Les échos de ta journée se répercutent sur les parois de ton esprit.
Tu te souviens de ces heures chargées en entrainement, des moments où vous vous percutiez, des moments d'inattentions.

La tension aidant, ton corps était sous pression. Une pression aussi latente que vicelarde. Elle ronge et gangrène les parties les plus sensibles de ton être : coeur, estomac, cerveau.
T'en as marre.
T'as l'impression de perdre pied, de ralentir.
De ralentir ton équipe, surtout.

Une fois que tu rentres le sac de sport sur l'épaule, la tête basse, même si tu marches fermement jusqu'à la maison, tu sens l'odeur de Crystal.
Tu bloques.
Tu la connais par coeur, Crys. Sept ans que vous partagez la vie ensemble, sept ans que son parfum est le même. Tu renifles un instant ; un soupir désabusé suit. Fuck off. Elle était déjà là.

Tu pouvais pas passer un moment tranquille sans qu'elle rentre déjà.

Tu te passes une main sur le visage et arrivé à sa hauteur, elle se retourne en te saluant. Même quand ton facies est fermé comme jamais et ne dévoile qu'une lassitude, expression froissée par la fatigue, ton regard est quand à lui...
Dédaigneux.
Tes prunelles ambrées la fixent sans faire montre de la moindre étincelle de joie, d'amour, de plaisir de la retrouver.

Tu  ne ressens pas non plus du mépris. Juste.

- Bouge. T'es sur mon chemin, Crys'.


Et sans attendre qu'elle te réponde ou se meut, tu la contournes pour rentrer.
Lui faire dos, dans l'insolente indifférence.
Est-ce que tu avais vraiment envie de te prendre la tête ce soir ?

T'es à ça de péter un plomb sur elle tellement elle te gave.

- T'allais dire quoi ?

Mouvement de tête sur le côté, ton regard apparait à peine sur ton profil.
Expression froide.
Pour ne pas dire, assassine.
 

Tu tournes le loquet, passes le pas de ta porte et pendant que tu retires habilement tes baskets blanches, ce qu'elle te dit te bloque complètement dans l'élan que tu allais prendre pour te déchausser de l'autre paire.
Un instant figé, la main immobilisée dans une action devenue vaine, tu rembobines ce qu'elle vient seulement de te dire.
Tu as dû mal entendre.
Tu te redresses calmement et ton profil lui apparait, même s'il semblait qu'elle te ne te regarde pas. Pourquoi demeure-t-elle dos à la porte ?

Ton coeur se met à cogner,
tes veines se glacer.
Et tes orbes jaunes, la fixer les yeux grands ouverts.
Tu ne cilles pas. Il y a forcément quelque chose qui cloche ; elle n'a peut-être pas aimé ton côté abrupt ?
Putain, c'était juste pas le moment, c'est tout.

Tu te masses l'arête du nez et meus ton corps jusqu'à elle pour la retourner délicatement. T'as toujours fait une tête de plus qu'elle alors il t'est difficile de la regarder avec humilité :

- Qu'est-ce que tu dis, Crys. ... "
Petit sourire d'embarras, suivi d'un rire bref.
- Rien n'est fini, pourquoi ça le serait."

Tu forces un peu sur son bras, pour la faire rentrer.

- Il serait temps de rentrer, honey. Je suis KO, en plus mon entraineur m'a fait une farce que j'ai peu apprécié. Alors, rentrons parce que de toute façon, ça ne regarde personne, et il était hors de question que le voisinage apprenne une quelconque disenssion dans ton couple, tout doit être parfait. "Tu veux que je te fasse tes pâtes au saumon et à la crème fraîche ?.. Ou je sais pas, du jus d’oeillet ? "

Elle rentre.
T'inspire intérieurement. Tu ne pouvais pas rêver meilleure réponse à ta demande.

