Tu n'avais rien voulu entendre. Aux craintes de ton mari, tu avais imposé l'argument suivant : c'est pas en laissant les autres régler ses problèmes qu'il apprendra à se débrouiller seul. Tu étais furieux. Des gamins de merde avaient harcelé ton môme. Ton fils. Ton sang. T'avais pris Ulysse et Cillian à part. Tu voulais les noms, la profession des parents, tout ce qui peut être utile. Évidemment, Mladen n'avait pas voulu l'ouvrir, heureusement pour toi ta fille était du genre observatrice. Demander à ton fils aîné d'aller régler les problèmes de ton cadet aurait été une solution facile. Mais tu avais peur pour Mladen, sincèrement peur. Tu le trouvais trop fragile et trop peu armé pour faire face à la vie. Il devait s'endurcir, c'est pour cette raison que tu l'avais embarqué avec toi campé deux jours.

Ce fut catastrophique.

— Putain, Mladen ralenti.

Tu vois ses épaules se contracter, mais il ne ralentit pas. Le domaine est tout proche et t'es pas sourd au fait qu'il se retient de pleurer depuis une bonne heure maintenant. Il avait pleuré la veille aussi. Rien de ce que tu as pu lui dire ou de ce que tu as essayé de lui transmettre n'a trouvé écho chez lui. Tu ne voulais pas l'engueuler, mais il restait hermétique, tendu, comme-ci à tout moment tu pouvais lui coller une balle dans la tempe. T'avais l'impression d'être un tortionnaire et tu détestais l'idée d'être un bourreau pour ton fils. Pourquoi ne comprenait-il pas que tu étais là pour l'aider ? Pourquoi il se braque alors que tu l'as jamais frappé ? Tu claques ta langue contre ton palais. Ton fils (le portrait craché d'Ezra) déboule dans le cours puis franchit la porte d'entrée. Tu l'entends répondre à son père puis claqué la porte. Tu passes la porte à ton tour, Ezra t'engueule déjà, t'as même pas eu le temps de retirer tes pompes.

— Oh ta gueule Ezra, j'suis pas d'humeur.

Tu lui jettes ton sac et lui fait signe d'aller voir ailleurs si tu y es. Tu retires tes chaussures, pause ta veste et presque immédiatement tu te diriges vers le mini-bar pour te descendre une bière. T'es frustré. Furieux. Tu sens que ça peut partir et Ezra te cherche. Putain il va te trouver.

— Et c'était quoi ta solution spèce de tafiole ?! Lui embrasser la tempe et le faire dormir entre nous comme quand il avait un an ? Putain Ezra il se fait harceler HARCELER !

Tu claques la porte du mini-bar si fort que ça le fait dangereusement trembler. Tu décapsules ta bière d'un geste rageur.

— Quoi ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?

Ça te tend, ça te tend, ça te tend.

— Arrête de me regarder comme ton fils me regarde.

Tu sers le poing, maintenant que les enfants sont grands, tu fais de ton mieux pour surveiller ton langage et maîtriser tes excès de colère mais ton mari ne fait rien pour t'aider.

— Me chauffe pas Ezra.

C'est un avertissement.

— Mon fils se fait harceler, j'essaye de l'aider. Il est totalement démuni face à la violence et c'est ta faute, à le traiter comme une princesse, il est devenu incapable de régler ses problèmes. Ulysse lui, les rares qui ont essayé de l'emmerder ne l'ont pas fait deux fois.

Tu ne comprends pas son point de vue, pas plus qu'il ne comprend le tien. Vos deux visions se heurtent l'une à l'autre et, comme à chaque fois, n'en résulte qu'une explosion. La bière à la main tu secoues la tête. Tu réagis à son argumentaire à coup de yeux qui roulent et de soupir méprisant. Tu portes la bière à ta bouche, fronces les sourcils en constatant que c'est de l'eau.

— Putain Ezra !

Tu jettes ta bière sur le sol. Tu as horreur qu'il fasse ça, qu'il te materne, comme-ci t'étais un gros alcoolique prêt à frapper à la moindre goutte d'alcool.

— Lâche ma veste putain !

Tu rouvres le mini-bar et te sors une nouvelle bière. Tu le défies du regard de te la faire à l'envers de nouveau et bois une gorgée.

— T'as été harcelé et donc ? C'est justement parce que tu l'as été que tu devrais me comprendre !

Tu t'approches de lui, pointe un de tes doigts que tu viens marteler sur son torse.

