Rivage est une coquille parfaitement lisse.

Le visage serein de celui qui sait qu'il va mourir, celui qui attend simplement la faucheuse avec le sourire. C'est son amie, elle erre par dessus son épaule depuis trop longtemps.

Rivage est une coquille fissurée, brisée juste devant toi.

Le visage tordu par le désespoir et la rage. La haine profonde de cette faucheuse qui souffle contre son oreille. L'idée insoutenable de disparaitre.

Pourquoi ?
Il a suffi de quelques mots de ta part, un sourire et deux baisers.
Et le voilà, à bout de souffle au dessus de toi, quémandant ta chaleur comme un chien en manque.

Il rit, soupire.
Tes mots, tes mots qu'on écoute plus, qu'on ne veut plus écouter.
Et pourtant.

- Je me demande si tu en es capable.

De pleurer, d'éprouver des émotions pour les autres. D'être plus qu'un conquérant qui prend ce qui lui plait.
Et il te plait, Rivage, ce désir qui brûle dans tes yeux, on le voit.
Sans le comprendre, sans l'accepter et pourtant il en rêve.

Il en crève.

Tes mains qui entourent son visage, ta chaleur qui brouille les sens. Et le monde assourdi et ton regard qui existe par delà tous les autres. Monde, tu es le monde désormais Lancelot. Peut-être sans le réaliser, sans voir la faiblesse désespérée de Rivage.

Geint quand on ne sent que ton souffle, en quête de plus. Trop froid, trop glacial.

Les bras qui cèdent, le corps qui s'effondre contre le tien, roule sur le côté, les yeux vitreux. Toujours à demi contre toi, sur toi.

Il fait si froid, tu comprends ?
((non))

- Qu'est-ce qui compte alors ? C'est bien beau de me détruire pièce par pièce mais il finira par ne plus rien rester tu sais.

C'est ironique, ignoble cette conscience qu'il a de se mentir, il connait par coeur sa carapace, mais il enferme au fond de lui ses pulsions pour protéger les autres. Et toi, d'un coup de pied, tu viens et tu détruis tout.

Que veux-tu voir ?
Derrière les murailles, il n'y a que le chaos.

Un chaos sans nom.
((rivage ravagé))

Qu'est-ce que tu en sais ? Qu'il brûle le cœur de Rivage ?

Qui te l'a dit ?
Toi qui ne le connait que depuis quelques heures.
Mais toi qui as vu tout ce qu'il y avait à voir, les tréfonds du désespoir.
((et encore))

Rivage, il a le cœur nécrosé, il le sait.
Il a le cœur menteur.
Il en est persuadé.

- Tu es incroyable, lire si fort, si vite dans l'âme des inconnus.

Il rit contre toi, rire ironique.
Comme s'il rejetait ce que tu dis, incapable de sombrer plus loin derrière ses barrières.

Frissonne et se détend un peu contre toi, s'offre, félin épuisé aux caresses sur sa nuque. Savourant avec avidité ce contact sur sa peau qu'il sent glacée. Sa main à lui repose sur ton torse, joue avec les boutons de ta chemise sans y penser.

- Je vis comme je peux. Et j'échoue. Regarde-moi maintenant.

La vie a des saveurs qu'il effleure et regrette pendant des jours, cloué au lit par ce corps si faible. Il soupire.

Il s'accroche tu sais, il s'accrochera jusqu'à ce que ses doigts tombent en lambeaux, que ses ongles ensanglantés se détachent. Et quand la douleur deviendra insoutenable, alors, il mourra.

Tragiquement arraché au monde.
Fatale destinée.

Et toi, qui parcourt ce monde avec aisance, le sang-parfait et la carrière de rêve, où sont tes failles ? Pourquoi es-tu si parfait ? Cet échange n'a donc qu'un sens.

Flou tout est flou dans sa tête.
Fou, tout est fou.
Et les caresses sur sa peau qui l'ancrent dans la réalité, vaguement sensuelles.

