Lorsqu'il entendit la porte s'ouvrir, Sigurd leva la tête et sourit. Ses collègues étaient déjà partis — c'était une journée plutôt calme — et la patronne l'avait chargé de gérer la fermeture du salon. En échange, il avait l'autorisation de se servir du lieu pour accueillir les personnes acceptant de se sacri- non, de l'aider à s'améliorer en coiffure. Evidemment, il paierait de sa poche s'il venait à utiliser trop de produits, ce qui ne lui importait guère — la passion avant tout.

En attendant de possibles arrivants, il passait le balai tranquillement pour ramasser les cheveux éternellement éparpillés par-ci par-là dans le salon. Il pourrait utiliser la magie, mais nettoyer cet endroit (et seulement cet endroit, malheureusement) l'apaisait étrangement.

Il en avait besoin, parce qu'il appréhendait un peu de savoir si des volontaires allaient répondre à son appel ; à sa recherche de cobayes capillaires.

Le mot avait tourné, semblait-il — la fille qui débarqua alors paraissait décidée.

Et elle avait raison de l'être. Ses longs, très longs cheveux étaient d'un noir profond mais aussi assez ternes. Le jeune coiffeur n'eut pas besoin de s'approcher pour savoir qu'ils n'avaient pas été coupés depuis bien longtemps. Il allait falloir leur faire au minimum un bon soin, mais la meilleure solution sans user de magie serait la plus radicale : les couper. De beaucoup.

Autrement dit, il allait avoir du travail. Et il en était absolument ravi.

« En effet. » répondit-il

Elle était si déterminée qu'elle en avait oublié la politesse. Qu'importe, Sigurd appréciait d'aller droit au but de temps en temps, alors il allait s'adapter.

« Enchanté, je m'appelle Sigurd. Je ne crois pas qu'on se soit déjà rencontrés ? » dit-il en posant son balai dans un coin et s'approchant de son interlocutrice.

Oui, il avait de quoi faire.

« Avant toute chose, je préfère être sûr que tu aies eu toutes les infos : je cherche des volontaires qui me laisseraient le champ libre pour les coiffer, que ce soit au niveau des couleurs ou de la coupe en elle-même, pour m'entraîner. Si le résultat ne te plaît pas, je ferai en sorte de l'arranger suivant tes souhaits et si ça ne va toujours pas, je te propose de te coiffer gratuitement une nouvelle fois lorsqu'ils auront un peu poussé.
Si ça te convient, y a-t-il des choses que tu ne veux absolument pas que je fasse au niveau de ta coupe ? Et concernant la coloration ? »

Il avait déjà mille et une idées en la voyant ; il espérait la cerner un peu plus pour trouver une coupe qui allait lui convenir. La faire parler allait l'aider à trancher.

En quelques mots, en quelques gestes, un immense champ de possibilités venait de s'ouvrir pour Sigurd.

Oui, il y avait du travail pour permettre à ces cheveux délaissés de retrouver toute leur splendeur. Surtout sans magie.

Mais le jeune coiffeur ne demandait rien de mieux.

Autre découverte, la demoiselle pouvait aligner plusieurs phrases.

Intriguante, voilà le mot qu'elle lui évoquait.

De part ses actions -son côté direct, son regard brillant qui balayait le salon comme si elle en voyait un pour la première fois- mais aussi à cause de l'état de ses cheveux, qui était pour ainsi dire peu commun surtout quand on a accès à la magie, Sigurd se demandait quel genre de vie cette jeune femme pouvait bien mener.

Peut-être allait-il pouvoir en apprendre plus plus tard ? En tout cas, sa curiosité était piquée.

« C'est noté. » dit-il en riant.

Il l'invita à s'asseoir au niveau d'une vasque pour lui laver -et surtout soigner- les cheveux.

Il prit son temps pour masser, partant des racines pour aller jusqu'aux pointes, redoutant un peu le moment où il devrait démêler tout ça. Il appliqua doucement un soin à base d'avocat et de jojoba pour rattraper tant bien que mal les années de maltraitance.

« Je pense que le mieux pour toi serait une coupe au carrée courte, sans frange vu que la repousse risque de t'embêter si tu ne vas pas chez le coiffeur. »

Il réfléchissait à voix haute.

« C'est la première fois que tu viens ici, pas vrai ? Rythme de vie approprié ou pas, c'est de mon devoir de te donner envie de revenir, pour leur bien ! » dit-il en continuant de lui passer le produit dans les cheveux, mèche par mèche.

