Ta maison est la sienne.
Aujourd'hui encore, tu attends son retour. Elle ne vit pas ici, mais elle fait partie intégrante de ta vie. Elle ne fut qu'un visage que tu avais pris l'habitude de reconnaître, à force du travail qui te menait à elle. A chaque fois, tu taisais ces petits mots au fond de toi - est-ce que ça va ? est-ce qu'elle travaille trop ? Et tu ne devrais sûrement pas penser ça, au vue de ton métier - mais peut-être qu'elle commandait un peu trop de pizzas. Elle méritait de meilleurs repas pour sûr ! Ca avait l'air éreintant, comme job. Tu n'osais même pas imaginer toutes les compétences et le travail que ça demandait. Des jours, tu es vraiment sincèrement reconnaissant d'être livreur. Au moins, c'est pas prise de tête. Bon, ça paye une misère. Mais on peut pas tout avoir, non plus.

Et puis, un jour, vous vous êtes croisés dans la rue.
C'était tout bête, un oh ! de surprise, après s'être reconnus. Des banalités échangées par politesse. Et puis une conversation qui s'allonge et s'étire et s'étend. Et les passants qui vous regardent de travers parce que vous êtes au milieu du putain de trottoir. Et au final un ça te dit un café ? avant de disparaître dans le confort d'une échoppe et de ne plus voir les heures passer. Tu étais étonné ! Tu dois l'avouer. Fallen avait l'air d'une personne charmante quand tu la livrais, mais tu ne pensais pas du tout t'entendre aussi bien avec elle. Elle avait ce quelque chose qui te donnait envie d'être le plus doux possible et d'apporter tout le réconfort que tu pouvais, comme une couette dans laquelle on viendrait se glisser les jours où c'est trop compliqué. Mais tu n'es pas une couette. Tu es une personne. Tu es un peu reconnaissant, parce que tu n'aimerais pas être mis dans une machine à laver avec des chaussettes. Mais là n'est pas la question.

Toujours était-il, donc, que vous vous étiez rapprochés beaucoup plus vite que tu ne le pensais. Alors, cette fois, tu l'avais invitée à manger chez toi. Et pour une fois, il n'y aura pas de pizza. Tu t'étais mis aux fourneaux avec plaisir, comme toujours. Au menu, quelque chose de simple mais de familial : un pot-au-feu chinois. Ou une fondue chinoise. Peu importe comment ça s'appelait : c'était bon. C'est tout ce qui compte. Ca t'a pris un peu de temps de préparer tous les ingrédients crus - légumes, viande, poisson, de tous les choix pour tous les goûts. Bon, évidemment, tu n'avais pas fait pour un régiment non plus, mais vous seriez sûrs de bien vous régaler. Et s'il en reste, tu en donneras à la mamie d'à côté. Ca lui fera plaisir, et rien de gaspillé. Ou tu feras un tupperware pour Fallen si elle a aimé le menu... Ca te ferait plaisir. Mais tu ne forceras pas.

A l'heure prévue, ça sonne.
Tu redresses la tête, les yeux qui s'illuminent comme un enfant. Fallen est là ! Dans ton coeur, c'est la joie. Tu t'empresses de retirer le tablier que tu avais mis, le jetant sur le comptoir nettoyé et tu te diriges vers la porte. Chez toi, c'est bien rangé ! Tu as pris soin de dégager toutes les photographies et les films qui étaient en train de sécher dans la seule pièce que tu ne fais jamais visiter : ta propre chambre noire. Alors, certes, il reste des cordes avec des pinces de partout mais si on te demande, tu diras que c'est des guirlandes maisons. Ca devrait passer.

Tu ouvres la porte.
Et rien qu'à la voir, ton sourire s'agrandit.
Tu rayonnes si fort, Sol ! Faut dire que la joie est folle. Tu as très envie de l'enlacer, mais tu n'oses pas trop. Tu tâtes encore les limites, de ce côté. Tu trépignes sur place, à la place, la faisant entrer.

Coucou Fallen ! Tu vas bien ?

Et dans ta voix on sent l'excitation, le bonheur simple d'avoir quelqu'un chez toi. Ca rend tout plus chaleureux et vivant (et la solitude prend un peu moins de place soudainement) alors tu fermes la porte, l'invitant dans ton salon. La table où le repas est préparé est visible, avec tout ce qui vous y attend. Mais tu n'es pas pressé. La soirée ne fait que commencer.

Fais comme chez toi ! Ta journée s'est bien passée ? Tu veux boire quelque chose pour commencer ?

