Elle trônait fièrement sur son tabouret, son casque sur les oreilles. Au rythme des notes d’un morceau de jazz, elle dodelinait de la tête ; en profitant pour relire ses notes. Quelques œillades discrètes jetées à l’équipe technique qui préparait tout le matériel nécessaire.

Un sourire avenant à leur destination quand elle croisa leur regard. Vanille avait toujours de la suite dans les idées. Commentatrice, consultante, intervieweuse ; la jeune femme avait plusieurs cordes à son arc. Elle avait à cœur de toujours proposer de plus en plus de contenu à ses abonnés ; permettant aux passionnés de Quidditch de tout âge de consommer leur passion différemment. Sa dernière idée en date ? Un interview en direct sur son compte Witchagram avec un joueur dont elle avait critiqué les performances tout récemment. Du Vanille dans le texte, assurément.

Elle n’était sans doute pas la première à avoir eu ce genre d’idées, mais on pouvait au moins lui reconnaître une chose : elle se donnait les moyens de réaliser ses ambitions. Elle avait choisi un petit bar sans prétention pour sa rencontre avec l’un des poursuiveurs de Knaresborough : Neal Wright. Cet endroit avait toutefois une particularité appréciable : une petite estrade qui faisait office de scène, permettant ainsi à la demoiselle et son futur interlocuteur de surplomber légèrement le reste de la salle.

Mais alors qu’arrivait le moment préféré de son morceau, on vint soudainement lui tapoter sur l’épaule ; l’extirpant de sa lecture. Une technicienne qui s’adressa à elle alors qu’elle fit glisser son casque autour de son cou :

— On va devoir faire quelques tests pour être sûr que tout fonctionne correctement, prête ?
— Toujours.
— Cool, on va tester le son, puis l’image. Et ton fameux : « Witchalive » sera fin prêt.
— C’est du sarcasme que j’entends dans ta voix ?
— Pas du tout, j’adore tes idées novatrices tu le sais bien.
— Faut bien vivre avec son temps, poupée ; ça t’embête de me ramener un truc à boire le temps qu’on fasse les tests ?
— Ça dépend, tu paies combien ?
— En nature, ça passe ?
— Tout ça pour un verre, petite allumeuse !

Un rire narquois s’échappa de ses lèvres ; l’humeur était au beau fixe, pouvait-on en dire autant de celui qu’elle avait invité pour son interview ? Seul le temps le dirait. En l’attendant, la jeune femme traînassa quelques minutes sur son pineapple, relisant quelques messages privés, notamment celui envoyé à l’intéressé, l’invitant à répondre à ses questions ; sans doute également pour en découdre avec elle. Car comme à son habitude, elle ne fut pas tendre avec lui.

Mais ça n’avait rien de personnel. Les affaires, rien de plus, rien de moins. Elle avait une réputation à tenir après tout : aucune pitié quand les performances n’étaient pas à la hauteur des attentes.

Ce fut alors qu’on l’avertit de son arrivée ; le joueur venait tout juste de pénétrer dans le bar. Elle eut tout le loisir de l’observer ; la vaniteuse trônant sur son assise. D’un geste de main l’invitant à la rejoindre, elle commença déjà à le toiser. En vérité, elle était contente de le voir ici ; ça aurait été un peu chiant d’avoir payé toute une équipe pour lancer son direct sans avoir personne à interviewer. Vanille aimait bien s’écouter parler, mais sans une audience ça perdait tout de suite de son charme.

Lorsqu’il fut enfin à sa hauteur, ce fut non sans un sourire goguenard du coin des lèvres qu’elle l’accueillit avec politesse :

— Installe-toi, on ne va pas tarder à commencer. Prends ce que tu veux à boire, c’est moi qui régale. Elle lui devait bien cela après les tacles à la gorge qu’elle lui avait mit dans ses commentaires. Un petit raccord maquillage avant peut-être ?

Sarcasme ? Oui.
Sans pitié ? Tout à fait.
Fidèle à elle-même.  

Les regards jonglèrent entre son invité, l’équipe technique et son téléphone, vérifiant que tout se passait comme elle l’avait imaginé. Jusqu’à présent, tout était en ordre. Neal quant à lui, gentleman, lui offrit une petite boîte de douceurs chocolatées ; courtois.

Il la déposa sur la table posée entre leurs deux tabourets, sur laquelle reposait la tasse de chocolat chaud qu’on avait gentiment apporté à la demoiselle. Et dans une volonté de continuer à taquiner l’invité, elle répliqua presque instantanément après ses explications :

— Oh t’en fais pas pour moi, je suis incorruptible. Pouffa de rire avant de reprendre, toujours plus taquine : c’est peut-être la meilleure action que tu aies faite sur et en dehors du terrain depuis des lustres tiens.

