▌Assis sous un chêne sur un banc solitaire, tu fixes la boîte entre tes mains. C'est une petite boîte en carton, légère, décorée de rayures acidulées, avec un noeud vert menthe et une étiquette rose bonbon que la vendeuse a cru bon d'ajouter pour que tu puisses remplir les points de suspension entre De... et À... Bon, t'as pas de stylo sur toi, mais c'est pas vraiment l'étiquette que tu regardes, ou même la boîte. Tu la vois sans la voir.

Il y a une dizaine de minutes que tu attends mais elle n'est pas en retard, c'est plutôt toi qui a pris de l'avance. Tu avais anticipé le moment de réflexion dont tu aurais besoin, pas son intensité, alors tu es très surpris quand finalement, Dorothy arrive près du banc. Tu te redresses et l'air préoccupé sur ton visage disparaît instantanément. Tu souris.

Tu es là!

Oui hein, c'est fou. On donne rendez-vous aux gens et ils viennent. Tu quittes tes réflexions pour te lever et la serrer dans tes bras, avant de lui présenter la boîte en carton.

Les chocolats c'est trop mainstream, alors je suis passé à la pâtisserie que t'aimes bien pour prendre ton dessert préféré.

On a beau éviter la niaiserie, on n'échappe pas à la St-Valentin et à ses traditions séculaires. Elles ne parlent pas trop à ton esprit pragmatique, qui se réjouit déjà de faire ses achats demain: le chocolat sera à moitié prix. Tu pourras donc en acheter deux fois plus. CQFD. Ton regard se fait brièvement amusé:

Ça va, tu t'es bien remise du match?

Vous n'êtes pas ici pour parler de la rencontre entre les Météorites et les Griffes, mais difficile d'ignorer le sujet quand le quidditch prend une si grande place dans la vie de Dorothy. Quelque part, tu espères que ça l'aide à se focaliser sur autre chose que sur les mauvaises nouvelles qui tombent les unes après les autres depuis le début de l'année. Il y a un peu trop un air de déjà-vu... De ton côté aussi, tu as essayé de te concentrer sur le travail pour ne pas y penser, mais c'est pas chose aisée. Et c'est rassurant de savoir que Dorothy est là, à tes côtés. Alors quand tu prends sa main dans la tienne pour vous promener, c'est pas tellement pour être romantique que pour te rassurer.

Ça va aller.

▌Tu hoches la tête avec un sourire, content que ton petit cadeau fasse son effet. On peut compter sur toi pour la nourriture, ça c'est sûr. C'est ton héritage Poufsouffle. On ne vit pas dix ans à côté des cuisines sans en subir les conséquences (plutôt agréables, les conséquences). Tu prends la main de Dorothy tandis que vous marchez pour trouver un coin tranquille où s'installer. Pour un mois de février, le ciel est plutôt clair et ensoleillé. Tout semble plus calme, à cette période de l'année, et tu ne peux pas t'empêcher de te dire que c'est passager. Tu inspires un grand coup en levant le nez. Pas un nuage à l'horizon. La seule chose qui ne te semble pas éphémère à cet instant, c'est la main de Dorothy dans la tienne. Tu reportes ton attention sur elle:

Ça va...

Un peu fatigué aussi, mais n'est-ce pas ton état naturel? Tu ne prends même plus la peine de le mentionner. Tu t'arrêtes à ses côtés, scrutes son expression. Hoches calmement la tête.

Oui.

Oui, vous devriez en parler. Tu es soulagé qu'elle ait deviné ce que tu voulais lui dire, la raison pour laquelle tu voulais la voir aujourd'hui. Tu as réfléchi à la façon dont tu pourrais aborder le sujet. Le Corbeau. C'est délicat, pour Dorothy peut-être plus que pour toi. Toi, tu n'as pas eu à gérer les conséquences directes de ses agissements. Jusqu'à présent. Difficile de ne pas faire le lien entre le mage suprémaciste et la mission de sauvetage de janvier. Entre sa marque sur le mur de la grotte et le corps inanimé de Cillian Doyle.

Je me doute que c'est pas facile pour toi. Je veux pas te forcer à en discuter si tu veux pas... mais j'ai besoin d'en parler à quelqu'un.

