L'angoisse t'étreint.
Comme toujours, mais ce soir peut-être plus encore. Tu as fait le tour de ton appartement à peu près dix fois - au moins. A vérifier que tout est bien rangé, que rien ne traîne et que rien ne puisse t'embarrasser. A vérifier que tout est propre et que rien ne sent mauvais. Tu as même fait l'effort de ne pas mettre des chaussettes dépareillées. Un coup d'oeil à Midas, qui dort confortablement dans son panier. Tu l'envies un peu. Toi aussi tu aimerais bien te prélasser dans ton lit sans le moindre soucis - mais Cassandre vient, ce soir, alors évidemment ton cerveau carbure depuis à peu près quatre jours sans arrêt à la moindre gaffe que tu pourrais potentiellement faire pour ruiner ces retrouvailles inespérées.

Tu n'arrives pas à croire que tu l'aies contactée.
Vraiment.
Tu ne te savais pas assez courageux pour oser le faire - certes, Luke t'avait donné son numéro de téléphone, donc ça faisait simplement sens de la contacter. Mais tu pensais que, comme souvent, tu allais regarder ton téléphone en retapant quelques vingtaines de fois chaque mot avant de te décourager, de soupirer et d'abandonner l'idée. Te disant que tu le ferais plus tard, et plus tard ne venait jamais vraiment. Tu n'avais pas eu tort sur le nombre de fois où tu as retapé ces quelques mots pourtant simples, mais tu avais réussi à avoir un semblant de discussion avec elle - un petit miracle, en soi, quand on te connaît.

Ce qui n'était pas vraiment son cas.
Ce n'était pas rude à dire quand il s'agissait de toi - aux yeux de tous dans ta famille, tu étais un étranger. Tu pourrais être un cousin éloigné que ça serait la même. On te connaît de vue, de loin, on connaît ton nom qui revient parfois dans la bouche de tes parents avec un air de déception et de frustration très apparent, toujours une désapprobation dans leur mouvement de tête, et c'est à peu près tout.

Elle non plus, tu ne la connaissais pas tant.
Tu te souviens d'elle comme une adolescente, une jeune femme même, très solaire et éclatante. A avoir veillé de loin sur elle, dans la plus grande discrétion, tu te souviens de ses sourires éclatants, de sa jolie chevelure blonde qu'elle partage avec Luke et de ses yeux vifs et pétillants. Comme pour ton cadet, tu avais à son égard beaucoup d'affection et de fierté, mêlées à un semblant de méfiance que tu ne pouvais encore écarter.

Votre éducation avait été trop différente.

Et même si Luke voulait garder votre visite secrète, bien que Cassandre ait été au courant (ce qui ne t'étonne pas) tu ne savais pas à quel point vos parents avaient pu les influencer et les formater. Pour certains, ça serait déplacé. Pour toi, ce n'était qu'un instinct de survie qui parlait. Quand on a été soldat, on n'a été qu'une face au milieu de la masse. Mais tes supérieurs, eux, restent distincts dans ta mémoire. Et toutes les horreurs qu'ils ont commises, aussi. Il en était ainsi.
Tu espères te tromper.
Tu espères pouvoir croire tes adelphes et les aimer.
Tu espères pouvoir les accepter dans ta vie.
Après tout, tu as toujours été isolé. Tu as l'habitude. Mais ça ne veut pas dire que ça te plaît. Tu n'avais jamais nourri l'espoir de pouvoir avoir de la famille proche, mais c'était quelque chose dont tu rêvais. Depuis toujours. Pouvoir veiller sur tes cadets, les encourager et les pousser vers un futur brillant - un qui leur plaît. Qu'ils souhaitent. A l'instar de vos parents qui ne pensent qu'aux apparences liées à votre nom, toi tu les voudrais simplement épanouis. Et si ça veut dire jeter au diable toutes les traditions de votre maison, tu le ferais avec joie. Pour eux, tu ne sais pas trop ce que tu ne ferais pas.

Quoi qu'il en soi, l'heure tourne, approchant dangereusement celle du rendez-vous. A ce stade, tu as arrêté de tourner en rond et tu t'es assis sur ton canapé pour jouer avec les bagues qui ornent tes doigts, quand ces derniers ne se perdent pas au milieu des piercings qui ornent tes oreilles pour jouer avec. Tu as décidé de ne pas décorer ta lèvre... Tu n'es même plus sûr de combien de piercings tu avais la dernière fois que Cassandre t'as vu. Sans parler de tes tatouages qui sont toujours un secret bien caché et du métal qui décore ton nombril pour lequel tu n'as pas besoin de t'inquiéter, tu sais que tu ne peux pas trop retirer celui sur ta langue...