Non non, elle n’avait absolument aucune rancoeur personnelle envers lui. Vrai de vrai ; elle ne pouvait pas s’en empêcher, voilà tout. Incorrigible. Elle prit de nouveau la parole, propos dénués de sarcasme pour cette fois :  

— Ça fera un petit quelque chose à grignoter pendant l’interview ; n’hésite pas à picorer toi aussi si tu veux. Si ça peut t’aider à te détendre, je m’en voudrais de te traumatiser.

Mais elle mentirait si elle disait qu’elle n’allait pas le chambouler un peu. Car oui, la demoiselle n’avait pas la langue dans sa poche et sa franchise dans le monde du Quidditch était légendaire. Dans le privé, c’était plus complexe ; mais d’ordre général, ce n’était pas son genre d’être fourbe.

Une fois qu’il fut bien installé, elle patienta quelques secondes le temps de le laisser boire un coup avant de lui expliquer ce qui allait se passer :

— Bon, le live devrait commencer d’ici une quinzaine de minutes. Je voulais le démarrer à 19h30 et pour le moment on est bien dans les temps. Tu n’as pas besoin de faire quelque chose de particulier, pas besoin de parler fort non plus. Dans la mesure du possible, essaye de voir ça comme une conversation normale entre deux sportifs qui pratiquent la même discipline. Elle but une gorgée de son breuvage puis… la différence étant que moi je ne suis plus sur les terrains, mais toi oui.

Clin d’œil malicieux pendant qu’elle sirotait sa boisson dans une mimique narquoise, comme si elle balançait des vacheries au joueur sans dire le moindre mot, cette emmerdeuse. Les minutes passèrent, le personnel gérant la technique s’agitait de plus en plus alors que l’excitation grimpait graduellement.

Vanille quant à elle, trépignait d’impatience alors que d’un mouvement de talon, elle donnait des coups réguliers sur le sol, montrant qu’elle n’arrivait plus à attendre. Temps écoulé, l’interview pouvait démarrer. D’un signe de tête, elle intima à son invité de se préparer, tandis que le compte à rebours avant le début du direct débuta. Dix secondes plus tard, les yeux furent rivés sur elle et Neal.

En parfaite professionnelle, habituée de ces moments, l’intervieweuse prit la parole d’une voix enjouée, pendant que son accent transalpin donnait un charme presque voluptueux à son verbe :

— Mes chers adorateurs de Quidditch, je vous souhaite la bienvenue sur mon Witchagram pour un live bien particulier. Eh ouais, aujourd’hui j’ai le plaisir d’avoir un invité bien connu des fans de l’équipe nationale anglaise : Neal Wright. Notre Witchalive sera consacrée à une interview exclusive, en direct, de l’un des poursuiveurs des griffes. D’un petit geste à la caméra imitant un matou qui sortait les griffes, elle pouffa de rire avant de tourner la tête en vers son interlocuteur, l’accueillant officiellement : Neal ! bienvenue, ravie de te recevoir ! Nous sommes ensemble jusqu’à 21h-21h30 alors on va prendre notre temps si tu veux bien ? Pour commencer, comment vas-tu ? Et que penses-tu de tes performances dernièrement ? J’ai bien mon avis sur la question ; mais je suis curieuse de connaître le tien.

Ou comment démarrer sur les chapeaux de roues.   

Elle écoutait avec attention, la mine un brin désabusée. Elle avait toujours eu horreur de cette langue de bois dont les sportifs faisaient preuve lors des interviews. Vanille disait toujours les choses comme elles étaient. Pas question de caresser les gens dans le sens du poil.

Un cœur tendre, certes, mais pas naïf pour autant. La jeune femme, les bras croisés, toisait son invité avec une mine presque dédaigneuse. Si c’était pour entendre toujours la même chose, elle se serait bien passée de sa présence. Elle n’avait jamais aimé le langage aseptisé des personnalités publiques ; comme si le fait d’être vraiment honnête était choquant. Vanille elle, voyait les choses différemment, pour le meilleur et pour le pire :

─ Oui, oui, ce discours-là je le connais bien Neal. Et voilà que je te remercie la famille, l’équipe, l’animal de compagnie et bla-bla-bla. Agacée alors que ça venait tout juste de débuter ? Le pauvre poursuiveur allait véritablement vivre un moment compliqué. Soyons honnêtes et arrêtons la langue de bois deux minutes. En ce moment quand je te vois jouer, j’ai qu’une envie c’est de pleurer du sang. Tu fais mal à mon cœur de passionnée, je tiens à ce que tu le saches.

