Tu es bien incapable de dire comment vous en êtes arrivés là. Une unième provocation ? Le sourire de trop ? Tu en es bien incapable mais tu crois tu aimes la tournure que prennent les événements. Le souffle court, quand tu le tires vers toi, cherche sa bouche. Brave l'interdit, presque un peu hilare, est-ce qu'on a remarqué votre absence ? Est-ce qu'on vous cherche ? T'aimes l'idée qu'on vous cherche. Aime presque l'idée qu'on vous trouve. Sourire, quand t'embrasse encore, les mains pressentes, un peu tremblant. Presque un soulagement, une libération quand tu le sens contre toi, qui tu plaques ton bassin au sien. Et t'embrasses pas ce garçon pour pallier à autre chose, non. T'es pas en train d'embrasser Vanitas pour assouvir d'autres pulsions, non.

Tu le sens se contracter, fronce les sourcils, romps le baiser. Tu veux le voir rouge, essoufflé, plein d'envie. Pourtant y a comme une espèce de contrariété dans ses yeux. Tu le repousses juste assez pour pouvoir passer une main contre sa joue.

— Hé, ça va pas ?

T'avais pourtant l'impression que ça allait terriblement bien dix secondes plus tôt.

Ça va. Ça n'a jamais sonné aussi faux. Tu le regardes, t'interroge, c'est étrange, s'en rend-t-il compte ? On n'arrêterait pas le balais de l'envie si, ça va, était la vraie, la bonne réponse. T'as la sensation de voir le doute s’installer. Tu l'encourages, quand il presse plus fort sa joue contre ta main. Il peut parler, il le sait. Tu ne sais pas toujours quoi dire, tu ne sais pas toujours définir avec justesse les choses, mais tu sais écouter.

— Hm. J'ai comme un doute. Qu'est-ce qu'il y a ?

Ses doigts distraits sur tes hanches, son regard qui se perd. Tu n'es pas certain d'aimer la lueur un peu triste que tu croies percevoir au coin de ses iris.

Enfin il parle.
Et la question te surprend.
Tu le regardes un peu idiot. Tu ne comprends pas. Cligne des yeux, parce que soudain ses mots ne font plus sens. Tu ne l'aurais pas entraîné ici si tu ne le voulais pas non ? Tu ne l'aurais pas pressé pour qu'il te touche, pour que vous vous colliez l'un l'autre si tu n'en avais pas profondément l'envie, non ? Tout cela semble trop bête, trop con. Tes lèvres s'étirent en un sourire nerveux. S’entrouvrent pour laisser échapper peut-être trop précipitamment l'affirmation.

— Évidemment !

Pourtant, tu te sens légèrement fébrile. Le cœur qui palpite sous l’inquiétude, la gorge qui se serre un peu sans comprendre pourquoi. La sensation dérangeante, qui met soudain mal-à-l'aise, comme quand le cœur prend conscience avant la tête que quelque chose cloche.

— Je.. J'ai envie de toi si c'est ça ta question. Pourquoi, j'ai fait quelque chose qui t'as fait penser le contraire ?

Tu as du mal à définir pourquoi tu as autant la sensation d'être dos au mur, pourquoi soudain qu'il te le demande ça t'angoisse. Le deal était pourtant clair. On se plaît. On se donne. On s'aime, même si ce n'est que pour se brûler physiquement. C'est jamais forcé, jamais sous la contrainte. C'est une envie brûlante de se découvrir d'un coup, de se sentir d'un coup et d'aller emmerder profondément le monde et la rigidité de vos vies. Parce que si ce n'est pas aujourd'hui qu'on gémit de plaisir alors ce ne sera jamais.

Alors qu'est-ce qui a changé ?

Tu n'aimes pas ça. Tu n'aimes pas cette façon qu'il a d'insister, de te scruter comme s'il savait quelque chose. Quelque chose que tu ignorais (que tu ne voulais pas voir). Tu détournes le regard, soudainement gêné. Ses regards qui dévorent ont l'air de chercher une vérité que tu ignores, de chercher des réponses à des questions qui n'ont pas été formulées, que tu n'es pas capable d'entendre. Tout cela t'angoisse, Jasper. Le sentiment impressionnant qui précède la récitation qu'on a oublié d'apprendre. Il va pouvoir le sentir, Vanitas, avec sa main sur ton cœur. Dégluti, nerveux. Pas le genre de nervosité que tu aurais aimé éprouvé aussi près de lui.

— Alors c'est quoi le problème ?