Ca y est, maintenant tu espères ne pas la choquer.
Il faut dire que tu as changé - avec tes cheveux courts, ton visage dégagé. Ton manque apparent de lunettes, aussi. Ton air trop sérieux et stoïque est toujours le même. Moins heureux qu'à Poudlard, aussi. Comme une vieille lumière qui vacille faiblement, prête à s'éteindre - usé par les années. C'est ce qu'il en était.

Ca sonne à la porte et tu relèves la tête, posant le téléphone avec lequel tu jouais sur la table. Un dernier regard envers ton appartement... Rien de luxueux mais ça devrait aller. Pas vrai ? Pas vrai. Une grande inspiration pour te donner le courage alors que tu tentes de calmer tes mains qui tremblent légèrement quand tu es devant la porte. Finalement, tu déverrouilles et ouvres la porte, faisant quelques pas de côtés pour lui laisser la place d'entrer.

▬ Cassandre. Ravi de te voir.

Tu refermes la porte derrière vous, refermant avant de laisser ton dos contre la porte.

▬ J'espère que tu as fait bon chemin.

Le ton toujours aussi plat.
C'est que, le social et toi...
Ca n'a jamais été ça.
Tu te rappelles des politesses alors que tu vous entraînes dans le salon.

▬ Oh, heu, mets toi à l'aise... Fais comme chez toi. Je peux te débarrasser de tes affaires ?

Tu tends les mains vers elle pour attraper n'importe quoi - un manteau, une écharpe... Tout ce qui peut gêner. Et toi, tu es sacrément intimidé. Un modèle de fraternité.

Qu’est-ce qu’elle est belle, Cassandre.
C’est la première pensée qui te traverse alors qu’elle te sourit de toutes ses dents quand elle te voit. Ca te fait un peu bizarre, d’ailleurs, qu’on te sourit avec autant d’honnêteté. Autant d’enthousiasme. Qu’on te dise, comme en miroir de tes pensées, à quel point tu es beau. Tes joues rosissent légèrement au compliment alors que tu détournes rapidement le regard, mais au fond de toi tu sens déjà ton coeur de glace fondre pour ta petite-soeur et tu comprends très vite pourquoi Luke est aussi fou d’elle.

Tu sens que ça va vous faire un point commun de plus.

Elle a fait bon chemin, ce qui allège un peu tes épaules. Tu habites dans un endroit peuplé et assez sécurisé, mais ne pas t’inquiéter c’est comme te dire de manger épicé. Tu en es incapable. Tu l’observes entrer dans ton antre qui, vraiment, n’a rien d’extraordinaire. D’abord Luke, puis elle… Ca fait bizarre de voir ta famille se ramener chez toi un à un. Tu te demandes si ça sera quelque chose qui se répétera. Si peut-être, même, vous pourriez vous voir tous les trois ici. Peut-être que tu pourrais les inviter à dîner, un jour… Tu n’es pas le meilleur des cuisiniers, mais tu fais ça assez bien. Et puis, passer un moment tous les trois… Ca serait agréable. Sûrement. Pas vrai ?

Tu récupères ses affaires avec un sourire timide avant de les poser proprement sur une chaise pour que rien ne prenne de plis et tu te retournes à nouveau vers elle, prêt à parle. Seulement pour être stoppé par une tête blonde qui se rapproche et qui vient t’enlacer.

Oh.
Heu.
Comment on fait, déjà ?
Merde. T’es plus trop sûr - ça fait combien d’années que tu n’as pas fait un câlin à qui que ça soit ? Du coup, tes mains restent en suspend dans le vide, ne sachant pas où se poser. Sa tête ? Son dos ?? Les interrogations sont là et prennent trop de temps - la voilà déjà partie. Bon. Ben. Trop tard. La prochaine fois, peut-être. Est-ce qu’il y aura une prochaine fois ? Aucune idée. Mais tu y penseras, à comment réagir.
Sait-on jamais.
A la place, tu la regardes, disant maladroitement;

▬ Oh. Heu. Pas de quoi ?

Un peu d’hésitation dans ta voix.
Ton regard finit par s’adoucir un peu une fois la surprise passée.

▬ Un plaisir de t’avoir ici.