— Ils ont fait quoi tes putain de profs pour t'aider ? Tes potes ? Le reste du monde ? Ils ont réglé la situation ? Non ! J'étais à Poudlard, j'ai vu. Ezra Strauss on en parlait comme d'une putain de victime et d'une chialeuse ! T'sais pourquoi on t'as moins cassé les couilles à une période ? Parce que je suis venu donner l'exemple. Et si j'avais pas été transformé j'aurai eu le temps d'aller tous leur refaire le portrait pour que tu sois plus jamais emmerdé.

Tu descends encore un peu de ta bière, cette fois-ci en regardant bien Ezra dans les yeux en guise de provocation.

— Ton plan c'est d'abrutir notre fils en lui faisant croire que n'importe qui pourra régler ses problèmes à sa place mais c'est de la merde ça Ezra ! Mladen se complet dans son rôle de victime à cause de tes conneries sur la sensibilité et toute cette merde !

Tu colles ton front en sien, deux titans qui se dressent. Tu appuies chacun de tes mots.

— Je refuse de voir mon fils souffrir à cause d'une bande de connards. On s'en prend pas à mes gosses, on s'en prend pas aux Strauss. C'est clair ?

Tu ne comprends pas qu'il ne puisse pas comprendre. Tu veux que Mladen puisse être libre et épanouie. Et tu ne comprends pas qu'Ezra n'accepte pas que, pour ça, il faut qu'il soit armé jusqu'aux dents.

— La vie, c'est la jungle Ezra.

Et tu ne seras pas toujours là pour protéger ton cadet. T'as déjà trop à faire pour protéger son père.

Vos disputes ont toujours le même effet sur toi. Tu retiens les anciens réflexes. Tu ne veux pas soulever ton mari par le col en présence de vos enfants, tu ne veux pas donner à Ezra et Mladen raisons de te voir comme une bête.

— Tu commences doucement à me péter les couilles, Ezra. Ne me mets pas en colère...

Tu souffles contre son visage.

— Parce que sinon...

C'est à ce moment-là que Cillian débarque. Tu t'éloignes de ton mari. Tu n'es pas objectif sur ta fille. À tes yeux, elle n'a aucun défaut. Bien plus sage que ses frères, bien plus juste, intelligente. C'est ta princesse et à ce titre elle a tous les passe-droits du monde. En grandissant, Cillian a compris ce que son père s'évertuait à ne pas comprendre. Il suffisait de te donner ce que tu voulais pour obtenir de toi tout ce qu'on désirait. Elle explique le contexte du début du harcèlement de votre fils. En entendant que Mladen s'était défendu, tu descends immédiatement en tension. Tu tournes la tête vers Ezra, c'est comme-ci la colère n'avait jamais été là.

— Il s'est défendu, tu as entendu ?

Tu te sens fier, rassuré. Ton fils est bien ton fils. Il fait face à l'adversité. Il a été brave, courageux, plein d'initiative ! Tu hoches la tête, comme pour approuver en silence la réaction de ton cadet.

— Ils n'en valent pas la peine, il n'empêche que ça lui pèse et que ces petits merdeux n'ont pas compris à qui ils avaient à faire. Tss.

Tu sembles réfléchir quelques secondes avant de lever la tête vers ta fille.

— Balance les noms, je vais voir ce que font les parents de ces deux trous du cul.

Tu tournes la tête vers ton mari, pour la première fois depuis que vous êtes rentré tu sembles disposé à prendre en compte son opinion. Il n'aura fallu que ta fille pour te pousser à la discussion.

— Qu'est-ce que tu suggères ? Qu'on confronte les parents avec Mladen ? J'suis toujours persuadé qu'il doit prendre part à la solution du problème sinon il ne se fera pas respec-

— AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH

La voix d'Ulysse résonne dans toute la maison. Un cri de douleur comme jamais tu n'en avais entendu.

Tu sais reconnaître un cri de douleur quand tu en entends un. Plus que ça, tu connais Ulysse par cœur. C'est avec lui que tu partages le plus, car c'est celui qui te ressemble le plus. Ce cri-là est inédit. Ton fils à mal et c'est une douleur qu'il ne s'était pas préparée à encaisser. Tu ordonnes à Cillian de rester ici mais, évidemment, ta fille ne t'écoute pas. Tu montes derrière Ezra pour te précipiter dans la chambre de Mladen. Tu y découvres Ulysse se tenant à la commode, un ciseau planté dans la jambe et Mladen dans une transe que tu ne reconnais que trop bien. C'est étrange, c'est en le voyant dans cet état de déferlement cru et brutal d'émotion que tu te sens le plus proche de lui.

