Tu n'avais pas le choix. Une vieille maxime de ton père t'était revenu en mémoire peu avant que tu ne convoques Oswin et tes généraux et que tu ne donnes l'ordre. Quoi qu'il arrive, le travail doit être fait. Ça t'avait surpris, réentendre sa voix, être confronté de nouveau à un fantôme enterré dans le jardin probablement délabré d'une maison dans laquelle tu n'avais plus mis les pieds depuis des décennies. Tu t'étais replongé dans le peu que tu avais pu sauver de ton ancienne vie. Et tu avais beau t'appeler Strauss aujourd'hui, tu avais beau être père, tu avais beau t'être officiellement détaché des tiens : dans le fond, tu n'en restais pas moins un fervent fidèle des valeurs et traditions Priest.

Ce qui avait achevé de te mettre d'accord, c'est l'arrivée de votre horizon d'un concurrent sans précédent. Un truand qui, contrairement aux petites bottes écrasées jusque-là, ne limitait pas ses vengeances à toi ou tes hommes. Le genre de type qui prenait le mot famille au sérieux puisqu'il avait une femme et des enfants, lui aussi. Un homme qui savait donc que pour faire tomber un empire, s'en prendre au roi n'était pas toujours le plus efficace. Tu avais compris en le rencontrant qu'il allait falloir conditionner les tiens. Les enfants étant trop jeunes, encore, tu allais commencer par Ezra.

Le regard sombre, tu attends de l'autre côté d'un mur de la cave, dans une petite salle dérobée. Tu avais racheté la propriété où tu t'es marié et avais aménagé cette seconde résidence pour répondre à tes attentes. Dans la cave, tu avais fait construire une sorte de refuge dont Ezra ignorait pour le moment tout. Cette pièce qui devait servir à mettre en sécurité tes trois enfants et ton mari en cas de problème était pour l'heure rempli d'un dispositif informatique te permettant de voir et d'entendre ce qu'il se passait dans la pièce d'à côté. Tu as équipé tes hommes en conséquence de sorte à pouvoir communiquer avec eux et transmettre tes consignes. Tu avais tout prévu. Ezra était parti en balade à cheval et toi tu étais censé être parti pour la nuit pour assister à une réunion importante avec tous les grands noms de ton "clan". Ce que tu allais faire subir à ton mari était un test. Tes enfants étaient gérés par les nourrices dans les étages de l'immense manoir.

— Monsieur Strauss, votre mari revient !

Tu te lèves de ta chaise et croises les bras sur ton torse.

— Très bien, commençons.

**

— C'est le signal, tenez-vous prêt !

Ezra arrive au loin. Des hommes en tenue sombres attentent tapient dans l'ombre. Pour tromper les sens du vampire qu'ils doivent surprendre, ils se sont équipés. Ils attendent patiemment que leur proie se présente à la petite porte proche des écuries et soudain il attaque. Ils sont quatre. Un des hommes saute hors de sa cachette pour lancé un incarcerem tandis qu'un autre fond sur Ezra pour plaquer sa main devant sa bouche et pointer sa baguette sur sa tempe.

— Un cri et je te tue.

Il attend quelques secondes avant de poursuivre.

— Ezra Strauss ? On doit discuter toi et moi. De ton mec, de ton boss... Il n'est pas là ce soir, n'est-ce pas ? Ouais, c'est bien ce que je pensais. On va aller discuter dans un coin tranquille. T'as une cave ?

Le troisième homme entre discrètement par la porte. En haut on entend les cris d'Ulysse visiblement occupé à détruire une construction quelconque. Cillian éclate en sanglots.

— Hé, y a des gosses à l'étage !

Ce qui semble être le chef de la bande sourit et glisse à l'oreille d'Ezra, tout en appuyant sa baguette un peu plus fort contre la tempe d'Ezra.

— Vous deux, restez à l'entrée. Bougez pas. Alors Strauss, cette cave, ça vient ? J'ai pas toute la soirée.

