Elle a traversé la ville aussi vite qu'elle a pu. De l'hôpital à chez Fallen, sans même prendre la peine de rentrer chez elle. A son épaule repose un sac, encore rempli de dossiers dont elle ne saurait se débarrasser. A ses yeux des cernes qui sont le seul maquillage qu'elle porte au quotidien.

Morte d'inquiétude.
Dès que la nouvelle lui est parvenue.

Elle n'avait pas pu être présente durant la conférence, ce qui avait pourtant été son plan. Mais elle avait été réquisitionnée en premier lieu pour aller sur le terrain, alors elle avait été impuissante quand au fait d'aider son amie. Une amie qui se retrouvait confrontée à des accusations sans queue ni tête. Une amie dont le nom était scandé à mal dans la presse. Une amie qu'elle voulait protéger. Alors la voilà, au pied de sa porte un peu trop tard pour être raisonnable.

Mais les messages ne suffisaient pas.
Elle avait essayé de s'en contenter mais son anxiété grandissait de jour en jour et plus que de lire que Fallen allait bien, elle avait besoin de la voir et de s'en assurer. Besoin d'être là pour une des rares qui comptaient. A peine la porte s'ouvre qu'elle se laisse aller à trouver sa place dans ses bras - rare, déjà, venant d'elle. Mais comme toujours, ce soir, ça va.
Si c'est Fallen, ça va.

▬ Désolée de pas être venue plus tôt.

Elle se retient de dire qu'elle lui a manqué. Même si c'est vrai. Seulement pour relever la tête vers sa moitié et poser ses mains abîmées sur ses joues avec toute la douceur et la tendresse du monde, comme une chose précieuse qu'elle a peur d'abîmer. Elle est forte, Fallen. Mais même les plus forts ont besoin de leurs moments d'affection et de vulnérabilité.

▬ Comment tu vas ?

Bien ou mal, elle peut tout entendre.
Au moins, maintenant, elle est là.
C'est tout ce qui compte.

Dans la précipitation, elle ne profiterait presque pas - mais la vérité est là, immuable. Persephone, avare, profite de l'étreinte qu'elle arrache, de la douceur qu'elle dérobe, de la tendresse qu'elle tire entre ses doigts sous de longs fils invisibles encadrant un visage.
Elle profite malgré les nuances de gris,
De pouvoir toucher ainsi.

Sans la sensation de se brûler à un feu qui n'a jamais cesse de s'éveiller, qui l'embrase dès qu'elle effleure la moindre peau. Elle profite de ce contact trop rare qu'elle boirait comme une assoiffée dans le désert si à ses pieds ne se traînaient pas trop de cadavres ; et elle ne veut pas que ses mains puissent en rajouter - dénaturées, trop sales pour quiconque devrait les toucher. Une ombre qui la suit et qui pourrait passer d'elle à un autre dans la moindre bise, le moindre doigt qui coule sur une épaule ou un bras ; comme un mal.
Comme la peste ;
Médecin malgré elle.

Elle voit la larme et malgré sa profession reste clouée sur place, car il y a des maux qu'elle ne sait pas comment traiter. Surtout quand ça compte. Surtout quand c'est émotionnel. La chair, on peut la traiter avec toute la rationalité du monde; le coeur est son opposé pur. Elle l'a appris à la dure.

▬ Je m'en doute.

Elle se laisse happer par l'antre, Persy.
Familière au fil des années, elle reconnaît la fourrure qu'elle aperçoit rapidement et qui lui arrache un maigre sourire tout aussi fatigué, comme si à la seconde où elle avait passé l'entrée elle s'était défaite de toutes ses fioritures, de tous ses affres d'actrice. On pourrait penser que ça faisait du bien, la réalité c'est qu'elle avait l'impression d'avoir le monde sur son dos une fois le coup de vitesse passé.

▬ Ne t'en fais pas, je comprends.

Et toujours avare elle se rapproche, vient poser sa main sur une épaule qui porte sûrement encore plus que les siennes (qui est-elle pour se plaindre) au moins cette fois elle n'est pas éclatée comme le miroir qui a marqué sa main (pourtant la veille a été rude et les bandages à son bras sous son pull en sont témoins) mais elle est là, Persephone.
Elle est toujours là quand il faut.
Pour tout le monde et personne.

