Il n’y a même plus d’appel du vide.
Dans le champ de ruine que fut autrefois son jardin, il ne reste que des tiges sèches et des troncs morts. Atticus perçoit le goût de l’échec, elle abandonne une traînée de cendre le long de sa gorge, gonfle ses papilles d'amertume. Pourquoi t’accroches-tu Atticus ? Lui même ne sait plus. Couper les liens et les ponts n’avaient fait qu’empirer un mal-être sordide.

Il a envie d’en finir Atticus, que tout ça pour une fois s’arrête. Que les immensités sèches disparaissent. Il n’y a plus rien à faire germer ici, pas même un peu de terreau pour un espoir neuf. Il n’y a plus rien d’autre qu’une machine habituée à tourner - sans aucune raison que le cliquetis des rouages et la synergie conservée.

Il ne sait même plus comment il a atterrit là, devant cette porte. Alors il frappe - pour éviter que le glas l’emporte. Il ne sait plus quoi faire Atticus, si ce n’est appeler à l’aide. Lorsque la porte s’ouvre, il observe Earl de ses prunelles vides. Le poison a atteint le coeur.

Il avait besoin d’aide Atticus, avant de prendre un billet sans retour.

Il voudrait lui dire que c’est déjà trop tard. La phrase fait mouche avant même qu’il ne puisse rétorquer. Aussi, il se contente d’enfermer ses longs doigts fins autour de la tasse. Peut-être n’est-il pas trop tard. Atticus avait toujours eu la certitude que sa voie serait sans retour, pas même pourvue de détour. Il n’y avait qu’au bout du chemin les fruits rances de ces années de labeurs, faites de sabotages et de rancœurs. Persuadé d’arpenter l’avenue pavée de ses mauvaises intentions, Atticus s’était lui-même condamné à subir ses erreurs.

Il reste longtemps silencieux, assis sur ce siège, la tasse refroidissant entre ses mains. Il s’était rendu compte que même l’odeur du café ne réveillait plus ses sens. Tout était semblable, revêtu de la poussière de l’habituel et du commun. Il n’avait plus le goût de rien.

Autrefois acharné travailleur, il observait ses cours avec le dédain.
Autrefois férue de rune, il abandonnait ses travaux sous des courriers non-lus.

Immobile, c’est finalement une maigre expiration qui l’agite. La poitrine à l’arrêt se soulève, happe un souffle nouveau et force la machine à se mettre en branle. L’oraison funèbre s’ajuste au tempo plus rapide d’un cœur qui s’éveille. Il faut encore une longue minute pour qu’il porte la tasse à ses lèvres, grimaçant à peine sous le café devenu froid. Perdu dans ses pensées, il n’a pas cessé de contempler Earl un seul instant.

Peut-être as-tu raison.

Ma soeur va se marier. C’est si idiot, de vouloir mourir face au bonheur des autres - de vouloir s’éteindre sous la brûlure d’un incendie. Il aurait voulu y plonger à pied joint, se perdre dans le bonheur des autres. C’est bête tu sais, mais je suis si fatigué. Il n’avait plus envie de se lever, plus envie de marcher. Ni l’alcool, ni les jeux, ni les rires ni même affronter le vide lui faisait de l’effet. A la place, il y avait un vide, un creux qu’il n’arrivait pas à discerner, ni même à remplir. Certains jours, le creux se remplissait, disparaissait soudainement et il se sentait le roi du monde.

Il suffisait d’une nouvelle journée pour que le creux jaillisse à nouveau, toujours plus profond. J’ai l’impression d’être constamment essoufflé, de toujours. Il se tait à nouveau, et ses prunelles attrapent ses mains marquées par ses activités. Un souffle. J’ai l’impression de crever à petit feu, quoique je fasse, quoi j’essaye. Il retourne un regard vers Earl. Tu es la seule personne qui reste.

Poupée de chiffon qui se laisse guider.
Poupée de chiffon qui se laisse materner.
(merci Earl, d’encore le sauver)

Il s'agrippe à son ami, l’enlace fermement et le serre contre lui. C’est étrange de sentir un autre cœur battant, ça lui avait manqué.Il expire au propos et finalement les prunelles s’ouvrent pour contempler le tissu de la chemise. Tu sais aussi bien que moi qu’on ne peut avoir de contrôle sur cela. Ils n’étaient plus dupes de ces jeux, trop conscient que ses promesses étaient vides de sens. Tout juste bonne à se murmurer adolescent.

Le silence revient et il se sert contre lui. Il faut un temps, un interstice entre le présent et le futur pour que la porte s’ouvre. Les larmes se mettent à couler. C’est lourd - sanglot après sanglot, l’écume ramène l’amertume, la lave et la bat pour en extirper tout le venin. Désespérément accroché à Earl, il se laisse aller s’abandonner.

Autrefois, Earl fut à sa place.
Aujourd’hui était devenu un droit.

Il souffle, halète, le visage déformé par les larmes et la morve qu’il évite d’essuyer contre son ami. Tu as raison. Je crois que j’ai besoin d’aide. Il n’était plus temps d’avoir honte.