Tu précises pas, tant ça te paraît évident, qu'elle est la première personne à laquelle tu as pensé. Dorothy, Beckett et toi, vous avez vécu les mêmes choses à Poudlard. Les attaques du Corbeau sur les écoles de magie, le groupe de rébellion chez les étudiants, mais Dorothy... Dorothy a pris tout ça de front avec ses parents. C'est la dernière personne à qui tu aimerais rappeler l'existence du Corbeau, mais c'est aussi la seule qui soit en mesure de comprendre l'étendue du problème et les conséquences diverses et variées que son retour représente.

Tu n'es pas encore prêt à lui poser directement la question qui te préoccupe, alors tu préfères aborder le sujet sous un angle différent:

Je pense beaucoup à Cillian Doyle en ce moment. Elle est toujours à l'hôpital.

Et les médicomages ne sont pas optimistes à son sujet. Tu repères un banc au soleil plus loin, fais un signe de tête dans sa direction. De toute manière, tu ne pourrais pas rester debout bien longtemps. Tu ne tiens pas en place aujourd'hui.

Je devrais être rassuré qu'il ne s'en soit pas pris aux écoles, cette fois, mais... ça rend les choses beaucoup plus réelles.

Dix années à Poudlard vous laissent peut-être croire que le monde extérieur ne peut pas vous atteindre... jusqu'au moment où la réalité vous rattrape. D'abord à l'école, maintenant ici. On dirait un remake, et quelque chose te dit que comme d'habitude, la suite sera pire que le premier film.

▌C'est facile d'oublier quand on passe ses journées au travail, mais ici, assis sur ce banc en plein soleil, le destin de Cillian te revient en pleine figure et c'est presque indécent tant le contraste est saisissant. Il fait beau. Tu es avec Dorothy. Tu aimerais pouvoir profiter de cette journée ensemble et te dire que Cillian, elle aussi, profite de la vie. Mais non. Tout ça parce qu'un psychopathe a décidé de s'en prendre aux innocents. Tu comprends le sous-entendu de Dorothy: c'était des gens comme elle et toi. Ca aurait pu être n'importe qui... elle et toi aussi. Si Cillian n'avait pas été enlevée... Et si... et si tu n'avais pas transplané avec elle... est-ce qu'elle irait mieux aujourd'hui? Tu hoches la tête pour chasser la culpabilité, ne serait-ce qu'un instant.

Je comprends pas le but derrière tout ça. Terroriser la population, pourquoi? Montrer à ceux qui le suivent qu'il peut agir impunément?

Très joyeux tout ça, ça promet un avenir brillant. Non, vraiment, il n'y a pas de quoi se réjouir aujourd'hui. Vous auriez toutes les raisons du monde, pourtant. C'est la St Valentin et Dorothy a gagné le match en attrapant le vif d'or. Tu aurais préféré fêter son exploit plutôt que vous morfondre sur un banc.

Et tu réalises, en l'écoutant, que ce n'est pas juste l'inquiétude et la culpabilité qui te rongent. Il y a aussi de la colère. Colère qu'il revienne avec son masque à plumes. Colère qu'on se tourne vers Dorothy dans un moment pareil. Colère qu'on vous mêle encore à quelque chose qui vous dépasse.

T'es pas obligée.

Ca sort de ta bouche comme une certitude, portée par le sentiment d'injustice qui grandit en toi. Tu reprends sa main, secoue la tête.

Mais personne peut te forcer! Tu l'as dit, t'étais une ado. C'était dangereux à l'époque, et ça le sera sûrement autant maintenant, si ce n'est plus... T'as pris des risques. T'as pris assez de risques. Personne n'a le droit de te demander ça.

Parce que tu comprends que les gens la contactent par DM pour savoir ce qu'elle pense, mais tu doutes que toutes ces personnes soient prêtes à faire le sacrifice qu'elles lui demandent à elle. Et c'est injuste. Tu serres un peu plus sa main dans la tienne et lâches, plus bas:

Moi aussi, j'ai peur. On devrait pas avoir à gérer ça. C'est pas notre job. Le Ministère devrait prendre position contre lui, publiquement, et nous les gens normaux... on devrait juste pouvoir soutenir le gouvernement sans avoir peur de se faire enlever au coin de la rue!

Le problème, c'est peut-être la position du gouvernement, justement.

Il laisse croire que tout le monde est en danger.

Et c'est comme ça que le Corbeau se croit immunisé.

