Maître. Maître. Mademoiselle Iphigenie est descendue.

Ton sang n'avait fait qu'un tour. Merde. Merde. Merde. Merde. S'il le voit. Si elle lui parle.
Merde. Merde. Merde. Merde. Pas précipités dans les couloirs. S'il la touche. Si tout foire.
Mélange de panique, de colère et de peur. Quitte les bruits étouffés des tapis pour ceux plus rudes de la pierre. Tu vois la porte de la cave. Ouverte. Merde. Merde. Merde. Tu cours, te précipites presque à l'intérieur, ton regard fou qui embrasse la pièce. Tu vois la gamelle d'eau, tu vois le vieux tapis, tu vois la chaîne qui pendouille et surtout, tu la vois elle. Elle. Aussi immobile qu'un cadavre.

— Iph...

T'étrangles, te jettes ventre à terre jusqu'à elle. Ta sœur. Ta petite sœur. Peur terrible quand tu la prends dans tes bras. Soulagement quand tu constates la présence de sa respiration sifflante. Culpabilité colère. Qu'est-ce qu'elle faisait-là ? Pourquoi faut-il toujours qu'elle soit au mauvais endroit ? Les marques rouges sur son cou.

V A L E R I A N.

— Retrouvez-le-moi.

À peine à murmure rauque, alors que tu te lèves, la soulève avec toi. Tu te tournes, les elfes sont là.

— J'ai dit. RETROUVEZ-LE-MOI.


— Comment ça, il n'est nul part ?

Tu parcours la chambre d'Iphigenie tel un lion en cage. Près de la porte l'un des elfes de maison t'explique de sa toute petite voix qu'on n'a pas retrouvé le traître. Que le petit cracmoll s'était volatilisé. Mais comment ? Par quel moyen ? Il ne pouvait ni transplaner et n'avait rien sur lui pou... À moins que... Non. Non. Tu dois te modérer. La paranoïa te gagne et avec elle la fragilité. Réfléchis. Reste calme. Tempère-toi. Ne joue pas à l'impulsion. Les parties d’échec sont des marathons, souviens-toi. Un autre elfe te rapporte précipitamment un verre et tu te laisses tomber sur un fauteuil près du lit de ta sœur. Tapote nerveusement du pied sur le tapis. Tu aurais dû le tuer. Tu le tueras. L'elfe près de la porte semble sincèrement désolé de n'avoir pas pu accéder à tes demandes. Tu lui adresses un regard. Soupire. Tempère-toi.

— Vous avez fait ce que vous avez pu, ce n'est pas grave. Faites disparaître toutes traces de sa visite. Immédiatement.

Dans le lit, tu sens qu'on s'agite. Tu poses ton verre précipitamment et t'agenouille. Glisse ta main dans la sienne. Pour la rappeler. Pour qu'elle ouvre les yeux, par pitié.

— Ginny. Ginny, tu m'entends ?

La voir ouvrir les yeux allège le poids de ta poitrine, libère tes poumons. Tu n'aurais pas supporter, tu n'aurais pas pu encaisser, un autre visage fermé, un autre départ, tu n'as jamais été très bon pour t’accommoder des absences des uns et des autres. Elle demande s'il est parti. Amère est le hochement de tête que tu lui adresses, acides sont tes mots. Pas contre elle. Pas pour le moment. Tu as eu trop peur dirigée ta colère et tes peurs sur quelqu'un d'autre que Valerian. Le seul avantage à l’existence de ce petit rat, c'est qu'il fait une cible facile sur laquelle tu ne culpabilises pas.

— Il s'est enfuit.