Tu n'as pas beaucoup d'alcool, mais tu as du café ! Et un peu de thé. Et beaucoup d'ice tea, mais ça faut l'ignorer.
Et qu'est-ce que tu parles, Sol.
Quand quelqu'un est là, tu ne sais plus la fermer.

Elle te dit de respirer et tu dois avouer que c'est bien compliqué ! En toi, les mots se bousculent et s'agitent, tombent plus vite hors de tes lèvres que tes pensées n'arrivent à suivre, alors forcément on dirait que t'es essoufflé. Pourtant, c'est juste l'effet que la joie et l'excitation te font. Et tu as toujours un peu de mal à t'arrêter. Alors, avec un petit air gêné collé à ton visage tu bredouilles.

Eheh désolé je parle beaucoup.

P't'être que t'es chiant, au fond. Tu sais pas trop. Tu t'en rends pas compte faut dire. Elle te raconte sa journée et tu l'écoutes avec attention. Tu trouves son métier fascinant ! Déjà parce qu'il est ancré dans le monde magique et que tu aurais bien aimé y avoir ta place. Puis parce qu'il est au ministère, et que c'est aussi là où tu as faillis finir ! Et puis, travailler au ministère c'est un peu travailler au gouvernement. C'est des gens importants ! Alors ça te fait vraiment bizarre d'avoir quelqu'un de haute stature dans ton petit appartement, bien que les étiquettes ne signifient pas grand chose pour toi. C'est donc avec un grand sourire que tu l'écoutes, presque déçu quand elle coupe court à son récit.

Et quoi ? Qu'est-ce que les diplomates indiens on fait d'autre ?

Ca fait bizarre d'entendre ce genre de mots sortir de tes lèvres, pourtant tu es capable de participer à ce genre de conversations. Bien sûr, tu n'es pas le plus au courant. Mais tes connaissances scolaires sont toujours bien collées dans ta tête, y compris sur les bases de la politique magiques. Alors tu devrais être plus que capable de comprendre une conversation basique sur le sujet. Puis la question te revient - comment tu vas, Sol ? Toi, tu vas toujours bien, enfin !

Moi ? Comme toujours !

Mains sur les hanches, tu bombes le torse.

J'ai faillis finir dans des accidents que deux fois aujourd'hui !

Vu le traffic à Londres, surtout du côté des moldus, c'était un exploit en soi, soyons francs. Tu finis par te diriger dans la cuisine alors que tu lui fais signe de s'asseoir sur le canapé.

J'ai du thé !

Tu en avais acheté exprès, à voir qu'elle en commandait souvent durant vos petits meetings dans des cafés. Rapidement, tu reviens avec une tasse dans chaque main. Tu lui donnes la sienne, t'asseyant à côté avec ton café.

Et je suis pas forcément un expert mais si tu veux la prochaine fois que tu viens on pourra préparer le repas ensemble ! Ca sera plus drôle comme ça.

Rien qu'à l'idée, ton sourire brille plus fort.
Ca fait tellement longtemps que tu n'as pas cuisiné avec quelqu'un.
L'idée fait trembler ton coeur de joie et d'anticipation.

La cuisine c'est pas très compliqué. C'est un peu comme tout le reste, faut juste s'entraîner.

Au début toi aussi tu étais très mauvais.
Mais les années ont fait de toi un cuisiner confirmé.
Tu ris doucement, prenant une gorgée de ta boisson.

Tu as une idée de ce que tu aimerais faire ?

Que tu saches un peu quoi préparer.

Fallen reprend ses explications et toi, tu hoches la tête. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre de toi, tu comprends - au moins en partie - les enjeux et aboutissants de ce qu’elle te raconte. Tu n’avais pas été particulièrement impliqué dans les évènements liés à The Crow… Mais même toi, tu te rendais compte de la gravité de la chose et du fait que ce n’était pas le genre de choses que l’on pouvait omettre dans des négociations internationales. Tu ris doucement à sa remarque.

Honnêtement ? Aucune idée ! Ca a vraiment l'air d'être chiant comme job. Je pourrais jamais.

C’est d’ailleurs bien pour ça que tu n’as jamais mis les pieds au ministère, au final. D’autres passions, d’autres intérêts, aucune envie de te retrouver derrière un bureau à régler des dossiers… Des tas de raisons qui t’ont fait faire demi-tour malgré l’avenir radieux qui t’attendait. Mais tu n’étais pas malheureux de ta situation, bien au contraire.