Seulement, elle te fixe avec une telle force d'intérêt enigmatique que tu ne sais plus où te foutre. Tes mirettes rencontrent aléatoirement les siennes, et le regard se fait fugace.

La douceur de sa verve, la délicatesse de sa pulpe de chair rosée, te rappellent à tes bas instincts.
Même si tu ne ressentais plus cette infinie pulsation émotionnelle, tu la désirais toujours.

Surtout dans tes élans de colère.

Elle t'assomme, avec ses questions.
T'es encore plus perdu. Pourquoi faut-il qu'elle décrypte ton mutisme avec une minutie sans pareille.

(T'avances.)
Tu recules. Tu bascules,  sur des pas de danses.
La danse du mec troublé.

Et tu ne dis rien, à ses mots. Tu ne lui réponds pas vraiment ; peut-être lui soumets-tu juste le poids d'un regard désorienté.

Puis, ce dernier tombe sur les lèvres ourlées de ta belle.
Tu l'agrippes en posant tes larges paumes sur sa chevelure de jais. Tu la coinces ainsi pour planter tes orbes dorés au siens. Vous mélangez la teinte de vos iris dans un échange de regard intense.
Intense, mais aussi  morbide.

Parce que t'as beau ne plus l'aimer, tu la désires toujours.
Et dans ces moments où t'as besoin de relâcher la pression, c'est sur elle que tu te jettes. Alors, d'un baiser fiévreux, tu l'embrasses avec une avidité réelle.

Aussi réelle qu'impure.

Tu l'embrasses avec ferveur,
comme un renouveau de sensations. Crystal a toujours eu (et aura toujours) les plus beaux attributs que tu recherches chez une femme. Tu es intimement convaincu qu'aucune autre personne du même sexe ne saurait égaler sa beauté.
Elle est belle.
Elle est douce.
Tout semble lui sourire.

Mais ton coeur est mort.
T'as été prêt à tout pour la garder près de toi ; même mentir. Lui vouer des sentiments depuis éteints.

Et elle le sait maintenant, elle le hurle dans ses propos pourtant mesurés et calmes.

Inspire.
Expire,

Ton visage se ferme brutalement à ses dires, comme en proie à une colère soudaine. Tu ne saurais lui cacher non plus la pression de ta machoîre.

Vos yeux rentrent en contact, le poids du regard trop lourd à porter pour que tu daignes continuer.
Tu te retournes d'un coup et te rapproches du bureau de salon avant de poser (calmement) tes deux paumes sur le bois.

Mais t'exploses à l'intérieur, Hyste. T'as envie de tout casser, ici bas ! T'en viens à cogner le bureau de tes poings tellement tu balises.

Te faut juste un temps.
Pour te libérer l'esprit.
...
le courroux évanoui après coup, ton corps pivote de moitié, de manière à lui faire face. Tapotant de l'index la chaise pour trouver un semblant de stabilité.

- Et tu veux que je te dise quoi, Crys ? Que je t'aime plus ? Que c'est fini entre nous ?

Tu t'éloignes du bureau et tues la distance entre vous.

- ... Crys... si je ne t'ai rien dit, c'est que je suis toujours bien avec toi. Je peux faire semblant. On peut continuer comme ça.

Tu veux pas la perdre, c'est ton seul repère.
Qui sera là à te tendre la main si vous vous séparez ?
Personne.
Personne d'autre qu'elle ne t'aime.

Pourquoi alors a-t-il fallu que tes sentiments se vident à mesure que le temps passe.
Main sur le visage, tu finis par t'adosser contre un mur, en soupirant.

- C'est mieux.. pour mon image, si je te garde. .. et puis... c'est rassurant de t'avoir encore à mes côtés.. Mais... je peux comprendre que tu... que tu ne veuilles plus vivre avec moi.

Cruellement égoïste.
Tu vas plus savoir te regarder dans une glace dans les temps à venir.