Le mot n'est pas choisi au hasard, t'as toujours autant la rage. La peur aussi. Mais il ne faut pas la laisser gagner. Les Elfes nettoient, font disparaître toute trace de sa présence dans le manoir. Il pourra peut-être parler, tu sais qu'il n'a pas de fierté, mais rien, aucune preuve matérielle ne peut donner corps à ses dires. Au pire, ça pourrait même se retourner contre lui. La presse aime les chouineurs mais se lassent vite de ceux qui ne sont pas capables de pleurer en silence. Et des preuves. Des preuves tu vas en trouver. Tu vas appeler Vanitas, essayer de trouver avec lui des recours possibles. Tu feras tomber ses mensonges, à Valerian, tu le feras tomber tout court. Et si tu ne peux pas tu le tueras. Tu le tueras de tes propres mains. Après tout, c'est de ta responsabilité d'arracher les plantes corrosives de ton jardin.

Tu remontes ton regard vers elle. Presse tendrement sa main alors que de l'autre tu viens chercher son front. Passe une main douce sur ses cheveux.

— Je sais. Je sais chut. J'ai demandé à ce qu'on nous amène de quoi te soigner. Tu seras sur pied en rien de temps mais là tu dois te reposer.

Tu as peur. Si peur.
Dans ta tête la question tourne en boucle sans que tu ne puisses la formuler. Lâche, un peu. Tu fuis. Tu fuis parce que tu ne veux pas t'énerver contre elle alors que la cible est toute désignée.

Qu'est-ce que tu as fait, Ginny ?

— C'est un défaut, c'est vrai.

Tu lui concèdes. Tu en fais toujours trop. Ta lâcheté te poussera à dire que tu n'as pas d'autres choix. Que ce zèle destructeur était compris avec le titre et le fauteuil de père. Qu'on s'en accommodait, parce que le pouvoir c'était ça. Un titre, pour une montagne de responsabilité et de coups. Tu passes une main tendre dans ses cheveux. Tu en fais trop. Si tu souris au départ, bien vite ça se fane. Elle ne parle pas que des médicaments, que de l’inquiétude qui te pousses vers de trop grands élans protecteurs. Elle parle de ce dont tu n'as pas envie de parler. Elle parle du sujet que tu veux éviter. Tu t'éloignes. D'un coup tout devient froid.

— Tu devrais te reposer, Iphigenie.

Tu détournes la tête, détournes le regard, détournes tout le reste. Qu'elle voit le pire te dérange, t'horripile. Tu n'as pas le choix, peut-elle le comprendre ? Tu dois vous protéger. Tu dois vous venger. Tu dois réussir. Tu dois triompher. Tu dois. Tu dois. Tu dois. Tu dois. Jamais père ne t'avais préparé à ça.

Tu vas pour te lever, tu es trop conscient de ce qui pourrait se passer si la conversation continuait dans cette direction. Trop conscient de ce que tu pourrais dire. De ce que tu pourrais jeter. Et tu n'as pas envie. Tu n'as pas envie de la blesser. Tu veux l'épargner, sans comprendre quand l'écartant, tu l'écorches. Mais quel choix as-tu, tu te le demandes ? Tu préfères l'écorcher que la salir.

— Reste coucher, les elfes t'apporteront ton traitement.

Ne dis pas un mot de plus, s'il te plaît.

Tu poses son regard sur elle, soudain lasse. Qu'est-ce qu'ils ont tous à te pousser dans tes retranchements ? Qu'est-ce qu'ils ont tous à ne pas savoir se contenter du peu que tu donnes ? À vouloir plus, toujours plus, toujours ce que tu ne te sens pas prêt à donner. J'en ai assez, qu'elle dit. Ah. Si elle savait. Si elle savait comme toi aussi tu en a marre. Pourquoi faut-il que ce soit elle qui te force à être ce que tu fuis ?

Son corps secoué par la toux et tu tentes d'effacer de ta mémoire le visage de Valerian, le corps immobile d'Iphigénie dans les sous-sols. Tu fermes les yeux, te tends de nouveau, prends sur toi. Pourtant, c'est déjà trop, tu te sens implosé de l'intérieur, une bulle sur le point d'éclater.

