Tu n'avais pas prévu de rentrer avant un moment ce soir. T'avais prévu de l'esquiver encore, Ezra. Et Noah aussi. Quelques jours au moins. Tu ne sais pas précisément combien, mais tu sais en revanche que ta collègue et les verres qu'elle te proposait étaient l'excuse toute trouvée. Alors ce soir encore tu décides de la suivre, te laisses tenter par son sourire -aveugle à ses désirs. Et t'as l'impression de rêver quand une fois dehors c'est l'odeur d'Ezra que tu sens en premier.

Sa voix que tu entends alors qu'il t'interpelle et que tu te retournes pour le regarder. Si ton regard trahit la surprise qui t'habite, l'intonation se fait bien plus plate quelle ne le devrait.

— Ezra.

Il la regarde et tu sais qu'il fait la gueule.
Le sourire qui pue le fake à des kilomètres, si c'était pas lui tu lui aurais déjà fait bouffer depuis longtemps. Pourquoi il fait ça ?

Pourquoi il est là ?
T'as pas envie de le voir putain.

Mais tu peux pas lui dire non quand c'est lui qui vient se planter devant toi pour passer du temps ensembles. Et merde. Par chance, ta jolie collègue comprend (pense comprendre) la situation et décide, sans ton accord, de reporter votre petite soirée à une autre fois. Tu lui adresses un sourire avant qu'elle ne s'éclipse.

— Arrête de t'imaginer n'importe quoi. C'est un pote.

Elle rigole sans grande gêne des peu importe qui te font soupirer puis s'en va finalement. Un regard à Ezra t'indique que ça ne va pas. Il n'a jamais beaucoup parlé mais ça n'a jamais été difficile de savoir quand ça n'allait pas. Tu n'en savais simplement presque jamais les raisons (le plus important, sûrement).

Ou peut-être pas.
Alors ? On bouge ?

— Si tu veux.

Un soupir. T'as pas envie de te prendre la tête ce soir alors tu le suis lorsqu'il te traîne jusque la Pomme d'Or pas très loin. Une fois à l'intérieur vous parvenez à trouver une place tranquille dans un coin et rapidement tu te laisses tomber sur la banquette en t'étirant de tout ton long.

Et puis tu le regardes lui, Ezra.

— Je pensais que tu serais avec Noah. Tu viens jamais d'habitude.

C'est lâché sans que tu ne saches s'il s'agit d'une simple constatation ou d'un réel reproche. Tu pourrais simplement lui dire que t'es content qu'il soit là mais ce serait trop facile, pas vrai ?

— Il s'est passé un truc ?

— Si tu le dis.

T'aurais mille et un exemple à lui balancer en désaccord avec ses dires mais t'es trop fatigué pour envenimer la situation alors tu le laisses poursuivre. Un demi-sourire qui s'étire quand il te dit que ce n'est "plus jamais" maintenant, un peu fier sous l'agacement.

La grimace qui se pointe bien trop vite à la mention d'Atlas.
Puis à celle de Noah.

T'y peux rien bien sûr, mais c'est bien à son comportement qu'il trouve des excuses, encore. Tic de la langue, tu te places correctement pour choper la carte brusquement devant toi et la regarder.

— Tu peux pas t'en empêcher hein ?

Noah Noah Noah.
Toujours ce putain de Noah -t'en viens à te demander si vouloir passer du temps avec toi c'est pas seulement une excuse parce qu'ils se sont encore embrouillés vu la situation. Mais tu vas trop loin. C'est pas son genre de faire ça. Ça l'était pas, en tout cas.

— Ils ont rien pour toi ici.

Tu ne réponds volontairement pas tout de suite à son dernier aveu, baisses la carte, toujours un peu sèchement, après avoir constaté pour poser ton regard sur lui.

— Tu veux quand même rester ?

C'est presque comme si tu lui demandais si ça valait encore le coup d'essayer. Le soupir qui s'échappe soudain est bruyant et las. Depuis quand tu te prends autant la tête Hermès ? Réfléchir c'est pour les gens intelligents, et si tu t'estimes pas con pour autant, t'es pas un mec qui réfléchi. Si ça avait été un autre tu l'aurais déjà massacré.

— Tu débarques toujours quand je t'attends pas.

Il te tient, encore, quand toi tu sais plus si tu dois le lâcher ou non.

De quoi ?

— Laisse tomber.