Et voilà que nous retrouvions la demoiselle dans toute sa splendeur. Celle qui ne mâchait pas ses mots, celle qui agressait en permanence. Mais on pouvait au moins lui reconnaître une chose : son amour pour la discipline n’avait que peu d’égal en ce monde. Et lorsqu’elle sentait qu’on ne se donnait pas cœur et âme dedans, ça la rendait folle.

Folle parce qu’elle était aussi privée, comme une petite fille punie parce qu’elle avait fait une bêtise. Et ça lui pesait toujours sur le cœur et l’esprit malgré les années qui passaient. L’invité quant à lui en subissait les conséquences ; elle n’en avait pas terminé avec lui.

─ Je ne sais pas si tu as conscience de ça, mais tu occupes avec tes deux coéquipiers, une position primordiale. Si l’attrapeur décide de la fin du match, vous les poursuiveurs avez le pouvoir d’anéantir tout son travail. Si vous ne faites pas votre taff, le match sera plié avant qu’on ait le temps de dire : Quidditch. Tu as conscience de ça j’espère ? Si c’est le cas, va falloir te bouger le cul parce que mériter sa place et la garder sont deux choses bien différentes. Tu comprends ce que j’essaie de te dire ?

C’était plutôt clair pour tous les spectateurs qui regardaient le live ; ce qui devait être une interview se transformait petit à petit en procès. Mais la demoiselle n’en avait cure, ce qu’elle voulait c’était des réponses satisfaisantes à ses questions, pas la soupe imbuvable qu’on entendait toujours en interview. Des réponses toutes faites aux questions toutes faites. Ce qu’elle exécrait par-dessus tout.   

Abracadabra, elle avait atteint son objectif. Ce fut tellement facile qu’elle eut envie de glousser quand son interlocuteur sortit de ses gonds. Elle le regardait s’énerver, un sourire espiègle aux coins de ses lèvres. Aussi étonnant que cela pouvait paraître, Vanille s’épanouissait dans ce genre de moment.

Sans pitié, elle se gaussait intérieurement d’avoir provoqué une réaction aussi vive de la part de Neal. Pas de méprise cependant, son but n’était pas de le critiquer gratuitement ; mais ça serait mentir de dire qu’elle n’avait pas attendu une telle réaction de sa part.

Quoi qu’on pût en dire, de manière générale, les sportifs avaient une nature compétitive. Et s’ils mettaient parfois du temps à la manifester, Vanille elle, savait comment piquer cet orgueil, cet ego. Elle avait rarement connu des joueurs qui ne prêtaient aucune attention à leur performance, jusqu’à n’en avoir rien à faire. Et malgré le calme d’apparence de son interlocuteur, celui-ci dévoilait son vrai visage.

Ce qui n’était pas pour lui déplaire à cette emmerdeuse de première. Une gorgée de son délicieux chocolat chaud plus tard et elle laissa échapper un :

─ Enfin ! Ah c’est pas trop tôt ! C’est quand même bien mieux que cette langue de bois permanente vous ne trouvez pas ? Regard malicieux jeté à la caméra, puis à l’interviewé qui devait probablement se demander ce qui se tramait dans la tête de la jeune femme. Tu te méprends sur mes intentions Neal. Vous avez souvent tendance à penser que je vous critique gratuitement ou pour amuser la galerie. J’y prends un malin plaisir à le faire c’est vrai, mais pas seulement.

D’une main, elle vint saisir l’un des chocolats offerts par le jeune homme, le dégustant goulument. Elle en profita pour mettre de l’ordre dans ses idées avant de remettre son interlocuteur en difficulté ; pendant qu’elle, gardait un calme olympien face à la colère de son invité :

─ J’en ai ma claque des sportifs qui me jouent de la flute. Les berceuses pour m’endormir, ça marchait quand j’étais gamine, mais c’est terminé. Maintenant que nous sommes à bonne température, je vais te dire ce que je pense.

