▌Longue journée, soirée encore plus longue alors que les minutes s'égrènent et que tu te retournes sans cesse dans ton lit. Il est bien ce lit, tu te réjouissais tellement de le tester. Tu viens de l'acheter, le matelas aussi. C'est peut-être pour ça que t'arrives pas à dormir, Gus. C'est souvent comme ça quand on emménage dans un endroit nouveau. On entend des bruits que l'on ne connaît pas. On se réveille et dans la semi-obscurité on voit des formes auxquelles on n'est pas encore habitué. Pour toi, c'est comme se réveiller dans une chambre d'hôpital. Les murs blancs, vides. La fenêtre sans rideaux. L'ampoule nue au plafond.

À bien y réfléchir, ça fait plutôt Silent Hill.

Tu ouvres les yeux et tu tends le bras pour récupérer ton pineapple.

00:54.

Avec un soupir, tu le reposes sur le petit carton vide qui te sert de table de chevet, aux côtés de ta vieille lampe à lave rétro en forme de fusée. Une des rares décorations que tu aies ramené de ta chambre d'enfant. Tu n'as pu emporter aucun meuble alors tu as acheté l'essentiel: un lit. Un petit mètre 40 de large, suffisant pour un Gus seul. En bois clair, sans tête de lit, basique mais aux lattes solides et au matelas confortable... Enfin quand tu t'y seras fait.

Tu te redresses entre tes couvertures, agacé. Il tombe des cordes, dehors, le bruit de la pluie résonne sur les toits, juste au dessus de vous. Ce serait agréable s'il n'y avait pas de l'orage. À tâtons, tu allumes ta lampe de chevet, puis la guirlande au dessus du lit. Dans le noir, on dirait des étoiles. C'est Beckett qui te l'a offerte. Tu l'as placée de sorte à former ta propre constellation. Comme ça, tu te sens à la maison. Et tant pis si tu n'as rien ici. Ton ficus est parti meubler le salon, des cartons te servent de commode. Ta bibliothèque? Des piles de livres sous ta fenêtre. Tu te sers de tes loupiotes pour t'éclairer et tu sors de ta chambre sans allumer le reste de l'appartement. Tu ne veux pas réveiller Beckett. Dans la cuisine tu te sers un verre d'eau, que tu bois en fixant la minuterie du four d'un oeil vitreux, fatigué.

1:01.

Fais un vœu. Un éclair zèbre le ciel et tu sursautes en sentant quelque chose frôler ta jambe nue.

Merlin, Spoutnik!

Tu siffles quand le furet de ton colocataire se faufile entre tes jambes.

Non c'est pas l'heure de jouer!

Tu l'attrapes (délicatement) et tu la jettes presque sur le canapé, où elle s'enfonce entre deux coussins moelleux. T'espères à moitié qu'Olga va l'avaler. Olga, le canapé hanté, oui. Tu te retournes pour poser ton verre dans l'évier quand- toc toc toc

01:03.

On frappe à la porte? Non, ridicule. Sûrement un voisin qui a oublié sa clef, et on entend tout parce que les murs sont fins. Vraiment, Gus? Tu restes immobile entre la cuisine et le salon. Tu tends l'oreille, aux aguets. Aucun bruit du côté de la chambre de Beckett, donc tu supposes qu'il dort. Même le furet s'est calmé. Est-ce que tu as rêvé? Il est vrai que sous les combles, la pluie résonne étrangement. Peut-être un tuyau qui fuit? Lentement, prudemment, tu te diriges vers l'entrée. Qui vous dérangerait à une heure pareille? Dorothy? Si elle avait besoin de squatter le canapé, elle te préviendrait par message...

Qu'est-ce que c'est que cette tenue?
La ferme, Jeremy.

Jeremy, le miroir hanté. Essayez de suivre, un peu. Malgré toi, tu rajustes le col de ton tshirt Batman XL et tu remontes ton caleçon, avant de jeter un œil à travers la porte. Un coup de tonnerre déchire le ciel et tu frissonnes.