T'es trop agacé pour prendre la peine de développer. À part à une nouvelle embrouille ça ne mènerait pas à grand chose de toute façon, et les embrouilles c'est bien ce que vous cherchez à éviter ce soir non ? Et tu veux pas parler de Noah. Tu veux pas parler du fait que t'es convaincu que son frère ait quelque chose à voir avec ça, que tout était trop parfait -trop logique, même pour toi. C'était pas l'écriture de Cain sur le papier. C'était pas son odeur non plus. Pourtant elle était la seule que ce torchon concernait, et y avait que toi pour trouver ça chelou. Putain quelle emmerde.

— Ok.

Lorsqu'Ezra te dit qu'il se contentera des gâteaux apéritifs, tu confirmes brièvement avant de chercher du regard quelqu'un pour commander. Au pire tu te lèveras, au mieux ils feront leur job et viendront vous voir -ce serait pas mal comme ça.

La blague te laisse surprit un instant mais tu finis par sourire légèrement en sentant son épaule se loger contre ton bras. Tu le perds bien vite quand il continue.

— T'as peur de me parler.

Tu répètes, histoire de t'assurer d'avoir bien comprit.
Ça t'énerve.

— Et de quoi t'as peur au juste ? Comment je te regarde ? C'est n'importe quoi putain.

Malgré la colère il n'y a pas un mot plus haut que l'autre, et tu détournes le visage sur la fin de ta phrase. C'est pas que tu ne le crois pas mais ça te touche. Tu comprends pas et ça te vexe.

— Ça date pas de Noël cette merde. Ça fait des mois, (des années), que c'est comme ça Ez.

Tes iris que tu braques sur lui de nouveau, sérieux.

— Si tu me dis que c'est parce que tout ce temps t'as eu peur de me parler je t'en retourne une.

— Et toi tu te trouves pas con non ? Tu fais chier putain.

C'est toujours la même chose, que tu retiens difficilement. Toujours les mêmes schémas et les mêmes paroles. Ça t'emmerde. Y a vraiment rien à faire pour retrouver ce que vous aviez avant ? Tu boudes sûrement autant que lui, le regard rivé sur les danseuses au milieu de la scène avant qu'il ne reprenne.

T'as toujours été mon meilleur ami.
Tes iris qui glissent sur lui.
Il a toujours été le tien.

Et si t'avais la réponse à tous ses doutes, à tous les tiens, tu la lui donnerais sans hésiter. Mais y a eu Noah qu'il ajoute. Après le massacre de ton sang il a fallu que ce chien se pointe pour briser le peu qu'il te restait. C'est là que ça a commencé, pas vrai ? La distance entre vous. Et t'es visiblement beaucoup trop con et beaucoup trop fier pour réussir à arranger les choses de toi même. La façon dont tu me regardes... Comme si je te dégoûtais.

— C'est pas vrai.

C'est n'importe quoi, il se rend pas compte Ezra à quel point c'est des conneries.

— C'est pas vrai Ez' je te déteste pas, tu me dégoûtes pas comment tu peux penser ça ? T'es le seul qu'il me reste putain comment tu peux croire un truc pareil !

La voix qui se hausse quand ta main claque doucement sur la table. Non vraiment tu comprends pas comment il est parvenu à se faire autant de films sur tes pensées. Et ça n'a rien à voir avec la façon dont lui te regarde. Tu réalises.

Comment il te regarde ?
Il a l'air mal tout à coup et quand il est comme ça c'est souvent que tu loupes des informations importantes. Alors tu prends quelques secondes pour réfléchir, avant de demander le plus calmement possible.

— Comment tu me regardes Ez' ?

C'est ça le coeur du problème.
T'es pas sûr de vouloir la réponse vu la tête qu'il fait.

Les mots te blessent plus que tu ne l'aurais cru. Tu le regardes, tes sourcils qui se froncent un peu plus à mesure qu'il parle. Pourquoi il se croit toujours obligé de porter le monde sur ses épaules ? Tes fautes, celles de Noah, les siennes aussi. C'est presque comme si vos existences toutes entières étaient de sa responsabilité et tu supportes plus. Presque comme si, en portant tout ce poids, il essayait d'en délester quelques morceaux malgré tout.

Toi.
Jamais Noah.
Pourquoi Noah, hein ?

— Alors quoi, tu me dégages maintenant ? Pour lui, forcément pour lui. T'es vraiment trop con. À quel moment t'as cru que t'étais Mère Teresa putain. T'as rien fait pour m'attirer dans la merde, t'es pas responsable de Noah et encore moins de moi -à quel moment tu vas te rentrer ça dans le crâne ?!