Il attend qu'Ezra lui pointe la direction du doigt pour le faire avancer.

Ezra hurle, mord à l’hameçon. Tes hommes l'avaient anticipé car tu le leur avais dit. "Utilisez les enfants, il faut le pousser à bout". Sans doute était-ce cruel, mais l'enjeu était trop important. Ezra désigne une des deux entrées menant à la cave. D'un signe de tête, le leader indique à l'homme censé resté avec lui d'ouvrir la voix. Ce dernier descend les marches et passes la porte pour faire le tour de la cave et vérifié les accès. Il revient très peu de temps après et d'un signe de tête, il indique.

— C'est clear, allons y.

Alors le leader pousse Ezra et le fait entrer dans la cave avant de refermer la porte derrière lui. Le second homme tire une chaise pour la mettre au centre de la cave. On pousse Ezra dessus.

— Assis toi !

La baguette toujours pointée dans sa direction, l'autre homme en profite pour bloquer Ezra en attachant solidement ses mains aux accoudoirs et ses pieds au pied de la chaise. Une fois les liens vérifiés, le Leader abaisse sa baguette. Toi, t'en perds pas une miette.

— Jolie baraque. Faut croire que le business du loup-garou rapporte. Mais y a si peu de surveillance... T'as aucune idée d'à quel point ça a été facile de venir.

Dans ta salle, tu souffles du nez. Instaurez la peur, tes hommes savaient bien le faire. Le leader commence à tourner autour de la chaise.

— J'ai pas l'intention de tuer... C'est pas ta tête que mon patron demande, mais celle de ton mec. Parait qu'il est pas là ce soir, une grosse réunion c'est ça ? Ouais, on a nos infos...

Il continue son petit manège en s'approchant d'Ezra et en s’accroupissant devant lui pour être à hauteur de ses genoux. Doucement, il vient pianoter sur sa cuisse.

— T'vois, le type pour qui je travaille, il voudrait bien s'inviter à cette petite réunion... Tout ce qui lui manque, c'est l'adresse. Et tu dois la savoir, non ?

Il se relève, tourne autour de la chaise pour se glisser dans le dos d'Ezra et passer sa main sur ses épaules.

— Dis la moi.

Le ton n'a plus rien de sympathique.

Devant l'écran de l'ordinateur, tu observes la scène. Tes hommes se donnent, ça mériterait presque une juste récompense. Mais ce qui intéressement, c'est la réaction d'Ezra. Ton mari est sous-tension et prétexte ne rien savoir. Tu fronces les sourcils, il détourne le regard, se fait coupable. Tu ne peux pas t'arrêter là. Un de tes hauts gradés t’interroge du regard. Tu appuies sur l'oreillette coincée dans ton oreille et balance d'une fois lourde.

— Insiste.

À la caméra, tu vois l'homme appuyer sur les épaules d'Ezra, l'air déçu.

— Quelque chose me dit que tu mens.

Tu le vois presser les épaules d'Ezra, tu sais qu'il cherche à lui faire mal. Il revient face à ton mari, gronde un peu plus énervé.

— Je n'ai pas toute la journée.

Tu appuies de nouveau sur l'oreillette.

— ... Frappe-le.

Pendant une seconde il ne se passe rien. L'ordre a dû surprendre, tu es connu pour être protecteur à outrance avec lui. Mais la seconde d'après, l'homme gifle Ezra avec force avant de hurler.

— J'AI PAS TOUTE LA JOURNÉE J'AI DIT !

Il s'approche et appuie sa baguette sous le menton d'Ezra.

— Tu sais où ton mari est ! Tu as l'info, crache-la !

Tu appuies.

— Fais lui peur. Implique les enfants.

Là encore, une seconde d'hésitation. Ton gradé se racle la gorge.

— Monsieur-
— J'ai dit, implique les enfants.

Alors, face à Ezra, l'homme se redresse et soupir.

— Très bien, tu ne me laisses pas le choix.