Envie de creuser, d'en apprendre plus sur elle. Peur de la mettre mal à l'aise. Alors il évitait de la forcer à parler d'elle.

"Ta première fois chez le coiffeur tout court ?" Faillit-il dire, mais, même s'il se voulait taquin et pas méchant, ne voulant pas la braquer il n'osa pas demander ça.

« Enfin, même si tu ne comptes pas remettre les pieds chez un coiffeur, après la coupe je pourrai te recommander quelques produits adaptés à ton type de cheveux pour qu'ils restent en forme. Là, je te mets un soin à base de jojoba qui va nourrir et assouplir ton cuir chevelu. Je vais en couper beaucoup, mais il faut quand même prendre soin du reste. »

Il esquissa un sourire à sa réponse. Sa spontanéité lui était agréable.

« Avec juste un shampoing et un après-shampoing adaptés, je pense que tes cheveux resteront dans un état correct, tu n'auras pas à revenir très souvent. Mais si tu peux repasser régulièrement c'est mieux évidemment - pour toi comme pour nous. »

Il lui fit un clin d'œil amical à travers le miroir en face, les reflétant tous les deux.

Le rinçage terminé, il lui posa délicatement une serviette autour des épaules ; lui indiqua un fauteuil en face d'un autre miroir, partie coiffure, lui tira le siège pour la laisser s'y asseoir puis s'installa sur un tabouret derrière elle.

Pas d'hésitation ; cela ne faisait pas si longtemps qu'il était devenu professionnel, pourtant ce genre de gestes lui apparaissaient comme naturels.

Mais pour la coiffure, il était loin de tout maîtriser - d'où la présence de Léo.

« Alors, j'ai eu une petite idée tout à l'heure pour faire un peu plus original qu'un simple carré. Je vais prévoir assez de longueur pour rattraper si jamais ça ne te plaît pas, mais l'idée c'est de laisser un côté un peu plus long que l'autre. »

Pour illustrer, il lui indiqua les longueurs de chaque côté avec ses mains.

Ce qu'il ne précisa pas : il laissait aussi de la longueur au cas où il se raterait.

On ne sait jamais ; c'était la première fois qu'il faisait cette coupe après tout.

Il ouvrit un tiroir pour atteindre un peigne -

« Aïe ! »

Une fine goutte de sang naquit à la pointe de son majeur.

En saisissant l'instrument, sans trop regarder par habitude, il avait pressé sa peau contre une lame de rasoir de barbier caché en-dessous.

« Aaah, qui est l'idiot qui l'a laissée ouverte ?! s'exclama-t-il, irrité. Désolé, c'est rien, je me suis légèrement coupé. Juste un instant... » Dit-il à la jeune femme sans la regarder.

Il sortit un mouchoir neuf de sa poche et enroula son doigt dedans, sortit la lame coupable de l'abri du tiroir pour la désinfecter.

Une simple étourderie qui allait peut-être s'avérer un peu plus conséquente que prévu.

« Oh, non, non, non, ne gâche pas ça. »

La phrase se transporta jusqu'à ses oreilles mais elle lui paru si incongrue qu'il n'y prêta pas attention.

Jusqu'à ce qu'on lui prenne cette dernière sans lui demander son avis.

« Hors de question de perdre de la nourriture dans un bête tissu. »

Désarçonné, son cerveau court-circuita.

Il se laissa donc faire, essayant de comprendre ce qu'il se passait - qui il avait sous les yeux.

Lorsqu'elle lui lâcha la main il ne put s'empêcher de fixer son doigt comme un idiot. On aurait dit qu'il s'était blessé il y a quelques jours, plutôt qu'il y a quelques minutes.

« Mieux. Je suis pas trop mauvaise en sort de guérison si jamais. »

Un rire lui échappa malgré lui, tentative inconsciente de secouer le choc qui venait de le saisir.

« C'est pas mal, oui. »

Ses yeux allaient de Léo à sa main, signe évident de sa gêne. Lui qui arrivait plutôt bien à cacher ce sentiment d'habitude, il était vraiment perdu aujourd'hui. Il n'arrivait pas à regarder le visage son interlocutrice plus d'une seconde.

Était-ce un truc normal ici ? Avait-il raison d'être... un peu plus que surpris ? Un sorcier de sang pur ne considérerait-il pas ça comme un geste tout à fait normal ?

Parce que bon.

Vampire ou pas, c'était un peu intime pour lui, ce genre d'interaction.

Alors oui, il savait que ça existait. Mais il n'avait jamais vu l'un d'entre eux de façon si... concrète.

Pourtant, passé la surprise, il se rendit compte qu'il n'avait pas peur.

