Si l’on te demandait quelle est la plus belle ville du monde, tu répondrais certainement la capitale nippone, patriote que tu es. Il est certains endroits cependant, qui n’ont pas à rougir face à la comparaison ; certainement pas la capitale de l’hexagone.

Celle que vous visitez actuellement.
Tu n’es pas seule dans cette aventure, tu l’es rarement lorsqu’il s’agit d’explorer un endroit que tu ne connais pas. Il n’est pas de meilleure compagnie qu’une Rosier pour cela. Tiphaine n’a pas hésité une seconde lorsque tu lui as proposé un week-end avec elle, c’était presque si elle l’attendait.

L’idée ne vient pas de nulle part, la France est un pays que tu rêves de visiter depuis longtemps ; l’un des endroits que tes parents détestent le moins… parce qu’apprécier, tu ne sais plus s’ils en sont capables.

Mais ça n’a plus d’importance maintenant. C’est un peu cliché pour une étrangère, mais il y a une étape de la visite qu’il t’est impensable de louper : le Louvre. La véritable surprise est de voir que Tiphaine est aussi emballée que toi, alors que tu pensais qu’elle devait connaître le musée par cœur… il s’avère que non.

Pire encore, elle ne semble pas à l’aise. Toi qui a l’habitude de réprimer tes émotions, de les cacher du mieux que tu le peux, lorsque quelqu’un t’imite, tu le remarques plus facilement. Tu sens une hésitation chez elle, une certaine appréhension même.

Alors en bonne amie que tu essayes d’être, tu viens poser le menton sur son épaule, lui glissant quelques mots à l’oreille :

─ Tout va bien ? C’est le fait qu’il y ait du monde qui te dérange ? Si tu ne te sens pas bien, on peut revenir un peu plus tard...

Tu viens croiser son bras avec le tien, attendant sagement qu’elle tourne la tête vers toi. Le sourire est timide, presque pincé, mais il a le mérite d’être là.

─ Ça fait bizarre… de voir autant de moldus réunis à un seul endroit. Tu crois que nous sommes les seules sorcières ?

L’instant est cocasse. Tiphaine n’est pas à son aise à cause d’une présence accrue de moldus, toi parce que tu n’as jamais mis les pieds ici. Mais tu n’es pas étrangère à cette facette du monde : celle dépourvue de magie. Au contraire ; c’est là que tu peux l’aider.

Pour le moment, tu l’accompagnes pendant que vous passez la sécurité. Le sourire discret qui s’esquisse lorsqu’elle se retrouve un brin pantoise par ce qu’elle voit. Toi tu connais, tu avances sans sourciller.

Tu reviens à la hauteur de la sang-pur, partageant ton expérience dans une petite confidence que tu lui glisses à son oreille :

─ Je ne me souviens pas te l’avoir dit, mais ma mère est moldue. Elle travaille dans la politique et souhaite diriger le pays. J’ai toujours jonglé entre les deux mondes, alors si tu as des questions, demande-moi. Je pense pouvoir t’aider.

Tu ne connais rien de Paris, mais tu connais le monde moldu, il ne t’impressionne pas bien qu’il t’étonne encore aujourd’hui. Tu sais que le dénominateur commun des deux univers est le facteur humain… et paradoxalement c’est lui que tu maitrises le moins.

Du mal à comprendre les autres, qu’ils soient dotés ou pas de pouvoirs magiques. Les liens qui se créent, si fragiles qu’ils te donnent l’impression que tu peux les briser à tout moment. Mais avec Tiphaine, tu n’as pas cette impression… tu sens qu’il se renforce et ça te rassure en plus de t’enthousiasmer.

─ Tu sais… si leur présence t’intimide autant, il existe un moyen d’y remédier. Loin d’être légal et pour une ambassadrice, c’est un peu osé d’y penser, encore plus de le proposer ; mais c’est faisable sans se faire prendre.

La visite diurne puis nocturne. Paris à la faveur de la nuit ; un musée vide à part les rondes des gardes et la surveillance des caméras. Rien d’ingérable pour deux sorcières talentueuses… mais mal avisé. Cette pensée t’arrache un petit rire au creux de son oreille.

─ On verra ça plus tard. On avance ?

Le sourire qui te vient aux lèvres lorsqu’elle parle de visiter ton pays. Lui qui te manque, chaque seconde que tu passes en Angleterre. Alors dès qu’elle évoque l’idée d’un séjour, mieux encore, que tu l’accompagnes pour lui montrer ses merveilles, tu ne peux retenir ton excitation.

D’abord tu acquiesces, puis tu partages son enthousiasme :

─ Tu as pu le remarquer, mais les Japonais sont un peuple assez réservé, parfois renfermé ; si tu veux découvrir les meilleurs atouts de ma terre natale, être accompagnée d’une native est obligatoire.

Bien évidemment, tu te feras une joie de l’emmener où bon te semble, que l’endroit soit peuplé de sorciers ou de moldus, ça ne fait aucune différence, l’important est de passer un bon moment. Ceux que tu passes avec elle devenant plus précieux à mesure que le temps fait son œuvre.

Raison de plus pour partager des informations qu’elle ignore probablement :

─ Il s’avère que la France et le Japon sont deux pays qui s’entendent à merveille, plus particulièrement chez les moldus. Les Japonais apprécient la France parce qu’elle les fait rêver, surtout leur culture qu’on estime aussi riche que la nôtre.

Et tandis que vous avancez, Tiphaine se montre plutôt réceptive à une visite nocturne du musée… bien qu’elle ne se doute peut-être pas de ce que ça implique ; les explications viendront plus tard. Cela prouve une fois encore qu’elle connait si peu cette facette du monde que tu as l’impression de tout lui apprendre.