Tu demandes, peut-être un peu trop abrupt. Si tu n'as rien fait, alors pourquoi ces questions ? Ces doutes ? Si tu n'as rien fait pourquoi se regarder avec des reproches muets dans les yeux ? Pourquoi ne pas revenir à la partie précédente : lui contre toi, toi contre lui et le sentiment glorieux que tous ces autres qui peuplent vos vies peuvent bien aller se faire foutre ?

Et soudain plus doux, Vanitas, et tu soupires, tu te soulages. Voilà. C'est mieux comme ça. Arrêtons les mots, arrêtons tout. Revenons a ce qui était plaisant et cessons de nous poser des questions. Tu préfères ça, ta main qui se glisse contre sa nuque (si douce, si chaude) pour venir cueillir plus agréablement sa bouche. Tu préfères ça, le sentir contre toi, sentir avec soulagement le désir revenir, capable d'effacer la nervosité. Tu détestes, quand il s'éloigne de nouveau, parle encore. Tu soupires mais pas d'extase, tu soupires d'agacement.

— Non. Non Vanitas, je ne vois pas ce que tu veux dire.

Pourtant, tu te sens mal à l'aise. L'impression d'être sur le point de mettre le doigt sur quelque chose que tu ne veux pas savoir. Tu le juges, sévère le repousse un peu. Entre amis, on devrait pouvoir communiquer mais tu détestes la frustration que génère son sens affreux du timing. Tu croises, les bras, te ferme. Ce n'est pas à moi de te dire ça, qu'il dit. Tu penses, acide.

Et bien ne le dit pas, embrasse-moi, touche-moi, prends-moi sans me regarder si ça te chante, mais putain tais-toi.

Et ça tombe. Lentement. Pas l'explosion attendue. Mais une goutte, qui vient troubler les eaux lisses, secoué le calme d'onde.

T’as vraiment pas conscience que t’es amoureux d’un autre, Jasper ?

Tu clignes des yeux, abruti. Ton expression décomposée que le déni vient déformer à coup de sourire, de rire nerveux. Ahaha. C'est quoi cette question putain ?

— Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu racontes ?

Tu secoues la tête, passe une main confuse sur ton visage. Ton regard jongle, vif, partout autour de toi sauf vers lui.

— Je n'ai... Je ne suis pas... Ahaha, t'as vraiment des questions étranges.

Déni. Nervosité. Je ne suis pas amoureux, c'est ce que tu allais dire. Pourtant les mots sont figés dans le fond de ta gorge et tu te comportes comme le plus coupable des innocents.

— Je ne comprends pas, qu'est-ce qui te prends ?

Si. Si, quelque part, ça change tout. Oh, tu aimerais bien lui dire le contraire, laisser de nouveau l'envie prendre le dessus, la laisser te noyer de sa douce amnésie. Ce serait plus simple. On pourrait alors reprendre où vous en étiez resté, faire comme-ci (comme toujours) les dernières minutes n'avaient pas existé. Mais voilà, tu ne peux pas, ce n'est pas si simple. Le malaise s'est installé et, même toi, tu ne penses pas être capable de l'y déloger. Ce n'est pas le fait que votre relation ne soit pas sacralisée par les mots amour ou couple (tu ne pourrais pas, tu ne pourras jamais, aucun de vous n'en a le droit, il le sait bien, c'est un luxe qu'aucun de vous deux ne peux se permettre). C'est le fait qu'il te mette en face de choses dont tu comprends être terrifié. Qu'il ai une conscience plus aigue de ce que tu es. Qu'il voit, qu'il sache, ce que toi-même, tu te caches. Qu'il puisse te percer à jour, que ton magnifique déni, tes beaux mensonges, ne fasse pas le poids contre sa clairvoyance. D'ailleurs tu ne demande que bien trop tard comment il en a été capable. Il a fallu qu'il détourne le regard, qu'il le dise pour que tu comprennes. Je suis legilimens, Jasper. Tu retiens ton souffle, laisses le temps à ton esprit qui tangue, bourdonne sous les émotions de comprendre ce qu'implique sa révélation.

Il sait. Il sait parce qu'il a lu. Parce qu'il a vu. Parce qu'il a entendu. Et soudain de te sent nu, fragile. L'idée que quelqu'un puisse avoir accès à tes secrets te terrifie. Mais surtout, qu'il puisse avoir accès à ce que ton déni s'efforce de protéger te glace.

— Putain.

Tu lâches, toi qui gardes le vocabulaire vulgaire muet d'habitude. Tu lâches, autant pour lui que pour toi. Tu fixes tes pieds à défaut de savoir quoi fixer d'autres. Tu le sens se mouvoir, du coin de l'œil tu le vois se poser à côté de toi.

— Je souffre ? Depuis quand je souffre ? Ça n'a aucun sens, Van, si tu ne veux pas que je souffre pourquoi tu m'en parles ?

