Rivage est beau ce soir. Une longue tresse qui descend le long de son dos, caressant une chemise en soie noire.

Ce soir, il travaille au bras d'un cinquantenaire souriant et aimable. Ce dernier, une coupe de champagne en main, l'autre sur les hanches de son partenaire de la soirée. Rivage est doux, souriant. Il rit quand il faut rire, complice et attentionné.

Pourtant, il regarde ailleurs. Cherche ce regard qui le transperce. Ces yeux qui le semblent le suivre. Ainsi l'étoile filante des Avery est curieuse.

Oui, il le connait, tout le monde le connait.
Sourire amusé.
Lui aussi est curieux.

Et la soirée passe, tout comme les verres de champagne entre les doigts de son client. Alors qu'il commence à somnoler sur une banquette de velours rouge, Rivage lui glisse qu'il va se dégourdir les jambes. Qu'il va danser.

S'éclipse doucement et se fond dans les foules. Entre les danseurs, il le voit. Ils se voient. Il est fuyant et curieux. Il est curieux et joueur. Puis, main dans la main, en duo finissent par tournoyer.

- Il somnole sur un canapé. Le champagne monte parfois bien vite chez les plus âgés.

Pas vraiment surpris par le ton et l'appellation. Rivage aboierai si cela vous faisait plaisir. Il défie Lancelot du regard. Car c'est ton nom, n'est-ce pas chevalier bravache. Il approche son visage doucement, contemple dans tes yeux les éclats de la fête et sur ta peau chocolat la douceur de la noblesse.

- Pourquoi ? Vous souhaiteriez me recueillir Monsieur Avery ?

Cette main sur sa hanche froide, cette main qu'il sent enserrer sa peau. Il le guide à merveille, habitué aux galas depuis son plus jeune âge sûrement.

Rivage aussi, fut-un temps, les avait fréquenté, avant de qu'on ne réalise que son sang était honteux, dépourvu de magie en plus d'être faible. Dommage. Heureusement qu'il avait eu le temps d'apprendre la valse, idéale pour se glisser dans les petits papiers de ces vieux aristocrates solitaires.

Mais lui n'est pas vieux.
Lui est curieux, joueur, peut-être même fasciné.

Sourire mutin.

- Il n'est pas dans mon rôle de dire non à de telles demandes. Il m'a demandé une belle soirée. Il l'a eue si j'en crois les gallions glissés à l'arrière de mon pantalon avant de vous rejoindre sur cette piste.

Ils sont là, dorés et clinquants. Provocants presque.
Voulez-vous vérifier par vous-même ?

Frissonne alors que ta bouche approche son oreille. Ça remonte la colonne vertébrale pour se perdre dans la nuque, là où quelques mèches noires s'échappent de la tresse.

Ainsi donc, l'étoile filante aime les chiens sans maitre.
Cambre le dos, suit la vrille avec sensualité.

- Mon temps s'achète. Peut-être que si vous y mettez le prix, son temps deviendra le vôtre. Il n'est plus vraiment à même d'en profiter.

Semi-mensonge. L'homme abandonné sur le canapé n'attendait pas de lui qu'il reste aussi tard. Les gallions dans sa poche sont un remerciement. Les bons comptes font les bons clients. Rivage est déjà libre entre tes bras.

Mais ça, c'est encore un secret.

La main qui glisse chercher les gallions comme une preuve sale. Rivage sourire arrogant sur les lèvres.

Il se tend alors que dans la danse, salaud, une pirouette et il lâche les pièces dans un vase. Rivage se crispe et plante ses ongles dans la main qui continue de mener la danse. Il ne peut faire d'esclandre au risque de se griller auprès de potentiels clients mais la colère qui brûle en lui est soudain explosive. Les bulles du champagne comme un bel artifice.

Sourire mauvais.

- Ah, je me demandais quand est-ce que le sang-pur allait montrer les dents. Vous dansez avec une souillure depuis un moment maintenant. Ne craignez-vous pas pour votre réputation ?

Voix acide qui coule comme du poison tout contre ton oreille. Et vos corps l'un contre l'autre qui dansent encore, ou se battent. Qui sait ?