Le temps que tu reviennes, ses cheveux coulent le long de son dos et tu souris doucement. Fallen est une très belle femme ! Entre ses yeux émeraudes et ses cheveux nuits, avec ses traits joliment définis, tu ne doutais pas une seconde qu’elle faisait tourner quelques têtes ici et là avec aisance. Tu la préférais avec les cheveux défais - les chignons, ça lui donnait un air strict et un peu sévère. Pourtant, elle était si douce avec toi ! Son sourire le prouve bien.

Un rire te secoue à nouveau quand elle te parle de sécurité. Oh, toi et la prévention… Que ça soit à pieds ou à moto, ça n’avait jamais été une histoire d’amour. Trop insouciant, trop négligeant, trop casse-cou… Quand ça te concerne, en tous cas. Si quelqu’un d’autre est impliqué, c’est plutôt toi qui prends le rôle de père poule, ironiquement.

Mais non, tu t'en fais trop va !

Peut-être que non, peut-être que c’est justifié. Mais ton cerveau te dicte qu’il ne faut que tu inquiètes personne - pas que tu ne l’as pas mérité. Mais quand est-ce que tu le mérites seulement, Sol ? Jamais, c’est ce que tu te dis. Bien que tu aurais tout le mal du monde à l’avouer.

Tu sirotes ton café tranquillement, appréciant l’amertume de la boisson alors que tu croises les jambes sur le canapé. La recette nommée te fait redresser la tête avec de la curiosité. Le matcha, c’est quelque chose que tu n’as pas souvent travaillé. Il faut dire que c’est assez particulier, comme saveur. Mais les roulés, tu en as déjà fait ! Alors sûrement que marier l’un et l’autre ne devrait pas être si compliqué. Tu hoches la tête en approbation.

Oh, oui, c'est un bon choix ! Je connais la recette de base, je suis sûr qu'on peut trouver des variations intéressantes sur internet. Et les ingrédients se trouvent facilement.

Tu comprends son besoin de trouver un hobby en dehors de tous risques et de la magie. Alors tu te permets, gentiment, de venir dégager son épaule des mèches de suie qui y coulent, les remettant dans son dos.

Je comprends parfaitement. En vrai, j'suis sûr tu seras une bonne cuisinière. Et puis, c'est stressant un peu au début mais c'est vraiment relaxant quand tu prends l'habitude.

Un rire sincère.

Moi dès que je suis angoissé je me retrouve derrière les fourneaux... Chacun son truc.

Les compliments qui pleuvent ensuite font rosir tes joues et briller tes yeux l’espace d’une seconde. Comme toujours, ça te touche directement en plein coeur. Un coeur qui bien vite nie toutes ces attentions - c’est juste pour te faire plaisir, Sol. Sois réaliste. C’est inévitable, après tout. Qui pourrait réellement être fier de toi et de ce que tu fais ? Résigné, tu souris pourtant. Sincère, toujours autant. Juste désillusionné.

Merci, ça me fait vraiment plaisir.

Mais la question qui suit te prend de court. Tu clignes des yeux, un peu confus.

Exposées ? Comment ça ?

Sûrement pas dans une galerie, quand même. Qu’est-ce que ton travail irait y foutre ? Ce n’est pas comme si tu avais de la renommée, que tu étais quelqu’un de connu. T’es personne, Sol. Juste un pseudonyme parmis le reste de la toile, avec quelques âmes perdues qui te suivent mais pas assez pour être crédible. Juste un gars qui prend trop de photos dans son temps libre. Juste un mec paumé, sans avenir, qui livre des pizzas. Tu ris à cette pensée.

Personne voudrait exposer mes photos, Fallen ! Elles sont bonnes pour witchagram, pas pour des professionnels.

Et pourtant tu en rêves, parfois. Tu rêves de voyager, de photographier le monde entier. De partager tes clichés avec le plus grand nombre possible, en espérant qu’ils soient appréciés. Mais tu sais parfaitement que ça ne se fera pas. Que ça ne sera qu’un passe-temps le reste des années qu’il te reste à vivre - si jamais tu ne finis pas dans un job qui te boufferra tout ton temps et qui te forcera à abandonner. Tu hausses les épaules.

En plus, je songe à chercher un second job pour galérer un peu moins. Si c'est le cas, y'a peu de chance que je puisse continuer.

Tu souris, comme toujours, alors que tu bois ton café.

C'était qu'un rêve de gamin, faudra bien que ça s'arrête un jour.

