Assise à son chevet, ta main vient chercher la sienne. Encore sous le choc après ce que tu viens d’entendre, tu trembles de tout ton corps ; incapable de bouger, même un orteil. Tu aurais préféré n’avoir rien entendu, ne rien savoir. Tu n’arrives toujours pas à le réaliser.

C’est bien la première fois que tu regrettes d’avoir des sens aussi développés que les tiens, ceux de ton « espèce » ; ceux d’une dhampire. La faim n’arrange rien, elle ne fait qu’accentuer ton malaise. Tu sens tes forces s’évaporer alors que ton buste tombe en avant, ta tête heurtant la poitrine de ta mère ; allongée, endormie, paisible.

Le silence brisé par le bip métronome du scope : le rythme est stable. Tu finis par ne plus l’entendre, à mesure que tu enfonces ton visage pour cacher tes pleurs.

─ Lo siento, mama. Lo siento.

Le facies enfoui, la peine et la rage qui ravagent ton estomac, tu ne sens pas cette présence qui s’invite dans la pièce, jusqu’à ce qu’une main se pose sur ton épaule.

─ Feliz cumpleaños, mi hija.

Tu te demandes qui est assez fou pour te déranger alors que tu as fait comprendre à l’infirmière et au flic que tu veux être seule. Tu veux attraper cette main pour briser le bras auquel elle est attachée, mais tu n’es pas assez rapide. Non, c’est l’autre qui est plus vif. Et ça change tout. Tu sais à qui tu as à faire.

─ Dégage, connard.
─ Comment va ta mère ?
─ Mort cérébrale. Elle ne se réveillera pas. J’ai entendu l’infirmière et le flic discuter, ils pensaient que je ne pouvais pas les entendre.

Tes sens exacerbés que tu utilises depuis toute petite, t'en servant uniquement pour combler tes propres desseins. Gamine, pour écouter les conversations de ta mère avec ton beau-père, son utilisation a perdu de son innocence avec le temps... ta force et tes sens, sont là pour dominer les autres.

─ Une sorcière normale ne le pourrait pas. Mais toi, tu es spéciale, mi hija. Tu as mon sang qui coule dans tes veines.

Tu n’as jamais pu le supporter. Sa présence te débecte. Ton père, le vampire, l’être millénaire comme il s’affuble lui-même. Tu es même surprise qu’il mentionne ta mère, l’humaine, la moldue, lui qui n’a jamais été là pour elle ; pour toi aussi.

─ T’attends même pas que son cadavre refroidisse pour venir me faire chier. Qu’est-ce que tu veux ?
─ Votre mortalité est un inconvénient, mais… je ne suis pas à blâmer pour ça. Il est trop tard pour elle, mais pas pour toi. Ton humanité te tire vers les abysses, ma fille. Tu ne voudrais pas t’en débarrasser ? Cette moitié de toi ne te sied pas, tu n’es pas d’accord ?

Il ne faut pas longtemps pour répondre, malgré l’inexpérience de ta vingtaine, tu sais ce que tu veux, tu sais ce que tu es. Cette humanité en toi, tu la décris comme ça :

─ Je déteste ça. Marcher sous le même astre qu’eux, manger leur nourriture, partager leurs émotions, leur mortalité. Cette part d’eux en moi me dégoûte, je veux m’en débarrasser, la tuer.

Mentir à ton père est une chose, te mentir à toi-même en est une autre. Ce que tu ressens est bien plus nébuleux que cette vérité opaque que tu cherches par tous les moyens à lui vendre. Tu n’oublies pas que dans cette part de toi, il y a elle : ta mère. Tu peux le nier autant que tu le veux, la vérité c’est que tu l’aimes plus que tout au monde ; tu souffres le martyre parce que tu n’as pas pu la protéger. Ne te reste que le déni… puis la vengeance.

─ Tu détestes les humains tant que ça ?
─ Non… pas tous. Mais ceux qui lui ont fait ça… oui.

Car la conversation que tu as surprise ne relate pas seulement de l’état de ta génitrice, mais des circonstances. La fusillade dans ton quartier, les deux gangs rivaux qui s’affrontaient. Le policier qui est venu recueillir ton témoignage est bavard avec sa petite amie l’infirmière. Parler à voix basse n’est pas suffisant.

Tu sais qu’il y a deux membres blessés quelque part dans cet hôpital. Tu peux les retrouver, les faire parler… personne ne pourra t’en empêcher.

─ Je ne sais pas quoi faire…
Quelque part en toi, porte l’espoir que ton père te dissuade, il n’en est rien. Il vient de nouveau poser la main sur ton épaule, puis te libère de ces liens qui te lient à elle d’un murmure :
─ Tu n’es pas humaine, Nina. Tu es un monstre, comme moi. Ne ressens pas de pitié pour eux, ils n’en ont pas ressenti pour ta mère. Ne regarde plus en arrière. Si tu veux les tuer, tue-les. Si tu veux réduire le monde en cendres, alors brûle-tout.

C’est comme s’il avait appuyé sur un interrupteur, comme s’il avait déclenché une bombe. Manipulée par un monstre qui n’a jamais voulu de toi comme tu es, tu as bu ses paroles comme une gorgée d’un sang délicieux.

Tu sèches tes larmes, poses un dernier baiser sur le front de ta mère.

─ Vaya con dios, mama.

Ta résolution prise. Tu penses te débarrasser totalement de ton humanité, tu penses devenir ce que ton père veut de toi.

Tu es une dhampire à l’appétit plus vorace que tes congénères, impulsive, violente ; tu t’affames volontairement pour avoir ce plaisir de te nourrir jusqu’à ce que ta victime soit trop faible pour lutter, qu’elle soit à ta merci. Cette société humaine, moldue ou sorcière, qui te rejette si tu ne te conformes pas à leurs idées et leurs règles, tu l’exècres et la défis.

Tu veux tuer cette part d’eux en toi, car l’être qui te reliait à elle n’est plus. Ne te reste plus que ce père… qui te veut comme il l’imagine. Il ne te reste plus que lui, alors ce n’est pas si grave d’abandonner le reste, pas vrai ?

Née dans le sang, grandie dans le sang, tu mourras dans le sang… ou tu t’immortaliseras grâce à lui.