Il sort de sa poche un pinneaple et passe un coup de fil.

— Montez et ramenez-moi les mômes.

— Patron-
— Continue, il est proche de craquer.

Ton gradé semble mal à l'aise mais c'est un mal nécessaire. Tu connais Ezra. Tu voudrais te tromper et le voir suffisamment digne et fort, mais tu connais son cœur tendre. Il va finir par vendre la mèche, ne serait-ce que pour sauver vos enfants. Entre ta vie et celle de vos gosses, tu sais quel sera son choix. Mais ce n'est pas bien. Tu as besoin qu'il s’endurcisse pour votre sécurité à tous. En cédant il ne leur rend pas service, à vos enfants.

De son côté, ton homme de main secoue la tête comme déçu de la réponse fournie par ton mari.

— Tu mens et on le sait, tu tiens vraiment plus à ton mec qu'à tes gosses ? Bon, par lequel on commence ?

Il semble écouter quelque chose qu'on lui dit au téléphone avant de hocher la tête.

— Hmm... T'as une jolie petite de fille à ce qui parait. Et... Un bébé, oh bah dit donc ça carbure chez vous !

Il part dans un rire sonore et semble enfin se décider.

— Isole le blondinet.

Il se tourne vers Ezra.

— Tu as dix secondes pour balancer le lieu avant que je ne fasse sauter le crâne de ton fils.

Et il commence le décompte.

— Dix. Neuf. Huit. Sept. Six. Cinq. Quatre...

Tu comptes les secondes en même temps que le décompte. Tu sens Ezra lutter mais l'issue est évidente. Alors quand il finit par céder c'est sa surprise. Tu soupires. Pour la première fois depuis le début de cet exercice, l'homme de main en face d'Ezra lève la tête vers le coin de la pièce une caméra se fait enfin voir. Tu appuies sur l'oreillette.

— Arrêtez.

L'homme hoche de la tête à la caméra et lève sa baguette pour lever le sort qui retenait Ezra. L'homme vient enfin se mettre un peu de côté et ranger ses mains derrière le dos alors que ses collègues viennent se ranger à côté de lui et adopter la même position. Puis enfin, tu sors. Tu as le pas lourd et le dos droit. Tu plisses les yeux face à tes hommes.

— C'était du bon travail.

Tous hochent la tête avec respect avant de murmurer un bref remerciement. Puis tu te plantes devant Ezra avec autorité tu lui assènes.

— Reste assis.

Tu le toises de haut, le regard emprunt de déception. Puis tu finis par soupirer.

— C'était à prévoir mais je devais en avoir le cœur net. Tu as tenu assez longtemps, ceci dit.

Tu claques des doigts et un de tes hommes s'empressent de t'apporter une chaise. Tu t'y assois et t'y installes.

— Les enfants vont bien, ils jouent à l'étage et ne se sont rendu compte de rien, tu peux t'apaiser.

Pourtant quand tu le regardes ce n'est ni dans la compassion et la tendresse. On pourrait même croire que tu attends des excuses.

Tu secoues la tête, comme gêné que ton mari se permette de se donner en spectacle devant tes hommes. C'est pourtant toi qui te permets de déborder et de laisser tes émotions te gangrener. Étrangement, quand c'est toi ce n'est pas gênant.

— Je t'ai testé, nuance. Et tu as échoué.

En même temps comment aurait-il pu réussir. Tu grimaces en l'entendant hurler. Sa voix perchée agresse tes oreilles alors que le stress pré-lunaire rend tes sens plus aiguisés. Tes hommes, eux, ne bougent pas. Les ordres d'Ezra n'appellent à aucune exécution. Tu finis par leur désigner la porte d'un geste du menton et tous quittent la cave sans bruit.

— T'as flippé ? C'est très bien.

Tu te lèves de ta chaise en t'appuyant sur tes genoux.

— Si tu ne veux pas connaître ça de nouveau, je te conseille d'arrêter d'être une lopette et de devenir solide. Je n'ai pas épousé une danseuse de ballet.