Ta main dans ses cheveux, dans sa tresse. Oh si tu savais comme ils aiment tirer dessus. Mais tu dois savoir, tu dois imaginer non. Tout le monde y pense sans se l'avouer.

Il se cambre lentement, laisse échapper un soupir. Son regard dans le tien, éclatant de provocation.

- Mais moi, je ne veux pas acheter votre temps, les sponsors sportifs s'en chargent assez. En revanche, vous sembliez plus qu'intéressé par le mien.

Sa main à lui passe de l'épaule, glisse sur le torse jusqu'au ventre avant de reprendre sa place, doucement. Colère sensuel allume un feu dangereux ce soir. Le croire fragile est une erreur.

- J'attends évidemment un pourboire en échange de celui que vous venez de jeter.

Rivage lève les yeux au ciel. Ils croient tous le sauver de quelque chose, d'un vieux lubrique, de la pauvreté. Tout ça pour se donner bonne conscience.

- Quelle générosité que la vôtre, sauver la pute des aristos. D'aucuns diraient que c'est pour vous la taper gratis.

Tes doigts presque doux dans ses cheveux, c'est étrange pourtant. Vos échanges ont perdu la fausse douceur du début, le jeu est encore là, sous-jacent. Mais les enjeux sont différents, fiertés qui s'entrechoquent.

Frissons qui lentement parcourent son derme. L'alcool rue dans son sang, entame lentement sa retenue. Son rire se fait plus claquant.

- Mon trésor a trouvé un nouveau propriétaire. Pour vous, l'argent coule à flot depuis toujours, vous ne savez rien de ceux qui triment pour simplement vivre.

Lui qui a connu l'opulence et le dénuement absolu a vu, à quel point ces deux mondes n'ont rien à voir.
Vivre, drôle de mot quand on sait que la ligne d'arrivée est à portée de vue.
Et le frémissement qui le traverse est soudain terriblement froid. Froid comme la mort qui rappelle sa présence au creux de son oreille.

La danse s'arrête et Rivage remercie le ciel d'arrêter de tourner.
Il papillonne un instant des yeux avant que le front de son partenaire ne le ramène à la réalité. Il le défie du regard, se perd dans ces yeux arrogants.

- Oh.

Qu'il susurre sans bouger.

- Vous avez donc d'éminents conseils pour m'offrir. Allez-y, donnez-moi donc cette sainte sagesse. Apprenez-moi comment on mérite le pourboire d'un Avery.

Sourire carnassier.
Ton estime, il s'en fiche, ton argent, il le prend.
Et ta curiosité, ton obsession, il l'entretient.

Sous la peau pâle que tu tiens entre tes doigts se dessinent des veines bien trop bleues. Sa respiration est trop profonde pour être sereine. Mais Rivage sait, depuis des années dissimuler son mal et toi, tu ne vois que l'éphèbe tentateur.

Il laisse glisser ses lèvres jusqu'à tes doigts qu'il embrasse doucement, son regard de feu dans le tien.

- Je n'ai vu pour l'instant qu'une dégoût profond à l'idée que je détienne mon propre argent. Aucune forme de générosité dans le vol.

Il espère au moins que celui qui a récupéré son argent en fera bon usage. Ricane alors qu'il mentionne les fourmis. Son père lui apparait très clairement alors. Quel enfer que les hautes sphères de ce monde. Il a beau en avoir fait parti, il a beau les fréquenter, elles ne cessent de le dégouter de plus en plus.

- Vous devriez parfois descendre de votre piédestal rendre visite aux fourmis, elles ont plus à apprendre qu'on ne s'imagine.

Mais il ne faut pas non plus espérer que les aigles daignent se poser, la vue d'en haut est tellement satisfaisante. Il rit doucement. Prévisible hein. Et toi donc, belle étoile, et toi donc. Le champagne flotte jusqu'à tes doigts. Rivage le suit du regard, sans aucune émotion. Que crois-tu faire ? L'impressionner ? La plupart de ses clients aiment ce genre de démonstration, c'est tellement facile de se sentir supérieur à un non-mage. Si d'habitude, il se fend d'un regard fasciné, ici, c'est à peine un éclat moqueur qui brille dans ses yeux.

- L'argent a cela d'intéressant qu'il permet une satisfaction quasi immédiate.

