T’as l’adrénaline qui rush encore dans tes veines, le regard noir posé sur la rage que tu partages avec le type d’en face. Zadig Montgomery. Tu ne relèves aucune de ses piques, faisant à peine foi de la présence de Magdalena ou des menaces d’un dédommagement. S’il faut payer, alors tu paieras – ce n’est pas ça qui te fera regretter. Les paupières plissées, l’envie de cogner fait frétiller le bout de tes doigts. Putain de merde, tu l’avais pas vu venir. Tu t’es complètement laissé submerger. Il va falloir faire attention, Thursday, car plus les choses avancent, plus tu te laisses aller.

Et tandis qu’ils s’en vont, enfin débarrassés, tu prends soudainement conscience de ta position. De Basile, à tes côtés. De ton visage tuméfié. Tu te tournes de nouveau à lui, les traits en partie adoucis. Une part de toi s’en veut terriblement d’avoir fait une scène pareille, si près de son lieu de travail qui plus est. L’autre part, plus sombre, serait prête à suivre Zadig jusque dans les couloirs. Tu n’es pas sûr de celui qui est vraiment toi, tu espères que ce soit un peu des deux et qu’aucun ne fasse fuir le semi-gobelin.

Tu lui souris, contrit et la joue endolorie.

- J’ai peut-être… un peu perdu le contrôle.

Mais tu n’es pas désolé. Tu n’es pas désolé, Thursday, parce que depuis le début de l’été tu en rêvais. Retrouver ce bâtard, lui faire mal au moins rien qu’un peu. Pour Basile. Pour le venger (et te venger, peut-être, toi aussi).

De nouveau, tu essuies le sang qui te coule en travers du visage. Ta chemise est foutue, de toute façon.

- A la base, je t’assure qu- … merde !

Frappé par ta mémoire, tu glisses une main dans ta poche arrière. Délicatement, tu en sors une babiole écrasée lors du choc, quand Zadig t’a fait tomber. Ça te tire une moue déçue, tu glisses tes doigts entre les bouts de bois désarticulés.

- A la base, c’était toi avec un oscar entre les mains.

Tu lâches un léger rire.

- J’imagine que désormais ce sera juste un oscar avec ta main accrochée, une jambe désartibulée et… toi. Ce qu’il en reste. Plus ou moins.

Tu te sens un peu con.

- Je t’en ferai une autre.

@Basile F. Delacroix | Septembre 2032

Sa fureur ne passe pas inaperçue, une émotion que tu prends un peu trop l’habitude d’admirer ces derniers temps. Tu ne peux t’empêcher de t’en vouloir, au moins un peu. Tu l’as mis à mal, peut-être même qu’à cause de toi il aura des problèmes. Tu n’as pas réfléchi, Thursday, merde. Tu l’observes, tes yeux braqués aux siens, mais avant que tu ne puisses t’expliquer sur le comment et le pourquoi, t’as la mémoire qui te reprend. Le bout de bois sculpté minutieusement, à la main avec des outils quelques temps oubliés, que tu avais prévu de lui offrir. Elle ne ressemble plus à rien, tu te sens con, est-ce qu’au moins il allait apprécier une babiole pareille ?

Tu relèves les yeux sur lui au moment où il te la prend des mains. Précis et délicat avec ses longs doigts, tu te rassures de voir la surprise et une forme de plaisir sur son visage. Tu as bien étudié ton sujet. Tu lâches un léger rire.

- J’ai toujours aimé travailler le bois.

Depuis tout jeune, les mains dans la sciure. Un domaine sans compétition, sans pression. Juste toi, tes outils, et le silence. Si tu en avais eu le droit, ou plutôt si tu t’en avais donné le droit, c’est ce métier-là que tu aurais fait.

- Je l’avais terminée, cet été. En juillet. Avant… tu sais.

Avant que tout ne parte en couilles.

Il te prend le poignet et tu te laisses tirer à un endroit plus intimiste, sans les regards des passants. Tu baisses la tête dans les couloirs, tu ne veux pas te faire reconnaître par des techniciens, des personnes à qui Zadig aurait déjà pu parler. Basile risque déjà suffisamment d’emmerdes comme ça.

Une fois dans la loge, tu t’avances pour t’assoir sur le bord d’une table.