Et tu comprends, à l'égoïsme de ta phrase, ce qu'il a dû subir tout ce temps. C'est vrai, tu ne lui as jamais dit, que ce n'était pas une coïncidence si tu étais allé le chercher la première fois. Tu ne lui as jamais dit. Peut-être parce que tu t'es trop bien convaincu qu'il n'y avait aucun lien, aucune raison, pour que tu aies décidé d'entamer cette relation.

— Désolé. Ce n'est pas ce que je voulais dire.

Si. Si, totalement. Mais tu es trop lâche pour l'admettre. Tu détournes les yeux, pudique. Vanitas a éventré en deux ton déni. Ce que tu vois au travers de ne te plaît pas. Ce que tu vois au travers, tu sais qu'il va faire horriblement mal. Désirer oui. Aimer. Aimer, ce n'est pas possible. Tu secoues la tête, lutte perdu, alors que ton cœur se serre.

— Tout allait très bien...

Non, rien n'allait en vérité. Pas depuis ce soir-là, pas depuis qu'il t'a quémandé comme ça. Rien n'allait, mais tu avais tout enfermé à double tour, t'avais trop bien maquillé la plaie, à coup de déni, à coup de baisers fiévreux avec Vanitas. Tant et si bien que tu avais fini par oublier, te dire que la plaie n'avait jamais existé. Mais elle existe, toujours à vif. Elle s'est infectée en silence et aujoud'hui le pus coule. Est-ce qu'il l'entend, ça aussi ? Est-ce qu'il le savait depuis le début, ça aussi ?

— Qui ?

Tu souffles, incapable de le regarder. Le déni s'estompe, tu connais déjà la réponse mais tu as besoin qu'il le dise, qu'il t'achève une bonne fois pour toutes.

— Qui est cet autre, Vanitas ?

T'as envie de gerber.

C'est trop dur, ça fait trop mal, d'être mis en face de ses propres failles. Tu as mis tellement d'énergie à fuir, tellement d'énergie à créer un calque mensonger pour embellir la laideur, rendre plus digeste tout le reste. Tu n'es pas prêt. La vérité c'est que tu ne l'aurais jamais été. Si tu secoues la tête comme pour nier c'est pourtant avec de moins en moins d'énergie. Et malgré toute la cruauté de tes demandes tu persistes tu demandes, tendu (suppliant).

— Dis-le.

Une vengeance, perfide, mesquine. Puisqu'il a brisé le déni, puisqu'il a brisé tout court, qu'il assume. Qu'il assume de planter le couteau qu'il a brandi, qu'il assume tout le reste aussi. Tu n'as pas la force de l'épargner, quelque part saigner à deux fait moins mal que de saigner tout seul. Alors quand il prend ta main, tu sursautes. Lève les yeux vers lui. Sa douceur te désarçonne, mais elle n'est que gant de soie pour recouvrir sa main de fer.

— Non !

Abrupte, comme toujours quand il s'agit de Clovis. Un rejet viscéral autant qu'une attirance indéniable. Passé le premier souffle de la peur tu continues, secoue encore la tête, parce que tu ne peux pas considérer l’impensable. Ça ferait trop mal. Ça fait déjà trop mal.

— Non. Et quand bien même il pourrait ça ne servirait un rien. Je ne veux pas de sa pitié et je ne veux pas du reste non plus. Nous ne sommes pas nés dans les bonnes familles pour ce genre de chose.

Tu serres un peu plus sa main, regarde un peu buter le sol alors que ton cœur tambourine plus fort.

— J'ai un rôle à tenir. Je le tiendrai. Pour Evonice, pour lui, pour ma sœur, pour ma famille. Je n'ai pas le choix... Je ne peux pas lui imposer ça. Je me suis trahi tout seul, mais je ne peux pas le trahir lui. Tu comprends ?

Dis-moi que tu comprends ?

Tu relèves les yeux, un peu suppliants. Tu veux qu'il te montre qu'il comprend, que s'il n'approuve peut-être pas, il n'ira rien dire, rien tenter, parce que tu n'as pas le droit d'en demander plus, d'espérer plus. Tu es héritier. Tu as un devoir. Si l'amour le rend plus douloureux encore à accomplir, ce n'est pas le problème de Clovis, ni le sien. C'est le tien. Seulement le tien. Et tu assumeras ce fardeau-là quoi qu'il se passe. Tu viens poser ton front contre son épaule. Lâche, de quémander encore après sa chaleur quand tu viens de l’assassiner sur place.

— Je pensais pouvoir oublier tout ça. Je veux oublier tout ça. Pardonne-moi.