Installé de travers sur l’un des lourds fauteuils rembourrés de la salle commune, Vanitas s’amuse avec sa baguette du bout des doigts.

On tourne, et on abaisse.

Quelques figures de papier qui s’élèvent dans les airs, traversent, traversent jusqu’à terminer dans le feu de cheminée rougeoyant. Il soupire, se passe dans les cheveux une main lasse et fatiguée.

Longue journée.
                   Dure journée, surtout.
Il a vu Jasper, et tout aurait pu très bien se passer, comme d’habitude, s’il n’avait pas eu la bonne idée de l’ouvrir. Mais comment résister ? Le voir souffrir, pour lui, c’en est assez. Trop honnête (égoïste peut-être), Vanitas avait besoin de parler. Il fallait qu’il lève ce voile, une bonne fois pour toutes.

Bonne idée ?
Il ne saurait pas le dire exactement.

Alors il attend.
Les jambes par-dessus l’accoudoir, il a longuement regardé la pièce peu à peu se vider. Jusqu’à ce qu’il soit presque seul avec lui-même, à ressasser la journée. Encore, et encore. Le regard de Jasper, ses yeux voilés d’une tristesse qu’il ne pouvait s’empêcher de ressentir. La résignation, dans ses mots et ses supplications. Son corps contre le sien, à la recherche de réconfort.

Il soupire.

Quand il commence presque à abandonner l’idée d’attendre – car après tout peut-être es-tu déjà monté – le portrait de la grosse dame pivote. Et dans le petit couloir, les pas qui résonnent. Il lève la tête, soulagé quand il te voit apparaître.

- Eh, Clovis !

Il se redresse de façon un peu moins avachie, la baguette toujours entre les doigts. Sa robe est abandonnée sur la table et ses yeux trahissent de la complexité des dernières heures écoulées.
Pour autant, il plaque un large sourire sur ses lèvres, toujours ravi quand vous échangez.

- Est-ce que je peux te parler ?

Il tire un parchemin sur la table, jusqu’ici abandonné sous sa robe de sorcier.

- J’ai besoin d’aide pour un devoir de divination.

Une parfaite excuse pour masquer quelques questions mal placées.

Et comment le lui refuser ?  

ft. @M. Clovis Lestrange | Flashback 2020

A ton expression dépitée, il ne peut pas s’en empêcher. Vanitas rit.
La divination, c’est la matière dans laquelle il est le pire. C’est inné, irrémédiable. Il a beau regarder et regarder ses foutues feuilles de thé, tout ce qu’il voit c’est la vaisselle qu’il faut faire après. Il a beau lorgner dans cette fichue boule de cristal, il a juste l’impression d’un souafle bien lustré.
Une calamité.

Du regard, il t’observe t’installer à ses côtés.

- Je me suis dit que quitte à écrire des conneries, autant qu’elles soient inspirées des meilleurs.

Un clin d’œil, puis ses doigts qui viennent piocher une patacitrouille. Il ne te demande pas vraiment, mais il sait que tu l’autorises. De toute façon, c’est presque tous les soirs que tu reviens avec les poches pleines.

Il pose sa baguette de côté et s’apprête à te lire la consigne de son fichu devoir quand te voilà penché au-dessus de lui.
Ça le fait sourire en coin, cette tendance que t’as à toujours jouer.
Libre,
       sans emprise.
Tu lui montres une personne à laquelle il aimerait ressembler.
Et même si Vanitas prend généralement garde à ne pas faire de vagues en public – on ne sait jamais que son père en entende parler – en privé c’est autre chose.

Il jette un œil alentours, puis glisse un doigt sur ton bras. Taquin.

- Je ne flagorne pas vraiment. Je joins l’utile, il montre son devoir du menton, à l’agréable, terminé en te désignant, toi.

Un sourire. Puis, presque instantanément, il abdique.
Lève les yeux au plafond en poussant un soupir.

- Ok, le devoir c’est une excuse pour être seul avec toi. Il hausse un sourcil. Enfin, non, techniquement c’est pour demain. Mais qui serais-je si je le faisais sérieusement ?

Son regard sur toi, la moue faussement contrite et les yeux qui brillent.

- Tu m’en veux ? Il attrape une friandise qu’il te tend aux lèvres. J’suis juste curieux. Et pour assouvir ma curiosité, je préfère te demander plutôt que m’amuser à…

Il fait un geste vague en direction de ton front.

- Enfin, tu vois.

Tricher.

ft. @M. Clovis Lestrange | Flashback 2020

Il te regarde, un air faussement outré peint sur le visage. Et ça ne dure que quelques secondes avant qu’il ne craque, éclate de rire avec toi. Car c’est de bonne guerre, il l’a bien mérité.

