enfants. Elle grimpait les plus hautes tours, s'arrangeait pour affronter le vent - et leur offrir la latitude d’un envol majestueux.

Elle grogne à la description - mais s'astreint à éviter les gestes brusques, surtout lorsqu’elle traite les blessures. Bientôt, il n’y a plus que des bandages et l’odeur des potions - le sang cédant enfin place une peau neuve. Il faudrait probablement masser à nouveau, mais il était évident que les cicatrices étaient des trophées sur le corps de la chasseuse. Niko est toujours si prévenant. Moue affective tandis qu’elle s'assoit finalement en face d’elle. Elle prend la photo.

Putain. Le juron jaillit et naturellement elle pose sa main contre ses lèvres, cherchant un enfant qui aurait pu l’entendre. Il n’y a que leurs deux âmes dans la pièce - aussi secoue-t-elle la tête. Je n’arrive pas à savoir si je dois souhaiter qu’il soit mort ou alors en vie. Ne parlons même pas de la moldu, on retrouvera le cadavre exsangue au début du printemps.

La photo est éloignée - comme on repousse une malédiction, avec crainte et détermination. J’essairai de les retrouver de mon côté, peut-être qu’ils ont été déposés à un autre orphelinat.

Il y a des gens que l’on ne peut sauver. Il lui avait fallu du temps pour l’apprendre, encore plus pour le comprendre. Toutes vies comptaient ces cadavres - ces tombes fleuries de leurs regrets. Elle s’approche pour poser paume sur la joue de la jeune femme. Effacer les doutes était un pouvoir qu’elle n’avait pas. Aussi se contente-t-elle de son sourire, de cette promesse informulée que tout ira bien. Il fallait parfois mentir pour assurer une pérennité.

Cela dépend de leur lien, ils chercheront d’abord ailleurs mais il est possible que poussé dans leurs retranchements, ils la dévorent. Les conséquences seraient sans appel. Il faut les retrouver avec que cela n’arrive, sinon je ne pense pas que le Ministère les autorisera à vivre.

Elle expire finalement, avant de nouer une main à la sienne. Nous les chercherons ensemble. Mais je préférais que tu te reposes d’abord.

Elle était en peine de voir ses enfants porter les malheurs de leurs mondes, des boulets aussi sanglants que celui trônant dans un coin de la pièce. Ta traque ne peut pas être sérieuse si tu n’es pas apte à la mener pleinement.

La pluie redouble dehors, tamise la colère implicite qui assombrit le visage de sa compagne. Elle voudrait prendre son visage entre ses mains, cacher cette moue dans les plis de son châle et la serrer contre elle. Je sais, Eléonore. A quel point ces histoires sont horribles, à quel point le monde est injuste. Elle sait Maxine à force de se battre depuis tant de temps - à force de creuser les rigoles pour évacuer le sang.

Elle se lève finalement, s’agenouille devant sa protégée pour saisir sa main si blanche (comme la sienne). Je suis sûre que nous arriverons à les sauver - je suis persuadée qu’il n’est pas encore trop tard, d’accord ? Rassurer et espérer, parfois Maxine ne se trouvait bonne qu’à cela. Elle se redresse, porte la main de sa protégé à ses lèvres et lui dépose un baiser qui pourrait peut-être noyer ses peurs.

N’essaye pas de me fausser compagnie. Un regard sévère peut-être perclu de crainte. Que ferait-elle si Eleonore ne revenait pas d’une de ses traques ? Nous partirons au plus tôt, promis.

Comme si j’allais te laisser dehors. Cela lui fendrait le cœur de laisser sa protégée fuir. Elle ne pourrait jamais la mettre dehors, jamais la chasser de ses terres. Eléonore avait pris la place d’une fille que Maxine n’avait jamais eu la chance d’avoir. Elle se redresse, prend sa main avec obligation, la tirant dans son sillon. La lumière n’est pas éteinte - Maxine redescendra pour effacer le bazar, s’assurer qu’il ne reste plus rien.

Un nouveau sort d’invisibilité lancé pour s’assurer que la tête ne se présente pas aux yeux de ses protégés. Ta chambre est libre. L’une de celle qu’elle avait gardé en l’état, dans l'étage réservé aux âmes qui ne restaient pas longtemps. Elle n’osait toucher à ses ersatz de souvenir.

Deux étages franchis sans que le genoux soit ployé, elle se contente de se tourner vers Eléonore avec un doux rictus. Si tu as besoin de rester quelque temps ici, après, tu es la bienvenue. Tu seras toujours la bienvenue.