Il y a quelqu'un derrière la porte.

Le couloir du troisième étage est plongé dans l'obscurité. Pourtant tu reconnais sa silhouette. Merlindammit! Il est venu pour... Tu aurais dû le savoir! Tu sais pourquoi il est là. Tu as été naïf, Gus. Trop naïf! Ce sera ta perte. Ou celle de tes lombaires. T'as déjà mal au dos. Bref. T'es tenté de pas ouvrir. Peut-être que si tu ne fais aucun bruit, il va partir.

Tu attends quelques secondes, le cœur haletant, le temps que ta respiration se calme. Putain on n'a pas idée de frapper chez les gens un soir d'orage à 1h du matin! Tu as eu tout le temps d'imaginer le pire. On pourrait penser que vivre avec Olga et Jeremy (et Spoutnik) t'empêcherait de t'inventer des scénarios de films d'horreur au moindre bruit suspect, mais nooon... Faut prendre en compte les circonstances, aussi!
Bon, il est toujours pas parti.
Tu soupires.
Bien sûr que tu vas ouvrir.

Tu débloques le loquet et tu entrouvres le battant, juste assez pour passer la tête par l'entrebâillement de la porte. Ton regard moitié endormi, moitié scrutateur, fixe Hysteria quelques instants. On dirait un chien mouillé. Il fait un peu pitié.

J'ouvre pas aux inconnus.

Hysteria n'est pas vraiment un inconnu, même s'il se comporte comme tel la majorité du temps. Quand il n'est pas devant ta porte en plein milieu de la nuit, quoi. Tu réalises que tu ne lui a jamais dit où tu habitais. Il n'est même pas censé savoir que tu as déménagé. Tu plisses les yeux, méfiant:

C'est ma mère qui t'a donné mon adresse?

Elle en était bien capable même en sachant pourquoi il en avait besoin, la fourbasse.

Bon bah entre, tu vas inonder le palier.

Tu chuchotes pour ne pas réveiller Beckett. C'est inutile, puisque dans le corridor Jeremy accueille le visiteur d'un aimable:

Sale gueule, dites donc!

▌Hysteria pénètre dans l'appartement, tel un zombie. C'est à peine exagéré; il a l'air à moitié mort, tu ne sais même pas s'il entend ce que tu dis. Tu te retiens de commenter. Tout cela a un peu trop une impression de déjà-vu. Tu ne sais pas s'il est même utile de lui dire de ne pas faire de bruit. Surtout pas si Jeremy s'y met...

Tais-toi, tu vas réveiller Beck. Tu veux encore que je te recouvre avec le tissu?

Menace ultime, quand tu passes devant le miroir. Jeremy a un geste de recul mais reste silencieux et tu affiches un air satisfait, avant de te tourner vers ton... invité? Tu es sur le point de lui demander pourquoi il a marché sous la pluie au lieu de transplaner, et combien de verres il a bu pour finir dans cet état. T'es pas le genre à faire la morale, mais y'a des limites à ta bonté et à 1h du matin elle est pas bien élevée. Mais Hysteria s'avance, tu lèves les yeux en te rappelant qu'il est quand même vachement grand euh... tu n'as pas le temps de réfléchir à la façon dont tu vas reformuler tes pensées pour ne pas le vexer, il cogne contre toi comme si t'étais sur son chemin. Mais il te pousse pas sur le côté alors tu restes immobile, un peu perplexe, un peu gêné. C'est... spongieux. Humide. Finalement tu lèves le bras pour tapoter son dos, dans un geste vague et maladroit.

Ça va aller, ça va aller...

Ouais, il pourrait demander plus poliment, mais est-ce que c'est le moment de le lui faire remarquer? Tu renifles. Il sent l'alcool, ce que tu ne relèves pas. Au nez, tu paries sur quelque chose de doux et léger, comme du cidre. Comment ça c'est beaucoup trop précis? Tu es très expérimenté dans ce domaine.