— Lâche-moi.

C'est dit sans émotion, aussi sec et tranchant que pouvait l'être votre père dans ses pires moments. Toujours bien droit, mais un peu tremblant, tu viens replacer correctement ta manche. De l'ordre. Toujours de l'ordre. Pour ne pas que sur toi, on ne soupçonne pas le chaos. Tu ne t'assois pas. C'est plus simple de fuir quand on regarde de haut quelqu'un. Le fossé entre vous se creuse. Tu détestes ça. Tu détestes te sentir soulagé de la repousser alors qu'elle est ta plus précieuse alliée.

— Tu n'abandonnes donc jamais ?

C'est un reproche. Et ça t'effraie, quelque part, de réaliser que tu comprends ce qui a poussé ton père à bout autrefois. Ça te terrifie de te dire que t'en est arrivé à trouver un sens à ce qui t'était impardonnable. Compulsivement tu viens défaire et remettre tes boutons de manchettes. Tu fixes la porte, fixe tout sauf elle. T'as besoin d'un verre, besoin d'alcool. T'as besoin de sentir ton corps se relâcher avant que tu n'exploses. Mais si tu t'éloignes, elle est capable de ramper après toi pour la simple satisfaction de te contredire. T'adorais tellement cette facette d'elle avant. Tu la détestes tellement aujourd'hui. Tu défaits tes boutons. Tu les remets ensuite en place. Ça doit bien faire la cinquième fois.

Nerveux, à fleur de peau. Tu ne veux pas appeler les elfes avant qu'ils n'aillent finit de nettoyer les preuves de la présence de Valerian ici. Dans ta tête continue le jeu d’échec entre toi et... Et qui ? C'est fou, les ennemis sont si nombreux que ton adversaire pourrait être le reste du monde. Tu te bats seul contre une alliance dont chaque acteur est un électron libre et polyvalent. Tu déglutis, douloureusement. Tu cèdes, ta volonté n'aura duré qu'une seconde. Tu appelles, ils te connaissent trop bien. La plus petite des elfes, Grenat, arrive avec un sourire doux et un verre de ce que tu reconnais être un de vos meilleurs alcool. Tu lui prends doucement des mains et la remercies d'un hochement de tête. Elle s’éclipse, l'air un peu inquiète mais tu l'encourages d'un sourire avant de porter à tes lèvres ta première dose d'alcool.

— Tout ce que je fais, je le fais pour notre famille, pour toi, pour ton avenir. Alors ne me mets pas en colère, Ginny.

Tu fais tourner l'alcool dans ton verre.

— Je suis déjà suffisamment tendu comme ça.

Tu regardes, l'espace d'une seconde interdit, le verre voler à travers la pièce. Il se fracasse contre le parquet, le liquide ambré se répand à même le sol. T'observes, sans comprendre, les morceaux brisés échoué un peu partout autour du point d'impact. C'est effrayant, cette espèce de blanc, de vide, d'anesthésie. Tu sais ce qu'il signifie. Tu sais qu'il va partir. Tu la sens déjà bouillir dans le tréfonds de ton être. Monter. Vivace. Rapide. La colère. Tel un troupeau aveuglé par la rage en pleine course.

Tu saisis ses poignets avec une violence qui te dégoûte. T'arraches ses mains de ton col, furieux. Elle explose, la hargne du monstre. Celle que tu te tapis sous des litres d'alcool et de déni. Tu ne veux pas. Tu ne veux pas être comme ça. Pas avec elle. Jamais. Mais tu serres ses poignets plus fort, fait quelque chose que tu ne fais jamais. Tu hurles. Pour la première fois de vos vies, tu lui hurles dessus.

— ÇA L'AURAIT ÉTÉ SI TU NE T'EN ÉTAIS PAS MÊLÉ !

