La paix est une illusion que Maxine s’escrime à chasser, à piéger pour la retenir dans une cage dorée. Elle commençait à comprendre qu’il lui faudrait un contenant plus solide, une boîte de Pandore insubmersible pour retenir cette paix qui refusait de rester.

A l’inverse de Sartre, il se révélait que la Paix étaient les autres - ceux venant jusqu’à elle illuminant sa journée de rayons tendres. Elle ne supportait pas le véritable soleil, aussi s’était-elle construit un astre fait des rares personnes restantes.

Elle reconnut son odeur avant de le voir - ne sursauta pas lorsqu’il se jeta dans ses bras. Les enfants autour d’eux s’enfuirent le rire au lèvre, trop heureux d’échapper aux réprimandes maternelles de l’hybride. Cassidan !

Elle l'enlaça, caressant sa tête comme elle le faisait avant. Le paquet lui arracha un froncement de sourcil - une œillade d’un bleu orageux. Tu es têtu par Drakul. Ne soit pas aussi satisfait, ce n’est pas parce que tu n’habites plus ici que je ne peux plus t’ensorceler.

Un bureau aux décorations discrètes - des rideaux d’un crème soulageant, des dessins d’enfants, des livres compulsés. Un refuge au milieu du désordre juvénile, au milieu des cris et des rires - un échappatoire. La salle d’étude de Maxine. Elle le laisse s'asseoir sans même chercher à lui répondre, n’a jamais réussi à limer son impertinence (n’a jamais tenté).

Je t’ai déjà dit, pourtant, que tu pouvais venir t’installer ici. Tu as un bon contact avec les enfants, et nous ne sommes jamais assez nombreux pour les entourer.L’orphelinat tournait bien, grâce aux investissements de Maxine, sa recherche personnelle et les dons divers et variés. Ici, point de pauvreté mais une aisance commune qui permettaient à ses protégés un cadre un peu plus sain. Des vêtements qui se détachaient de l’uniforme pour leur offrir une expression de personnalité, des jeux, une éducation.

Tout ce qui leur manquait.

Elle sourit discrètement, et déplia une robe aux éclats de byzantium profond - lui arrachant une petite exclamation de joie. Elle posa le vêtement contre la courbe de ses épaules. Bien évidemment, elle me va parfaitement. Il n’y avait aucune surprise dans sa voix. Cassidan était de ceux à avoir les mesures au bout de ces doigts, ce don insolent de faire tout ce qu’il voulait des tissus - un génie créatif qui s’exprimant avec la grâce des muses. Elle regrettait qu’il ne soit pas plus célèbre pour ses créations, mais elle ne pouvait pas s’occuper des ces anciens garnement, devait les laisser filer (à son plus grand regret). Elle est magnifique, merci.

Les risques d’une pseudo colère s'éteignent alors qu’elle ensorcelle la robe pour la replier proprement. Un autre tour de baguette et c’est un plateau de thé qui apparaît, invoqué directement de la cuisine. Outre ce merveilleux cadeau, que me vaut l’honneur de ta visite ? Tu sors rarement de ton antre en ce moment.

Il y a toujours ce pincement au cœur à cette idée de voir ses protégés s’envoler - à contempler leurs ailes brillantes autrefois trouer. Elle avait accepté son rôle avec résilience - s’était appropriée l’idée de n’être qu’un souvenir parmis leurs contrées - de n’exister que pour un temps certains. Elle savait que pour une rémission complète, ils ne devraient jamais revenir la voir, se contenterait de la saluer et de prendre des nouvelles mais jamais de se réfugier dans ses bras.

Il était dur d’être une mère de substitutions, une image à peine tracée sur les miroirs. Parfois elle envisageait de partir, de s’enfuir vers d’autres contrées. Mais elle ne pourrait jamais abandonner sa tâche - jamais quitter ces moutons perdus, ces petits insectes à la recherche d’un phare. Elle brillerait pour eux jusqu’à ce qu’ils l’oublient.

Ainsi, existerait-elle jusqu’à la fin de sa mortalité.