Allez, viens.

Tu ne peux décemment pas le porter, mais tu le soutiens tant bien que mal jusqu'à ta chambre, histoire qu'il ne percute aucun mur (ou aucun Jeremy outré). Tu le maintiens assez éloigné du canapé pour qu'il n'ait pas l'idée de tomber dedans. C'est pas pour ça qu'il est là mais avec Olga, un accident est vite arrivé. Tu réalises que tu n'entends plus Spoutnik, ce qui t'inquièterait en temps normal, mais là tu mets la pensée dans un coin de ta tête pour y revenir quand tu auras les mains libres.

La porte de ta chambre était restée entrouverte, tu la repousses avec un pied en faisant entrer Hysteria. Pendant quelques secondes tu as une pensée empreinte de nostalgie pour ce lit tout neuf, qui pourtant ne voulait pas de toi cinq minutes plus tôt. Well. Tant pis pour toi, le lit.

Voilà, assieds-toi.

Tu le guides jusqu'au bord du lit et tu grimaces devant ses vêtements trempés. Tu te baisses pour l'aider à enlever ses chaussures, et tu tires sur son haut.

Enlèves.

On va faire simple, comme ça il y a une chance qu'il comprenne, et qu'il ne se couche pas tout habillé et tout trempé dans tes draps. Bien sûr, tu vas les laver ensuite, mais la simple idée de l'imaginer se glisser sous les couvertures tout trempé... ugh. Tu frissonnes. Heureusement, tu n'as pas besoin d'aller bien loin pour trouver un linge propre. Tu ouvres un des cartons qui te sert de commode, et tu prends également deux couvertures. Une pour lui, au cas où, que tu poses au bas du lit. La seconde ce sera pour toi. Pour Olga et toi. Tu ouvres le linge de bain et tu le poses sur sa tête et sur ses épaules.
Ouais, y'a un sort pour ça, mais t'as pas appris tout le répertoire de la magie sans baguette. Hysteria devra se sécher façon moldue. Enfin, s'il en a la force. Tu retournes dans le salon pour y poser ta couverture et chercher Spoutnik, qui réapparaît entre deux coussins (ouf). Évidemment, elle s'installe immédiatement quand tu ouvres le canapé-lit. Si elle croit qu'elle va dormir ici...

Elle a probablement raison.

Tu prends un verre d'eau dans la cuisine et tu reviens dans la chambre, en refermant la porte derrière toi, cette fois. La dernière chose dont tu as envie, c'est de réveiller Beckett. Ce serait trop chiant de lui expliquer toute la situation maintenant. Toi-même, t'es pas sûr de comprendre pourquoi Hysteria est là. Enfin, si. Mais tu sais pas pourquoi il vient précisément là. Chez toi, tu veux dire. Oui, il veut ton lit. Et un jour, il faudra qu'il t'explique ce qu'il a de si spécial. En plus, cette fois, c'est plus le même lit. Est-ce que la magie va opérer? Est-ce que demain, Hysteria va se réveiller, comme si rien ne s'était passé? Tu ravales ton inquiétude et tu poses le verre d'eau sur la table de chevet de fortune.

Mieux?

On reste dans le monosyllabe, oui.

▌Tu ne sais pas vraiment ce que tu espérais trouver en revenant dans ta chambre; peut-être Hysteria bien emmitouflé sous tes couvertures et ronflant déjà comme un bébé? Rêve toujours. Il est en pls sur le lit, le linge sur la tête, s'il ne remuait pas un peu tu serais tenté de vérifier qu'il respire toujours. Ah, il articule quelque chose. Tu baisses les yeux sur ses vêtements, toujours sur lui, toujours trempés. Tu vois vaguement la tentative qu'il a faite pour les enlever. À bout de force. Soupir.

Merlin.

Tu serais plus vulgaire si tu n'étais pas aussi fatigué. C'est pas possible. T'arrives pas à le croire. Pourtant t'es là, tu te penches au-dessus du lit et tu repousses ses bras, et le linge qu'il essaye vainement d'utiliser pour sécher ses vêtements.