Tu la laisses s’éloigner de toi et en miroir à son sourire, tes lèvres finissent par s’étirer en un sourire bien plus discret. Il semblerait que tes adelphes aient le don d’arriver à te rendre plus expressif que quatre-vingt dix-neuf pourcents de la population. Rien que pour ça, tu souffles un léger rire discret.

▬ Si tu veux, mais ça va être vite fait.

Mais ton appartement est rapidement oublié quand elle voit Midas et là, ah ! Tes yeux se font tellement tendres, malgré ton ton un peu railleur.

▬ La terreur qui hante ces lieux. Midas.

L’intéressé ouvre ses yeux comme si ça lui prenait toute sa force pour observer ta soeur avant que ses pattes ne viennent trouver ses doigts - sans griffes, juste pour jouer avec. Il se redresse un peu, vacillant encore un peu sous le sommeil qui l’engourdit pour renifler ses doigts et rapidement venir y glisser sa tête en signe d’approbation. Et peut-être même en ordre pour obtenir de l’attention.

▬ Tu peux le prendre dans tes bras, il est pas du tout agressif. Et il adore monter sur les gens. Fais gaffe, juste, il risque de mordiller ton pull. Il aime mordiller tout ce qui passe à proximité de sa bouche cet imbécile.

Un imbécile dont tu es fou, à la douceur qui enrobe tes mots. Tu lèves les yeux au ciel quand il miaule et menace de monter sur les jambes de Cassandre comme il grimperait un arbre à chat. Rien ne l’arrêtera jamais celui là. Tu te détournes à peine en faisant signe à Cassandre de te suivre alors que tu l’emmènes vers la cuisine, modeste mais décorée. Dans un coin reposent des herbes savamment organisées et triées pour des potions dans ton temps libre, accompagnées d’une petite étagères pour entreposer des grimoires. Herbiers, textes anciens, druidisme, c’est là que tes racines trouvent leur place chez toi. Tout est bien rangé… ou dans un désordre qui semble organisé.

Tu la guides ensuite jusqu’à ta chambre qui est beaucoup plus démunie, si ce n’est pour l’écharpe Serpentard qui trône avec ta veste sur le dossier de ta chaise de bureau, ce dernier d’un bois ancien comme si tu ne pouvais réellement vivre dans les temps modernes complètement. Des dossiers sont rangés dessus sans grand intérêt. La salle de bain est à peine mentionnée, mais tu lui pointes les toilettes quand même si jamais besoin est. Puis tu reviens au salon.

La pièce la plus fournie, au final. Tous tes trophées, toutes tes récompenses et tous tes souvenirs y trônent. Tout ce que tu as pu accumuler grace au quidditch, bien que ça ne fasse plus partie de ta vie. Les photos de ton équipe, de tes camarades, des matchs… Et puis au centre, une photo de tes adelphes dont tu ne fais pas partie, tout comme tes parents en sont absents, mais qui trônent fièrement comme la pièce la plus précieuse de ta collection. Tu n’as pas grand chose à dire durant le tour, tu n’élabores pas grand chose et tu ne t’étales pas en souvenir, finissant simplement par dire alors que ta main vient trouver sa place habituelle sur ta nuque.

▬ Voilà. C’est pas grand chose, mais c’est chez moi.

Un bref soupir alors que tu jettes un regard aux trophées exposés. Tes yeux ne sont ni tristes ni nostalgiques. Ca fait tellement longtemps qu’ils sont vides, maintenant. Tu te concentres sur Cassandre.

▬ Et toi, alors ? C’est comment le château, ça a changé ? On entend toujours des trucs grincer sans raison la nuit ?

Tu la ramènes vers le canapé avant de te réaliser.

▬ Oh ! Je t’ai pas proposé - tu veux du café ? Un thé ?

Tout de même, Nath.
Quel manque d’hospitalité.

On dit que les animaux ont un flair pour les mauvaises personnes. A la manière dont Midas s'accroche et se prélasse contre Cassandre, tu laisses échapper un soupir pour ce qui te paraissait pourtant évident. Il ne semblait pas y avoir une once de méchanceté dans ta cadette.
Juste beaucoup d'amour.
Tu y trouves presque une pointe d'humour.
(Est-ce que tu n'as pas eu la vie dure ?)
La vie de première femme, la vie de devoir se fiancer à quelqu'un dont on ne connaît sûrement rien et qui ne nous plaît pas. Tu n'étais pas bête, Nathaniel. Tu voulais quelqu'un de bien pour elle. Et ça ne pouvait être que quelqu'un qu'elle aurait choisi d'elle-même, à tes yeux.
L'arrangé ne fait pas des heureux.
Elle regarde la photo et toi tu te demandes si on ne pourrait pas revenir à cette époque. Pas que tu t'y sois plût, mais au moins les autres avaient les épaules plus légères.
C'était mieux que de vivre en Enfer.