Tu sens sa peau entre tes doigts. Tu pourrais lui briser les mains si tu le voulais. L'idée te traverse l'esprit. Soudain, son contact t'effraie. Tu la repousses brusquement viens triturer ton col. Tu ne dois pas. Le visage déformé entre peur et rage. Tu n'es pas lui. Tu n'es pas lui. Tu n'es pas cet homme qui bat son propre sang sous la frustration. Tu n'es pas ton père. Tu n'es pas ton père, Jasper. Tu glisses tes mains de part et d'autre de ton crâne, prends ta tête à deux mains agrippe tes cheveux, instables. Tu as hurlé sur ta sœur. Tu aurais pu la frapper. Tu aurais pu faire comme lui. Mon Dieu. Et tu parles. Tu parles. Laisse la rage envahir la pièce pour repousser les coups que tu aurais pu donner.

— J'allais lui faire cracher la vérité ! J'allais lui faire avouer ! Avec ses déclarations, j'aurai pu laver notre nom, leur montrer à tous que ce petit enculé avait menti ! Ça n'aurait pas sauvé père, mais ça aurait rétabli la vérité, sauver notre image, TON image. On ne l'a jamais battu, on ne l'a jamais frappé. C'est le seul Fawley à n'avoir jamais reçu le moindre coup !

Il était, à la vérité, le mieux traité du lot. Tu fais les cent pas, tournes comme un lion en cage. Tu parles vite. Trop vite.

— Mais il a fallu que tu t'en mêles !

Tu passes à proximité d'une chaise que dans un excès rageur, tu viens prendre et balancer contre la porte.

— MERDE !

Tu te sens d'humeur à retourner toute la pièce. Quand tu passes devant le miroir ton visage se fige. Cet homme aux yeux électriques, au visage défiguré par des émotions troubles... C'est toi. Ce garçon dans la glace, tu le trouves laid, il te fait peur. Ce garçon, il ressemble trait pour trait au père si aimant, mais qui devenait cauchemars quand on s'écartait de son chemin. Tu souffles tremblant. Ce visage. Tu détestes ce visage.

Tu lui ressembles tant...

Tu l'entends tousser, fermes les yeux, tu te sens fiévreux, nauséeux. Tu les rouvres, c'est toujours ta gueule dans la glace, ce visage tiraillé, fou. Est-ce que c'est ça que Clovis au club ? Est-ce que c'est ça que Vanitas voit depuis trois ans ? Soudain tu comprends qu'on cherche à te ménager ou à te réduire à néant. Tu es malade Jasper. Ça transpire par tous les pores de ta peau. Tu es au bout. Tu tiens droit mais tout hurle que tu t'effondreras. Dans le miroir l'éclat de tes yeux se fait pour narquois. Dans le miroir, tu vois son visage à lui. Tu l'entends encore avec ses leçons de moral, la condescendance dans son regard. Tu te laisses aller, qu'il disait. Tu n'as pas le droit d'être faible, qu'il disait. Tu saisis la glace entre tes mains, la lèvre tremblante, furax face à ton propre reflet. Tu regardes que toi quand tu parles.

— Je dois nous protéger. Je dois réparer ses erreurs, nettoyer sa merde. C'est mon rôle. C'est ma responsabilité.

Et transperce l'amertume dans ta voix. Des reproches muets aux Fawley qui sont absents. Ton oncle. Ton père. D'avoir mis sur tes épaules un poids que tu n'étais pas prêt à porter.

— Mais surtout je dois comprendre pourquoi il nous a fait ça. Valerian aurait dû avoir les réponses. Il devait me fournir les réponses !