Sérieux...

Le linge, ça dégage, la chemise, ça dégage, le pantalon, ça... ça met un peu plus de temps, mais ça dégage aussi. T'enlèves tout, en grommelant, en râlant tout bas, que bordel c'est pas possible et que t'arrives pas à croire qu'on en arrive là. La ceinture, qui s'est montrée particulièrement récalcitrante, subi un sort mérité: projetée à l'autre bout de la pièce. Ce n'est pas contre Hysteria que tu es fâché, c'est plutôt une accumulation de petites frustrations, la journée interminable, la nuit interrompue, et maintenant lui. Même si tu le voulais, tu ne pourrais pas t'agacer contre lui. Il ne fait pas semblant, tu sens vraiment qu'il n'a plus de forces, qu'il n'en peut plus. Ça rend l'exercice plus difficile mais finalement, tu arrives au résultat voulu.

Ton caleçon par contre tu le gardes.

Il risque d'avoir froid plus tard, alors tu le recouvres avec la couverture, avant de récupérer les habits pour les suspendre... mmh. Où? Il pleut toujours, alors le rebord de la fenêtre est exclu. Tu vas probablement les mettre dans la salle de bains... ouais. Beckett risque de se demander ce que ça fiche là demain matin, mais tu lui expliqueras tout plus tard. Là tout de suite, t'es trop claqué pour réfléchir à une réponse logique. Après quelques secondes de réflexion, tu déplies la deuxième couverture que tu avais laissée au pied du lit, pour la mettre par-dessus la première. Tu t'assures qu'il est bien couvert. Là... voilà. Bien emmitouflé. T'es à deux doigts de lui chanter une berceuse, mais faut pas abuser. Tu éteins les lumières. La fenêtre sans rideaux éclaire encore un peu la pièce. Tu te baisses et tu croises les bras sur le matelas, scrutant son visage. C'est vrai, il a l'air à bout. T'es pas sûr qu'il puisse te voir, ou même discerner ta silhouette. Si ça se trouve, il ne t'entend même plus. Tu aimerais bien dire quelque chose de plus, mais tu ne sais pas. Tu finis par soupirer:

Repose-toi.

Tu te relèves et tu quittes la pièce à pas de loup.

Et bois de l'eau!

Une fois la porte refermée derrière toi, tu tâtonnes jusqu'au canapé-lit et tu t'emmitoufles à ton tour dans la couverture. Tu as un peu froid, maintenant. Sûrement la fatigue. Un truc remue à côté et tu te figes alors que Spoutnik décides de grimper sur ton ventre. Tu marmonnes:

Non mais vas-y traverse je te dirais rien...

Elle s'installe là, en fait. De mieux en mieux. Tu vas jamais dormir. Tu croises les bras par-dessus ta couverture et tu fixes le plafond en essayant d'oublier la boule de poil qui te tient chaud. Tu tends l'oreille, mais comme les deux chambres sont fermées, tu n'entends ni les ronflements de Beckett, ni la respiration d'Hysteria.

C'est un mec bourré dans ton lit. Tu connais, toi aussi t'es passé par là. Excepté que ce n'est pas juste un mec relou qui vient voler ton lit pour t'emmerder ou un pote éméché qui se serait pris une grosse cuite pour rigoler. Il y a quelque chose de plus sérieux derrière tout ça, quelque chose de trop profond pour que tu sois en mesure d'en parler, même le nommer c'est trop difficile. Tout ce que tu sais, c'est que ça dure depuis trop longtemps. Elle remonte à loin la première fois où Hysteria a squatté ton lit. Et si tu t'en étonnes à peine après toutes ces années, c'est peut-être révélateur en fait. C'est devenu une habitude, alors que ça n'aurait pas dû être autre chose qu'un incident isolé.

Les incidents habituels, ça n'existe pas.