Ton regard passe de ton cadet à ton aîné. Ezra panique, Cillian étouffe un cri. Tu restes incroyablement passif quelques secondes, jusqu'à ce que Mladen tente de s'enfuir. Et dans un réflexe que tu n'as eu que très peu pour lui, tu l'attrapes par le bras pour le ramener à toi et le serrer dans tes bras.

— C'est bon, fils, c'est bon. Tout va bien.

Tu poses une main sur le crâne de ton cadet et lui tapote doucement le dos. C'est un ciseau qu'il vient de planter dans la jambe de son frère, pourtant tu le consoles comme-ci il venait se plaindre d'un simple cauchemar. Ulysse reste la bouche ouverte une seconde avant de crier.

— C'EST PAS BON CET ENCULE M'A PLAN-
— Et c'est mérité, Ulysse.

L'adolescent en reste bouche bée.

— T'as été assez con pour le pousser à bout. Il y a une différence entre astiquer quelqu'un et lui faire péter un plomb. T'as pas su dosé, t'as payé, que ça te serve de leçon.

Ulysse regarde Ezra, l'air de demander du secours. C'est peut-être la première fois que tu prends le parti de Mladen. Ulysse a toujours été celui que tu validais.

— Que ça vous plaise ou non, nous sommes une famille. On peut se foutre sur la gueule, s'engueuler, pas de soucis. Mais quand y a une emmerde, on fait front commun, Ulysse. Là, ton frère paye son courage. T'aurais dû le soutenir, t'as été stupide.
— IL M'A PLANTE UN CISEAU DANS LA JAMBE ! PAPA DIT QUELQUE CHOSE ?!

Tu tapotes une dernière fois le dos de Mladen et indiques à Cillian de prendre en charge son frère. Cette dernière passe un bras confus autour des épaules de Mladen. Elle ne semble pas vraiment comprendre les événements. Tu lances un regard vers Ezra, l'air de lui dire "quoi ? j'ai tort ?" et tu t'agenouilles à côté de lui, face à la blessure de ton fils.

Ton discours ne te semble pas déconnant. Pour toi, il est même d'une logique implacable et quand Ezra te punit du regard tu lui renvoi une franche et presque innocente incompréhension. Tu lances un regard à ta fille, soupir en voyant la situation dégénérée de nouveau. Mladen répond à son père, tente de s'enfuir dans le couloir et Ezra vient à sa suite en traînant Ulysse. Tu restes quelques secondes dans la chambre, secoues la tête en regardant ta fille.

— Si tout le monde pouvait être aussi sage que toi, ma puce.

Tu tapotes avec affection le haut de son crâne avant de sortir dans le couloir.

— Bon... TEMPS MORT !

Ulysse se fige. Tu t'avances vers tes fils et sans prévenir leur assène une claque derrière le crâne.

— Ça c'est pour avoir été con et ça c'est pour avoir répondu à ton père.

Tu regardes Ezra.

— J'approuve pas la "violence", j'dis juste que y a un temps pour tout, Ez. Si la vie nous a appris un truc, chéri, c'est que notre famille est la seule chose sur laquelle on peut compter.

Et par notre, tu sais très bien qu'il a compris ce que tu voulais dire. Vous deux. Vous cinq. Vous êtes un clan. Tu les aimes et tu dépends d'eux. Ils sont vous, vos extensions, le fruit de votre travail. Vous êtes une meute. Une seule et même entité. Tu n'as pas conscience d'aimer à la folie tes enfants parce qu'ils t'appartiennent. Tu poses un doigt sur la poitrine d'Ulysse, un autre sur celle de Mladen et tu appuies

— Et j'aimerais bien que ce soit rentré dans vos crânes bande de petits merdeux. À l'extérieur, VOUS ne pouvez compter que sur l'autre, C'EST CLAIR ? Vous êtes frères putain ! Vous percutez pas la chance que c'est ?!

Tu attrapes tes fils par la tête et te penches vers eux pour les regarder tout deux droits dans les yeux.

— Vous devez vous montrer solidaire. Le monde pu, des connards comme t'en subits, Mladen, vous n'allez rencontrer que ça. Jouez-la vous solo et vous allez vous faire détruire, parce qu'on tombe toujours sur plus fort que soit, tu captes Ulysse ?

Tes doigts dans leurs cheveux ça serre.

— Alors arrêtez de faire de la merde et agissez en équipe parce que votre père et moi on ne sera pas toujours là pour vous torcher le cul comme on le fait aujourd'hui.

Tu les lâches, fait signe à Cillian pour qu'elle vienne se ranger à côté de toi.

— Excusez-vous auprès de votre père et dites vous un truc gentil, allez j’attends.