Et payer les médecins qui daignent s'occuper de lui, les médicaments qui le maintiennent vaguement en vie. Tout ça, tu n'en as aucune idée.

- Parlez-moi donc, de ces merveilles qui élèvent l'âme mieux que l'argent. Que puis-je me faire offrir, pauvre cracmol que je suis ?

Parle-moi de ton monde de paillettes et de faste, évoque donc la connaissance, la jouissance et la beauté des paysages.
Parle-nous de ton monde, belle étoile.

Savoure le frisson qui te parcourt.

- Amusant pour quelqu'un qui passe son temps sur un balais.

C'est une des rares choses qu'il a toujours envié aux sorciers. Pouvoir voler sur un balais. Parcourir le ciel, seul, libre de toutes les chaines qui pourraient l'entraver. Mais il n'en laisse rien paraitre, s'amuse à jouer sur les mots.

Il pétille l'adversaire, le partenaire, on ne sait pas qui il est. Mais il est beau Monsieur Avery. Diablement rageant et insupportable.

- Facile. L'humilité.

Sourire moqueur.

Se fane étrangement que tu parles de satisfaction éphémère. Ce mot tu sais, c'est lui. Ce papillon né pour mourir, pas vraiment beau. Juste terriblement mortel. Comme une ombre qui passe sur son visage. Il laisse la remarque se perdre, bien la seule à laquelle il ne répondra pas. L'alcool dans ses veines le rend mélancolique. La tristesse qui le hante affleure sous les provocations.

Heureusement, rayonnante, l'étoile filante ramène sur lui l'attention, la curiosité. Merci, pour une fois, d'être aussi arrogant.
Et secret. Il hausse un sourcil, percevant déjà la suite alors qu'il est entrainé loin des regards, loin de la foule.

Encadré par tes bras dont il détaille la musculature, appréciateur, il frissonne. Soutient ton regard, ses mains distraitement parcourent ton torse, jouent avec les boutons de ton costume, se glissent parfois sur la chemise.

- J'adorerai, Monsieur Avery, que vous me montriez.

Il se hisse sur la pointe des pieds susurrer cette phrase, déposer un baiser dans ton cou avant de souffler.

- Mais mon temps est payant.

L'humilité est pourtant un bien plus beau masque que l'arrogance éculée des sang-purs, mais il faut un temps pour s'habituer à la porter. Rivage la connait, lui qui fréquente assidument la mort. On a pas le choix que de n'être rien face à elle.

Le rose, le rouge aux joues et la respiration lourde, ici les mains qui se perdent sont joueuses. Dissimulés des regards de la foule, on se laisse aller aux pulsions, aux envies. Et il y en a, interdites et sournoises.

Rivage frissonne, cambre contre tes mains qui le parcourent. Lui abandonne la tienne avec plaisir. Ses doigts viennent caresser tes lèvres, retracer cette bouche qui l'embrasse. Glisse contre le cou, puis le torse et s'accroche à ta hanche.

Souffle dans ton cou.
L'autre main joue avec les boutons de ton costume. Ouvre la veste, écarte le col.

Sourire conquérant, sourire presque vainqueur.

- Ça dépend. Que veux-tu en faire de ce temps ? Je sais raconter des histoires, je sais écouter les histoires.

Vos corps collés s'entrelacent.

- Je suis plutôt doué en massage. Un peu moins en cuisine, c'est vrai.

Il rit contre toi avant de s'éloigner, dos au mur entre tes bras. Les mains croisées dans le dos et le regard tout sauf innocent.

- Qu'est-ce qui vous ferait plaisir, Monsieur Avery ?

Leurs intentions ne se cachent plus. La fièvre les a saisis. Comme si depuis le début, depuis qu'il avait posé son regard sur lui, insistant, tout était prévu.

Il rit doucement.

- Oh, c'est donc vous que je devrais cuisiner ?

Ce serait amusant. Sensuel à ne point en douter. Rivage est curieux du corps qui se cache sous ces vêtements, athlète, étoile filante, ça vendrait presque du rêve.