Puis vient le choix, tu ne réfléchis pas longtemps, tu sais ce que tu souhaites voir :

─ L’Égypte antique, sans hésiter. Je n’ai pas eu l’occasion de visiter lors de ma mission diplomatique là-bas, quelques années auparavant. Ça sera un bon début, avant d’y retourner un jour, mais cette fois en tant que touriste, j’espère.

L’ironie est belle, voyager sans visiter. Tellement absorbée par ton travail que tu en oublies tout le reste. Pourtant ce n’est pas si étonnant que ça… on pourrait même dire que c’est dans tes gènes.

La perspective de voyager de nouveau avec elle est déjà alléchante ; dès lors qu’on parle de le faire dans ta terre natale, c’est l’apothéose. Si tu ne sautes pas de joie, c’est parce que ce n’est pas ton genre. Mais tu sens tes joues se rosir un peu à mesure qu’elle en parle.

Malgré ton amitié avec Tiphaine, elle ne sait paradoxalement pas tout de toi, bien au contraire. Elle doit avoir la même perspective que les autres, que ce soit envers toi comme le peuple nippon. Tu dois te douter qu’elle en garde l’image que vous voulez bien leur montrer. Ils ignorent tous le reste. Dans un sens ce n’est pas plus mal… ce n’est pas toujours beau à voir.

─ Je te suis.

Dis-tu alors que tu lui emboites le pas, l’écoutant presque religieusement, comme si sa parole était un évangile. D’autant qu’elle ne mentait pas, le musée avait reçus des œuvres dont tu peines à détacher le regard d’elles. Tu regrettes instantanément de ne pas avoir pris le temps de visiter l’Égypte quand tu y étais, te demandant quand tu corrigeras le tir.

Tu remarques la fierté dans les yeux de la Rosier lorsqu’elle parle des découvertes faites par l’entourage de sa famille… tu l’envies presque. Dès que tu penses à la tienne, malgré les accomplissements de celle-ci à travers les âges, lorsque tu contemples son état contemporain, tu en as presque honte.

Chercher la gloire en sacrifiant son honneur au passage, ça te rend malade. Mais tu n’es pas dupe pour autant, tu sais que l’histoire dans toute sa splendeur est parfois romancée pour qu’on oublie les atrocités commises. Elle n’est pas toujours crue. Qui veut se souvenir d’une réalité crue et horrifique alors qu’un mensonge embelli satisfait tout le monde ?

Tu sens un petit pincement au cœur à cette pensée, essayant de vite passer à autre chose pour ne pas te pourrir ton séjour.

─ Ma famille ne pensait qu’à la conquête. Aujourd’hui encore c’est le cas. Elle souhaite que le Japon se renferme sur lui-même, que notre peuple ne pense qu’à ses intérêts, ignorant les autres et l’amitié qu’on peut avoir pour eux. Toutes les valeurs d’une famille ne sont pas bonnes à inculquer à ses héritiers.

Tu réalises que tu plombes l’ambiance et tu reprends la parole si vite que tu ne lui laisses pas le temps de répondre :

─ Appelle ça de la fascination un peu morbide, mais j’adorerais voir toutes les étapes d’une momification. J’ai un peu lu comment ça se fait… mais j’ai l’habitude de ne croire que ce que je vois.

Le sourire mutin aux lèvres, la laissant deviner si tu es sérieuse ou si tu plaisantes. Il faut toutefois admettre que même le glauque te rend curieuse.

Parfois, les amis ne savent pas tout. Certaines vérités sont bonnes à cacher, d’autres à travestir. Tiphaine ignore comment fonctionne la famille Senjōgahara ; elle ignore ce que tu as traversé et les séquelles que tu en gardes. Cette omission est volontaire… tu le fais sciemment.

Tu considères la française peut-être un peu trop fragile pour connaître les éléments les plus sombres de ton passé, ainsi que ceux entourant ta famille. Néanmoins, en se renseignant un peu, rien que les déclarations de tes géniteurs dans la presse sorcière ou moldue donnent le ton.

Naturellement, ton amie est curieuse et à juste titre. Alors tu décris cette situation que tu vis sans ambages, mais aussi sans trop de détails :

─ Aux yeux de mon père, je suis une traitresse à mon sang, une déception. Mes parents ne comptent plus sur moi ; je ne compte plus sur eux. Je ne protège aujourd’hui que mon petit frère et mes petites sœurs jumelles. Si tu savais ce qu’ils disent de moi dans la presse, ça te hérissait le moindre cheveu sur ta tête.

Tu marques une pause, pose ta tête sur son épaule et finit par désamorcer son envie de de te questionner davantage.

─ C’est une conversation que nous aurons autour d’un verre… ou une dizaine. Sache juste que lorsque je retourne au Japon, mes parents et moi nous nous évitons.

Ce qui est compréhensible sachant que tu as manqué de peu de battre à mort ton géniteur lors de votre dernière rencontre. Une fois encore, Tiphaine ignore tant de choses de toi. Elle ignore cette violence ancrée dans ta peau, elle ignore ce dont tu es capable ; elle ne te voit que comme l’ambassadrice, elle ne te voit que ton attitude calme et altière ; en bref, elle ne voit que ce que tu veux bien lui montrer.

Alors naturellement, lorsque ton côté morbide se montre, elle en rit, mais ne pousse pas la conversation plus loin.

─ C’est fascinant à quel point, peu importe le moment dans notre histoire, on constate que l’humain est capable du pire et les justifications dont il se sert pour se donner bonne conscience. J’aimerais bien savoir ce qui a poussé les Égyptiens à des rituels comme celui-ci. Au nom de quoi ils l’ont fait.

Car il faut toujours une raison aux pires atrocités ; c’est la seule manière de ne pas passer pour un fou…