Tu fais tourner l'alliance à ton doigt. Tu l'aimes, une partie de toi comprend s'en choix mais tu lui en veux d'être faible, lui en veut d'être l'humain que tu l'as forcé à l'être. La peur qu'ils deviennent des cibles te pousse à profondément haïr ce que tu les as encouragé à tous de devenir. Tu fronces les sourcils et te sors une clope que tu allumes d'un geste rapide. Tu tires une première bouffée.

— Si on comprend que mon mari est une tafiole, nos ennemis accourront pour s'en prendre à toi. C'est pas mon business qui met nos enfants en danger, Ezra. C'est ta toi et ta faiblesse.

Tu tires une nouvelle bouffée puis tu t’accroupis pour lui souffler au visage et pointer ta cigarette dans sa direction.

— Tu comprends ? Je ferai tout ce qu'il faut pour que jamais il n'arrive quelque chose à notre famille mais toi, Ezra, tu dois être à la hauteur. Et tu ne l'as pas été.

Tu grimaces, comme dégoûté.

— Tu chialais déjà avant même que je ne donne l'ordre qu'on menace Ulysse. Tu leur a montré dès les premières secondes que t'étais faible, manipulable. T'as détourné le regard comme une PUTAIN de demoiselle en détresse !

Tu craches à ses pieds.

— T'as pas été digne, à aucun moment. C'est affligeant.

Et évidemment, il faut qu'il crie. Évidemment, il faut que ce soit toi. Le malade, le taré. Tu finis par t'agacer et tires sur ta clope avant de l'écraser contre le sol. Il met ta patience à rude épreuve. T'es déjà sous tension et tu n'es pas réputé pour garder ton calme longtemps. Tu secoues la tête et balayes ses mots d'un revers de la main. Tu sens la colère monter, ta mâchoire se contracter.

JE NE SUIS PAS TOI

— ET C'EST BIEN LÀ LE PROBLÈME !

Tu as hurlé ça avec une telle force que t'en fais trembler les murs. Tes yeux lancent des éclairs et tu t'approches pour lui hurler dessus en martelant ton doigt contre sa poitrine.

— DIX ANS QUE JE JOUE LES SUGAR DADDY À T'ACHETER CE QUE TU VEUX TON CHEVAL, TA CABANE, TA PUTAIN DE LIBERTÉ PARCE QUE T'ES UNE LOPETTE INCAPABLE DE PAS BAISSER LES YEUX !

Il te dégoûte. Lorsqu'il est comme ça, à te renvoyer tes propres contradictions et cette humanité qui te manque mais dont tu chéris l'absence, il te dégoûte.

— Je te juge parce que j'ai le droit, parce que tu le mérites. T'AS CRAQUÉ ! T'as préféré me vendre que d'encaisser et ça, à la limite, je peux le comprendre, c'est nos enfants... Mais tu l'as fait en chialant comme une pucelle, t'étais misérable ! TU ES MON MARI, MA PROPRIÉTÉ, MON TROPHÉE ! ET TU LÈCHES LE SOL COMME UNE PUTE SOUMISE ÇA ME DÉGOÛTE !

Tu reviens vers lui et tu lui saisis le menton pour l'enfoncer au fond de sa chaise.

— Tu ne dois pas baisser les yeux, jamais, pas devant qui que ce soit d'autre que moi ! Tu dois être fort ! FORT !

Ton torse se soulève puissamment sous la force de ta respiration. Tu t'éloignes et sors ta baguette pour lancer l'un des seuls sorts que tu maîtrises bien : l'incarcerem.

— T'es pas moi, mais je te garantis que tu vas apprendre à le devenir un minimum. Tu veux voir nos enfants ? Te tenir à mes côtés ? Commence par apprendre à te débrouiller tout seul. Ton éducation commence maintenant.