- Ca va, j’ai l’habitude.

Des coups, tu t’en prends tous les soirs ou presque. Tu les cherches. Tu les rends. Quand il s’approche pour examiner ton visage, tu baisses le menton. Et tu le regardes. Les yeux dans les siens, le souffle un peu plus lent. C’est comme si l’instant était en suspens, quelques secondes, quelques minutes. Tu fermes les yeux pour une seconde ou deux.

- J’ai ma journée, ça ira sûrement mieux demain.

Et s’il faut, tu demanderas à Saturday ou à Wednesday de te camoufler ça. Elles sont douées.

- Tu…

T’as un instant de silence, perdu dans son regard. Tu finis par en sortir avec un sourire un peu gauche, un peu gêné par ta contemplation.

- Comment s’est passée ta journée ?

Tu aimerais glisser tes mains à sa taille pour l’attirer, sentir la chaleur de son corps contre le sien. Mais c’est trop tôt, n’est-ce pas ? Tout est encore trop tôt. Vous commencez à peine à renouer les semblants d’une histoire. Alors tu t'en empêches, et tu te contentes de sourire en gentleman.

- Je voulais savoir si tu es libre, ce soir. Pour sortir.

@Basile F. Delacroix | Septembre 2032

Tu étires ton sourire de malice, bien décidé à ne pas lui révéler l’emploi du temps habituel de tes soirées. Que dirait-il, s’il apprenait que tu traînes dans les bars ? Parfois même dans l’allée des Embrumes ? Tout ça pour quoi, Thursday ? L’impression de vivre, quelques heures. Le besoin de craquer, de laisser tomber le masque qui devient de plus en plus lourd à porter. Tu hausses doucement les épaules, mystérieux, ton regard ne le quittant pas lorsqu’il s’éloigne. Tu aimes l’idée qu’il prenne soin de toi, qu’il prenne ta défense comme il l’a fait plus tôt devant Zadig. Tu souris, le nez levé le temps qu’il te badigeonne comme bon lui semble.  

Ainsi le temps se suspend, le temps d’une seconde éternelle. Au moment de reprendre l’instant, la façon qu’il a de reculer et de se racler la gorge veut dire bien plus que s’il avait parlé. Tu lui fais de l’effet, et tu adores ça. Une grimace t’échappe néanmoins à sa façon un peu brusque de continuer ; tu attrapes doucement ses doigts.

- Attention.

Tu les relâches, l’oreille attentive sur les événements de sa journée.

- Bientôt libéré. Je suis fier de toi. Tu le laisses se redresser hors de ta presque étreinte. Comme je te l’ai dit, j’ai ma journée. Je me suis occupé au manoir, avant de me décider à te rejoindre.

Pour lui demander de sortir. Parce que c’est ça, Thursday. Toute cette mise en scène, la figurine, le fait de venir le chercher… tout ça pour qu’il accepte. Et quand il le fait, une part de toi se sent immédiatement soulagée. Tu aimerais tendre le bras, caresser les rougeurs de sa joue, mais il est déjà loin. Ton regard ne le perd pas, tandis qu’il devine tes plans pour la soirée. Trop gentleman, apparemment.

- Eh bien…

Il te coupe, t’assurant que tu n’as pas besoin d’aller aussi loin. Mais es-tu capable de faire autrement ?

Tu t’apprêtes à vanter les mérites de tout ce que tu as prévu, mais en le voyant ainsi, si simple, si bêtement attirant, tu finis par céder. Tu te redresses calmement.

- Je n’ai qu’à annuler le dîner spectacle dans ce cas.

Il ne te suffit que de quelques pas.
Quelques pas seulement, pour poser ta main sur son genou. Baisser le menton pour ne pas le quitter des yeux. Tu en es incapable.

- Netflix et pizzas.

Tu glisses un doigt sous son menton, léger mais assuré. Tu ne sais pas si c’est ce qu’il veut, tu ne sais plus rien et tu ne t’essaies plus à deviner. La seule chose à laquelle tu répondes, c’est ton envie. Ton besoin de le sentir au plus près. Alors tu te penches pour avaler la distance, glissant tes lèvres sur les siennes. Juste quelques instants.

- Rentrons.

@Basile F. Delacroix | Septembre 2032