C’est un caprice qui a sûrement duré assez longtemps. Peut-être qu’il va falloir que tu finisses par devenir grand.

Tes mots avaient été un peu maladroits et tu esquisses un sourire timide et désolé. C’est que, l’éducation… Ca n’avait pas vraiment été ça de ton côté. Pas qu’elle puisse le deviner. Alors tu n’as pas le langage le plus soutenu du monde, ou les meilleures des manières, ou l’esprit le plus futé. Mais tu avais ce qu’il fallait pour la sphère de vie qui te contenait. Sûrement que c’était bien assez.

Tu découvres les passe-temps de Fallen - l’escrime, la course, la nage, la randonnée… Et son manque de passions, il semblerait. Pourtant elle rit - ça te fait sourire. Ca te fera toujours sourire.

Je suis content de voir qu’y’a quand même des choses qui comptent à tes yeux. C’est important je pense. Y’a pas d’âge pour se découvrir des passions et des loisirs. Il est jamais trop tard pour essayer quoi que ce soit.

Et tu avoues, aussi.

Et… Je compatis. Moi non plus, j’ai pas trop eu cette opportunité.

Ca paraît peut-être un peu bizarre venant de quelqu’un qui dit sans hésitation aimer la cuisine et la photographie. Mais c’est vrai. L’orphelinat ne t’avait jamais poussé à quoi que ce soit. Tes parents adoptifs t’avaient écarté de toute activité. Il n’y avait que les études qui comptaient. La photographie est un héritage. La cuisine était une rébellion à Poudlard. Un amour aussi pour la fugue.
Les journées à disparaître.
Les semaines à ne pas revenir.
Ce n’est pas comme si ça les avait inquiétés.
Ils avaient l’habitude, ils étaient fatigués.
Ca faisait longtemps qu’ils n’en avaient plus rien à carrer. Mais ce ne sont pas des choses dont tu parles. Ce ne sont pas des anecdotes que tu partages. Surtout aux gens qui ne connaissent que Sol - et pas Tanner. Oh, Tanner. Une petite terreur. Une sacrée erreur.

Mais le visage de Fallen se fait plus sérieux et stricte à tes propos sur tes photos. Elle s’approche, un doigt posé sur ton nez qui te fait sourire malgré sa sévérité. Un petit rire. Tu es bête, oui. Tu sais. Tu manquerais presque de t’excuser de ta stupidité qui doit être dure à supporter.

Elle repose sa tasse de thé alors que tu l’écoutes avec attention. Des décorations pour le ministère… C’est sérieux, comme job. Représenter Londres - c’est dur de capturer l’essence de toute une ville en quelques clichés. Il fallait un bon oeil. Les bonnes opportunités. Une que Fallen voulait te donner. Une que tu accueilles maladroitement, à nouveau, l’air gêné. L’air inquiet. C’est de tes photos dont on parlait. Et tu ne te pensais pas à la hauteur. Pas du tout, même. Et ça se sent facilement. Tu n’as même pas besoin de parler.

Je suis touché mais…

Mais on parle du ministère.
Tu es livreur de pizza.
Un livreur de pizza cracmol qui plus est.
Tes yeux tombent sur ta tasse alors que tu penses. La proposition tourne dans ta tête. Alléchante. Tu doutes pouvoir en tirer une carrière… Mais un peu de reconnaissance, peut-être. C’était déjà beaucoup, pour toi. Est-ce que ton book était assez bien préparé pour ce genre de choses ? Pour une fois, c’est la nervosité qui te prend. Toujours la même peur qui remonte.
Celle de décevoir.
De ne pas être assez.
Fallen a des espoirs et des attentes et ça manque de te faire partir en courant, même si tu tentes de le cacher. Tu finis doucement par hausser les épaules.

...Je suppose que j’ai rien à y perdre…

Si ce n’est vivre un énième coup dur qui te rappelle que tu es un moins que rien incapable de faire quoi que ce soit. Malgré l’opportunité, tu n’as pas l’air aux anges. C’est lourd à porter, comme peur. Et compliqué à deviner. Alors tu reprends ton sourire, prenant une gorgée de café.

Merci, en tous cas, je suis ému que tu aies pensé à moi pour la chose.

Tout en te disant que ça te rendrait redevable, et que c’était sûrement la raison pour laquelle elle te l’avait demandé. Car après tout, ce n’était probablement pas pour ton talent inexistant.
Réaliste, résonné.
Optimiste fataliste insoupçonné.