Colère sourde. Tu ne peux pas échouer. Tu n'as pas le droit d'échouer. Tu le vois dans ton propre reflet. Sa figure droite, ses yeux inquisiteurs. Il semblait si sûr de lui. Si certains de l'avenir. Il avait toujours trois coups d'avance sur tout le monde. Il était intelligent. Il était redoutable. Tu le prenais pour une espèce de Dieu vivant qui n'avait aucun égal. Et il vous a détruit. Dans tes yeux bleus pétant, tu revois ta mère. Son sourire acide, sa voix mielleuse (empoisonnée). Elle aussi elle s'impatiente. Elle aussi elle ne tiendra pas longtemps. Et Iphi. Iphi qui veut bien faire. Iphi qui veut comprendre. Iphi qui crie. Et pour toute réponse tu enfonces ton poing contre la glace. Brise ton reflet. Déstructure ce visage qui te file la gerbe.

— JE FAIS CE QUE JE PEUX ! Je fais tout ce que je peux...

La douleur pulse à poing mais elle te réveille. Tu observes ta main meurtrie. Ton corps se fait lâche. T'en a marre. Dieu que t'en as marre. Tu te tournes vers elle, soudain éteint, épuisé.

— Ils ne se contenteront pas de notre chute. Regarde Valerian. Regarde ce qu'il continue à nous faire. Je n'avais pas l'intention de le tuer. Je voulais le pousser à bout. Je voulais qu'il avoue. Tu restes loin d'elle, tes yeux dérives malgré toi sur ses poignets. Le jeu est truqué. Je ne peux pas gagner à la régulière. Je ne veux pas que tu trempes là-dedans.

Tu souffles, en reculant de quelques pas pour venir t'adosser contre le mur le plus proche.

— Je ne voulais pas te faire de mal.

Tu secoues la tête mollement. Valerian était malin, mais encore plus lâche que toi. Il était fragile, terrifié, la réalité c'est que lui non plus n'avait aucune idée de ce qu'il faisait. Il improvisait sans cesse, ses plans étaient imprévisibles mais immédiats. Tu sais comment contrer ce genre d'adversaire, tu sais comment faire face à ce style de combat. Tout ce qu'il t'aurait fallu c'est un peu de temps. Valerian est fort mais pas endurant. Mais elle ne l'entendra pas. Tu devrais lui dire, lui tendre la main, mais tu te tais. Quand elle s'approche tu restes adossé contre le mur, l’œil lasse. Tu ne veux pas qu'elle te touche, ça te fait peur de toucher qui que ce soit maintenant.

Tu te fais du mal pour rien.
Là n'est pas la question.

— Si je ne fais rien mère commencera à se tourner vers toi.

Elle attendra d'elle qu'elle fasse ton travail. Elle tentera de te remplacer comme elle a pu le faire quand tu étais au plus bas (avais-tu seulement jamais remonté la pente ?). Et tu ne peux pas. Tu ne peux pas te le permettre. Tu vois ce que les responsabilités font. Ce que le pouvoir transforme. Et il est hors de question que quelqu'un d'autre dans cette maison ne goutte à ce fruit défendu.

Tu regardes du coin de l’œil le sort qu'elle applique, serre et desserre doucement ton poing. Tu détestes l'idée que ce soit elle qui te soigne. Tu secoues la tête. Ce qu'elle dit est juste. Si juste. Et pourtant.

— Il va bien falloir que tu l'acceptes.

Tu la fixes, triste. Tends doucement la main vers elle, pour ne pas la brusquer. Tu ne veux pas devenir comme lui. Tu ne veux pas devenir le monstre de ses cauchemars comme ton père a pu l'être autrefois. Tu ne veux pas être ça. Tu ne veux pas. Tu laisses choir doucement tes doigts dans ses cheveux. C'est ta petite sœur. Ta chère et tendre petite sœur. Tu dois la protéger.

— Je ne t'écarte pas. Seulement, il y a des choses dans lesquelles tu ne dois jamais tremper. Nous sommes une équipe, Ginny. Mais chacun à son rôle, tu comprends ?

Oh. Tu sais qu'elle ne comprend pas. Un sourire tendre, infiniment triste quand tu passes ta main sur sa joue.

— Ma guerrière.... Non. Bien sûr que tu non tu ne comprends pas.