▌Tu es inquiet, frustré, en colère, peut-être pour noyer la peur qui palpite au fond. Tu la sens chez Dorothy aussi, tu sens qu'elle lutte contre elle, s'accroche à toi, comme toi à elle. Et au milieu de cette confusion d'émotions, elle arrive à te faire rire. C'est un tout petit rire, nerveux, même pas contrôlé, mais ça suffit à desserrer l'étau pendant quelques secondes et tu respires. La légende. Argus Obi-wan Kenobi Catwright.

Je croyais que ma mère était la seule à pouvoir faire ça... on a trouvé plus fort qu'elle.

Tu secoues la tête, pour balayer les excuses de Dorothy, parce qu'elle fait du bien, sa tentative d'humour. La tienne n'est pas folle non plus, mais parfois, on a juste besoin de ça. Lâcher un rire avant de pouvoir continuer, pour mieux respirer. Tu passes ton bras libre autour de ses épaules. Tu détestes te mettre en colère et tu aimes encore moins l'idée que la simple évocation du Corbeau ait ce pouvoir sur toi. Mais plus que tout, c'est qu'elle ait du pouvoir sur Dorothy qui t'inquiète. Si ce n'était que toi, ça irait. Tu as l'habitude de gérer seul, ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Mais à partir du moment où tes préoccupations atteignent aussi Dorothy, tu ne peux pas vivre avec en silence. C'est pour ça qu'il était si important que vous en parliez aujourd'hui.

Ça me fait peur aussi.

Tu le lui avoues sans gêne. On ne sait pas ce qu'il a dans la tête. Pour l'instant ses actions ne sont pas liées au passé, mais s'il cherchait à s'en prendre à tous ceux qui s'opposaient à lui jadis? À ceux qui s'opposeront à lui dans le futur? Comment savoir si, même en restant discrets cette fois-ci, vous resteriez à l'abri? Il y a beaucoup trop d'inconnues dans l'équation et ça, pour ton esprit pragmatique, c'est un problème. On ne peut pas prévoir l'imprévisible.

Ton instinct te dicte la prudence, alors même si elle ne garantira peut-être pas votre sécurité, tu n'as aucun mal à répondre positivement à Dorothy. Même si ça ne te rassure pas, il te semble que c'est la meilleure chose à faire pour le moment. Profil bas.

Juré. Je comptais pas partir en mode vengeur Batman de toute manière!

Encore un rire nerveux. Et le regard se fait plus doux alors que ton attention revient complètement sur elle:

Et Gus serait une loque sans l'incroyable Dorothy Martin!

Tu as beau sourire, c'est très sérieux. Et puis, tu te sais incapable de retenir l'inquiétude dans ta voix lorsque tu ajoutes:

Tu promets aussi?

C'est pas une demande, c'est même pas quelque chose que tu attends en échange. Tu espères juste qu'elle sera prudente elle aussi. Mais quoi qu'elle fasse, tu as besoin de savoir. Anticiper le peu que tu peux anticiper. Avoir l'illusion de contrôler le futur, même si le long terme est trop flou encore.

Je veux pas que tu te mettes en danger si t'es pas sûre de toi à 100%. Mais si toi, tu pars en mode Batman, j'ai besoin de le savoir. Même Batman a besoin de Robin...

OK, c'est peut-être trop présomptueux de te comparer à un as du trapèze. Tu corriges:

Alfred.

C'est mieux. Très important, Alfred. Il fait le thé et le ménage, sans lui Batman ne penserait pas à manger ou à dormir et vivrait dans un taudis. On ne pense pas assez aux Alfred dans la vie.

▌Elle hésite. Tu aimerais pouvoir dire que tu t'attendais à un non catégorique, mais ce serait mentir. Parce que tu connais Dorothy. C'est bien pour ça que tu ne peux pas la forcer à te promettre qu'elle fera profil bas. Cela ne lui ressemble pas, et tu ne peux pas exiger d'elle une promesse qu'elle ne pourrait pas tenir. Elle ne te doit rien, et ce n'est pas parce que tu t'inquiètes pour elle que tu dois lui imposer tes peurs et tes choix. Si elle veut agir, elle le fera. Cela ne changera rien à ton inquiétude. Ni à la sienne.

Parce que ses peurs reflètent complètement les tiennes, quoi qu'il arrive. Ces images qu'elle convoque, toi sur un lit d'hôpital, ou pire, sont comme un écho déformé de ta propre imagination. Dorothy qui part combattre The Crow, et Ste Mangouste qui t'appelle pour te dire qu'elle vient d'arriver en urgence dans ton service ou un autre. Son nom qu'on retrouve une semaine plus tard dans les avis de décès de la Gazette du Sorcier. Pire: qu'on ne la retrouve pas. Qu'elle disparaisse comme les autres, que tu te lances à sa poursuite mais que ces recherches n'aboutissent jamais. Est-ce que tu aurais le courage d'affronter The Crow pour la retrouver? Évidemment. Qu'est-ce que tu ferais s'il était déjà trop tard? Tu ne sais pas. Tu es incapable de te projeter dans ce genre de cauchemar.