▬ C'est normal. Désolée de ne pas être venue plus tôt.

La culpabilité, toujours, qui la ronge pour tout.
Ses doigts qui viennent remettre une mèche brune derrière une oreille, fugace. Les mêmes qui tracent une pommette avec douceur et affection.

▬ Tu veux en parler ? J'ai toute la nuit pour t'écouter.

Livrer ce qu'elle a sur le coeur, plutôt que les messages qu'elle doit déblatérer à la foule, et les souvenirs qu'elle a versé au ministère. A se demander ce qui fait le plus peur.

Elle aime, Persephone.
Les petits les grands les humains et les autres êtres vivants. Elle aime tout le monde avec la même dévotion aveugle et c'est terrible comme fardeau. Alors elle se laisse à un soupir en voyant la petite bête qui file entre les pieds, amusée et fatiguée. Fatiguée, fatiguée, fatiguée. Exténuée. Elle pourrait faire sa nuit si seulement elle dormait. Mais elle est là, Persephone. Parce qu'elle aime et quand on aime il faut faire compter les autres en premier. Alors elle est là, Persephone, parce que quand on aime on ne compte pas. Quitte à se tuer.

▬ Merci, c'est gentil.

Elle s'asseoit, défait sa veste en faisant attention à ne pas relever ses manches. Car Fallen sait en partie, mais ce qu'elle ignore ne peut pas la blesser. Alors on fait attention discrètement, en paraissant naturelle, on blâme la brise de dehors qui empêche un peu de se réchauffer quand on remonte ses manches sur ses doigts de vêtements trop grands, comme toujours. De plus en plus souvent. Il y a tant à cacher et si peu à montrer.

▬ J'ai entendu dire que le ministère n'avait pas été tendre à ton égard... Tu as eu affaire à des legilimens, pas vrai ? Je n'aimerais pas avoir ma tête de fouillée...

Une fois pas deux.
Puis la question qu'elle attend avec ce même léger sourire qu'elle a l'habitude de porter, les épaules baissées.

▬ Moi, comme toujours tu sais.

Parce que dire qu'elle va bien serait un mensonge trop évident. Mais avouer le pire serait une erreur, alors on reste dans l'entre-deux qu'on maîtrise si bien.
Et elle aime, Persephone.
(Mais elle est conne.)
Et elle se dit qu'elle ne sera sauvée par personne.

▬ J'espère que tu n'es pas trop fatiguée, je suis passée à l'improviste. Je repartirai quand on aura fini pour aller au bureau de bonne heure, ne t'en fais pas pour moi je ne compte pas dormir ici.

Elle ne compte pas dormir tout court.
Mais c'est une habitude, pas vrai ?

▬ Dis moi tout.

Détourne la conversation trop bien.
Comme toujours.

▬ Fallen...

La stupéfaction, toujours, que d'entendre être aimée qui la secoue doucement alors que son coeur se serre aux larmes de son amie. Elle ne voulait pas être derrière de telles choses, égoïstement.

(et si tu savais que j'allais partir,
est-ce que tu pleurerais autant ?)

▬ Et tu auras toujours ta place à mes côtés.

A part à côté de la tombe qu'elle compte bientôt creuser. Un bref rire quand elle se met à aller chercher le thé (un joli mensonge qui sonne beau) alors qu'elle se remet confortablement dans le canapé qui lui tiendra compagnie ce soir.

▬ Très bien, si tu le demandes comme ça que puis-je faire d'autre qu'accepter.

Le rire qui retombe bien vite alors qu'elle prend sa tasse et qu'elle écoute.
Un brin d'horreur dans la poitrine.

▬ Oh non...

Car après tout, elle aussi savait.
Mais elle n'était pas les forces de l'ordre.
Une gorgée de thé pour avaler la nouvelle en resserrant sa main sur la tasse avant de murmurer.

▬ Est-ce que... Est-ce qu'ils vont faire quelque chose contre toi ?

L'inquiétude qui noie.
La peur qui assaille.
L'égoïsme qui prend.
(Qu'on ne t'emmène pas loin de moi.)