Il avait prié les étoiles et chassé les aurores dans l'espoir que les choses changent. Il avait consulté les augures et jeté les osselets mais rien n'en était sorti. Il n'était pas fait pour ça, ni pour la divination, ni pour l'espoir. Il était un homme du présent, qui vivait à la lueur de l'aube et que l'aurore couchait à dos de sa jument.
Un homme pareil ne pouvait que deuiller.
Alors il le fit - retournant au manoir pour y faire ses rondes, nettoyer les recoins, chasser les démons invisibles qui hantaient les lieux. Il se sentait pion inutile au sein de la demeure endormie - le seul à y avoir pénétré depuis.
Un mausolée qui respirait encore l'odeur de sa maîtresse.
C'est dans ce souvenir immatériel qu'il demeura, errant tel un pantin à qui l'on a coupé les fils - désemparé.
Pourtant, il vit plus d'un homme apparaître aux portes de la bâtisse dans l'espoir de la voir vide.
Il savait donc que sa mission ici avait de la valeur - mais pour qui ?
Alors ses pas finissaient toujours par vagabonder vers Morrigan - la guerrière au regard immortel, qui le toisait du haut de sa toile, imperturbable.

Pourquoi l'as-tu enlevée ?

Mais Morrigan ne répondait jamais. Pourquoi le ferait-elle ? Il n'était que le serviteur, le coursier, l'homme de main. Il n'était pas de leur sang, il n'était pas sous leur protection. Sous sa protection.
Mais Fallen l'était.
Et un soir alors qu'il s'était assoupi au pied de son bureau déserté, il crut rêver lorsqu'il entendit ses pas.
Mais ils étaient trop changés. Trop étranges.
Et puis, elle n'était plus là. Pourquoi l'entendrait-il ?
Sa baguette est pointée sur la porte lorsque sa silhouette y apparaît.
Défigurée.

Déclinez votre identité.

Il refuse d'y croire - mais le lien de servitude ancestral, lui, fait trembler sa main et son arme.
Ce ne peut être elle.
Faites que ce soit elle.

Sa voix est un souvenir que le vent souffle dans son visage avec la chaleur de l'été. Son regard n'a presque pas changé - mais ce presque le fait se sentir déboussolé, comme si le vent l'avait trahi, comme s'il lui avait apporté l'odeur d'un foyer qu'il n'avait jamais connu.
Qu'était-elle devenue ?
Ses paroles le figent, sa main le fait trembler, et lorsqu'elle achève ses mots, il sait. Et il tombe à genoux, la tête baissée, sa baguette retombant contre le sol alors qu'il laisse son poignet au creux de sa main - et les larmes coulent, oh elles coulent sur son visage.

Je vous croyais perdue, Fallen.

Sa paume se relève et de ses deux mains il saisit la sienne - y dépose un baiser, y laissant ses lèvres plus longtemps qu'il ne le devrait.

Je suis rentré vous renouveler mes voeux d'allégeance. Je vous demande pardon pour mes erreurs passé qui vous ont conduit à m'éloigner de vous.

Il appuie sa tête sur cette paume, ferme les yeux.
Morrigan avait déserté la femme qu'il avait juré de protéger - lui ne l'abandonnerait jamais.

Elle le redresse, comme une déesse remet à pied celui qui vient s'y repentir. Et la sensation qui s'écoule entre ses côtes est celle de la bénédiction - elle le touche, elle lui redonne vie. Alors lorsqu'elle effleure sa joue en rangeant sa mèche il ferme les yeux et s'y blottit, comme l'enfant qu'il était autrefois le faisait lorsqu'il avait peur - et venait se rassurer auprès d'elle, comme elle venait se rassurer auprès de lui.
Elle était son ancre et n'avais jamais cessé de l'être. Il avait juste dérivé sur une chaîne trop longue qu'elle avait laissée se faire emporter par les courants.

Je ne pleurerais plus.

Tant qu'elle demeurera - qu'importe son état.
Bien que ses doigts se tendent pour effleurer quelques marbrures.
Bien que ses yeux se rouvrant cherchent l'ébène de sa chevelure.
Elle reste Fallen - le rocher, l'immortelle image que Morrigan a bénie de sa beauté.
Elle reste Fallen, la tempête qui ne cessera jamais de s'écrouler.

C'est l'objet de mes convictions qui m'a éloigné.

Ce n'est pas un reproche - une constatation simplement - alors qu'il souffle et souffre à la voir s'écarter d'un pas.

Ils sont venus, oui.

Lèvres mordues, Galaad se remet de ses émois - ne pense pas à essuyer les larmes de ses joues. Il se contente de la regarder, de graver dans sa mémoire les traits de sa nouvelle existence. Et doucement, il s'approche, vient tendrement effleurer son coude d'un geste qu'ils avaient de leur scolarité - un je suis là silencieux et à peine énoncé.