▌Si on t'avait dit que tu trouverais le canapé-lit confortable, tu ne l'aurais pas cru. Pire, si on t'avait dit que tu parviendrais à t'endormir sans craindre qu'Olga ne te mange dans son sommeil, tu aurais ri. Il faut croire que tu étais assez fatigué, finalement, car tu t'es endormi sans même t'en rendre compte. Tu ne t'es pas réveillé une seule fois, même quand le soleil a commencé à éclairer la pièce à travers les fenêtres sans rideaux. Aucun bruit ne pouvait te tirer de ton sommeil prolongé, et franchement bien mérité.

Il est 9 h et tu dors encore. Tu fais un beau rêve. Tu ne sais pas de quoi il s'agit exactement, mais c'est doux, chaud et réconfortant. Tu ronfles même un peu. Spoutnik, qui a migré durant la nuit, a fini par s'installer sur ta tête. Peut-être qu'elle croit que tes cheveux sont un petit nid. En tout cas, elle dort profondément elle aussi. Jusqu'à ce que des pas inconnus la réveillent. Elle ouvre les yeux, en alerte. Une odeur qu'elle ne connaît pas. Ça s'approche. Spoutnik est comme Olga le canapé, elle défend son territoire.

Une voix te réveille à ton tour et tu quittes brutalement le rêve pour émerger dans le coaltar. Qu'est-ce qu'elle a dit? Tu as de la peine à ouvrir les yeux. D'abord, identifier la voix. Tu la connais. Tu l'as entendue récemment, c'est... oui, c'est Hysteria. Non? Qu'est-ce qu'il fait là? Pourquoi il est à moitié à poil? Ah. Les habits mouillés. Oui. Ses habits. Ton esprit s'éclaire un peu, mais tout le reste est encore trop endormi et tu marmonnes une réponse.

Dbvgndbain...

C'est un peu vague. Tu aimerais lui désigner la porte de la salle de bains, pour lui faire comprendre que ses habits ont séché là-bas, mais ton bras est encore emmitouflé dans la couverture et tu galères beaucoup trop à le sortir. T'es tout mou. Tu ne réussis qu'à déranger Spoutnik en remuant, qui abandonne ta tête (... attend... pourquoi elle était sur ta tête?) pour crapahuter plus loin sur le canapé. Tu fronces les sourcils pour te concentrer au maximum de tes capacités. Finalement, tu parviens à répéter ta réponse, un peu mieux articulée:

S'de bains.

Et tu te retournes dans l'autre sens pour te rendormir.

▌Il y a du bruit dans le couloir, tout à coup, c'est ça qui te réveille. Tu te retournes dans le canapé-lit, encore emmitouflé dans ta couverture comme une larve, et tu grommelles. Qu'est-ce qui se passe? Tu reconnais la voix de Beckett, Spoutnik aussi apparemment car elle s'agite, saute sur ton ventre, pour se barrer du canapé. Aïe. Tant de violence, dès le matin... Toi qui croyais qu'elle avait dormi avec toi parce qu'elle t'aimait bien. Que vous aviez un lien. C'était peut-être le début d'une belle amitié et elle vient de se briser. Tristesse. Tu extirpes enfin tes bras du burrito de couverture et tu te redresses mollement, échevelé, les yeux à peine ouverts. Qu'est-ce que. C'est que ce bordel?

Tu te frottes les yeux. Là, dans le couloir entre sa chambre et la salle de bains, Beckett. Menaçant d'une pantoufle l'invité nocturne, Hysteria (qui s'est habillé). Tu fronces les sourcils, confus. Très confus.

Beck, qu'est-ce que tu f...

Tu t'arrêtes net alors que tu étais en train de te lever du canapé, encore à moitié emmitouflé dans la couverture, comme une cape de chevalier. Le Chevalier Fatigué. Tes yeux se plissent.

C'est ma pantoufle?

Ton regard descend sur son pied qui est encore chaussé. Il remonte sur le visage de ton colocataire, suspicieux.