▬ J'ai oublié que je l'avais.

Bien sûr.
Comme si c'était crédible.

▬ C'est vrai, il n'a pas changé.

Qu'est-ce que tu en sais ?
C'est pas comme si tu le connaissais.

▬ Toi par contre tu es devenue encore plus charmante.

Et toi tu glisses encore sur la pente.
Sur les paroles vides de sens.
Ca lui faisait une belle jambe d'être charmante aux yeux de son frère - d'un frère qui n'a jamais été là. Autant qu'un étranger le lui dise dans la rue. Ce serait peut-être même moins malvenu.
Le château était vide.
(Tu retiens un rire.)
Il n'y avait pas que les esprits frappeurs qui te font peur. Oh, non. Dans les tréfonds du château il y avait un bureau et une chaise. Il y avait un dos droit et un sourire trop fier. Il y avait deux corbeaux prospères. Il y avait deux fantômes tout droit tirés des griffes de Lucifer.
C'était ça qui t'effrayait.
C'était ça qui t'avait fait fuir.
Et tu rêvais de ne jamais avoir à revenir.
(Mais tôt ou tard, il fallait mourir.)
Tu te demandes juste si les dieux seront cléments de te laisser t'éteindre dans ta jeunesse, ou si elle sera coupée court. S'il te reste des jours paisibles, ou si demain sera la guillotine. Si la vie sera toujours aussi mesquine.

▬ Tu lui feras la fête.

Tout comme tes parents te la feront.
S'ils en ont seulement l'occasion.
Peut-être que leurs funérailles le seront, d'une certaine façon. Leur manière de te dire que tu n'es plus un petit garçon.
Que tu n'as toujours été qu'un sale petit con.
Et qu'il était temps de reprendre tes leçons.

▬ Je t'apporte ça de suite.

Et tu t'affaires aussi vite que peut se faire à lui ramener sa tasse alors que tu n'as rien pris pour toi-même. Tu n'as pas trop soif. Pas trop faim non plus. Sûrement que c'est le stress. Tu as les mains tremblantes alors une fois la tasse posée, tu les caches sous le bout de tes manches.

▬ Oh, tu sais. La routine. Beaucoup de paperasse, la vie de langue de plomb n'a rien d'aussi trépidant qu'on peut le faire croire.

Mais tu n'en diras pas plus.
Pas que tu le puisses.

▬ Et toi ?

Détourne encore une fois la conversation.
Mais elle revient toujours à toi.
Et au fond, tu es un peu irrité.
Qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir savoir si tu es heureux ? Luke ou elle, qu'est-ce que ça peut bien leur faire ? Ca les ferait se sentir moins coupables, peut-être ? Mais ce n'est pas eux les responsables.
Et si ton visage ne laisse rien transparaître, au fond, c'est de l'amertume qui s'accumule ; car le bonheur tu n'y as jamais goûté.
Tout le monde semble croire qu'on te l'a arraché.
Mais c'est juste que tu n'y as jamais eu droit pour commencer.

▬ Oui.

Non.
Tu étires un faux sourire sur tes lèvres mais toi qui souris si peu souvent, c'est dur de savoir quand tu mens. Ca sonne sincère. Surtout aux oreilles d'une étrangère.

▬ Mais je le serai encore plus maintenant que Luke et toi font partie de ma vie.

Une demie vérité.
Parce qu'au fond, qu'est-ce que ça changerait ?
Rien.
L'inévitable finira toujours par arriver.
On peut fuir mais tu sais que tu tournes en rond comme un idiot, comme un enfant qui chasse sa propre ombre. Qui cherche à se terrer dans les recoins les plus sombres. Mais viendra un jour où l'on rallumera la lumière.
Et tu ne pourras plus jouer à l'ignorant.
Il faudra devenir grand.

▬ Et toi ? J'ai ouïe dire que des fiançailles étaient de mise ?

Toujours tu prends la fuite.
De la conversation, ou des vies.
Qui sait ce que ça sera ensuite.