Nouvelle gorgée, nouveau sourire amusé et ça repartit de plus belle, Vanille, en totale maitrise de son sujet pour l’instant, déjà en train de rêvasser sur les vues de son live qu’elle s’imaginait grimper en flèche après cette première explosion du joueur. C’est avec enthousiasme et passion qu’elle continua :

─ Je pense que tu joues à retardement. En retard sur chacune de tes actions si bien que les adversaires ont le temps de fumer une clope et boire un café quand ils jouent contre toi. Je te vois tergiverser sur le terrain et ça me fait soupirer tu n’imagines pas à quel point ! Tu me donnes l’impression de quelqu’un qui se pose trop de questions, quelqu’un qui préférerait être ailleurs parce que de toute façon il n’a pas la tête à jouer.

Et elle savait très bien de quoi elle parlait. Vanille jouait depuis sa plus tendre enfance et avait été élevé pour devenir une championne. Elle était déjà une professionnelle dans sa tête avant même de fouler les terrains de son équipe nationale pour la première fois.

─ Et tu sais pourquoi ça m’emmerde ? Parce que je vois ton potentiel et j’aime te regarder jouer quand tu ne te poses pas de question. Je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête et pour être honnête, je m’en tape. Mais tu ne joues pas comme tu le devrais, comme tu le peux et ça m’énerve. Maintenant, rassure-moi et dis-moi… tu comptes te sortir les doigts pas vrai ? J’ai raison de croire que tu vas devenir meilleur ?

Vanille était une passionnée, une mordue de Quidditch. Elle ne mâchait pas ses mots et était toujours amère de ne plus pouvoir jouer. Mais elle ne s’amusait pas de voir les autres échouer ; elle voulait les voir réussir, à défaut d’être en mesure de briller elle-même sur les terrains de nouveau.   

Il était de coutume qu’un personnage public évitait de faire des vagues. Le cas échéant, il faisait face un tsunami de critiques en tout genre. Vanille elle ? Elle détestait entendre ce qu’elle devait faire. Elle n’en faisait qu’à sa tête.



La preuve étant ce moment où ce pauvre Neal se faisait assaillir par une demoiselle à la passion enragée, incontrôlée et trop souvent incontrôlable. Et qui rebondissait sur les moindres propos du jeune homme pour le contredire.

« Ça fait parti du job Vanille. »
─ De quoi ? La langue de bois ? Non je ne suis pas d’accord. Ça fait partie des mœurs, des coutumes, mieux vaut ne froisser personne, ménager la chèvre et le chou en permanence. Tu sais ce que je réponds à ça ? Un bon gros : merde. Je n’en peux plus du langage aseptisé.

Oui, les personnalités publiques devaient être lisses la majorité du temps. Ne pas créer de commotion, ne pas choquer et tout le tralala. Mais la demoiselle elle, elle avait cela en horreur. Elle n’aimait pas se cacher, encore moins raconter des salades. Et dans son sillage elle entraina Neal bien malgré lui alors que l’interview avait pris une tournure fascinante pour qui la suivait.

Et il y en eut une qui fut ravie de situation. Comment péter les scores d’un live ? La méthode Vanille était simple : chercher la merde. Pourtant, il n’y avait rien de plus franc et d’honnête dans sa démarche. Ce qu’elle voulait voir, au-delà de l’indignation de son interlocuteur, c’était son agacement, sa détermination à lui prouver tort. Et la demoiselle espérait vraiment avoir réussi son coup.

D’autant plus qu’elle sentait qu’elle avait eu raison de pousser son interlocuteur dans ses retranchements. Elle s’étonnait de la facilité avec laquelle elle avait réussi, mais elle en était ô combien satisfaite. Petite peste.

Toutefois, son but comme elle l’avait dit n’était pas de traumatiser son invité, alors elle déclara d’une douce voix :  

─ Pourtant on vit dans un pays libre. Si on veut, on peut dire à tout le monde d’aller se faire voir ; à partir du moment où c’est justifié… ça ne me pose pas de problème. Un rire amusé qui s’échappa de ses lippes avant de calmer un peu le jeu : allez, allez, bois un coup ça va passer. On va abréger un peu je sens que c’est trop d’émotions pour un soir. Sourire narquois, elle but également une dernière gorgée avant de conclure sur une notre plus agréable : pourquoi tu démissionnerais ? T’as le talent pour faire tes preuves, ne manque plus que la volonté d’agir et tu t’en sortiras très bien. Je suis sûre que tout le monde dans les commentaires le sait aussi bien que moi. Je veux te voir réussir, mais compte sur moi pour te faire vivre un enfer si tu joues encore au ralenti.