J'croyais qu'Olga les avait mangées...

Tu dois des excuses à ce canapé. Ce brave canapé-lit maudit qui ne t'a pas avalé, cette nuit, mais t'a laissé dormir jusqu'à ce que tu sois réveillé brutalement par cette altercation sans queue ni tête. Tu as tellement de questions. Pourquoi Beckett a tes pantoufles? Pourquoi s'en sert-il pour menacer Hysteria? Est-ce qu'Hysteria l'a surpris au réveil? Beckett a-t-il le même instinct de protection que son furet? D'ailleurs, où est passée Spoutnik? Et puis, tu vas devoir répondre aux questions de ton colocataire aussi, maintenant qu'il est réveillé. Comment justifier la présence d'Hysteria? Comment qualifier Hysteria? Par où commencer? Reste-t-il de tes céréales préférées ou as-tu oublié d'en racheter?

Trop de questions.

Dans un râle agacé, tu fais demi-tour avec ta cape et tu marmonnes:

J'vais faire du café.

D'un pas encore incertain, tu te traînes jusqu'à la cuisine pour commencer à préparer le petit-déjeuner. D'abord le café. C'est connu, le café résout bien des problèmes. Pour tout le reste, il y a... eh bien, pas l'alcool, déjà... Merci Hysteria.

▌Hysteria t'annonce qu'il va y aller et tu lui réponds par une grimace. Gussin. Paye ton surnom de bébé quoi. C'était vraiment nécessaire? T'es sur le point de rétorquer quelque chose de bien senti; tu sais pas quoi exactement, mais t'as pas eu ton café, t'es fatigué, et forcément un peu salé. Il va vraiment s'en aller comme une fleur après avoir squatté sans aucune honte ton lit? Qu'il critique, en plus? Même pas un merci? Rien? Tu ouvres la bouche, quand Beckett apparaît dans l'encadrement de la porte, l'air... scandalisé? De quel droit il te vole tes pantoufles et a l'air scandalisé, lui?

Qu...
Rassures-moi, c'est qu'un coup d'un soir !
Quoi?

Tu mets quelques secondes à comprendre, secondes durant lesquelles ton colocataire apparemment inquiet se rapproche, pour t'assurer que... tu fais bien ce que tu veux, mais... ton expression passe de l'incompréhension à la grimace:

Eew, non!

Franchement Hysteria, c'est pas contre toi, mais là Beckett vient de te mettre des images horribles en tête. Des trucs auxquels t'aurais jamais pensé tout seul. Un désagréable frisson de dégoût te dévale l'échine et tu te secoues inconsciemment, comme pour le chasser.

Jamais de la vie! Je le connais depuis que j'ai 11 ans...

Alors oui, peut-être qu'à 11 ans, tu le trouvais extrêmement cool, peut-être même un peu trop pour ton propre bien... mais l'admiration s'est envolée dès que tu as capté d'où ça venait. Hysteria a toujours été un espèce de modèle pour toi en grandissant, mais il t'a suffi de le voir une fois bourré pour réaliser que ça n'irait jamais plus loin. Parce que franchement quel cassos aussi. Cela dit, tu peux bien dire que tu le connais depuis longtemps, mais Beckett mérite une vraie explication et ce n'est pas suffisant.

Tu fronces les sourcils, cherchant tes mots. Pourquoi le café est si long à se faire? Peut-être parce que t'as pas de baguette pour accélérer. Tu t'actives dans la préparation, pendant que ta tête réfléchis à la meilleure façon de présenter les choses. T'es claqué, pas aveugle, t'as bien compris que Beckett avait une dent contre Hysteria (peut-être aussi l'inverse) et si tu avais su que sa présence poserait problème, tu... Bon, tu lui aurais ouvert quand même, mais par respect, tu l'aurais dégagé avant que ton colocataire ne se réveille.