Boutique qui semble bien fonctionner au demeurant, je suis fière de toi pour tout ce que tu as accompli. Il n’y a pas de manipulation, pas l’ombre d’un mensonge. Elle est fière de chacun d’entre eux. Les sourcils se lèvent au compliment. Tu sais très bien que la beauté ne veut rien dire, reste une simple arme aux mains des démunies. Elle en avait usé à en faire perdre la raison de cette beauté aux contours tranchants. Elle lui envoie une petite étincelle. Cesse de manger du sucre comme ça, tu vas être intenable après. Ses réflexes maternels ne sont jamais loin après tout.

Elle s’asseoit délicatement à son bureau, rangeant ses affaires d’une magie discrète. Vous ne venez jamais me voir sans raison, je commence à vous connaître - toi compris Cassidan. Elle sourit, agite une main comme pour balayer sa question. Mais soit, tu viens me voir par pur envie. Comment vas-tu alors ?

Elle agite la main, fait fuir la reconnaissance qui lui semble trop lourde. Bien qu’ils soient peu à le croire - elle existait de bon cœur, aidait ces enfants dont personne ne voulait, apostropher le temps pour le forcer à les accepter. Il n’y avait pas d’idée de rachat, pas d’idée de rédemption, elle faisait cela parce qu’elle voulait le faire, parce qu’elle estimait qu’ils le méritaient. Tu couds pour les enfants parce que même avec de la magie, ils arrivent à faire des trous que je ne peux combler. Parfois je me demande ce qu’ils font de leurs journées. Je n’aborderais même pas la question de leur poussée de croissance, de peur qu’on m’accuse de les doper. Elle oubliait que le temps passe vite pour les autres.

Elle vient poser sa main sur le cœur - rire avec légèreté avant d’attirer une tasse de café jusqu’à elle, tournant la cuillère d’un geste désintéressé. Mais si je suis ravie de te voir voyons ! N’essaye simplement pas de détourner mon attention. Elle se tait finalement, l’écoute en s’enfonçant dans son siège. Une moue légère sature son visage à l’écoute. Le mal du pays, et l’absence de destination je dirais. Tu as toujours eu un objectif bien dessiné, ou au moins une esquisse à laquelle t’accrocher, maintenant… et bien maintenant tu as atteint tes objectifs. Sauf que tu en as besoin de nouveaux pour te maintenir.

Le café est insipide, mais boire quelque chose de chaud la réconforte. Elle sourit derrière sa tasse - regrette de ne pas avoir de penche à côté d’elle pour venir agrémenter son café d’arôme plus goûteux. Je suppose qu’il faudra bientôt investir dans une usine de textile, des élevages de moutons et des champs de coton - voir les envoyer trimer là-bas pour faire d’une pierre de coup. Ah ! Et elle rit- enveloppe la pièce des clairons joyeux et chantants - ceux même qui autrefois hypnotisaient les hommes mais qui aujourd’hui apaisent les enfants.

La question souffle sur le foyer de son rire - ramène une sérénité paisible contre ses traits. Choisir son chemin, voilà une interrogation à laquelle elle ne savait répondre. Elle avait dû pourtant en affronter des réponses, alors même qu’elle gérait les enfants et les adolescents, couraient après ses garnements. La liberté laisse parfois un trop grand vide, et c’est effrayant pas vrai ? Les mots sont connaissances et mémoires, celles que Maxine n’avait pu fuir. Il était parfois dur d’affronter la vertigineuse montée du temps. Tu es doué et talentueux, débrouillard et survivant. Elle pince finalement ces lèvres discrètement. Ma réponse ne t’aidera pas, mais tu peux te diriger sur n’importe quelle voie, n’importe quelle envie.

La paix reprend sa place sur son visage. N’oublie juste pas que je suis fière de toi.

Il y avait le monde extérieur et ces violences. Et puis il y avait ces murs qui protégeaient les siens de l’horreur. Il y avait ces murs chargés de souvenirs, ces sofas remplis de tendresse. Il y avait ce bonheur qui suintait partout, transformait l’orphelinat en un écrin. Le rire de Cassidan la réchauffe comme une poche de sang - venant éclairer son visage.