Assez soudain, de t'entendre dire la vérité.
Grappiller la moindre faiblesse.
À toi de livrer les tiennes, à toi s'il te plait.

- Et toi, Lancelot, qu'est-ce qu'il dit ton core ? Ton cœur ? Es-tu chevalier derrière les paillettes de la noblesse pure ? Es-tu réellement un sauveur ou juste un arrogant curieux de savoir ce qui se cache derrière le rivage ?

Les phrases s'emmêlent.
Réalise à cet instant que tu ne sais même pas comment il s'appelle.
Tout ce fracas, tout ce mépris et cette obsession pour un inconnu.

Mais ça ne doit pas être si important.
((personne ne demande aux fantômes comment ils s'appellent))

Tu mens.

On le lit pas Rivage si facilement. D'autres ont déjà essayé, d'autres ont déjà tenté, et ils n'ont vu que la surface vaguement craquelée.

Ou alors ... ou alors peut-être as-tu raison.
Et dans tes bras, le fantôme prend consistance, on le voit distinctement, ses failles, ses gouffres exhibés au monde comme un spectacle.

Un spectacle dont tu te repais, arrogant.
Fier de shooter dans les protections qu'il s'est érigées.

Parce que tu sais (non) ce n'est pas si facile de vivre avec une épée de Damoclès au dessus de la nuque.

S'arrête le temps.
Puis bascule et les places s'inversent.

Rivage de nouveau étendu sur le dos, ses cheveux étendus autour de lui comme une couronne lugubre. Certaines mèches collent à ses tempes et ses yeux brillent de fièvre et de fatigue.

Il rit, faiblement, comme un souffle qui disparait.

- Je peux tout entendre tu sais, je l'emporterai dans ma tombe.

Et il en sait des choses. Murmurées au coin du lit, il s'en passe des choses dans les hautes sphères. Il pourrait s'en amuser, les revendre mais s'en fiche. Les garde pour lui comme des morceaux de vie qu'on lui offre, le temps d'un soupir.

Relève le menton, suit ton doigts, docile.
(épuisé)

- Non, tu es une étoile filante en robe d'arrogance.

Qu'il murmure.
Un sourire vague sur les lèvres.
Et tu t'empresses de confirmer ses dires.

Beau et brillant au dessus de Rivage qui s'éteint.
Il rit doucement.
Tend les doigts pour saisir une de tes mèches.
Glisse contre ta joue, s'arrête à la commissure de tes lèvres.

- Difficile d'être fier de quelque chose qu'on ne comprend pas ...

Sa voix qui s'éteint presque, rattrapé par la fatigue.
Il grogne doucement, cherche à garder les yeux ouverts alors que sa main retombe.

Lentement s'amenuisent ses forces.
Et les limites déjà bien dépassées deviennent des poids qui le tirent vers l'inconscience.

C'est le genre de nuit d'une profondeur absolue, le genre de sommeil qui s'apparente plus à un coma.

Le genre qu'on fait après avoir ravagé ses limites, été poussé dans ses plus profonds retranchements.

Il s'est accroché dans son sommeil à la source de chaleur la plus proche, presque désespéré. Sa respiration s'est faites lourde pendant la nuit, son visage crispé mais toujours endormi. Comme si même dans son sommeil, il devait lutter contre lui-même.

Arraché à sa torpeur par une quinte de toux, Rivage gémit doucement. Sous ses doigts la chaleur d'un corps. C'est flou dans sa tête et dans son corps résonne tout un tas de douleurs.

Peau contre peau.
Aucun souvenir de s'être déshabillé. Aucune idée d'où sont ses vêtements et encore moins ses médicaments.

Il n'a plus froid, presque trop chaud.
Alors que les pièces du puzzle se remettent en place, il réalise sans vraiment comprendre ce qui lui est arrivé.

Mais comment pourrait-il ? Comment aurait-il pu imaginer se briser si facilement, exposer son désespoir si pleinement.

Éclaté en plein vol.
Il s'écarte du corps encore immobile à ses côtés, refuse de le regarder.
Mécaniquement, se redresse, s'arrache à la couette.
L'air frais de la chambre contre sa peau pâle lui arrache un long frisson.