Comment vous vous connaissez? J'aurais jamais deviné que... enfin, si j'avais su que c'était pas une bonne idée, j'aurais fait les choses différemment, désolé, Beck. Hysteria est... euh... était un genre d'ami de la famille? Des fois je lui prête mon lit pour dépanner. D'ailleurs...

Tu te penches par-delà Beckett pour fusiller l'incruste de ton regard fatigué. Pas très efficace du coup, mais l'idée y est.

Si t'en veux un plus grand la prochaine fois, t'as qu'à me l'offrir. Après toutes ces années de sacrifices... je le mérite.

D'habitude t'es pas du genre à exiger des trucs, et la dernière phrase est davantage prononcée sur le ton de l'humour que de la provocation. Tu ne veux pas en faire une accusation, pas vraiment. Tu sais bien qu'il ne fait pas exprès... Même si y'a clairement un schéma qui se dégage, là, et qu'il devrait s'en inquiéter plutôt que de faire comme d'habitude: comme si rien ne s'était passé. Le déni, tu connais, tu vas pas le tacler dessus. T'es juste inquiet, parce qu'à la longue... c'est vraiment pas très sain tout ça. Et tu parles pas de ton lit évidemment. Il est très bien, ton lit. Juste assez grand pour qu'un Gus s'étale en faisant l'étoile. C'est tout ce dont tu as besoin pour dormir en paix, et après cette nuit, promis, tu apprécieras ton nouveau matelas à sa juste valeur.

▌La tension dans cette pièce... est presque palpable. Tu devrais être mal à l'aise, mais tu ne peux pas retenir un bâillement. Vite, le café. Pendant que tu es penché sur la cafetière, Beckett explique, très brièvement les raisons qui l'ont amené à connaître Hysteria: le quidditch. Ah. La rivalité professionnelle (et sportive) expliquerait la tension. Tu ne rebondis pas sur le sujet, peu désireux d'engager une confrontation directe. En plus t'as pas d'équipe préférée, mais tu peux pas le dire, officiellement tu soutiens ton colocataire et ta meilleure amie. Officieusement, tu... ne regardes pas assez le quidditch pour être émotionnellement investi.

Tu n'y crois pas vraiment, quand Hysteria te promet un lit. Déjà parce que tu plaisantais à moitié, ensuite parce que tu le vois mal t'emmener au magasin de meubles du coin pour choisir ton nouveau plumard. C'est un peu triste à dire mais tu as du mal à vous imaginer faire des trucs ensemble de manière générale. Tu hausses les épaules, comme pour dire: pas grave. Dans ta tête, la relation est très logique au final. Hysteria a sa vie, toi la tienne, parfois elles entrent en collision et... dégâts collatéraux. Pauvre Beckett. Tu pinces les lèvres jusqu'à son départ, puis ton expression se détend un peu et tu te tournes vers ton colocataire, désolé.

Tu ne peux que hocher la tête quand il commente les amis de la famille. C'est comme la famille, au final, non? On ne la choisit pas. Tu ne peux pas dire que tu regrettes d'avoir Hysteria dans ta vie, c'est... plus compliqué que ça. Disons qu'il est pas trop dans ta vie, en fait. Et quand il y est, il ne fait que t'inquiéter.

Nan mais vraiment tu le mérites ce nouveau matelas.

Désolé.

Beckett remplit deux tasses de café et tu prends la tienne, reconnaissant. Rien qu'à l'odeur, ça va déjà mieux.

J'avais complètement oublié l'offrande... Bon, faut dire qu'il m'avait pas prévenu qu'il venait.

Tu manques ajouter: je le lui dirai, pour la prochaine fois. Mais Beckett n'a sûrement pas envie de savoir qu'il y aura une prochaine fois. Au lieu de ça, tu bois juste une gorgée de café. Tu te sens un peu mieux. Tu souris:

Au fait, Spoutnik a dormi avec moi... je crois qu'elle m'aime bien!

Et pour être honnête, tu ne pensais jamais dire ça un jour. Elle aussi avait disparu dès votre réveil, mais au moins, elle avait fait une bonne bouillotte.