- C’est un réel plaisir de rester indétrôné !

Plaisir qui ne saurait s’éterniser quand d’aventure il sera bien obligé de se démerder pour avoir une note digne de ce nom. Car chez les Cornwell, on n’accepte pas l’échec. On est parmi les meilleurs, question de fierté.

Comme il le regrette, ce monde dans lequel il est né.

La plaisanterie est d’assez courte durée, très vite Vanitas choisit la vérité. Il tourne un peu autour du pot sur ses interrogations, presque amusé de te voir impatient et limite agacé. Quand tes dents se referment sur ses doigts, il vient te les essuyer directement sur la joue.

Puis tu t’échappes.
Froncement des sourcils, Vanitas te regarde composer avec un masque qu’il ne connaît que trop bien. Celui de l’homme qui est à l’aise, celui que rien ne peut ébranler. Pourtant, même sans te lire, il sait que c’est du chiqué.

- Je suis persuadé que tout ce qui est le plus intéressant à propos de Clovis Lestrange n’est pas de notoriété publique.

Un sourire, franc, quand sa joue repose sur la paume de sa main. De l’autre, il balaie le devoir inachevé un peu plus loin. Il était sérieux, quand il parlait de ne pas le faire avec assiduité.
        Il y a bien plus intéressant.
Il y a toi, dont le visage est scruté sans détours par ses yeux gris. Son esprit, qu’il fait tout pour empêcher de te sonder malgré lui.

Et toi, Clovis, tu as des choses à cacher ?

Dans tous les cas, ce n’est pas en trichant qu’il veut le découvrir.

- Alors dis-moi…  Il attrape une nouvelle friandise, un réglisse, qu’il glisse entre ses lèvres. Tu es amoureux de quelqu’un, Clovis ?  

Attrape sa baguette du bout des doigts, pour l’agiter en direction des rares traînards encore présents dans la pièce.

Assurdiato.

- Ne vas pas croire que je te drague, tu aimerais tellement ça que je n'aurais plus de répit... Un clin d’œil amusé. Je me suis toujours demandé s’il y avait quelqu’un.  

Les pieds dans le plat.

Sourire aux lèvres.

ft. @M. Clovis Lestrange | Flashback 2020

L’expression de surprise sur ton visage, ça le ferait presque rire. A quoi tu t’attendais, Clovis ? Une question profonde, peut-être, quelque chose qui te fasse détourner le regard ? Il pourrait t’en poser, tu sais. Il pourrait te demander pourquoi tu ignores ce qui te blesse, pourquoi tu portes un masque et ce qu’il t’amène.
Mais il ne le fait pas, Vanitas. Principe de réciprocité, il n’aimerait pas que tu lui demandes aussi.
Il n’aimerait pas te mentir.

… De quoi ?
Ses sourcils se froncent en te voyant méditer. Il ne s’attendait pas à un tel sérieux de ta part, c’est ça qui le pousse à plaisanter. A se justifier. Son but n’est pas de t’acculer, simplement de savoir. Le buste un peu tendu, quand il prend un nouveau bonbon. Heureusement, tu finis par rire.

Et si tu savais comme il aimerait regarder. Comme il aimerait se glisser dans ta tête, juste un peu, pour voir ce qu’il s’y passe. Vérifier. Tu ne t’en rendrais même pas compte, au fond… Qu’est-ce que ça changerait ?
       Tout.

Il soupire doucement, retrouve son regard malicieux.

- Clovis Lestrange, cet homme qui n’appartient à personne. Il rit. Ça ferait un beau slogan pour le récit de ta vie.

Et il peut le comprendre, ton besoin évident de liberté. La façon dont tu brises tes chaînes, dont tu t’émancipes de ta famille depuis ton arrivée. Vanitas t’admire, pour ça. Il aimerait en être capable, être suffisamment fort pour tenir tête à son père.
Est-ce que tu crois qu’il le pourrait ?

Une légère exclamation perdue quand tu te mets à lui frotter les cheveux. Il se penche un peu en avant, cherchant instinctivement à s’échapper à ta prise. Incapable de s’empêcher de rire, il t’agrippe le poignet pour te faire arrêter.

- T’abuses, ma super coupe de cheveux ! Il secoue la tête pour faire mine de les replacer, puis ses yeux brillants te fixent. Je peux pas faire ça, Clo, on compte sur moi.

Les sourcils qui se haussent à deux reprises, taquin. Puis son index qui se dresse devant ton nez.

- Tu oublies qu’on m’appelle le chercheur de vérité. L’homme capable de pister les secrets et de donner à ses clients des infos tout à fait vérifiées.