Tu étais resté sourd à ses cris et avais claqué la porte pour constater avec soulagement qu'à mesure que tu t'éloignais, tu arrivais à faire abstraction de sa présence. Tu avais le cœur lourd, mais pas tant de tristesse que d'une profonde frustration. Une dispute avec Ezra était la dernière chose dont tu avais besoin. Tu étais sous pression. Pour faire passer la pilule amère de cette expérience, tu étais allé te servir un verre. Mais l'alcool n'avait jamais eu la capacité de combler tes vides ou d'apaiser tes tempêtes. Alors comme à chaque fois tu vas à la recherche du contact. Tu montes voir tes enfants.

D'un geste sec tu congédies les bonnes d'une main. Elles savent que tu n'aimes pas voir traîner les choses alors elles décampent rapidement. Ulysse du haut de ses trois ans avance vers toi en tendant les bras, suivit de Cillian qui, elle décide de ramper comme-ci marcher lui était trop fatigant. Tu les soulèves l'un et l'autre et viens leur planter un baiser sur le front avant de les serrer l'un et l'autre.

— Mes amours.

Peut-être un peu par revanche, tu ne te sépares plus de tes trois enfants jusqu'à ce qu'Ezra remonte. Tu as horreur de te dire que tu es un mauvais père. Horreur qu'Ezra puisse sous-entendre que tu ne les aimes pas tous les trois follement. Mladen dans un bras tu as du mal à lire l'histoire entre Ulysse qui s'obstine à tourner les pages sans attendre et Cillian se pend à ton bras libre comme si sa vie en dépendait. Le petit garçon gesticule et geint comme-ci il hésitait à pleurer. C'est toujours comme ça. Dans les bras d'Ezra il dort comme une souche, dans les tiens il gesticule. Tu le berces maladroitement en murmurant des "pleure pas, bonhomme". Quand Ezra franchit la porte du salon tu ne le regardes pas. Cillian tire sur ton bras et pointe son autre père du doigt.

— PA ! PA !

Tu consens enfin à le regarder. Il a l'air d'être sortie d'une bataille et si tu ressens une pointe de culpabilité à le voir dans cet état, tu te rappelles qu'il lui a fallu deux heures pour s'en sortir et tu te lèves en silence sans le moindre mot gentil.

— C'est l'heure de la sieste les enfants.

Cillian baille bruyamment. Tu refourgues Mladen à Ezra et viens prendre Ulysse et Cillian dans tes bras pour les porter. Si ton fils aîné s'agite et geint de devoir dormir, il s'apaise assez rapidement dans tes bras et passe tout le trajet du salon à la chambre à s'amuser à faire de grimace à sa sœur, puis à Ezra.

Tu les couches avec un mot tendre et un baiser pour chacun. Puis tu sors de la chambre et attends qu'Ezra en ressorte pour fermer derrière toi.

— Sois gentil, si tu veux chialer, attend d'être dans notre piaule.

Et tu te diriges vers votre chambre.

Tu l'entends tourner des talons et descendre en trompe les escaliers. Tu restes dans le couloir, hésites à le retenir, choisis de ne pas le faire. Ce n'est pas à toi de t'excuser. Tu fais ce qu'il faut, tu t'en persuades, non tu en es certain. Tout ceci est n'est rien de plus qu'un caprice auquel tu ne céderas pas.

21h30, voilà des heures qu'Ezra est partie et la nuit est désormais tombée depuis longtemps. Tu as fait manger et coucher les enfants quelques heures plus tôt et te voilà qui tourne en rond, simplement vêtu d'un bas de sport de noir et d'un kimono de soie rouge jeté sur tes épaules. Ton verre de bière à la main, tu guettes les bruits alentours mais aucune trace d'Ezra. On t'avait prévenu qu'il était parti à cheval et tu t'étais empressé d'appeler Oswin pour te plaindre. Tu tapes nerveusement du pied sur le plancher. Ton sport. Ton bain. Tes enfants. Rien n'arrive à te calmer réellement.