Il n'est vert que là où les hommes cessent de tout détruire.

Un sourire, timide, puis plus énoncé - de ce sourire qui sait qu'elle comprendra à quel point l'errance était belle dans la solitude.

Que s'est-il passé, Fallen ?

Peut-être que ses lèvres s'ornent d'un sourire - seule Morrigan saura le définir, Morrigan et celle qu'elle a béni de sa puissance et de sa force. Il n'avait jamais douté que la tour d'ivoire continuerait de grandir - mais était rassuré de voir que le diadème continuerait de ceindre un front qu'il adorait déjà.
S'il fallait qu'il prenne le glaive pour fendre les barbelés de l'ignorance, il porterait fièrement le regard vert de l'immortelle déesse au-delà des murs de leur château.
Et si Fallen désirait qu'il reste se battre à ses côtés, chevalier et bras droit, il n'en serait qu'heureux.
Elle n'avait posé aucune question sur son retour, l'avait accepté, l'avait pardonné. C'est ainsi, du moins, qu'il le percevait. Alors désormais, il pouvait espérer qu'il pourrait chevaucher à ses côtés.
Mais voilà qu'elle ignore ce qui lui est arrivé - et il ne cache pas la perplexité qui glisse sur ses traits. Comment pouvait-elle marcher aussi droite en ignorant ce qui s'est écoulé ?
La confiance s'écoule dans son regard lorsqu'il ravale la salive, hoche la tête.
Il n'imaginait pas ce que pouvait lui coûter cette perte là. Alors ses doigts effleurent la paume tendue lorsqu'il y glisse sans hésiter son arme - la baguette se révoltant de se sentir délaissée, son caractère bien trempé la faisant chauffer entre leurs paumes.

Ma baguette, mon épée, ma vie et mon avenir, Fallen. Comme promis, depuis toujours et à jamais.

Un léger sourire, une ombre à peine au ceint de ses yeux mordorés, avant qu'il ne les baisse, acquiesce, à sa place remis.

C'est vrai.

Elle avait la vérité dure, Fallen, mais c'était ainsi qu'il l'avait connue et vénérée - et c'est presque comme si son échine se redressait lorsqu'elle le remet à sa place, lorsque de quelques mots elle remet à l'heure les horloges de leur commun passé.

Il s'est perdu dans les plaines vides de compagnie. Permet moi de me remettre de te voir en vie, Fallen.

Un soupir, la nuque qui se baisse pour contempler l'entaille, se reculer d'un pas sous l'électricité qui se répand - et c'est tel un souffle de vie, brûlant et dévorant, qui attise et insuffle une nouvelle énergie au creux de ses cellules.

La famille va se réunir...

La responsabilité érige ses épaules en posture maintenue alors qu'il baisse la tête en souriant doucement.
Et voilà qu'elle lui demande de revenir à elle. De revenir à lui.
Doucement il inspire puis expire longuement. Ses yeux se remettent à son niveau, et voilà qu'il avance de nouveau, et ce n'est pas sa baguette qu'il vient chercher mais la joue de la femme blême face à lui, venant appuyer son front au sien.

Laisse moi reprendre du service, réellement, et je le serai.

Elle l'avait abandonné, et tel une bâtisse, il s'était usé - mais si la vie revenait, les murs se redresseraient.

Il penche la tête de côté, esquisse un soupir qui s'étouffe dans sa trachée - et ses yeux se recouvrent de ses paupières un instant, juste un petit instant qu'il s'accorde, tremblant.

N'avais-t-on pas admis que tu m'avais déjà enfoui sous terre lorsque tu m'avais chassé ?

Pourtant, il ne le reproche pas, il l'accepte. Ils avaient tous deux connus leur mort, de différentes façons. Ce qui importait désormais c'est qu'il était là - et elle aussi. Ils se tenaient fièrement au-dessus de leurs lits de mort, dédaigneux mais fiers - et il la suivrait, qu'importe la direction qu'elle souhaite prendre par la suite.

Ton retour est un renouveau - c'est ce que la famille vivra, elle aussi.

Il hoche la tête, acquiesce, et quand elle s'écarte, il se permet de passer ses doigts sur le bois du bureau, adresser un regard à l'éternelle Morrigan, qui ne pouvait qu'être fière de son enfant ramenée à la vie.
Lui allait pouvoir se parer de son armure de nouveau.

Il me tarde déjà de m'orner de nos couleurs, Fallen. Le feu que tu avais éteint en toi s'est relancé et je...

Il expire, redresse son échine.

Je me sens prêt.