Parcourt la chambre du regard et s'arrête sur le tas de vêtements, fouille et finalement dans une de ses poches trouve ce qu'il cherchait. Les doigts tremblants ouvrent la boite et il avale ce dont il a besoin.

Dans la chambre, il finit par trouver un peignoir qu'il enfile avant de fuir dans la salle de bain.

Abandonne le tissu et se réfugie sous l'eau chaude. La sueur qui collaient ses cheveux à ses tempes disparait et la vapeur dénoue ses muscles tendus.
Il se revoie, à cheval sur un sang-pur qui le méprisait à peine quelques dizaines de minutes auparavant, exposant ses failles avec fièvre.

Il revoit le regard de Lancelot, intense et dénué de pitié, animé d'un désir profond et étrange. Un désir que n'a jamais suscité Rivage. Pas dans cet état de faiblesse et de fébrilité.

Il ne comprend pas vraiment ce qu'il se passe.
Craint un peu ton réveil et de nouveau tes yeux sur lui.
Tout en en rêvant secrètement.

Fasciné par cette étoile qui a daigné se poser près de lui.

Viendras-tu encore ce matin près du rivage ?
Ou la réalité aura sonné à ta porte pendant la nuit.

Rivage est assis sous l'eau, elle dégouline sur sa peau trop blanche, retrace les veines trop bleues qui ressortent au creux de ses bras. Ses cheveux trop noirs collés à son dos comme des tentacules macabres.

Il se redresse en entendant du bruit dans la chambre.
Lancelot.

À quoi penses-tu ce matin ?
La nui a-t-elle porté conseil ? Quels sont-ils ? Ton mépris va-t-il enfin virer ce cracmol immonde de ta chambre ?

Rivage lui, songe à l'amulette, toujours dans la poche de ta veste, veste qu'il a reposée sur tes épaules avant de s'effondrer pour la énième fois. Il passe une main rageuse sur son visage à ce souvenir. Putain, il n'y avait pas pire moment pour tomber.

Rouvre les yeux.
Peau trop blanches, veines trop bleues, sang trop rouge.
Une goutte qui tombe suivie d'une seconde.
Soupir habitué, son corps harassé lui lance un nouveau signal, il saigne du nez.

Un doigt contre sa narine, il entreprend de rincer le rouge qui se dilue et file dans la bonde. La vie qui s'enfuit, ce serait presque beau. Si ça n'était pas aussi tragique.

La porte qui s'entrouvre et on ne sait pas si on a envie que tu entres, que tu le rejoignes ou que tu partes loin de ce nouvel échec, loin de cette nouvelle faiblesse.

- C-café s'il-te-plait.

Qu'il lance d'une voix maladroite.
Il attend que les gouttes se tarissent et sort de la douche, frissonnant. Il essore ses cheveux et s'enroule dans le peignoir.

Refuse d'affronter son regard de cadavre dans le miroir, refuse d'affronter ses contradictions. Pourquoi rester alors qu'il a toutes les raisons de partir ? Pourquoi rester alors qu'un sang-pur a toutes les armes pour le détruire ?

Il sort de la salle de bain et s'arrête sur le seuil, incertain de la marche à suivre. S'appuie contre la chambranle, encore vacillant.

- Promis, quand tu achèteras mon temps, je te ferai une ristourne pour le désastre d'hier soir

Rivage malhabile sur un ton d'ironie tente de reconstruire ses barrières, sa coquille lisse et ses sourires fantomatiques.

Oui. Il a peur.

Ça doit se voir dans sa posture, dans la tenue haute de sa tête, essayant vainement de se montrer sûr de lui. Mais la réalité, c'est qu'il est épuisé, que son corps est à peine reposé et qu'il va devoir rester dans le creux de son appartement encore quelques jours pour récupérer. La réalité, c'est que les barrières explosées hier soir ne se reconstruisent pas en quelques secondes, même avec la meilleure ironie du monde.