Faux.

Ou disons plutôt habilement formulé. Car il est vrai que, de temps en temps, Vanitas s’adonne à de mystérieuses transactions rémunérées.

Il rit en secouant doucement la tête.

- Personne ne fait passer de message, tu crois vraiment que c’est à moi qu’on demanderait ? Tiens, mange un caramel.

Ses doigts qui te fourrent la nouvelle friandise dans la bouche, puis Vanitas se réinstalle correctement sur sa chaise. Son sourire s’étire encore, tu peux facilement deviner ce qui va suivre.

- J’ai une autre question. Son index tapote sur ses lèvres, avant qu’il ne se lance. J’ai bien compris que ce n’était pas encore le cas, mais… Si tu tombais amoureux d’un homme, est-ce que tu refuserais les souhaits de ta famille pour lui ? De te marier, d’avoir des gosses, tout ça.  

ft. @M. Clovis Lestrange | Flashback 2020

Il plisse les yeux, Vanitas, observe ton expression d’un œil amusé. Parce qu’il la connaît, cette arrogance que tu t’amuses à montrer. Il la côtoie, mais à la différence de beaucoup d’autres, il sait qu’il n’y a pas que ça. T’es pas juste ce que tu veux bien montrer, Clovis, et c’est aussi pour ça qu’il t’apprécie.
T’es un peu comme lui.

- Une chaîne YouTube pour emmerder le monde, c’est un concept, j’adhère direct.

Il ne te laisse pas répondre à ses conneries, enchaîne avec ses questions. Parce qu’il n’oublie pas sa raison, la vraie, de venir te parler. Il n’oublie pas le visage désespéré de Jasper, la lueur au fond de ses yeux, les paroles sur ses lèvres et dans sa tête. Ton nom, ton visage, encore, encore, encore. Non que ça le dérange vraiment quand il le touche, quand il l’embrasse, mais il a besoin de savoir.
Curiosité, peut-être, ou y a-t-il autre chose ?

Non…
      Non.

Il fait mine de révérencer quand tu salues sa pertinence. Un jeu, constant, la balle que vous ne cessez de vous renvoyer. Tu commences à répondre et il pose sa mâchoire au creux de sa main. Evidemment, que tu n’es pas fermé à l’idée. Tu te fiches de ce que ta famille pourrait bien demander.

Il t’observe, Vanitas, résiste à l’envie si tentante de s’en donner le cœur net et regarder. Parce que ce serait si simple, si tu pouvais l’aimer, Jasper. S’il devinait des sentiments pour vous combler, alors Vanitas pourrait encore une fois s’ériger comme celui qui a tout arrangé. Celui qui aide, celui qui rend heureux. Et il irait voir Jasper, il irait lui dire de foncer et se laisserait effacer. Il reculerait.

       Vraiment ?

Tu t’agaces, il rit doucement.

- Ne t’énerve pas, Clo, je suis juste curieux.

Les yeux brillants de malice, le sourcil qui se hisse. Au fond, n’est-ce pas aussi de lui que vous êtes en train de parler ? Il ne sait pas, il ne sait plus. Dans les méandres de ces non-dits, il ne voit pas où il se situe.

- … Peut-être. Le coin des lèvres qui s’étire. Tu sais quoi ? Oublie.

Il attrape une dernière friandise qu'il glisse dans la poche de son pantalon. Parce qu'il ne veut pas, Vanitas, il ne se sent pas d'aller sur ce terrain-là. Est-ce que c'est de lui qu'on parle ?

                    N'importe quoi.

Il a eu ses réponses, tu n'es pas amoureux. Pour ce soir, il ne s'amusera pas à vérifier, peut-être même jamais. Il te croit, tu sais ? Quant à Jasper, il fera tout pour l'aider à t'oublier, momentanément au moins, et respirer.

Son corps qui se délie, il se lève de sa chaise et s'étire. Avec ce même sourire que le tien quand tu t'amuses à taquiner, il se penche vers toi et te redresse le menton pour s'approcher.

    Si près.

- Merci pour la discussion, Clovis.

Et qu'il s'approche, encore, jusqu'à ce que vos souffles se mêlent presque. Et qu'il se mordille la lèvre, amusé, au moment de se reculer. Ses doigts qui te relâchent, sa baguette qu'il récupère avant de commencer à s'éloigner.

- Bonne nuit... Il te fait un signe de la main, tourne juste la tête pour t'envoyer un clin d'œil. Ne rêve pas trop de moi.

Et il s'en va, Vanitas.
Peut-être avec encore plus de questions dans la tête.

ft. @M. Clovis Lestrange | Flashback 2020