Ces mots conclurent la première partie de l’interview, pendant que la seconde fut plus détendue malgré la tension qui régnait encore entre les deux. Vers 21h, la conclusion arriva enfin :

─ Sur ce, mes très chers adorateurs de Quidditch, je vous remercie de votre fidélité et votre passion, souhaitez bon courage à Neal pour ses prochains matchs, en espérant que ce ne soit pas les derniers ! Petite vacherie pour finir, du Vanille dans le texte. Elle se tourna vers le jeune homme, le remerciant d’être venu malgré les échanges compliqués, puis le live se termina. La demoiselle en profita pour s’étirer de tout son long, se leva de son tabouret et demanda sans aucune pression : t’as faim ? Perso j’pourrais manger un dragon. Tu viens ?

Parce que oui, après lui avoir fait vivre un enfer, évidemment qu’il allait la suivre comme un bon petit toutou. Elle n’avait définitivement peur de rien celle-ci.  

Lorsque sonna le glas de l’interview, il semblait que seul l’un des deux protagonistes était satisfait. Facile de deviner qui ? Celle qui avait réussi son coup bien entendu. Si bien qu’elle en jubilait encore alors qu’elle observait du coin de l’œil le pauvre Neal.

Elle le voyait enfin se détendre un peu ; visiblement soulagé d’en être arrivé au bout. Elle remarqua son sourire lorsqu’il posa ses yeux sur son téléphone ; le genre de sourire qu’elle connaissait bien. Sans doute un message de quelqu’un qu’il aimait bien ou toute autre notification pouvant lui changer les idées.

La demoiselle elle, enchaina rapidement. Comme si les dernières heures n’avaient pas existé, elle proposa à son invité d’aller manger un morceau ; ce qui ne manquait pas de l’étonner. Surprise matérialisée sur son visage, puis ses mots alors qu’il doutait de la santé mentale de la commentatrice vedette. En guise de réponse, elle haussa les épaules avant de répondre avec ironie :

─ Quelle débâcle ? La tienne ? Moi ça va j’ai eu exactement ce que je voulais. Je sais aussi faire la part des choses, ma vie professionnelle et ma vie privée sont deux choses bien différentes même si parfois elles se croisent, elles ne se rejoignent pas pour autant.

Curieuse, les yeux se posèrent sur le téléphone de son interlocuteur pendant qu’il reprenait la parole :

« T’as une fan askip »
─ J’en ai beaucoup des fans, tu sais ? Sans me vanter bien sûr. Oui, bien sûr, d’aucune façon ce ne fut son intention. J’ai comme l’impression que ça va prendre un peu de temps avant que tu le deviennes toi aussi. Mais t’inquiètes pas, ça viendra, ça prendra le temps que ça prendra.

Confiance absolue en elle-même ; peu importe si celle-ci était justifiée ou pas. Vanille traçait sa route sans se soucier du regard des autres et leurs critiques sur elle. Elle n’accordait d’importance qu’à ceux d’une poignée d’individus, se comptant sur les doigts d’une main.

De la même façon que son invité, elle remercia toute l’équipe, un petit clin d’œil malicieux à celle qui avait l’avait réunie, lui faisant également signe qu’elle l’appellerait sous peu. Une fois à l’extérieur et sous l’impulsion de la curiosité de Neal, elle rétorqua :

─ De la bouffe indienne alors que je connais des adresses où l’on mange français ou italien ? Non merci. Viens avec moi, tu vas goûter de la vraie cuisine.

Ce fut ensuite par le bras qu’elle le saisit, l’entrainant avec elle ; comme si rien ne s’était passé entre eux, comme si la houleuse interview n’avait pas eu lieu. Voyant l’hésitation chez le poursuiveur des griffes, elle tenta de rationaliser son geste :

─ Eh écoute, je vais te donner un petit conseil. Essaye de voir la Vanille qui t’a taclé à la gorge comme une personne qui fait son métier et c’est tout. Avec passion et sarcasme, c’est vrai, mais c’est du business. Je n’ai rien contre toi personnellement, je n’aime simplement pas la façon dont tu joues actuellement. C’est compliqué, je sais, mais essaye de dissocier la professionnelle de la personne et tu verras tout ira pour le mieux. Bon maintenant tu viens ou je dois te botter le derche pour te motiver ?

Vanille ne connaissait aucune rancune, surtout pas contre Neal. Les siennes étaient difficiles à appréhender, elles avaient une saveur différente des autres. Vanille avait un verbe acide, mais un cœur tendre ; c’était parfois difficile à comprendre, difficile à suivre, mais ça avait au moins le mérite d’être authentique.  

Bien sûr qu’il avait parfaitement raison ; cela demandait parfois un effort colossal aux autres de supporter une jeune femme comme elle. Mais elle ne se laissait jamais marcher sur les pieds et disait toujours le fond de sa pensée. C’était la définition même de l’authenticité.