Tout ce que tu peux faire, c'est la serrer contre toi, et croire chacune de ses paroles, parce qu'elles reflètent ce que tu crains aussi. Parce que tu la crois. Surtout quand elle t'assure qu'elle ne ferait rien sans t'en parler. Tu hoches la tête, presque trop solennel. Il est évident que toi non plus, tu ne prendrais pas une décision qui pourrait te mettre en danger, vous mettre tous les deux en danger, sans lui en parler. Ca réveille un sentiment familier, que tu pensais avoir oublié. Ca te rappelle pourquoi tu t'étais engagé dans les Foxes à Poudlard pour commencer. Pour veiller sur un proche. Pour être aux côtés de tes amis. Heureusement, sa plaisanterie te tire de ta réflexion et tu oses sourire à ton tour:

C'est vrai, quel exploit! J'arrive pas à croire que j'aie raté ça!

Peut-être que tu n'étais pas aussi présent que tu le voulais à ce moment-là. Pour ta défense, cela avait pris tout le monde de court. Mais l'intention était là, elle n'avait jamais changé et ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait basculer. Surtout pas maintenant. Peut-être que tu fixes Dorothy un peu trop intensément alors que tu devrais répondre, car son sarcasme te sort de tes pensées et tu lâches un rire amusé avant de l'embrasser:

Oh wow, c'était presque romantique, jusqu'au dernier moment... j'ai eu peur, j'ai cru que t'avais changé.

C'était ça. C'était probablement la seule raison qui pouvait te pousser à te cacher du corbeau ou à sortir au grand jour pour l'affronter: l'amour de tes proches.

Je t'aime aussi, Dorothy.

S'il y a bien une chose qui surpasse ta peur, c'est ta loyauté. L'idée que quoi que tes proches fassent, tu seras là pour les épauler. Blaireau un jour, blaireau toujours.

Je sais pas où on va, parce que tout ça est très flou pour le moment, mais je sais qu'on va s'en sortir.

Il y a toujours une solution. Tu secoues la tête, les yeux dans le vague. Est-ce que t'es déjà en train de réfléchir à un truc? Non. Mais ton instinct te dit qu'à vous deux, vous trouveriez forcément quelque chose. Ton attention revient sur Dorothy, très sérieusement, presque solennel:

Tu me connais, je suis pas chaud pour me battre contre qui que ce soit... mais si tu débarques un jour en me disant que t'as un plan pour botter les fesses du piaf, sois sûre que je serai avec toi. Quoi qu'il arrive, je te lâche pas.

Tu la serres un peu plus contre toi avec un sourire qui se veut rassurant, avant de changer radicalement de ton et d'expression:

On est tellement dramatiques... Dessert?

Ton visage s'illumine alors que tu te rappelles de la petite boîte de pâtisserie. Parce que le coeur d'un Poufsouffle est avant tout dans son estomac. Et parce que dans la liste des trucs à faire pour la Saint-Valentin, ça vient juste après: promettre de s'aimer pour le meilleur et pour le pire.

▌Que ce soit en fomentant des plans pour faire tomber les terroristes comme à Poudlard ou en mangeant un gâteau ensemble, les moments que vous partagez semblent toujours très naturels. L'appréhension que tu pouvais avoir au tout début, la crainte que les choses soient différentes si tu lui avouais tes sentiments, semble presque ridicule maintenant. Ça te semble tellement naturel de lui dire que tu l'aimes, tellement normal d'être à ses côtés pour affronter ce que l'avenir a en stock pour vous, que ce soit bien ou mal, que tu arrives presque à te dire que oui, cette fois, c'est sûr... tu ne vas pas échouer. Tu le penses sincèrement, quand tu lui assures que ça va aller. Dorothy et Gus, Gus et Dorothy, c'était un truc bien avant que vous soyez ensemble, alors quoi qu'il arrive, tant qu'il y a Gus et Dorothy, ça va aller.