Il est exigeant, arrogant. Avide presque. Avide d'un être qu'il ne peut avoir, qu'il ne doit pas avoir. Que fait le beau sang avec la souillure ? Que fait l'éternel, celui dont le nom marquera à ne point en douter l'histoire du sport, avec celui qui demain peut-être disparaitra dans l'indifférence générale ?

C'est presque tragique.
Risible.

- Vous êtes gourmand Monsieur Avery.

Ta paume chaude s'appuie sur son torse, frais sous la chemise de soie. Un sourire amusé sur les lèvres. Du bout des doigts, il retrace les tendons du poignet, les veines qui saillent légèrement.

Contact volatile.

Il rit, rire clochette et chantant.

- Voire cupide.

Du bout des doigts, vient chercher une mèche ébène qui tombait contre ta peau chocolat, l'enroule, joue avec.

- Il vous faudra beaucoup de temps pour conquérir ce qui semble vous intéresser. Mais vous ne semblez pas être du genre à abandonner. Et je ne suis pas du genre à me laisser faire.

Sauvage, farouche (mortel), moins on se lie, plus il sera facile de disparaitre.
Mais plus on se lie, plus le temps passé est chaleureux.
Paradoxe absolu, Rivage perdu.

Paye, Avery, fais-moi oublier.
Cède, pour nous deux.

Il rit.

Peu importe si la soirée se conclut, le jeu en aura valu la chandelle. Les pauvres gallions perdus dans le vase sont largement compensés. Pâle perte pour ce qui se joue, pour ta voix assumant ses travers avides. Vantant sa ténacité.

Il se demande, paradoxalement ce que cela fait, de s'abandonner à tes mains, grandes mains, et tes yeux à toi, perdus par ses mains à lui. Il se demande ce que ça fait, une étoile filante qui lâche prise et s'abîme en plein ciel.

Ces mêmes mains qui viennent saisir son visage, sourire alors que ses bras blancs entourent ton cou, les doigts qui se perdent dans tes cheveux.

- C'est bien parce que vous demandez poliment.

Il aurait pu continuer à jouer, il aurait pu réclamer une avance, pour les gallions perdus. Mais le champagne pressent dans les veines de Rivage. Il a froid, désespérément besoin de chaleur, ta chaleur.

Rompt la distance et vos lèvres s'effleurent, les souffles se mélangent et enfin s'unissent. Le gout de champagne, les bulles brûlantes qui éclatent toutes ensembles, dans la tête et le corps. Sur la pointe des pieds, abandonne ses lèvres aux tiennes.

Respiration, une brève seconde.

- Satisfait ?

Ou totalement affamé ?

Brûlant, dévorant.

Rivage se consume de ta chaleur, elle chasse le froid qui tendait dans ses os. Il vit dans tes bras, contre tes lèvres, il veut s'abandonner, céder tout à toi.

Non.

Rire, soupir.
Lui non plus. Monde flou qui vacille sous ses paupières closes. Les phosphènes s'agitent vivement, frissons qui parcourent son corps gracile.

Entrouvre les yeux, souffles entremêlés. Comme si quelque chose clochait. Lui se pensait gagnant, repartir son désir assouvi, son argent en poche.

L'air glacé qui s'engouffre entre eux lui prouve le contraire. Il s'est laissé aller, a lâché la bride de ses émotions et c'est lui, étoile filante, qui l'a récupérée.

Surprise qui se peint sur ses traits, puis un sourire déforme sa bouche rougie. Tel est pris qui croyait prendre. Il se laisse tomber contre le mur, mal-assuré. Un rire secoue ses épaules, enfle dans son ventre avant de résonner dans le couloir vide.

- C'est cruel, Monsieur, ce genre de pratique. Mensonger de surcroit.

Il suffirait de transplaner, dans une chambre, dans un manoir, là où dans la table de nuit se cache une bourse. Les sorciers ont ce genre de facilité. Mais soit, il s'est fait avoir. Il passe une main dans ses cheveux, défait machinalement sa tresse déjà malmenée.

- Puis-je au moins avoir le nom de celui qui m'a mené en bateau ?

Voix basse, sourde. Presque hésitante.
Il aura gagné un beau baiser.
Ses cheveux lâchés tombent sur ses épaules, soulignant son visage pâle et ses yeux vitreux.

Alcool traitre, corps traitre, corps lâche.
Putain.