Crystal a toujours été d'une douceur inégalée.
Personne ne lui arrive à la cheville et, c'est l'un de ses traits de caractère les plus enclins à canaliser ton impulsivité légendaire.
Lorsqu'elle fait un pas en arrière, t'as une furieuse envie d'exécuter un nouveau pas en avant, comme pour lui imposer votre proximité.
Une proximité qui ne t'a jamais dérangé, même encore aujourd'hui.

La voir dans cet état étouffe ton coeur, quand bien même tu ne saurais montrer le mal qui gangrène tes artères en l'état. Peut-être parce que t'es comme ça Hyste. Lorsque tu as le contrôle, s'érige en protecteur le mur le plus glacial que tu aies su engendrer depuis ces années.

Et elle répète tes mots.
Avec ce dédain certain, cette déception dépeinte dans sa voix étranglée par l'indignation.

Evidemment, t'es un connard. Mais tu ne lui as jamais caché...

Et alors que tu cherchais tes mots pour la réconforter ou peut-être appliquer un cataplasme sur la plaie béante que tu avais créé, le ricochet de ses propos fait brutalement tomber le masque stoïque que tu t'étais pourtant promis d'arborer.
Mais de quoi elle parle au juste ?

Ce qu'elle est en train de te dire, ça te bouffe.

- Quoi ?

L'incompréhension, au commencement.
L'égoïsme, en second lieu.
Mais menteur, non. Au mieux, tu lui as caché la vérité, mais ne lui ai jamais menti. Tu ne te souviens pas lui avoir offert ton amour et affection ces derniers mois. Pour la simple et bonne raison que tu ne peux pas la tromper trop longtemps.
T'as quand même des putains de principe, comment ose-t-elle te reprocher le mensonge ?

- Je ne te mens pas, Crys', je te dis seulement que je n'ai plus les mêmes sentiments qu'avant ! Je-

Ta main cherche un renfort, un appui, un soutien là où personne peut te l'apporter. T'as juste besoin de ne pas tomber, la colère sourde vrille ton corps sans mesure :

- Crys' ! putain je t'ai aimé comme un fou pendant toutes ces années, tu n'imagines pas combien j'ai consacré ces dix ans pour toi, et que pour toi ! Ne me sors pas que c'est par égoïsme que je suis resté avec toi ces dernières années alors que c'est faux.

Elle froisserait tes sentiments, qui eux, ont toujours été réels.
.. Ca a juste commencé il y a quelques mois.
Putain, qu'est-ce que t'y peux toi.

- Et tu préfèrerais que je fasse quoi, que je fasse semblant jusqu'à me mentir à moi-même ? Tu penses sincèrement que...

L'adrenaline monte brutalement en toi et prend possession de ton être avec une virulence telle que tu ne te rends même pas compte d'avoir jeté une chaise contre le mur à côté de toi.
Hagard.
Ton regard est hagard.

- TU PENSES SINCEREMENT QUE J'ETAIS SOULAGE DE MA CONDITION ? Comment tu le vivrais si tu ne ressentais plus de l'amour pour moi, Crys ? Tu penses que tu m'en aurais parlé d'emblée de jeu, sans chercher à trouver un moyen de raviver la flamme ?

Parce que tu l'as fait bordel. A plusieurs reprises.
... mais t'as fait une erreur le mois d'août. T'aurais jamais dû te relier au passé.

Sans un regard pour elle, ta voix se radoucit, éperdue.

- Crys... Bien-sûr que je suis en tort. Bien-sûr que c'est moi qui te fais du mal et OUI j'ai toujours été un connard, et tu le sais ! Combien de nuits on a passé à discuter de la mort de Ludomil, combien de fois je t'ai demandé de me tenir la main pour ne pas plonger totalement dans l'eau et perdre la raison ?!

Le pire dans tout ça. C'est qu'elle a toujours été là.
Et toi, ton coeur, décide que c'est la fin.

Ta voix, étouffée par un sanglot enragé.

- Crys.