Il se sentait plutôt comme un gosse de 4 ans à qui l'on présente le Père Noël - sauf qu'ici, le Père Noël n'était pas qu'un déguisement.

« Euh. Je suis désolé, je suis un né-moldu alors des fois la normalité d'ici me paraît assez extraordinaire. Je... »

Le jeune coiffeur cherchait ses mots. Il ne voulait pas la vexer, la contrarier - alors que lui-même était loin d'être énervé.

« C'est incroyable comme faculté, si j'avais pu faire ça à chaque fois que je me suis coupé ! »

Un doute subsistait en lui : était-elle réellement une vampire ou était-ce juste une manière étrange de soigner les blessures ? Bon, elle avait quand même désigné le sang comme nourriture. Il se sentait vraiment dépassé par ce monde, parfois.

Une avalanche de questions se bouscula dans son esprit. Il se contenta de dire un mot.

« Merci. »

Etonnant regard que celui de Léo.

La surprise, la curiosité, l'indifférence, le dédain. Ca, il connaissait.

Mais cet éclat de joie qui a traversé ses yeux était nouveau pour lui.

Lui qui trouvait toute chose incroyable ici, il n'avait pas l'habitude d'être la créature extraordinaire au milieu du reste.

Mais soyons clair : ce changement de rôle ne lui était pas désagréable.

La jeune femme paraissait de plus comme loin d'être gênée, même plutôt ravie qu'il soit impressionné par son don.

Les personnes de ce monde, même les "simples" sorcies, lui semblaient parfois très éloignées de lui, comme évoluant réellement dans un autre univers - la réaction de Léo l'avait rendue simplement plus humaine à ses yeux. Aussi la dernière phrase de celle-ci finit d'éteindre ses doutes, d'anéantir une petite lueur de crainte qu'il aurait pu avoir dû à sa nature de proie au fond de lui, et lui arracha un sourire.

« Oh non pas de souci, en plus c'est plutôt flatteur qu'on réagisse comme ça quand je parle de mes origines. Je n'ai pas l'habitude ! »

Il imaginait aisément que ce soit le cas pour elle également. Il se saisit de son peigne tout en parlant :

« Et puis ce don est vraiment pratique, j'en suis presque jaloux. il se reprit immédiatement, Enfin, je me doute que ce n'est pas sans contrepartie... »

Reprise qui ne le rattrapait pas vraiment. Gêné, il entama la longue et fastidieuse tâche de démêlage de la masse devant lui, avec douceur de peur de la blesser. Il enchaîna, espérant faire oublier sa phrase précédente :

« Attends au moins que je finisse de te coiffer avant de sauter sur le repas, ce serait dommage de finir avec les cheveux à moitié coupés. »

Voix posée et sourire en coin pour l'assurer qu'il s'agissait d'une simple taquinerie ; si elle semblait plutôt à l'aise sur qui elle était, il craignait toujours de commettre un impair en se laissant trop parler.

Lorsqu'elle mima un oiseau, Sigurd se retint d'éclater de rire pour ne pas faire de geste brusque. Sa façon d'être, assez enfantine, le touchait et le rassurait ; alors, même s'il s'efforçait de paraître professionnel à l'extérieur, ça le déconcentrait un peu trop parfois.

La tâche la plus ardue se termina finalement sans trop d'encombres (mise à part une petite douleur au poignet droit du coiffeur, à force de devoir insister sur les mèches têtues pour les démêler).

Il enchaîna avec les ciseaux, coupant avec soin car c'était la première fois qu'il réalisait une telle coiffure. Un côté long jusqu'aux épaules, un côté court jusqu'à la moitié du cou. Le tout devait paraître harmonieux ; la transition devait être douce.

Il dût couper un peu plus court que prévu pour rattraper quelques erreurs, s'en excusa sans en faire un drame - elle était là pour être un crash-test après tout. Même si Sigurd s'en voulait un peu de faire des loupés. (mais bon, il restait un apprenti)

Puis arriva le moment de sécher la chevelure, avec un bon vieux sèche-cheveux moldu évidemment. Il décida de lui épargner le brushing puisqu'elle n'en ferait probablement jamais au quotidien de toute manière - il pensait l'avoir assez cernée à ce niveau-là.

Le jeune homme sortit ensuite un miroir et, comme tout coiffeur fier de son travail, lui présenta le résultat sous tous les angles.

« Alors, satisfaite de la métamorphose ? Je peux raccourcir un peu plus ou faire en sorte que les deux côtés soient de même longueur, si ça ne te plaît pas. »