22h40, t'en es rendu à te persuader que tu as épousé le roi des égoïstes. Tu te retiens depuis maintenant une trentaine de minutes d'envoyer tes hommes pour qu'ils le ramènent par la peau du cul. L'humiliation serait de trop pour ton mari, mais c'est surtout l'aveu de faiblesse que ce serait pour toi qui te retiens. Finalement, tu entends le hennissement de cheval et tu laisses ta langue claquer contre ton palais. Dans une vraie guerre des nerfs tu t'obstines à ne pas faire le moindre geste et à le laisser venir à toi. Tu l'entends rentrer, monter les escaliers. Tu te laisses tomber sur un siège et te plonges dans un rapport dont tu ne lis même pas le sujet. Quand Ezra passe la tête tu le dévisages.

— La ballade a été bonne ?

Tu le railles et lui indique la salle de bain de la suite parentale d'un geste négligé du pouce.

— Tu schlingues.

À voir sa rancune, tu comprends qu'il est toujours fâché. À voir son mépris tu te crispes. Tu ne supportes pas un tel regard sur toi. De personne, mais surtout de lui. Tu t'extrais de ton siège, jettes le rapport sur la table basse et vas sortir un verre de sang que tu lui fourgues entre les mains sans un mot. C'est ridicule la façon dont vous vous insultez et vous combattez en silence. Tu tournes les talons et lui reste de dos. Ce n'est pas à toi de t'excuser, c'est lui qui ne comprend pas en plus d'échouer.

Réfléchir. Tu espères que c'est sur son comportement et son manque de lucidité. Tu lèves légèrement le menton, l'air de lui dire que tu attends la suite. Tu attends, à défaut d'excuse, de l'acceptation. Mais non, Ezra n'accepte pas. Ezra prononce le seul mot que, de sa part, tu n'acceptes pas.

— Quoi ?

Il t'a eu. Mais ce qu'il ne sait pas, ce qu'il t'a détraqué en une phrase. Ton plus grand défaut a toujours été d'avoir une mémoire et une compréhension particulièrement sélective. Tu entends ce que tu veux entendre et tu comprends ce que tu veux comprendre. Et ce que tu entends et comprends ici achève de briser le peu de lucidité qu'il te restait. Tu l'observes, stupéfait entrer dans la salle de bain. Tu lui vois des airs triomphants, comme-ci il n'avait attendu que ça. T'asséner un coup de poignard dans le cœur et enfin trouver l'excuse qui le poussera à te quitter, parce que ça a toujours été son désir secret. Tu sens la colère monter en même temps que la panique, frustration et le désespoir. Un cocktail explosif qui inhibe totalement ta raison pour ne laisser de toi qu'une ombre inquiétante aux émotions contenue sous peine d'explosion. Tu entends l'eau couler et tu ressens le besoin de lui faire payer. Il veut tout te prendre ? (Lui, puisqu'il est tout). Alors tu lui prendras tout le premier. Tu ne réfléchis pas, tu quittes la chambre mue par une impulsion que tu ne saurais pas nommée. Tu rentres dans la chambre de tes enfants, réveilles Cillian et Ulysse et prend Mladen dans tes bras. Le petit garçon dort à poings fermés, mais tes deux aînés somnolent et geignent d'être tiré de leur sommeil. Tu attrapes Cillian et entraînes Ulysse vers les escaliers. Sans bagage, les pieds nus et dans vos tenues de nuit tu interpelles un de tes hommes à l'entrée.

— La voiture. Tout de suite.

Ta voix est tellement rauque et ton ton si menaçant que ton homme de main cours sans poser de question. En moins d'une minute la voiture est là. Tu t'y engouffres avec tes enfants. Mladen toujours solidement niché dans tes bras. À peine refermes-tu la porte que tu balances au chauffeur.

— Londres.

Et la voiture démarre.

Si Ezra compte te faire mal, alors tu vas lui faire mal aussi. Il ne peut pas te quitter. Il va te tuer.