Tu l'écartes doucement, te diriges jusqu'au qu'à la chaise éclatée que tu redresses maladroitement. Range. Range encore. Pour ne pas voir le chaos que tu sèmes.

— Je sais ce que tu vois et ce que tu penses de moi. Je sais que quand tu me regardes tu le vois lui. Moi aussi, quand je me regarde je le vois.

Tu t'attaques aux morceaux de verre éclatés contre le sol.

— Je ne voulais pas te faire de mal, je suis désolé. Je ne veux pas te perdre, Ginny. Tu es tout ce qu'il me reste.

Les cris arrivent en même temps que les bouts de verres volent. Tu grimaces quand l'un d'eux te tranche la paume, soupire quand tu vois le bazar se rependre un peu plus loin. Toujours un genou posé au sol, t'as l'air lasse, Jas, éreinté sous une tâche que tu ne tiens pas, que tu te forces à tenir, que tu es incapable de lâcher malgré la douleur qu'elle représente. S'il y a un peu de douceur au moins. Ton seul souffle d'air c'est l'intimité avec Vanitas même ça, tu le sais vicié depuis le départ. S'il y avait un peu d'amour, rien qu'un peu d'amour. Mais le visage qui se dessine dans ton esprit quand tu prononces ce nom est le même qui t'a hurlé dessus quelque temps plus tôt. Elle hurle aussi, Iphigenie. Elle déboule agrippe ton visage pour la forcer à la voir. Tu la vois. Quand elle demande ce que tu vois ton regard se voile. Un échec, voilà ce que tu vois. Pas elle. Ton échec à toi. Tu devais tout préserver, tout arranger. Pourtant elle hurle, elle pleure. Tu devais tenir cette maison et pleures, Iphigenie. Mais tu n'as pas l'audace de quitter son regard. Affronte, endors les sentiments pour ne pas craquer plus que tu ne l'as déjà fait. Tu t'anesthésies à coup de fatigue. Sous ton palet le désir de l'alcool se fait d'autant plus fort. Une torture de sentir ses effluves sur le sol. Tu pourrais sûrement lécher le parquet si tu t'écoutais.

— D'accord, je ne sais pas.

Tu lui concèdes. C'est délicat de te relever, de passer une main dans son dos, d'appeler au calme. T'en a assez. C'est trop.

— Maintenant dit moi ce que ça change. Dis-moi ce que tu attends ?

Tu la forces à s'asseoir vient t’asseoir à côté d'elle alors que tu te serres d'une bouilloire posée sur sa table de chevet pour lui servir un thé avec du miel. Tu la forces à s'asseoir vient t’asseoir à côté d'elle alors que tu te serres d'une bouilloire posée sur sa table de chevet pour lui servir un thé avec du miel.

— Tu veux que je t'entraîne dans mes affaires à l'allée des embrumes ? Que je te donne les clés de tout ce que j'ai mis en place pour maintenir nos finances à flots, y compris mes affaires moins respectables ? Parce que si c'est ça, Ginny, ce ne sera pas possible.

Tu lui tends la tasse. Te retienT de te sortir une cigarette alors à la place tu te prends une tasse aussi.

— Je le déteste au moins autant que toi. Je vois ce que le pouvoir fait de moi, ce qu'il devient nécessaire de faire pour le garder. Tu n'as aucune idée, Ginny. Je ne t'écarte pas. Mais je ne te laisserais pas empiéter sur mon territoire. Pas parce que je n'ai pas confiance en toi, mais parce que je refuse que tu deviennes aussi mauvaise que moi.