Quand Dorothy ouvre la petite boîte qui vient de la pâtisserie, tu te demandes si, inconsciemment, tu as choisi le chocolat parce que c'est réconfortant. Tu ne sais pas mais ça tombe à pic maintenant. Elle coupe la part en deux et tu prends celle qui t'est destinée en riant.

Tu sais à qui tu parles, Martin? Mais je suis galant, je te laisse la plus grande part.

Ce serait pas un cadeau, sinon... Tu pointes du doigt la part de Dorothy:

Si, regarde... celle-là, elle a quelques millimètres de plus.

La mauvaise foi. Tu manges un peu de gâteau pour t'empêcher de l'embêter davantage, satisfait par ton humour à deux mornilles et par le goût du chocolat. Oui, vraiment, c'est réconfortant. T'as la bouche pleine quand elle s'adresse à toi, et avec ton air surpris, tu te tournes comme un Poufsouffle prit en flag' dans les cuisines de Poudlard (ou comme Tommy avec le revani à Noël). Tu avales pour répondre plus élégamment:

Oui?

Tu t'essuies les joues aussi, au cas où elle serait sur le point de dire quelque chose de très important. La première phrase te surprend, parce qu'à force tu ne t'y attendais plus, mais c'est carrément un soulagement. C'était quand même gênant de débarquer chez ta mère en sachant que tu ne venais pas pour la voir elle mais Dorothy; elle te le faisait bien comprendre, avec son regard de maman faussement déçue mais intérieurement aussi fière que si tu venais pour la demander en mariage... Ta mère est un peu intense, ouais.

En revanche tu pensais comprendre qu'il était difficile pour Dorothy de s'éloigner de son frère et de son père, après tout ce qui c'était passé. C'était grâce à elle qu'ils avaient quitté la maison familiale pour s'installer chez vous alors tu comprenais parfaitement qu'elle se sente coupable de les 'abandonner'. Ce serait bien son genre. Elle avait tendance à porter le poids de son histoire familiale sur ses épaules seules. Se rendre responsable de son petit frère ne devait pas être facile non plus, tu voyais bien qu'ils s'étaient beaucoup attachés l'un à l'autre depuis le procès de leur mère et le spectre du corbeau planait sur Tommy aussi.

Tu n'oserais probablement pas le lui dire, pas tout de suite en tout cas, mais c'était une conversation que tu avais eu avec ta mère. Elle voyait bien comment Dorothy était au quotidien, avec son frère surtout, et tu sentais que le sujet ne pouvait pas être abordé frontalement. D'un commun accord, ta mère et toi aviez décidé de garder ça pour vous pour le moment, tout en gardant un œil inquiet sur... Dorothy et sa culpabilité? Tu es soulagé que ce soit elle qui aborde le sujet. Sujet sérieux, vraiment, mais avec la tête qu'elle fait pour t'amadouer, tu es obligé de faire semblant de douter.

Mmh... j'sais pas...

Et la pose qui va avec, très exagérée, du mec pensif. C'est de courte durée évidemment, parce que Dorothy est très sincère dans sa demande et tu lui souris.

Faudra que tu m'aides à trouver de nouvelles excuses pour éloigner Beck, ça fait que deux mois et j'ai déjà plus d'idées.

Heureusement ou malheureusement, il était souvent absent pour les entraînements de Quidditch... comme Dorothy. Ce qui rendait les esquives plus difficiles. Vous étiez plus souvent à trois qu'à deux dans cet appartement, d'ailleurs tu voyais plus souvent Beck et Dorothy ensemble que l'un des deux séparément, ces temps. Il fallait dire qu'ils avaient eu beaucoup de choses à gérer dans l'équipe, de matchs importants à préparer, sans parler du départ du capitaine... Bref, le planning était compliqué, et tu comprenais la demande; complètement. Tu réalisais aussi que c'était un peu trop facile de se focaliser sur le travail et... le reste pour éviter d'y penser.

Moi aussi, j'aimerais qu'on passe plus de temps ensemble, mais j'arrive pas à savoir si c'est moi qui arrive pas à décrocher du travail ou si c'est juste notre destin de courir partout en ce moment. Je sais que tu es très occupée avec le quidditch.

Tu ne mentionnes pas l'évolution de Dorothy du statut de coloc et demie à celui de coloc à temps plein, dans ta tête c'est même pas envisageable de dire non alors le oui est implicite. Évidemment qu'elle peut rester, autant qu'elle le voudra. Faudra peut-être juste que tu expliques à ta mère que vous n'emménagez pas ensemble sur le court terme, sinon elle va se faire des films. Qu'elle gère son mariage cet été avant d'imaginer celui des autres...