C'est pas sa faute s'ils veulent te tuer.
Pas sa faute si vous existez. La vérité c'est que ce serait à vous de vous excuser du mal que vous lui faites mais t'es trop peu conscient de cette réalité pour le faire vraiment. À la place tu préfères souffler avant de lui poser la question qui te brûle les lèvres. Celle que t'aurais dû poser y a des années sûrement.

Comment tu me vois Ez ?
Ses lèvres contre les tiennes pour te figer dans la surprise. Tu réagis pas, ne réponds pas à ce baiser que tu n'attendais pas. Tu te souviens l'avoir fantasmé déjà, plus d'une fois même. Mais t'es plus très sûr que ce soit de la même façon que ce baiser-là. Timide mais audacieux (t'aurais voulu qu'il dure plus longtemps) c'était plutôt agréable, malgré ton temps de réaction. Ta main vient saisir la sienne pour l'empêcher de trop se reculer. La vérité c'est que t'as peur qu'il fuit maintenant, ce serait bien son genre.

— Tu-

Retiens-toi.
Et parle putain.

— C'était quoi ça.

Quoi ?
Comment ça, quoi.

T'as demandé, il a répondu. Alors c'est ça, c'est ta faute Hermès ? Si tout ça part en vrilles une nouvelle fois c'est parce que t'as décidé de plus être aveugle ? Ou bien parce que tu l'as trop été, toutes ces années. Et tu te demandes si t'aurais pas mieux fait de la fermer. Toujours à l'ouvrir quand il faut pas, toujours à te foutre dans la merde, tu te rends compte que c'est Ezra que t'es entrain de perdre aujourd'hui. Ezra qui s'éloigne plus qu'il ne le faisait déjà. Et tu peux pas.

Le laisser partir tu peux pas.
T'y survivrais pas.

Mais tu sais pas comment le garder. Tu sais plus, perdu entre toutes ces choses trop pleines de sentiments auxquelles t'as jamais rien compris. C'est pas ton domaine ça, il a raison. Le peu de fois où t'as tenté ça s'est soldé en tentatives de meurtre. Mais juste avant il t'a dit que tu devais voir du monde, arrêter de t'accrocher. Pas vrai ? Qu'il t'enfermait, c'est ce qu'il a dit. Alors c'est lui qui te lâche. Lui qui t'embrasse. Toi qui demande, toi qui lutte encore en le regardant s'étouffer avec les apéritifs le rouge aux joues. Les siennes, parce que y a bien longtemps que t'as plus rougit Hermès. Est-ce que ça veut dire que tu ne l'aimes pas ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

T'as pas lâché sa main.

Le silence comblé par la musique qui bourdonne à tes oreilles, la seule chose que tu peux faire après tout ça c'est vous achever, tous les deux. Avant qu'il parte, avant qu'il te quitte, qu'il t'abandonne parce que tu peux pas le laisser partir. Vous allez assumer. Tous les deux. Tes lèvres sur les siennes vous allez les assumer de nouveau, parce qu'il n'y a pas d'autres alternatives. Celle-ci c'est la pire. Tes doigts qui le tirent pour l'amener contre toi et l'embrasser comme si t'allais crever demain, c'est sûrement la pire idée que t'ais eu. Mais y a pas le choix, pas vrai ?

Même si ce n'est pas de l'amour, que c'est différent.
Tu sais qu'il comprendra.
T'espères.

Qu'il pardonnera les mots absents, les gestes maladroits, tes peurs trop grandes. Tes regrets. T'espère qu'il restera.

Ça n'a jamais été pour toi, l'amour. Depuis tout petit déjà tu ne cesses de perdre ceux que tu aimes. D'abord ta mère, ensuite Rana, ton père, ta meute. Ezra. Tu pourrais te laisser convaincre par ses lèvres, les laisser tromper tes pensées pour animer tes désirs. Tu pourrais le coller plus encore contre toi et le retenir pour l'éternité. La vérité c'est que t'es celui qui ne veut pas lâcher, l'imbécile qui s'accroche comme un con à la seule lueur d'espoir qu'il a dans la vie. T'es celui qui nourris ses espérances et le lire dans ses yeux te file la gerbe. Ça n'a jamais été pour toi l'amour parce que t'es qu'un putain de gros enfoiré qui ne sait faire qu'aimer. Mal aimer. À longueur de journée. De la mauvaise façon, encore, encore, encore. Lui, Ezra.

Qu'est-ce que ça signifie ?
C'est ta réponse.

Ta façon de briser les étoiles dans ses yeux -ta façon de terminer le combat. La franchise indélicate qui se masse à tes lèvres pour te forcer au silence. T'es terrifié, t'es dégoûté. Pour lui pas pour toi. De toi, pas de lui.

