T'as dû t'armer de patience pour réussir à convaincre Ezra de ne pas t'attacher au lit aujourd'hui. Il a insisté pour savoir où tu allais et à quelle heure tu rentrerais -dans longtemps ? T'as pas su lui répondre, alors sur le coup tu lui as lâché la seule info que tu voulais garder pour toi, la seule info tangible de cette virée à l'improviste en dehors des murs sécurisés (ton œil) de sa maison. Tu en tairas les raisons.

— J'vais voir ma mère Ez', relax.

Il a dû comprendre à l'agacement dans ta voix que tu ne plaisantais pas. Et il savait, depuis les années qu'il te connaissait et dont vous n'en aviez plus jamais parlé, que t'avais tiré un trait sur ta mère. Alors lui avouer ça comme ça, sans lui balancer que l'idée te prend la tête depuis des jours d'oser ou non franchir le pas pour lui, ça te prend la tête.

Tu voulais pas la revoir.
Ne plus y penser.
Tu voulais l'oublier parce que ceux qui t'ont abandonnés n'ont jamais rien eu à faire dans ta vie. C'est pour ça que, même en vivant juste à côté, tu l'as esquivée toutes ces années -et tu sais qu'elle a fait la même chose. Ta mère est loin d'être idiote, elle connaît chacun de ses administrés sur le bout des doigts. Rien ne lui échappe et pourtant elle n'est jamais revenue vers toi. Alors qu'est-ce que tu as à voir avec elle, toi ? Plus rien du tout. Et pourtant t'es là derrière la porte de sa petite maison. Si son allure te dit quelque chose c'est parce que tu sais y avoir vécu un peu, enfant. De temps en temps puisque dans tes premiers souvenirs tes parents étaient déjà séparés. Mais lorsque Sybille daignait encore t'accorder un peu d'attention c'est ici que tu venais.

Pressé d'en finir, tu toques rapidement de grands coups à la porte. Lorsqu'elle s'ouvre tu sembles impassible face à l'étonnement de ta mère. Mains dans les poches et le farouche, tu la toises comme l'on découvre un étranger pour la première fois. Le dernier souvenir que tu as d'elle date d'il y a un peu plus de huit ans quand tu étais encore à l'école, avant le drame. Elle a vieilli mais te semble toujours aussi belle pourtant. Elle ne s'attendait visiblement pas à te voir ici, peut-être qu'elle avait définitivement tiré un trait sur toi elle aussi. Pourtant elle t'a reconnu au premier coup d'oeil.

— Asterion ?

C'est bizarre dans sa bouche.
Bizarre venant d'elle tout court, c'est qu'elle a l'air presque heureuse quand ta seule envie à toi c'est de fuir loin d'ici.

— Hermès.

Ses sourcils se froncent un peu et le faible sourire qu'elle étirait se perd au ton froid que tu emploies.

— Je vois.

Elle n'a pas l'air particulièrement déçue et tu ne sais pas vraiment quoi en penser. Ce n'est pas grave, c'est pas le sujet. C'est pas pour elle que t'es là et encore moins pour toi. Elle te fait entrer pour t'emmener dans la pièce à vivre et s'éclipser dans un coin le temps de préparer du café. T'aurais préféré du whisky, mais bon. En l'attendant tu tires une chaise pour t'assoir, et laisses ton regard vagabonder un peu partout. C'est pas très grand mais dans l'air du temps. Petit salon, cuisine ouverte, le jardin que tu aperçois à travers la baie vitrée. Ça te semble bien plus confort que dans tes souvenirs, l'odeur est douce et tout ça te met mal à l'aise. Par chance, Sybille revient vite te tendre une tasse de café avant de s'assoir en face de toi.

— Alors, qu'est-ce que tu deviens Hermès ?

À peine une hésitation dans la voix, elle a intégré si vite ta nouvelle identité. T'as vraiment rien à faire là Hermès. Alors tu vas simplement prendre ce café, lui dire pourquoi t'es là et dégager. Tes doigts pour porter la tasse à tes lèvres, tu t'arrêtes en chemin, observes la tasse et le liquide quelques secondes, le regard vide avant de la reposer un peu brusquement.

Tu peux pas.
Et si... ?
C'est ta mère Hermès putain.
Tu parles d'une mère.

— J'suis pas là pour ça.

Accueilli d'un silence que tu ne saurais interpréter. Peu importe. C'est pas important, tu t'en fiches de tout ça c'est pas pour vous que t'es là. C'est pas pour vous. La pensée d'Ezra suffit à te faire relever les yeux vers elle. Elle a l'air sérieuse, la vérité étant qu'elle n'a pas d'autre choix que de l'être vu comme tu la rejettes. Tu agites nerveusement une jambe sous la table.

— J'ai un service à te demander.
— Quel genre ?

Un parent normal t'aurait sûrement demandé si t'étais fauché. Mais pas elle, c'est trop futile pour vous deux tout ça.

— Ezra Strauss, tu connais ? Il habite en retrait du village près des bois.
— Oui, je vois de qui tu parles. C'est un garçon sans histoire. Tu vis avec lui non ? Toi et deux autres.

Tu serres légèrement les dents, c'était sûr qu'elle savait. Et si t'en es pas le moins du monde étonné, ça t'énerve. Il faut que tu passes outre.