Elle n’est pas dupe des combats de ses enfants, pas aveugle à leurs doutes. Elle ne pourrait jamais mener ses combats à leurs places, ne pourrait jamais prétendre les comprendre entièrement. Voilà où résidait ce point d’équilibre si difficile. Rester proche pour ses enfants, mais ne jamais tenter de croire les contrôler ou envisager tous les contours de leurs histoires. La question la surprend. Il est rare que l’on vienne la questionner. Un sourire jaillit pourtant. Moi ? Elle penche la tête. Aujourd’hui, je ne me vois pas vivre sans vous, sans cet endroit. Elle ne s’est jamais projetée Maxine, n’a jamais eu d’attente outre ces envies. Je suis ce qui me plaît, ce qui m’intéresse. Elle hausse finalement les épaules. Je n’ai jamais eu d’attente particulière.

C’est le seul endroit qui ne m’a jamais donné envie de fuir au bout de quelques années. La seule chose qui ne me fasse pas bouillir. Cassidian lui pose des questions étranges, de celles dont Maxine n’avait jamais cherché de réponse. Même en s’étant promis de ne plus intervenir dans leurs vies, elle ne pouvait s’empêcher de s’impliquer parfois, surtout lorsque ces anciens pensionnaires passaient les portes. Tu me poses des questions bien précises Cassidan, à croire que tu cherches quelque chose. Qu’est-ce qui se passe pour que tu t’impliques autant sur certaines interrogations ?

Elle réfléchit. Tu sais, je n’ai pas trouvé immédiatement ce que je voulais faire. C’est une évolution, je n’aurais pas pu gérer cet orphelinat si je n’avais eu mon parcours. Ce sont des aboutissements, dont d’abord celui de vouloir faire découvrir aux sorciers ce que cela veut dire d’être hybride. Elle hausse les épaules aux questions. Je ne peux pas adopter si je suis la gestionnaire. Au final, vous êtes tous mes enfants. Elle aurait quand même préféré que tous trouvent une famille aimante, un soutien inconditionnel qui lui fasse réduire le nombre de lit et fermer quelques ailes. Elle appréciait cette période de sa vie mais devait ne pas oublier que cela aussi aurait une fin.

Vous n’aviez pas à me connaître mon chou, le but a toujours été de vous concentrer sur vous même. Le défi était de calfeutrer sa vie, de faire d’elle-même un organe de l’orphelinat sans histoire à découvrir. Maxine avait conscience qu’elle n’était qu’un évènement, un fil rouge dans la vie de ces petites personnes qui deviendraient des adultes. Elle ne remplacerait jamais leurs parents - ne leur épargnerait jamais des inconfortables questionnements. Elle se devait d’être le roc et le pilier des protégées, une forme jamais partie, un ancrage rassurant pour les aider à avancer. Car comme ça, peu sont ceux qui reviennent à l’orphelinat. Ils tournent la page où ils gardent tout cela en esprit, mais se dirigent vers autre chose.

Je ne suis pas sûre d’être une source inspirante tu sais, surtout pour toi. Je me contente d’aider à la gestion d’un orphelinat et d’écrire et publier des articles. Je me demande d’ailleurs si je ne vais pas me réinscrire pour un ou deux semestres à l’université. Pensivement, elle agite négligemment son doigt pour venir remuer son thé. Il était rare qu’on la force à s’interroger - rare qu’on la pousse dans ses vieilles mémoires et envies. Ah ! Bien évidemment, qui n’en a pas eu à moins de rester caché. C’est une question bête mon cher. Un sourire aiguisé s’extirpe discrètement. Même encore aujourd’hui, certains sang-purs cherchent à faire fermer l’orphelinat.

Je n'essaierai jamais de te chasser Cassidan. Dans les trémolos de sa voix, il y a un fond de vérité, une sincérité pure et inaltérable. Elle n'essaierait jamais de les chasser, ces oiseaux perdus qu’elle avait cueillis, ses âmes égarées dont personne ne voulait. Elle s’était promise d’être une terre promise, de leur accorder un droit à la paix. Elle s’était battue pour cela, et s’arrangerait pour le garder à tout jamais. Tu devrais essayer toi aussi, de te remplir la tête d’autre chose que des inquiétudes et des inepties.

Elle le connaît Cassidan, les connaît tous ses enfants pétris de peur et de doute. Leurs combats se répète-t-elle pour ne pas les enfermer à double tour. Grand Dieu, imagine seulement un orphelinat géré par ces gens. Pauvres enfant. Elle se relève et s’approche de lui pour ébouriffer son crâne. Je ferais tout pour que cet endroit ne ferme pas. Maintenant, viens avec moi, puisque tu as du temps à perdre, autant que je t’exploite.