brusque et haletant sa démarche affole les regards — jamais avait-on vu un homme courir le regard aussi effaré. il dévale les rues de londres avec plus d’assurance que jamais, et si l’univers tout entier lui semblait toujours insignifiant, il l’était encore plus aujourd’hui alors que ses épaules bousculent les corps, quand ses mains ne les dégagaient pas.

quand ses pieds foulent enfin le sol de l'orphelinat, il n'attend qu’un bref instant avant d’envahir les lieux. ici tous reconnaissent alexander, et personne ne le craint. ses sourires s’offraient toujours chaleureux pour les résidents, tant que sa présence n'excédait pas sa capacité à supporter la jeunesse virulente. quelques fois il lui arrivait de tenir compagnie, de rejoindre les jeux : mais pas aujourd'hui. traversant les couloirs sans courir il laisse cependant frapper au sol ses talons avec force, la cadence rapide mais se refusant à la course : le respect des lieux lui était imprégné dans le sang. il interpelle quelques têtes curieuses, demande où se trouve la maîtresse de maison — on le guide, maladroitement, avec des idées, par ci, par là, et alexander pourrait bien chercher pour le reste de la journée qu’il aurait encore assez de patience pour elle. quand il s’agit de maxine, alors il pouvait lui dédier son temps… temps qu’il avait volé à ariana.

puis la voilà, enfin. face à elle, sa traque s’achève. il souffle, épuisé : son corps et sa tête ne fonctionnent plus selon ses volontés. il se surprend à trembler, sans trouver les mots. silencieux ses lèvres s'entrouvrent, il reste muet un court instant.

les secondes lui paraissent des décennies. il y repense encore, à sa mère, à son corps, à ses mots, à sa vie, à ses crimes. ses mains perdues dans un océan de sang, ses couteaux aiguisés pour la chair des autres.

pourtant il ose enfin prononcer ce qu’il pensait impossible :

« maxine je vais me marier. et elle m’aime. »

mais comment ne pas la briser ? si fragile contre lui sa future femme... quand il pense la serrer contre lui il ne s’imagine que lui
briser les côtes.

s’élève des marches le soleil de sa vie pour se fondre sur un homme de la nuit. et il se laisse bercer, brûler même, par sa chaleur, par son amour, par ses félicitations qui lui paraissent sincère. il se laisse, pour la première fois depuis toujours, à l’étreinte d’une mère.

alors ses bras se lèvent, ses mains doucement la tiennent contre lui — mais ses ongles griffent, ses phalanges se crispent ; du bout des doigts il l'agrippe contre lui avec plus de violence que de douceur. jamais il n’a tenu le moindre corps contre lui avec tendresse, jamais sa colère ne s’est tu une seconde, si ce n’est quand le sommeil le gouverne. jamais on n’a trouvé une embrassade d’alexander tendre — elles sont toujours débordantes de malices ou acerbes, teinté de violence.

mais il la lâche, soudain. si la douleur qu’elle ressent n’est rien, lui s’observe de loin comme un homme incapable de sensibilité. tiendrait-il sa femme de la sorte ? il sait que oui.

son regard oscillant entre les deux pupilles de maxine il bafouille presque, cherche des mots qui se refusent à couler de sa bouche. cet ordinaire océan de parole qui fait sa force n’a plus que la dégaine d’une rivière aride, toutefois ce n’est que le temps de trouver les bons mots. et le courage.

« elle. » il inspire courage et hésitation. déglutit. ses sourcils se froncent, ses yeux n’osent plus que regarder le sol. « je lui ai dis. je ne ferai pas d’enfant. j’apprendrai l’amour doux, tant qu’on s'attelle à vraiment vouloir me l’apprendre. mais. maxine, maxine tu sais bien ? » son visage fait non, son cœur voudrait pleurer qu’il a peur. « même si aujourd’hui je le veux, et si demain je ne le voulais plus ? si ce soir je veux l’avoir dans mes bras pour m’endormir sur mes cauchemars, comment être sûr qu’au réveil  je la voudrais toujours, le cœur battant, contre moi ? » il s’éloigne, se laisse marcher entre les enfants dont les cris commencent à embrouiller ses esprits plus que son avenir. « toute ma bonne volonté tu sais qu’elle disparaît chaque jour un peu plus, et quand l’homme en moi aura assez aimé, le monstre finira par la dévorer. » son pas se stop, il se tourne à nouveau vers celle que ses yeux appellent à l’aide. « je l’aime, je veux l’aimer, je l’aimerai. je ferai tout… tu crois que c’est un remède, l’amour ? » un simple oui l’aiderait à passer ce jour, un peu d’espoir rendrait ses épaules moins lourdes…

« elle sait tout le mal qui me ronge mais elle m’a dit je t’aime, maxine. »

lui faire confiance serait-il un mal ?