— Ouai.

Tu lui passeras les détails de cette histoire à dormir debout pour en venir aux faits.

— Il est menacé. J'ai besoin que tu renforces tes sortilèges autour du village, et que tu en mettes d'autres autour de chez lui.
— J'ai déjà placé des tas de sortilèges autour du village, Hermès. Si tu ne m'en dis pas plus je pourrais pas faire plus. Qu'est-ce qui le menace ?

C'est froid. Pas antipathique, pas chaleureux. Seulement précis et méthodique -ce n'est pas à ta mère que tu parles mais à Sybille Hopkins, la maire de Pembroke. Ça te va.

— Atlas Priest.

Ce sale fils de chien que t'as pas encore réussi à buter malgré les années. Inconsciemment tu regardes ta mains droite dont les cicatrices sont toujours très visibles et il est difficile de ne pas remarquer les blessures que tu as pu subir. Sybille fronce les sourcils, plus encore lorsqu'elle remarque ce fait en suivant ton regard.

— Qui t'a fait ça ?
— Atlas Priest.
— Hermès. Tu ne me dis pas tout.

Évidemment que tu ne lui dis pas tout. Elle insiste un peu en te disant qu'elle ne pourrait pas t'aider sans avoir un minimum d'explications en plus parce que les Priest sont influents et connus pour être irréprochables. Tu cèdes finalement à en lâcher quelques bribes.

— Ce sont des chasseurs.

Son regard s'écarquille face à la révélation.

— C'est eux qui ont tué mon père. Et Rana.
— Ta demi-sœur..
— Ma sœur.

Ta sœur sans demi-mesure. Elle était tout ton monde à l'époque et l'une des plus belles raisons de ta vengeance aujourd'hui. Sybille semble le comprendre au regard que tu lui lances parce qu'elle ne rétorque pas.

— Randall m'a protégé avant de se faire abattre par Atlas. Mais il a réussi à mordre son frère.
— Hyperion Priest a été changé en loup-garou ? Il a été annoncé mort à la rentrée des vacances. La nouvelle avait choquée pas mal de monde à l'époque.

Elle ne mentionne pas ta disparition soudaine cette année-là.
Comme si elle ne s'en souciait pas.
Tu tiques.

— Il est bien vivant ce sale chien. C'est Noah. Il vit avec nous chez Ezra. Si j'te dis ça c'est parce qu'il faut le protéger aussi. Atlas est taré, il lui a fait bien pire qu'à moi.

Et c'est quelque chose qui t'arrache la gueule d'avouer.

— Tu ne parles de ça à personne.
— Que comptes-tu faire ?

Rien de très plaisant, pour sûr.

— Ça te regarde pas.

Sybille laisse échapper un soupire las, tout en buvant son café. Si toi tu n'en as pas bu une goutte, elle est à la fin de sa tasse.

— Tu peux compter sur ma discrétion, cependant. elle t'adresse un regard sérieux, presque menaçant. Je tiens à la tranquillité et à la sécurité de mes administrés alors s'il se passe quoique ce soit au sein du village qui les mette en danger d'une quelconque façon, je n'hésiterai pas.

Ouai, tu sais.
C'est pour ça que vous aviez dû partir cette année-là.

Si vous étiez restés ils seraient peut-être toujours en vie.

— Pourquoi j'suis là à ton avis ? Ezra a pas demandé tout ça. La seule chose que t'as à faire c'est de renforcer tes protections.

Ça sort plus amer qu'escompté alors que tu la regardes, tout aussi bouillant de colère que déterminé. ((elle a jamais mit autant d'énergie à te protéger toi, c'est dire)) Vous n'êtes vraiment que des étrangers, tous les deux. ((c'est ça la seule famille qu'il te reste ?)) Non. Ta seule famille c'est Ezra. Il est le seul qui vaille réellement le coup que tu te battes. Tous les autres sont morts. Rana est morte.

Sybille repose sa tasse vide sur la table avant de te toiser quelques secondes.

— C'est d'accord. Je passerai le voir dans la journée pour peaufiner les détails.
— Cool.

Tu te lèves brusquement, près à partir maintenant que c'est terminé.

— J'imagine que je ne suis pas censée savoir qu'Hyperion Priest est vivant.
— T'imagines bien.
— Alors ils n'en sauront rien.
— Super.

Tu ne lui laisseras pas le temps d'ajouter quoique ce soit avant de quitter la demeure le pas pressé. T'étouffes ici, t'as besoin d'air. Alors tu dégages aussi vite que tu le peux pour retrouver l'extérieur afin de pouvoir respirer de nouveau. Tu t'éloignes rapidement de la maison pour rejoindre celle d'Ezra en marchant vite à travers le village -le médecin t'a interdit de transplaner tant que tes blessures seraient aussi fragile, quelle plaie. Sans entrer, tu te laisses glisser contre le mur pour t'assoir au sol et calmer ta respiration qui s'emballe un peu.

Tu te sens mal, sans parvenir à poser de mot précis dessus.
T'aurais pas dû aller la voir, c'était sûr.
C'était pour Ezra, rien que pour Ezra.
C'était le bon choix, hein ?
Tant pis pour le reste.
Tant pis pour toi.