Tu tentes de l'entendre, de réellement et sincèrement l'entendre. C'est dur. Tu te rends compte qu'il était beaucoup plus aisé de se complaire dans sa paranoïa, de voir à toute chose un danger potentiel et en n'importe qui un ennemi dont il faut se méfier. C'est beaucoup plus simple de considérer ses proches sous le prisme de l'obstacle. Et tout ça pour quoi ? Par fierté, peut-être ? Oui. Non. Non, c'est plus complexe. Par amour, alors ? Non. Oui. Oui, mais il n'y a pas que ça. Et tu te demandes si tout le problème ne vient pas de là. Est-ce que lui aussi, quand il se tenait à son bureau (ton bureau), il voyait le monde et les siens de cette façon. Tu prends le temps de la regarder. Quand est-ce que tu as commencé à considérer ta propre chair comme un pion sur ton échiquier ? Elle évoque Valerian et tu soupires. Détourne le regard, mais tu acceptes d'être honnête... À ta façon.

— J'admets que c'était un coup qui... Manquait de subtilité.

Cependant, tu ne peux pas lui promettre ce qu'elle attend. Ta situation est complexe, la pression est grande. Tu te sens corrompre de l'intérieur, fatigué, usé. L'alcool et la fumée ne te donnent pas la délivrance espérée. Du moins, pas celle qui dure. Juste celle qui endort assez pour ne pas se défenestrer. Et elle touche juste, Iphi. Te confronte à ce petit garçon de onze ans (il date d'une tout autre éternité). Si sage, mais dont les grands yeux bleus ont bravé l'autorité pour la première fois.

Je ne m'appelle pas Argus ! Je m'appelle Jasper ! qu'il avait crié, fièrement, comme un petit héros.

Il l'a fait par rébellion. Il l'a fait parce qu'il y croyait. Il croyait à un monde où il ne serait pas le reflet de son père. Où il serait lui, vivrait comme il l'entendrait, vivrait selon ses croyances et ses valeurs. Il voulait le beurre et l'argent du beurre. Il voulait la reconnaissance de ses proches tout en voulant leur prouver qu'ils avaient tort. Il voulait abattre les murs, faire rentrer le soleil. Il voulait inonder leur vie de rêve. Il voulait devenir cette tornade dont il s'était amouraché dès les premières secondes dans cette librairie, des semaines plus tôt. Tu ne l'as pas oublié, ce petit garçon aux cheveux noirs et aux grands yeux bleus. Tu ne l'as pas oublié. Mais comme tous les enfants, ses rêves ont les a assassinés. Pourtant, même s'il ne reste de lui qu'un cadavre encore fumant. Tu le vois. Tu l'observes. Tu le pleures. Il te manque.

— Les réponses que j'ai à t'apporter ne vont pas te plaire. Es-tu capable seulement de les entendre ?

Tu tournes de nouveau ton regard vers elle.

— Quand je te vois, je vois un échec. Mon échec.

Tu la laisses encaisser, détaches tes mains des siennes pour aller boire une gorgée de thé.

— Je voulais préserver le peu qu'on avait tout en assumant tout ce qu'il était nécessaire d'assumer pour te léguer tout ce que j'ai toujours souhaité que tu aies. J'ai conscience d'avoir fui mes responsabilités depuis la disparition de Clovis. Je voulais tout endosser de nouveau, tout prendre en charge. Faire comme il le faisait, lui (papa). Mais j'ai sous-estimé l'ampleur de la tâche.

Tu as mal joué. Mal calculé. Tu poses ta tasse, passe une main lasse sur ton front. Et pourtant, pourtant, il faut se battre.

— Notre réputation est détruite, la grande majorité de nos alliés sont aujourd'hui nos ennemis. On ne gagnera pas à coup de sourire et de bonne volonté. Tu veux retrouver ta place ? Je veux retrouver ma dignité. Mais pour ça, il va falloir qu'on se salisse les mains.

Qu'on. Le mot n'est pas choisi au hasard. Tu quittes le lit, te lèves. Fait quelque pas. Il faut que tu t'actives sans quoi le besoin d'alcool se fera sentir.