Sincère, maternelle, ses yeux qui ne lui cherchent que des bonnes choses, que des solutions malhonnêtes, qu'un soupçon d'espoir pour l'aider à ne pas de noyer. Mais il étouffe, dans sa bonne volonté ; et ce n'est pas qu'il ne la croit pas mais il sait qu'il ne sera jamais possible de vraiment le sauver.

Le mal perfide qui le ronge, toujours s'en félicite t-il, et s'il pouvait en décorer ses habits il y a bien longtemps que l'abject Alexander ne porterait plus son masque… Il serait le diable déambulant Londres un sourire gorgé de sang aux lèvres.

C'est bien pour cela qu'insinuer l'en défaire paraît obscène à sa raison. Il mord l'intérieur de sa joue, s'en prend à plusieurs parcelles de sa bouche, tandis que ses yeux cherchent ailleurs quelque chose de rassurant dans le brouhaha qui se joue de sa patience. Il finit par s'approcher d'un mur pour en effleurer sa texture, tournant le dos à Maxine.

« Non. »

Un pauvre galion pour le priver de ses travers. Guérir le mal en l'annihilant. Peindre en blanc le mur noir.

« Ce n'est pas de ça dont j'ai besoin… » Alors de quoi ? « Ce n'est pas comme ça que je veux m'en sortir… » Mais comment ? Il se retourne brusquement, un regard mauvais sur les gavroches qui vivent le coeur léger sans ses soucis. « Par pitié mais fais les taire ! Je déteste ça ! Déguerpissez nom de Dieu ou j'en empaille un, le plus bruyant, vidé de son sang, rempli de fioritures, de poussières, et de ses propres intestins que j'aurai gavé de bien des mystères ! SILENCE ! »

Sa voix criarde fais fuir les moins téméraires, inquiètent les audacieux qui quittent finalement les lieux après avoir croisé son sombre regard. Les jacassements enfin dissipés il soupire, passe un revers de main sous son nez, sa langue sur sa lèvre inférieure. Depuis quand réfléchir avait été si impossible ?

« Elle veut un enfant. » il regarde les gosses qui sont partis plus loin. « Elle veut des choses dont je suis incapable. Ça va mal finir Maxime. Ça va forcément mal finir. »

Il pourrait lui briser les os en l'enlaçant, étouffer le gosse qui hurle sa faim, disparaître des heures durant quand elle aurait le plus besoin de lui. Il pourrait être le pire mais dans son traumatisme profond  il aimerait être le meilleur.

« Dis moi que j'en suis capable. Dis le. »

Qu'elle y croit pour deux, qu'il puisse se dédouaner à la moindre brisure.

mentir ? quand son regard croise le sien, il se sent figé, proie de son procès. les accusations sont des vérités qui tombent, celles qu’il avait fuit, persuadé qu’on n’en saurait jamais rien. mais quel idiot était-il, pour n’avoir jamais compris que sa mère de coeur aurait toujours un regard posé sur lui.

l’esquisse d’un sourire se dessine sur son visage ; pour l’assurance, la bonne figure. coupable de ces dires il devait au moins être charmant, tout en portant le blâme dont il est responsable. c’est qu’à travers le tableau qu’elle dépeint, il se sent fier d’être une nature morte. capable du meilleur, comme du pire : qui pouvait se vanter d’être le christ et l’antichrist à la fois ?

« mais tu l’as dit toi-même maxine. »

le meilleur et le pire lui avaient toujours été à portée de main.

« c’est moi qui décide de si j’agis en bien, ou en mal. »

mais c’était en elle qu’il avait laissé le pouvoir ; c’est elle qui devait l’encourager à faire un pas vers ces actes timides qui ne lui siéent pas. et malgré les instances tacites qui voulaient voir chaque mère encourager son enfant, voilà qu’elle enfreint la logique. quoi de plus normal, finalement, dans les liens qui les unissent ? ses lèvres se détachent, dévoilent ses dents dans un sourire amusé.

« ça veut donc dire que je peux encore surprendre ? » sa main se fige sur le mur. « ah maxine, je suis si heureux de toujours pouvoir compter sur toi. » il se rapproche, incarnant l’allure d’un homme trop fier. « ce n’est pas vraiment ce que j'espérai entendre mais tu sais, on fait toujours le choix d’écouter ce qu’on veut. » et il ne garde que ce qu’il a su déformer. « tu m’as si bien élevé. » et il était si curieux de laisser ariana l’éduquer à nouveau.

ses mains alors se posent sur ses épaules ; c’était là toute l’étreinte dont il était capable après l’avoir entendu sous entendre que ses maux seront toujours vainqueurs sur ses délires.

« je dois y aller maintenant. ma future femme m’attend. tu m’excuseras auprès des enfants ? ce serait bête qu’ils aient peur de leur grand frère. »