Neal se targuait d’être entier ; elle aussi. Si la notion de nuance semblait difficile à appréhender, c’était pour une raison simple : il ne l’avait pas assez côtoyé pour comprendre qu’elle savait tout bonnement faire la part des choses ; ne pas aimer le joueur et sa façon de jouer n’avait rien à voir avec le fait d’aimer ou non la personne. Ce fut en ce sens que Neal avait sans doute du mal à l’apprivoiser et pour communiquer… c’était encore pire.

Les deux n’étaient tout bonnement pas sur la même longueur d’onde. Et lorsque Neal lui fit comprendre que lui rentrer dans le lard était assez tentant, tout en défendant la bouffe indienne ; Vanille fit ce qu’elle faisait le mieux, une punchline :

─ Eh écoute, je ne trouve pas la cuisine indienne immangeable, mais la dernière fois que j’ai mangé indien, j’ai eu une ribambelle de zeppelins qui voulaient quitter le hangar toute la soirée et ce n’était pas agréable.

Laissant libre cours à l’imagination du jeune homme pour comprendre sa mésaventure. Son estomac n’avait pas apprécié si l’on voulait rester poli. Une mauvaise expérience qui l’avait vacciné pour longtemps. Elle conclut finalement de son accent transalpin pour marquer définitivement le coup :

─ Il n’y a rien de mieux que la gastronomie française et italienne. Rien. Tu parles à une native française aux origines napolitaines. Autant te dire que tout débat avec moi ne t’amènera nulle part. Je ne changerai ja-mais d’avis.

Sa vérité, pas celle des autres, la sienne. Pas exempte de mauvaise foi malgré l’ouverture d’esprit dont elle faisait preuve ; il y avait des discussions qui allaient droit dans le mur avec la demoiselle. C’était ainsi. Si elle était parfaite, ça se saurait.

La preuve, plus elle parlait et plus elle l’agaçait. Et Neal n’avait plus aucun scrupule ni retenue à lui dire ce qu’il pensait d’elle, de son attitude et sa posture vis-à-vis de lui. Le plus drôle dans tout ça ? Ce fut exactement ce qu’elle voulut de lui. Qu’il fut cash avec elle et sans langue de bois.

La commentatrice elle, se mit rapidement à son niveau de franchise, comme elle l’avait été depuis le début si l’on y réfléchissait bien :

─ Oui oui oui, ça va j’ai compris ; « je suis cash, je fais pas de courbettes et gnia gnia gnia », c’est bon tu l’as chanté ton refrain j’ai pas demandé de rappel. Dit-elle en l’imitant pour le caricaturer. Le pousser à bout, si ce n’était pas déjà fait. Puis désamorcer, si c’était toutefois possible : je préfère que tu sois franc et direct que tout mielleux comme vous pouvez l’être avec les gratte-papiers ; vous les sportifs. J’ai été dans le métier je te rappelle, je connais bien les codes, j’ai juste choisi de ne pas les respecter.

Et pendant qu’elle l’entrainait avec elle, elle en remit une couche, une dernière :

─ La langue de bois ça me saoule Neal. Vous entendre rabâcher les mêmes conneries aussi, je sais bien que c’est ce qu’on nous demande, mais j’ai choisi de ne pas jouer ce petit jeu, peu importe la réputation que ça me fait. Tu veux me dire merde ? Bah fais-le, je préfère un coup de poing au visage qu’un couteau dans le dos.

Elle parlait d’expérience, si bien que lorsqu’elle se remémora quelques souvenirs, sa prise se resserra sur le bras de son interlocuteur, jusqu’à ce que ses ongles virent se planter sur sa peau. L’espace de quelques secondes certes, mais le traumatisme était encore là. Toujours là.

─ Je ne te prends pas pour un débile, je voulais simplement m’assurer que tu comprennes le fond de ma pensée. C’est ma manière de briser la glace, deal with it.

Ouais.
Elle était à température ambiante là.  

Oui, les arguments avaient été convaincants ; la preuve, il en rit. Même quand on avait une dent contre elle, c’était difficile de la détester. Parce qu’au final, il n’y avait pas de méchanceté chez elle, une franchise parfois blessante, oui, mais pas dans le but de faire du mal.

Vanille avait conscience que parfois ses propos étaient… limites, pour rester poli. Mais elle parlait en tant que passionnée, elle disait ce qu’elle pensait, ce qu’elle voyait, ce qu’elle ressentait ; sans langue de bois. Parfois la nuance manquait, certes, mais comme tout le monde, elle était loin d’être parfaite.