Bref, ce que j'essaye de dire, c'est... si tu trouves que je fais pas assez d'efforts dans ce sens, euh... c'est sûrement pas volontaire, alors n'hésite pas à me le dire.

Quelque part, y'a toujours cette peur de mal faire, et certains jours, elle est presque plus effrayante que le corbeau.

▌Pauvre Beckett, mis à la porte (de son plein gré), l'idée te fait rire, même si tu sais que tu trouverais un moyen un peu plus... subtil de l'encourager à aller faire un tour. Tu secoues la tête, amusé. Dorothy n'a pas besoin de te remercier, c'est normal.

Tu ferais la même chose pour moi.

Une évidence, qu'il vaut la peine de rappeler, pour chasser le doute, la gêne. Tu sais qu'à sa place, tu rechignerais un peu à empiéter sur son territoire, même si ça te ferait plaisir de passer plus de temps avec elle. C'est juste difficile, parfois, de se rappeler qu'on n'est pas obligé de tout faire seul. Vous avez ça en commun; vous avez grandi seuls, chacun à votre manière, habitué à gérer les choses de son côté. C'est à la fois une qualité et un handicap. Quand on apprend enfin à travailler en binôme, c'est précieux. Même si le quotidien fait tout pour vous en empêcher. Tu te dis que squatter ensemble, c'est peut-être une bonne solution sur le court terme, au moins vous vous verrez à la coloc le matin et à la fin de la journée. C'est mieux que rien, non? Mais Dorothy a une meilleure idée. Tu sursautes presque quand elle tape sur ses cuisses, tiré de tes pensées par son enthousiasme. Des vacances? Tu entends instantanément ton porte-monnaie grogner. La paie de janvier n'a pas entièrement remboursé les achats de Noël, et avant ça le déménagement... t'es toujours aussi fauché.

La proposition de Dorothy est tentante, même si ton côté ultra-indépendant grince un peu des dents à l'idée de profiter de son argent. Le côté pragmatique argue qu'elle ne s'en sert pas de toute façon, et puis c'est elle qui le propose, pas toi qui mendie. Surtout, son enthousiasme t'interdit de te renfermer sur tes principes. Tu es obligé de l'écouter, et avec un certain amusement il faut l'avouer.

Tu ris.

Tu ne sais pas si la soirée corrigeons les fautes de syntaxe te fait plus rêver que les mojitos dans le jacuzzi. Plus que les idées, c'est l'intention de ta petite-amie qui te fait sourire et te touche. Là, ce n'est plus l'indépendant ou le pragmatique qui réfléchit. C'est le Gus qui aime Dorothy. Il se dit que c'est peut-être un bon exercice. Contrairement à elle, le sport d'équipe, c'est pas ton truc. Le sport tout court en fait... mais c'est peut-être le moment de t'y mettre. Apprendre à être une équipe. Faire confiance, lâcher prise et ne pas se poser autant de questions que le font les deux autres Gus (un peu trop stressés ceux-là). Tu te penches vers elle et prend une de ses mains dans les tiennes:

Je dis que tu me vends du rêve, Martin.

Léger froncement de sourcils, pensif. C'est que ce road-trip à moto te fait toujours de l'œil. Tu joues avec les doigts de Dorothy tandis que tu réfléchis. Est-ce que tu pourrais discrètement enlever ta bécane de chez ta mère en même temps qu'elle déménage?

J'ai une moto et pas un rond pour l'essence, mais si tu veux bien nous sponsoriser, on ira où tu veux. Et si on en a marre de dormir dans des endroits bizarres, on louera une suite dans un cinq-étoiles, qu'est-ce que t'en dis?

C'est pas que la perspective de laisser ton travail derrière toi pour quelques jours ne t'effraie pas, mais quelque chose te pousse à accepter en repoussant les conséquences dans un coin de ta tête. Parce que c'est non seulement une très bonne idée, mais c'est aussi un excellent moment pour planifier ce genre de projets. Vous avez tous les deux besoin de changer d'air. Laisser le travail, le quotidien chargé et les responsabilités de côté. Oublier quelques instants l'actualité. The Crow sera toujours là quand vous reviendrez, mais d'ici là, peut-être qu'il aura pris moins d'importance dans vos vies. Que ce sera plus facile de respirer. On peut espérer. Quand est-ce qu'on part?