— Tu veux que je cesse de te materner. Très bien. J'ai joué seul jusque-là parce que le jeu auquel je joue va me demander de sacrifier beaucoup. Si tu décides de jouer avec moi il faudra que tu payes aussi ta part.

Tu ne vas pas lui mentir, ni arrondir les angles. Elle voulait la vérité, la voilà. Poudlard est fini. Votre vie d'avant est fini. Elle doit le comprendre. Vous êtes seul. Seule face à ce même jeu des trônes auquel vos parents et ancêtres ont joué avant vous. Tu voulais la préserver. L'empêcher de jouer. Tu voulais qu'elle reste en dehors du jeu et qu'elle profite de tes gains. Tu voulais qu'elle se comporte comme mère se comportait, qu'elle attende oisivement que l'argent lui tombe dans le bec. Mais c'était à Iphigenie que tu t'adressais. À défaut de lui épargner la guerre, tu lui épargneras la première ligne.

— Tu peux oublier ta vie tranquille à la Harpie Dorée. Si tu décides de m'épauler, tu ne seras pas épargné. Si je te demande de te marier, tu le feras. Si je te demande de manipuler, tu t’exécuteras. En échange, je te promets le bureau des aurors et la revanche que notre famille mérite.

Tu la toises, tends la main.

— Alors, tu joues ou tu te couches, petite sœur ?

Puisque que c'est ce qu'il faut, tu joueras au jeu.
Puisque c'est ce qu'elle veut, tu seras le premier Fawley de l'histoire à le faire en équipe.

Tu lâches un rire désabusé. C'est épuisant, tellement épuisant de batailler avec elle. Elle est plus têtue qu'une mule, plus fière qu'une lionne. Elle veut tout négocier, gourmande, le beurre, l'argent du beurre et les termes du contrat. Tu perds doucement patience, c'est trop pour une même journée. Valerian, elle, encore elle. C'est trop. Tu passes une main lasse sur ton visage.

— Tu es insupportable, tu le sais ça ?

Autrefois, c'était un compliment.

— Je ne te prive de rien, Ginny, je te pose juste le décor. Si tu veux vivre, va ta vie, vas-y, personne ne te retient, surtout pas moi ! Va te faire une brillante carrière à l'extérieur, te faire de nouveaux amis, partir à l'autre bout du monde si ça te chante ! Tu profiteras de mon argent, comme mère, et je n'irai pas me plaindre.

Tu fronces les sourcils te montre plus ferme.

— Mais si tu veux être inclus dans les plans que j'ai pour cette famille, alors oui, tu deviens un pion sur ma table de jeu. Je ne te l'impose pas et je ne te le cache pas non plus. Sois tu restes en dehors de mes affaires, soit tu en fait partie. Mais je ne céderai pas à tes caprices, Ginny, ce sont mes conditions qu'elles te plaisent ou non.

Finalement tu craques, tu sors une clope de ta poche. T'as besoin d'occuper tes mains et le geste de la cigarette entre tes doigts te fait du bien. Tu t'éloignes néanmoins du lit pour ne pas l'importuner avec la fumée.

— Si tu me suis, je préfère être franc, tu seras fiancée plus rapidement que tu ne le penses. J'ai déjà des projets me concernant, mais mon statut de chef de famille complique les choses. Pour toi, en revanche, ce sera plus facile. Mais je ne te proposerais pas n'importe qui en mari. Tu restes ma sœur, aussi enquiquinante sois-tu.

Tu tires une première bouffée, l'expires lentement par le nez.

— Je te laisse le temps qu'il te faut pour décider. Sois-tu fait ta vie en tant qu'Iphigénie, soit en tant que Fawley. Ton choix sera le mien. Et en ce qui me concerne, ne t'en fais pas, je vais me reprendre. Tu l'as dit toi-même. Je suis Argus Jasper Fawley, je ne suis pas n'importe qui.

Tu t'approches de la porte.

— Garde le lit pour ce soir.