Lorsque Neal partagea une anecdote sur ses débuts, Vanille répliqua avec l’une des siennes :
─ Oui oui, je m’en souviens. Ça m’a rappelé le jour où j’ai envoyé un cognard sur un type qui sortait avec une gonzesse de mon école alors que j’avais le béguin pour lui. Comme quoi j’suis pas parfaite non plus. En plus j’ai loupé mon coup, je visais les couilles, mais j’ai touché le genou. Tiens ça te fera des munitions si t’as envie de me chambrer, c’est cadeau ne me remercie pas.

Si ça ressemblait à une façon de faire comprendre à son interlocuteur qu’il ne fallait pas l’emmerder, c’était sans doute parce que c’était le cas. La conversation continua alors que la jeune femme entraina son interlocuteur avec elle, le guidant dans un petit restaurant, perdu dans une ruelle londonienne.

Une adresse moldue, une de plus, mais la cuisine traditionnelle qu’il servait était tout à fait à son goût. En plus d’avoir le mérite de lui rappeler aux bons souvenirs de la maison. Elle avait réservé pour deux, mais pensait venir toute seule ; elle avait imaginé que Neal serait parti en courant après l’interview, mais non. Comme quoi la bouffe, ça pouvait être pratique pour enterrer la hache de guerre.

Quand ils furent installés, en attendant de recevoir le menu, elle revint sur les propos du joueur, toujours avec franchise :

─ Pourquoi je devrais me retenir ? Primo, je n’en ai pas envie, secundo, si les joueurs ne supportent pas la pression que je leur mets je n’imagine même pas la pression d’une finale de coupe de monde. Le Quidditch n’est pas fait pour ceux qui se chient dessus. Et tertio, non seulement c’est mon métier, mais c’est tout bonnement de l’honnête intellectuelle de dire les choses comme elles le sont sans édulcorer. T’as fait un bon match ou non, y’a pas d’entre-deux. Tu gagnes ou tu perds, point final.

Sa vérité, sa mauvaise foi. Rarement la jeune femme manquait de nuance, mais lorsqu’on touchait à l’une de ses passions elle s’enflammait. Aujourd’hui encore elle enrageait de ne pas jouer, commenter évacuait un peu sa frustration, mais ce n’était qu’une douleur qu’elle apaisait en avalant un comprimé, la tumeur était encore bien là.  

─ Enfin bref. On arrête de parler du boulot ? De toute façon on ne tombera jamais d’accord alors ça ne sert à rien d’insister. Tu viens de Poudlard toi non ? C’était comment là-bas ?

Dit-elle, le menu dans les mains, cherchant un plat alors qu’elle sentait son estomac se réveiller.  

Le temps passait et l’atmosphère auparavant glaciale, se réchauffait de plus en plus. Certes, la glace avait été brisée dans un grand fracas, mais ce n’était pas étonnant ; du Vanille pur jus. Elle était connue pour ses frasques et ses excès, Neal en fit les frais, maintenant il allait au-delà de la surface.

Quand on prenait le temps de voir au-delà des commentaires acerbes qu’elle était capable de faire sur les performances des autres, il y avait tout le reste. Tout ce qu’elle était. Son avis n’étant qu’une facette parmi toutes les autres.

─ Oui et non. On est sortis ensemble quelques mois, mais ça n’a pas marché. Mais bon au moins j’ai goûté. Tu ne peux pas savoir si un plat va te déplaire si tu ne goûtes pas avant de toute façon. Sa déclaration avait au moins eu le mérite d’amuser le joueur des griffes. Elle s’en gaussait même ouvertement auprès de lui : oh si tu savais, j’en ai encore plein dans ma besace des petites histoires comme ça. Si t’es sage, je t’en raconterai d’autres.

Un clin d’œil et puis elle enchaina. Les deux s’installèrent dans le restaurant et chacun commanda son petit plat après que la conversation bifurqua sur la scolarité du poursuiveur. La française écouta avec attention, plus encore quand il se mit à parler de Quidditch. En vraie passionnée, c’était le genre de sujet qui ne pouvait que la captiver.