— Je voulais que tu restes.
C'était la seule façon de le garder.
(vous briser)

La vérité, la vraie, c'est que tu espérais mais c'était il y a bien longtemps. Jeune adolescent en pleine puberté. Le corps comme les sentiments que tu te découvres, les battements trop rapides, les pensées plein la tête. Ezra Ezra Ezra. Une obsession qui est restée même transformée, le coeur avorté.

— Tu serais parti pas vrai ?

Je ne t'aime pas, Ezra.
Je ne t'aime pas.
Je ne t'aime pas.
Je ne t'aime pas.

— Pas comme ça. ...Je t'aime pas comme ça, Ez.

Ce n'est pas de l'amour.
Et t'es sûr qu'il l'a senti aussi.

— Je voulais que tu restes.
Je refuse que tu partes.

Tes doigts pour serrer sa main, la retenir alors que tu ne l'as pas quitté des yeux un instant.

Il est le seul que tu t'étais juré de ne jamais blesser, le seul que t'es parvenu à blesser plus fort que les autres sans t'en rendre compte. Tu comprends, maintenant. Le ventre qui se tord, le souffle qui se coupe, les douleurs au coeur. T'imagine que c'est normal, que c'est le temps d'accepter vos sentiments différents mais tu peux pas t'empêcher de croire que c'est plus que ça. Y a autre chose. Parce qu'il pleure, Ezra. Il pleure et ça sonne comme un adieu.

Il l'a dit tout à l'heure.
Il a dit qu'il t'enfermait, que c'était plus possible.

— Ez-
Je sais pas à quoi je m'attendais.

Et toi tu sais pas ce qui fait le plus mal entre tes sentiments passés et ceux de maintenant. Entre ses larmes ou ses mots qui glissent comme des couteaux contre ta peau. Tu te mords la lèvre, détourne un instant le regard pour t'empêcher de pleurer à ton tour. Vous n'avez pas besoin de ça, hein ? Non vous n'avez pas besoin de ça. Dire que ça fait des années que tu n'avais pas pleuré d'autre chose que de rage.

Mais c'est finit, il faut partir maintenant.

— Arrête de dire ça.

Les iris que tu poses sur lui vivement, tu renifles pour reprendre contenance alors que ta main libre vient soulever son menton. Tu veux qu'il te regarde, t'as besoin qu'il te regarde. Même si ça fait mal.

— Ça fait deux fois, t'as la voix un peu fébrile, sur le point de craquer. Un sourire en coin, tu continues. Je pensais pas t'entendre dire ça un jour, alors deux fois c'est trop.

Arrête.
Tu veux qu'il arrête.
Qu'il réalise que si lui a de quoi vivre sans toi, toi t'as rien sans lui. Tu veux qu'il comprenne que c'est pas sa faute, ça n'a jamais été sa faute.

— Je te laisserai pas.

T'es terrifié.

— Je peux pas. Je peux pas si t'es pas là- Je veux pas.

Rester tout seul.
Y a quoi après ce vous décédé ?

— C'est pas ta faute Ez'. T'as toujours fait ce que t'as pu. C'est pas ta faute.

Il ne peut pas être responsable de tes erreurs.
Ni de tes terreurs.
Jamais.

Ne me laisse pas. Tu déglutis, la surprise pour venir bloquer ta gorge. T'es pas sûr de comprendre, pas sûr d'avoir bien entendu. Ne me laisse pas. Il l'a murmuré si bas que tu pourrais l'avoir rêvé. Pourtant à la suite de ses mots tu réalises que tu ne les as pas inventés et ça te perd, ça te fait mal. Parce qu'il te demande de partir mais veut que tu restes. Tu vas rester. Tu vas rester, Hermès. T'emprisonner encore jusqu'à vous étouffer tous les deux. De toute façon t'as nulle part où aller.

Ton corps pour l'accueillir alors qu'il se laisse tomber tout contre toi, viens l'entourer de tes bras en réponse à ses mots, comme pour le rassurer. Le regard si triste pourtant, le sourire absent. Si t'avais été plus naïf t'aurais sûrement espéré que quelque chose de bon sorte de tout ça. De vous. Mais t'es pas naïf et tu vous sens couler. Lentement. Inexorablement.

Ça te brise.
T'es terrifié.

Merci vieux.

T'as pas les mots, alors tu te contentes de le serrer un peu plus contre toi. D'inspirer longuement, encore encore encore en espérant vous faire flotter. Une main dans ses cheveux pour éviter qu'il ne relève la tête. Tu voulais pourtant qu'il te regarde. Mais à quoi bon contempler vos éclats ?

À quoi bon.