Il s'avance, remercie ses jambes qui ne tremblent pas.

La bague attire son regard. L'acompte éternel qui l'a poussé dans une telle rage hier, dans une telle amertume. Elle est trop belle et trop précieuse cette bague pour être au doigt d'un cracmol mourant.

Lancelot la renfile, et force est de constaté qu'elle lui va parfaitement.
Le monde ici est à son image et Rivage, loin de ses habits de fête fait tâche.

Il soupire.
Sa fausse attitude se décompose et l'entendue de sa fatigue s'abat sur ses épaules. il fuit ton regard, sa tasse entre les mains pour aller s'assoir sur le lit. Les yeux dans le café, les lèvres résolument closes.

- Je ...

Sa voix qui se casse un peu, comme un murmure rauque.

- Je ne peux pas accepter un tel paiement. Je suis désolé.

C'est trop, c'est trop, c'est trop.
Tout est trop ici.
(il est de trop)

- Et je trouve que pour un sang-pur conservateur, tu manifestes beaucoup d'intérêt pour un cracmol mourant dont tu ne connais même pas le prénom. Que dois-je en conclure ?

Attaque vaine et facile.
Mais la question ne l'avait pas quitté.
Gorgée de café.

- Mais si tu le désires, je peux te laisser ton peignoir et partir. J'ai juste besoin de mon amulette, dans la poche de ta veste.

Il est déjà presque prêt à se lever, fatigué, épuisé.
En vrai, il ne sait même pas pourquoi il est encore là.
Parce qu'il se sent bien ? C'est idiot après ce qu'il s'est passé.

Alors pourquoi ?

Tu es un idiot Lancelot.

Si tu ne voulais pas qu'on te mette face à tes contradictions, il ne fallait pas le faire avec lui. Nous sommes tous les deux incohérents depuis hier soir, abandonnés à des désirs, des pulsions, des envies qui vibrent et auxquelles on refuse de faire face.

Lui demander, à Rivage encore écorché de d'être révélé hier pourquoi il est encore là, c'est s'attendre à ce qu'il réplique.

Mais grand roi que tu es, tu dois être le seul à avoir le droit de poser les questions, le seul à avoir le droit d'être inconstant, oublieux de tes principes.

Sursaute le corps frêle de Rivage quand la veste s'écrase contre lui. Il te regarde et dans ses yeux surpris, il y a de la peine, de la colère un peu et de la résignation.

Il le savait.
Personne ne peut vraiment vouloir d'un mourant comme lui à ce point.
Juste une lubie d'un soir.

Il glisse sa main dans la poche de la veste et en tire cette amulette qui semble tant te répugner. Il la serre si fort que les arrêtes aigües rentre dans sa paume.

- Merci d'avoir daigné porter intérêt à ... ça.

Et ce n'est même plus ironique.
C'est juste vrai, juste dégouté, de lui-même.
Tu sais, cette façade sensuelle, assurée, il n'y a rien de plus faux. Toi qui l'a vu voler en éclats, on a cru que ...

Peut-être qu'au fond on a espéré.

Il pose la tasse sur la table, ramasse ses vêtements rapidement.
Il sent ton regard sur sa nuque pâle.

Se retourne et capture ton regard d'étoile filante.

- Rivage Whitelaw, c'est comme ça que je m'appelle.

Un aveu du bout des lèvres, mais peut-être que pour toi, ça n'a déjà plus d'importance.

Il est faible Rivage, il est triste, il est malade.

L'amulette luit entre ses doigts brièvement.

- Au revoir, Monsieur Avery.

Et tombe le rideau sur cette nuit étrange, sur cette nuit hors du temps, hors des esprits.
Et dans l'appartement vide, enroulé dans le peignoir trop cher, Rivage s'effondre dans son lit, rabat la couette sur lui.

Prêt à dormir des jours entiers, des semaines entières, boire et reboire, fumer et baiser pour oublier qu'il avait croisé la route d'une étoile filante et qu'il lui avait montré toutes ses failles.