Les conneries à l’école, check ; ça, elle connaissait aussi. La preuve, elle en avait raconté une quelques instants auparavant. Quand ce fut son tour, elle s’exclama avec enthousiasme :

─ Beauxbâtons. Je suis née à Paris, mais j’ai déménagé à Cannes dans le sud de la France pendant mon enfance. Mon accent me vient de mon papa italien, parait-il que ça me donne un charme fou. Ça dépendait des fois pour le coup… le Quidditch, j’ai découvert ça par ma mère. Elle a été poursuiveuse de l’équipe de France, et même capitaine. Mon papa était lui un aussi sportif professionnel, mais d’un sport moldu. À les écouter parler… j’étais née pour devenir une championne. C’est limite si je n’ai pas appris à voler avant de marcher.

Elle laissa échapper un rire empreint de nostalgie alors qu’elle poursuivait, le regard qui se perdait un peu partout :

─ J’ai toujours aimé ce sport de tout mon cœur, c’est limite si je n’étais pas prête à crever sur un terrain. Elle conclut avec une pointe d’amertume dans la voix : mais tout ça, c’est du passé. Je vis ma passion différemment. Elle enchaina rapidement pour détourner son attention : mais je comprends le principe de se sentir pousser des ailes lorsqu’on est sur un balai. Je ne connais aucune meilleure sensation… bon ok à part l’orgasme peut-être, mais ce n’est pas pareil.

Merci pour la comparaison.  

Une histoire de famille oui ; il n’y avait rien de plus évident. Vanille était née pour briller. Elle était née pour être une championne. Elle avait été embarquée par la passion et la fièvre du sport depuis sa plus tendre enfance. Elle avait toujours voulu tutoyer les sommets.

L’avenir en avait décidé autrement. Ironiquement, sa propre famille qui l’avait poussé à se surpasser, à travailler d’arrachepied pour atteindre ses objectifs… ce fut cette même famille qui lui avait coupé ses ailes. Ce fut à cause d’eux qu’elle ne refoulerait sans doute plus jamais les terrains.

Vanille, face à cette décision n’avait jamais cessé d’être amère, d’être en colère. Alors parfois elle tapait sur les joueurs violemment, parce qu’elle ne supportait pas le fait qu’ils avaient la chance de fouler les terrains sans donner le meilleur d’eux-mêmes. Elle ne supportait pas le fait d’avoir le privilège de faire ce métier et ne pas performer à la hauteur des attentes placées.

Elle était folle amoureuse de ce sport… et lorsqu’on ne le respectait pas, elle rentrait dans une rage inarrêtable. Mais aussi étonnant que cela pût paraitre, elle savait aussi faire la part des choses. Savoir dissocier l’humain du professionnel. Et jusqu’à présent, malgré la colère évidente de Neal, elle n’avait rien contre lui personnellement.  Malgré l’amertume dans sa voix, elle était presque douce avec lui.

Cependant, elle réagit au quart de tour lorsqu’il sous-entendit qu’elle ne « pouvait pas » jouer :

─ Je peux jouer ! S’exclama-t-elle avec autant d’enthousiasme que d’indignation. Je peux jouer. Je ne peux plus remonter sur les terrains, mais je suis encore capable de tous vous mettre dans la sauce. C’est ce qui m’enrage le plus au monde… j’aimerais vous montrer ce que je sais faire, vous montrer que mes critiques valent mieux que les autres parce que je sais mieux que personne ce que vous endurez sur le terrain. Mais je… elle réprima son envie d’en dire plus et se contenta de jouer sur les mots : mais je ne peux plus revenir sur les terrains dans des matchs officiels. Je ne peux plus.

Et malgré l’amour et la tendresse qu’elle ressentait pour ses parents, surtout sa mère… elle avait quitté la France et sa famille parce qu’elle n’arrivait plus à regarder sa génitrice en face pour ce qu’elle lui avait dit et ce qu’elle était capable de faire pour s’assurer que plus jamais sa fille ne défendit les couleurs de son pays natal.

En y repensant, Vanille, folle de rage si bien que ses joues tournèrent cramoisies alors qu’une petite larme de frustration s’écoula. Elle la fit disparaître d’un coup de manche avant de reprendre, désirant de passer à autre chose et d’apporter également une conclusion à ce pan de la discussion :

─ Mais oui. Mon rêve est de remporter une coupe du monde avec le pays qui m’a vu naître. Accomplir quelque chose que ma mère n’avait pas réussi elle-même. Je… je n’ai pas abandonné mon rêve. Jamais je ne le pourrais réellement. Je ronge simplement mon frein pour le moment le temps de… non rien, oublie. Il est bon ton plat ?

Dit-elle en tentant de détourner l’attention, espérant que son interlocuteur passa à autre chose. Avant que la conversation ne prît un tournant qu’il allait regretter.